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Violences sexuelles dans le cinéma : le silence des médias en question

Depar­dieu, Jacquot, Doil­lon, Corneau : presque chaque jour depuis plusieurs mois, des acteurs ou met­teurs en scène célèbres sont accusés de vio­lences sex­istes et sex­uelles par­fois très anci­ennes. Au-delà des noms con­nus qui polarisent l’opinion, il sem­ble urgent d’interroger le sys­tème qui a autorisé et cou­vert ces agisse­ments pré­sumés, durant des décen­nies. Dans cet entre­tien don­né à La Défer­lante, Nel­ly Quemen­er, pro­fesseure en sci­ences de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion au Cel­sa-Sor­bonne Uni­ver­sité, ques­tionne tout par­ti­c­ulière­ment la respon­s­abil­ité des médias.
Publié le 16/02/2024

Modifié le 16/01/2025

Selon la chercheuse Nelly Quemener, c’est dans le discours anticonformiste de gauche des années 1980 et 1990 qu’est née la complicité à l’égard des artistes pédocriminels. Crédit illustration : archives personnelles.
Selon la chercheuse Nel­ly Quemen­er, c’est dans le dis­cours anti­con­formiste de gauche des années 1980 et 1990 qu’est née la com­plic­ité à l’égard des artistes pédocrim­inels. Crédit illus­tra­tion : archives per­son­nelles.

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Con­sul­tez le som­maire.

On l’appelle désor­mais « l’affaire Godrèche », du nom de la comé­di­enne et réal­isatrice qui a porté plainte, début févri­er pour vio­lences sex­uelles con­tre le réal­isa­teur Benoit Jacquot. Elle dit avoir subi des vio­lences sem­blables de la part du réal­isa­teur Jacques Doil­lon, con­tre lequel plusieurs comé­di­ennes, dont Anna Mouglalis et Isild Le Besco, témoignent égale­ment.

Des enquêtes prélim­i­naires ont été ouvertes. Les deux hommes con­tes­tent les faits et sont pré­sumés inno­cents.

Les pro­pos de Judith Godrèche met­tent en cause l’entourage des réal­isa­teurs ain­si que cer­tains médias qui auraient eu con­nais­sance des vio­lences subies. Sa prise de parole, dit-elle, a été ren­due pos­si­ble par la pub­li­ca­tion du livre de Vanes­sa Springo­ra, Le Con­sen­te­ment (2020), dans lequel l’autrice et éditrice relate une expéri­ence sim­i­laire : celle de sa « rela­tion » faite d’emprise à sens unique avec l’écrivain Gabriel Matzn­eff, débutée alors qu’elle avait 14 ans et lui 50. Leurs his­toires ont en com­mun d’avoir été vécues au grand jour, dans la com­plai­sance la plus totale du monde lit­téraire, cul­turel et ciné­matographique. Tout comme dans le cas des accu­sa­tions de vio­lences sex­uelles visant Gérard Depar­dieu, ou dernière­ment le psy­ch­an­a­lyste et réal­isa­teur Gérard Miller, les faits incrim­inés ont sou­vent eu lieu devant témoins. Depuis peu, des jour­nal­istes comme Lau­re Adler ou Bernard Piv­ot, accusés d’avoir jadis min­imisé les faits, présen­tent leurs excus­es aux vic­times.

Quel regard portez-vous, ces dernières semaines, sur le traite­ment médi­a­tique des affaires de vio­lences sex­uelles sur mineures dans le monde de la cul­ture ?

Nous sommes dans la con­ti­nu­ité du mou­ve­ment #MeToo qui a émergé en 2017 : par effet de rebond, un témoignage de vic­time en déclenche un autre. Adèle Haenel mène à Judith Godrèche qui mène à Isild Le Besco. Ce mou­ve­ment feuil­leton­nant sert la cause de ces réc­its, car il apporte plus d’attention qu’un événe­ment isolé. Mais cela a un effet per­vers : dans une logique de per­son­nal­i­sa­tion très forte, les médias resser­rent leur cou­ver­ture autour de fig­ures de coupables, en don­nant l’impression au pub­lic d’avoir exhumé ce qui avait été caché.

