Zététique : le sexisme au nom de la rationalité ?

À l’heure où les questions envi­ron­ne­men­tales font l’objet d’âpres batailles infor­ma­tion­nelles et où les réseaux sociaux peuvent faciliter la diffusion du com­plo­tisme, la lutte contre la dés­in­for­ma­tion scien­ti­fique est plus que jamais stra­té­gique. Mouvement néo­ra­tio­na­liste qui prospère sur YouTube, la zététique entend lutter contre les fake news, mais l’approche scien­tiste de cette com­mu­nau­té invi­si­bi­lise les condi­tions maté­rielles et sociales de la démarche scien­ti­fique. Au risque de favoriser la confusion politique. 

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Publié le 28/07/2025

Crédit illus­tra­tion : Laura Acquaviva
  • Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°19 S’informer, parue en septembre 2025. Consultez le sommaire.

C’est une com­mu­nau­té qui défend une méthode au nom étrange : la zététique. Partisan·es d’un mouvement néo­ra­tio­na­liste qui prend depuis les années 2010 une place gran­dis­sante dans la vul­ga­ri­sa­tion scien­ti­fique en ligne (lire l’encadré ci-dessous), les zététicien·nes se veulent aujourd’hui les chevalier·es zélé·es de la lutte contre la dés­in­for­ma­tion et les mauvais usages de la raison. 

Sur YouTube, X ou Facebook, ils (et plus rarement elles) « débunkent1Le debunking, souvent traduit par « démys­ti­fi­ca­tion », consiste à exposer ou à réfuter un corpus idéo­lo­gique, des croyances ou des théories jugées erronées. » diverses théories du complot, dévoilent l’imposture de per­son­na­li­tés conspi­ra­tion­nistes, comme l’essayiste d’extrême droite Idriss Aberkane, ou bien mettent en pièce des croyances qui résistent au consensus établi par les scien­ti­fiques, comme l’homéopathie, dont la recherche bio­mé­di­cale a montré qu’elle n’avait qu’un effet placébo. Mais depuis plusieurs années, la com­mu­nau­té zététique se déchire autour de son manque d’inclusivité et de sa vision des sciences. Au point que certain·es parlent d’un véritable schisme.

En avril 2022, à l’occasion du festival tou­lou­sain des Rencontres de l’esprit critique (REC), les dis­sen­sions éclatent de manière par­ti­cu­liè­re­ment vive : le type d’« humour » pratiqué lors de cet événement annuel, rendez-vous incon­tour­nable pour la zététique autant que mani­fes­ta­tion destinée à un public familial, est révé­la­teur des dérives du mouvement. 

Parmi les invité·es de l’édition figurent plusieurs de ses you­tu­beurs les plus popu­laires, comme La tronche en biais (également connu sous le délicat acronyme « La TeB »), Hygiène mentale, Penseur sauvage ou Mr Sam, suivis par des centaines de milliers de personnes – ou des dizaines de milliers, pour les plus petites chaînes. Mais ce sont deux spec­tacles imaginés par une autre figure du milieu, Clément Freze, qui cris­tal­lisent les critiques. Un quiz, d’abord, où les participant·es se voient dis­tri­buer, sur le mode du second degré et sous couvert de dénoncer le racisme, un mug avec la tête d’Hitler et un autre indiquant « Je ne suis pas raciste, mon café est noir ». Le lendemain, au cours de la cérémonie des Richard (nommée en référence à Richard Boutry, ancien jour­na­liste très suivi dans les sphères com­plo­tistes) sont décernés les prix des plus grandes dés­in­for­ma­tions de l’année. La remise des prix est rythmée par une pres­ta­tion scénique de Clément Freze consti­tuée de saillies sur les Juifs, et par une autre, du youtubeur Arnaud Thiry, plus connu sous le pseu­do­nyme d’Astronogeek (950 000 abonné·es), qui dénonce à l’envi la « cancel culture » et le « wokisme » et qui a tenu en 2020 des propos typiques de la culture du viol2Sur Twitter, il avait déclaré qu’il lui arrivait régu­liè­re­ment de « faire l’amour à [s]a moitié » dans son sommeil, en ajoutant : « Paraît que c’est du viol et je m’en bats les couilles. ».

Ce soir-là, il apparaît grimé en patient, d’abord contraint par une camisole – pour sym­bo­li­ser la prétendue censure dont il ferait l’objet –, puis sédaté ; il revient perturber la cérémonie à chaque occur­rence du mot « Twitter », pro­vo­quant l’hilarité générale. Malgré l’indignation de nombreux inter­nautes sur le caractère psy­cho­phobe, anti­sé­mite et raciste de ce type d’humour, les têtes d’affiche de ce raout du milieu de la zététique sur YouTube campent sur leurs positions : La TeB salue l’« ambiance “geek” bien­veillante » des Rencontres, tandis qu’un autre vidéaste, Penseur sauvage, dénonce un « état d’esprit tota­li­taire » parmi les personnes ayant dénoncé les blagues. Seul le youtubeur Hygiène mentale déclare que celles sur « les Juifs qui aiment l’argent » l’ont mis « mal à l’aise », et déplore « les dérives lamen­tables de certains acteurs du mouvement zététique ».

« Ce qui s’est passé durant cet événement est très illus­tra­tif des dyna­miques qu’il y a dans le milieu, où des hommes blancs, prin­ci­pa­le­ment, utilisent la zététique comme terrain de jeux pour écraser et dominer, bien plus qu’ils ne l’utilisent pour se remettre en question et faire preuve d’esprit critique à bon escient », développe une inter­naute, connue sous le pseu­do­nyme Ce n’est qu’une théorie.

De l’indépendance de la science à la guerre d’ego

« Art du doute » qui entend donner à chacun·e des outils d’autodéfense intel­lec­tuelle pour lutter contre les croyances fausses, la zététique est héritière d’un mouvement ratio­na­liste né à gauche dans l’entre-deux-guerres.

Face aux natio­na­lismes émergents, il s’agissait alors de défendre l’indépendance de la science vis-à-vis du politique, et de reven­di­quer, « dans un esprit pro­gres­siste, l’idéal d’un terrain commun sur lequel on puisse débattre, explique Guilhem Corot, doctorant en phi­lo­so­phie des sciences. Le problème de cet idéal, c’est qu’il n’a tout sim­ple­ment pas résisté à l’histoire. Pire encore, il peut servir à empêcher la critique des manières dont les sciences s’imbriquent avec le politique. »

Dans les années 1980, le physicien Henri Broch reprend le flambeau ratio­na­liste pour contrer l’attraction qu’exercent selon lui les phé­no­mènes para­nor­maux sur le grand public : il fonde alors la méthode zététique en mobi­li­sant l’analyse des biais cognitifs, ces méca­nismes de pensée qui induisent des jugements trompeurs.

À partir des années 2010, avec YouTube, la zététique connaît un nouvel essor en s’incarnant dans une géné­ra­tion de you­tu­beurs tels que Thomas Durand. Prise dans les dyna­miques com­mu­nau­taires propres aux réseaux sociaux, des logiques mer­can­tiles, et un décro­chage certain par rapport à la poli­ti­sa­tion des enjeux scien­ti­fiques, elle est parcourue par des conflits
qui ne tiennent plus de la contro­verse intel­lec­tuelle, mais bien du cyberharcèlement.

Blagues douteuses et cyberharcèlement

Ce n’est qu’une théorie fait partie du collectif Zet-éthique méta­cri­tique (ZEM), fondé en 2015, qui déplore le manque d’inclusivité de la zététique et dénonce l’ambiance de boys’ club qui y règne. En 2021, ZEM dénonçait l’existence d’un groupe Facebook aujourd’hui désactivé, Waterclo-zet, dont la charte avait pour mots d’ordre « Anarchie, drama, boobs et mauvais goût ». Les blagues sexistes et trans­phobes et les propos d’extrême droite y allaient bon train, selon des captures d’écran que La Déferlante a pu consulter. 

Quatre ans plus tard, les polé­miques sont toujours aussi vives. Récemment, deux cher­cheuses, Marie Peltier et Stephanie Lamy, ont décidé d’aller en justice à la suite d’une vidéo de Thomas Durand, animateur de la TeB, postée à l’été 2023, où leur expertise était remise en cause. Elles ont en commun de tra­vailler non pas tant sur le débunking des récits com­plo­tistes que sur leurs condi­tions d’apparition et de mise en cir­cu­la­tion. Selon elles, c’est leur posi­tion­ne­ment ouver­te­ment féministe et leur dénon­cia­tion régulière des dyna­miques sexistes en vigueur au sein des milieux de lutte contre la dés­in­for­ma­tion qui leur ont valu les attaques du fameux zété­ti­cien. Lequel a, à son tour, porté plainte contre elles, estimant qu’elles se livrent à une « ins­tru­men­ta­li­sa­tion idéologique ».

Cette atmo­sphère oppres­sive a sans doute à voir avec la com­po­si­tion sociale du mouvement. L’idéal-type du vidéaste zété­ti­cien, tel que le décrit Florian Dauphin, maître de confé­rences en sciences de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion à l’université de Picardie-Jules-Verne, est un homme blanc, âgé de 25 à 40 ans, qui a fait des études supé­rieures. Le public des vidéos est lui-même constitué à 85 % d’hommes, selon les chiffres agrégés par le socio­logue à partir des décla­ra­tions d’une dizaine de you­tu­beurs avec lesquels il s’est entretenu. Même profil à forte dominante masculine sur le groupe Facebook Zététique, qui réunis­sait plus de 30 000 utilisateur·ices3 avant de suspendre ses activités, en novembre 2024. 


L’idéal-type du vidéaste zété­ti­cien est un homme blanc, âgé de 25 à 40 ans, qui a suivi des études supérieures.


Dans le podcast Scepticisme scien­ti­fique, une ancienne membre décrit cet espace numérique comme « une niche d’hommes blancs CSP+ » : « Sous couvert de neu­tra­li­té et d’objectivité, [il y a] énor­mé­ment de sexisme et de misogynie. C’est encore plus visible sur les sujets concer­nant les femmes. […] Ils allaient m’apprendre à moi ce que c’était les règles et l’accouchement parce qu’ils avaient lu trois études sur le sujet », raconte-t-elle3Écouter l’épisode « Nécessité d’un groupe zet non mixte (témoi­gnages de femmes) », Scepticisme scien­ti­fique, 28 novembre 2021..

En 2020, elle avait rejoint le groupe Facebook Zététique, scep­ti­cisme et féminisme (désormais à l’arrêt), qui avait été pensé comme un espace en non-mixité, réservé aux femmes et aux personnes trans : l’initiative avait aussitôt été moquée par la création de pages paro­diques inti­tu­lées Zététique et naz.is.me bien­veillant, Zététique scep­ti­cisme et tes­to­sté­rone, ou encore Zététique, clowns et dogmatismes.

Fabrique du soupçon

Interrogé·es sur ces dif­fé­rents épisodes, les acteur·ices du milieu sont divisé·es quant à leur inter­pré­ta­tion. « Il y a des gens mal décons­truits partout. Si la zététique rend les gens fachos, il faut le prouver. Je ne vois pas d’où vient cette idée, je ne la comprends pas », estime par exemple Thomas Durand, l’un des deux ani­ma­teurs de La TeB. Pour le collectif ZEM, au contraire, ces polé­miques mettent en lumière un problème struc­tu­rel au sein du mouvement, à savoir l’inca­pacité à repérer et à décons­truire les domi­na­tions poli­tiques. « C’est un milieu avec beaucoup de gens de gauche, mais assez naïfs poli­ti­que­ment, qui ne sont pas très bien armés pour se défendre contre les infil­tra­tions réac­tion­naires », décrypte l’un de ses membres, connu sous le pseu­do­nyme de Gaël Violet. 

Une forme de naïveté dont Henri Broch, le fondateur de la zététique (lire l’encadré ci-dessus), est un assez bon exemple : com­mu­niste reven­di­qué, il a longtemps fréquenté Paul-Éric Blanrue, fondateur en 1993 du Cercle zététique et proche des sphères néga­tion­nistes. C’est que l’extension à l’infini des outils critiques peut dériver en fabrique du soupçon géné­ra­li­sé, et donc en révi­sion­nisme his­to­rique. Aujourd’hui, c’est un petit collectif créé en 2020, le Cercle Cobalt, qui utilise la zététique pour soutenir une pensée d’extrême droite. Les articles publiés sur son blog éta­blissent un lien entre le QI et la richesse ou accré­ditent l’existence bio­lo­gique de races humaines. « La zététique n’a pas attiré que des curieux qui voulaient se remettre en question, mais aussi des gens qui voulaient profiter de l’aura de la science et appré­ciaient le fait de faire autorité et de dominer par les sciences. Elle leur offre la boîte à outils parfaite pour dire : “Moi je suis rationnel et toi tu l’es pas” », analyse Ce n’est qu’une théorie.

Si les zététicien·nes condamnent en général ce type d’instrumentalisation par l’extrême droite, elles et ils sont peu nombreux·ses à prendre au sérieux les dérives réac­tion­naires de certaines de leurs figures scien­ti­fiques de référence, tels le bio­lo­giste Richard Dawkins ou le psy­cho­logue Steven Pinker, tous deux lon­gue­ment inter­viewés, entre autres, par La TeB. Représentants du New Atheism (nouvel athéisme), un mouvement anti­clé­ri­cal né dans les milieux anglo­phones et porté prin­ci­pa­le­ment par des cher­cheurs en sciences dites « dures », ces intel­lec­tuels dis­qua­li­fient toute croyance reli­gieuse au nom de la raison. Mais ces dernières années, on les a vus aussi mul­ti­plier les propos trans­phobes (pour Dawkins) ou sexistes (pour Pinker, qui voit dans les inéga­li­tés femmes-hommes des causes biologiques).

Pourquoi un tel confu­sion­nisme politique ? Cela est sans doute lié au scien­tisme qui sert d’aiguillon au mouvement. « C’est une doctrine qui fait de la science le seul savoir socia­le­ment et poli­ti­que­ment admis­sible. Elle présente la science comme une boîte noire, quelque chose qui est, par nature, vrai. La science a toujours raison et les non-scientifiques ont toujours tort », explique le socio­logue Cyrille Bodin. « Le consensus en didac­tique des sciences consiste au contraire à dire qu’il faut enseigner aux enfants le fonc­tion­ne­ment des sciences, faites par des humains, avec des biais, des taches aveugles, des imper­fec­tions, pour avoir un regard critique et aiguisé, développe Gwen Pallares, maîtresse de confé­rences en didac­tique des sciences et membre de ZEM. Qu’on comprenne que les sciences sont impar­faites mais pas à jeter à la poubelle. » Et qu’elles ne sont pas indé­pen­dantes du politique, aussi bien dans leur pro­duc­tion que dans leurs implications.

La cher­cheuse estime cette posture scien­tiste dif­fi­ci­le­ment conci­liable avec les sciences sociales, tout comme Cyrille Bodin ou Florian Dauphin, lequel ajoute : « Les sciences sociales s’intéressent à des individus qui pensent, qui agissent, qui ont des discours et des jus­ti­fi­ca­tions sur ce qu’ils pensent. Elles sont quelque part incom­pa­tibles avec cette concep­tion lapidaire et binaire du rationnel/irrationnel, science/non-science, vrai/faux. »

Lorsqu’elles et ils ne s’opposent pas fron­ta­le­ment aux sciences sociales en les accusant d’être poli­ti­sées ou idéo­lo­gi­sées, les zététicien·nes peuvent mobiliser des outils qui remettent en cause leur fiabilité par rapport à la physique ou à la biologie. Ainsi le concept de pyramide des preuves est-il brandi régu­liè­re­ment : dif­fé­rents niveaux de solidité des démons­tra­tions scien­ti­fiques sont établis, allant du simple témoi­gnage aux méta-analyses – c’est-à-dire des études qui consistent à agréger les résultats sta­tis­tiques de tous les articles scien­ti­fiques sur un sujet donné. Mais ce modèle, calqué sur la recherche bio­mé­di­cale, est peu pertinent pour les études en sciences sociales, notamment dans leur dimension qualitative.

Un prisme naturaliste

La TeB fait partie des chaînes mains­tream de zététique épinglées de façon récur­rente par des col­lec­tifs comme ZEM pour leur trai­te­ment des sciences sociales. Alexandre Varin, qui préside l’association finançant La TeB, souligne que nombre de chercheur·euses en sciences sociales justement y sont mis·es en avant ; mais il ne précise pas que ces invité·es sont souvent celles et ceux très critiques à l’égard de leur dis­ci­pline, à l’image du socio­logue Gérald Bronner, coauteur de Le Danger socio­lo­gique, ou encore de Bernard Lahire, ponte de la socio­lo­gie dont les derniers ouvrages prônent le rap­pro­che­ment avec les sciences naturelles. 

Le prisme natu­ra­liste est en effet récurrent sur la chaîne : on le retrouve à l’œuvre dans une interview de 2016 de Peggy Sastre, autrice de La domi­na­tion masculine n’existe pas, invitée pour parler féminisme. Elle fait alors la promotion de la psy­cho­lo­gie évo­lu­tion­niste, « évopsy », approche très largement contro­ver­sée qui tend à natu­ra­li­ser, en les ramenant à des déter­mi­nismes bio­lo­giques, les rapports de domi­na­tion entre groupes sociaux. Si Vled Tapas, coa­ni­ma­teur de La TeB, dit aujourd’hui avoir « honte » de cette émission, qui n’est plus en ligne, Thomas Durand ne dis­cré­dite pas com­plè­te­ment les arguments mis en avant par Peggy Sastre : « Notre rôle, c’est de s’intéresser à ce qui est vrai et ce qui est faux. Est-ce qu’il y a des déter­mi­nismes géné­tiques ou des déter­mi­nismes bio­lo­giques, plus largement, qui font que les garçons vont avoir des com­por­te­ments plus violents que les filles ? Oui, il y en a sans doute. Et les ignorer ne résoudra rien. Au contraire, le savoir permet de changer notre manière d’éduquer les enfants, de leur donner des modèles. »


« En se posant en juge du vrai et du faux, les fact checkeurs réins­taurent le rapport de domi­na­tion et la binarité qui sont à la source du complotisme. »

Marie Peltier, chercheuse

Outre cette vision scien­tiste qui tend à donner la primauté aux sciences dites natu­relles, ce sont plus géné­ra­le­ment les outils mobilisés par la zététique que certain·es tenant·es des sciences sociales consi­dèrent comme inopé­rants et peu valides scien­ti­fi­que­ment. Elle s’appuie notamment sur le repérage des biais cognitifs pour juger de la qualité d’une argu­men­ta­tion : l’effet « cerceau » consiste à admettre au départ ce que l’on veut prouver, l’effet « puits » à enchaîner les affir­ma­tions creuses et impré­cises, etc. Selon Gwen Pallares, cela conduit à définir par l’absence de biais, donc par la négative, ce qu’est une bonne argu­men­ta­tion. Une vision là encore éloignée du consensus en didac­tique des sciences. « C’est une théorie inté­res­sante mais largement lacunaire, complète Florian Dauphin. Dès lors que vous pensez que les choses ne sont qu’une question de biais, vous ne comprenez pas les condi­tions sociales qui amènent les gens à penser ainsi. »

Pour la cher­cheuse Marie Peltier, c’est même contre-productif : « Le com­plo­tisme est un problème de défiance. Or, en se posant en juge du vrai et du faux, les fact checkeurs réins­taurent le rapport de domi­na­tion et la binarité qui en sont à la source. »

Alors que garder de la zététique ? D’abord, l’idéal éman­ci­pa­teur et démo­cra­tique qui la nour­ris­sait ori­gi­nel­le­ment : « Dans les fon­de­ments, il y avait une volonté très explicite de science populaire », souligne Gaël Violet. Ensuite, la diversité des courants existant au sein du mouvement, du collectif ZEM aux têtes d’affiche telles que La TeB. Doctorant en phi­lo­so­phie des sciences, Guilhem Corot invite à s’appuyer sur l’épistémologie du point de vue pour permettre une meilleure appro­pria­tion des sciences par le public. 

Selon ce cadre théorique forgé par les fémi­nistes, la construc­tion d’objets scien­ti­fiques a partie liée avec la position sociale de celui ou celle qui les produit, et s’ancre dans des relations de pouvoir et des ima­gi­naires socio­his­to­riques : « Il faut accepter l’idée qu’on ne peut pas être neutre et que, donc, le mieux qu’on puisse faire, c’est d’essayer d’expliciter le type de normes, de res­pon­sa­bi­li­tés sociales qui nous animent, les choix de recherche qui ont été faits et leurs limites », résume le phi­lo­sophe. Une piste parmi d’autres pour se prémunir du risque, toujours d’actualité, qu’au nom de la science et de la raison soient perpétués des systèmes de domination. •

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    Le debunking, souvent traduit par « démys­ti­fi­ca­tion », consiste à exposer ou à réfuter un corpus idéo­lo­gique, des croyances ou des théories jugées erronées.
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    Sur Twitter, il avait déclaré qu’il lui arrivait régu­liè­re­ment de « faire l’amour à [s]a moitié » dans son sommeil, en ajoutant : « Paraît que c’est du viol et je m’en bats les couilles. »
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    Écouter l’épisode « Nécessité d’un groupe zet non mixte (témoi­gnages de femmes) », Scepticisme scien­ti­fique, 28 novembre 2021.

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