À mon sens, ce traite­ment pose prob­lème, car il nous dére­spon­s­abilise au niveau col­lec­tif : der­rière l’indignation mise en scène par les médias, se retrou­ve caché sous le tapis un sys­tème général dans lequel beau­coup d’adultes ont sex­u­al­isé des enfants et en ont tiré de la gloire. Dans un doc­u­men­taire réal­isé en 2011 par le psy­ch­an­a­lyste Gérard Miller [aujourd’hui accusé de vio­ls et d’agressions sex­uelles par une quar­an­taine de femmes], ressor­ti récem­ment via les réseaux soci­aux, le réal­isa­teur Benoît Jacquot tient des pro­pos igno­bles à pro­pos de sa rela­tion avec Judith Godrèche, mineure à l’époque des faits : « Faire du ciné­ma est une sorte de cou­ver­ture pour tel ou tel traf­ic illicite, une sorte de cou­ver­ture pour des mœurs de ce type-là ». Com­ment tout cela a‑t-il pu exis­ter ?

Les per­son­nal­ités accusées de vio­lences et leur entourage ont l’habitude de s’en pren­dre au sup­posé « tri­bunal médi­a­tique ». Mais cer­tains médias ne pour­raient-ils pas se retrou­ver aujourd’hui, au con­traire, sur le banc des accusés ?

Quand on par­le de « tri­bunal médi­a­tique », il est avant tout impor­tant de revenir sur la façon dont les vic­times se sont emparées de cet out­il puis­sant. Quand les faits sont pre­scrits, les preuves insuff­isantes, elles font preuve par le nom­bre de témoignages qui se joignent aux leurs, mais aus­si en mon­trant leurs tripes, comme le fait Judith Godrèche avec sa série Icon of french cin­e­ma, dif­fusée sur Arte. Parce qu’il y a urgence, les médias main­stream peu­vent devenir des tri­bunes, des espaces de lutte ou des ter­ri­toires à recon­quérir.


« C’EST PARCE QUE CES TÉMOIGNAGES INVERSENT LES RAPPORTS DE FORCE QU’ILS DÉSTABILISENT AUSSI PUISSAMMENT LE DÉBAT PUBLIC »


Tout cela me rap­pelle le con­cept du « secret de polichinelle » dans l’essai de la théorici­enne queer Eve Kosof­sky Sedg­wick, L’Épistémologie du plac­ard (Éd. Ams­ter­dam, 2008) : ce qui fait événe­ment dans ces affaires, c’est que des faits, qui n’ont jamais été désignés comme prob­lé­ma­tiques par les jour­nal­istes, soient aujourd’hui énon­cés publique­ment par les vic­times, selon leurs pro­pres ter­mes et leur pro­pre tim­ing. C’est parce que ces témoignages inversent les rap­ports de force qu’ils désta­bilisent aus­si puis­sam­ment le débat pub­lic.

En 2020, à l’occasion de la paru­tion du livre de Vanes­sa Springo­ra, Le Con­sen­te­ment, Bernard Piv­ot présen­tait des excus­es pour la com­plai­sance avec laque­lle il avait jadis inter­viewé l’écrivain Gabriel Matzn­eff, reje­tant la faute sur le con­texte de l’époque. Que pensez-vous de cette démarche ?

La télévi­sion de plateau fonc­tion­nait (et fonc­tionne tou­jours, d’ailleurs – l’émission « Touche pas à mon poste », ani­mée par Cyril Hanouna sur CNews, en est un exem­ple) sur une logique de mas­culin­ité com­plice. Ce que nous racon­tent les séquences médi­a­tiques des années 1970 et des décen­nies suiv­antes, c’est que les émis­sions cul­turelles comme « Apos­tro­phes », présen­tée par Bernard Piv­ot, étaient des instances non mixtes d’autorisation de pra­tiques sex­uelles. Le vocab­u­laire employé à l’antenne infan­til­i­sait les femmes de manière à les main­tenir dans une soumis­sion insti­tu­tion­nelle. Quand, au lieu de dire « une femme », on dit « une petite », on autorise implicite­ment la sex­u­al­i­sa­tion des petites filles et on con­stru­it une mas­culin­ité basée sur cela.

Il y a aus­si quelque chose à ques­tion­ner sur notre rap­port cul­turel à la satire et à la provo­ca­tion. Sur les plateaux télé, dans les années 1980 et 1990, des per­son­nal­ités comme Serge Gains­bourg et Daniel Cohn-Ben­dit incar­nent des valeurs sub­ver­sives et provo­ca­tri­ces typ­iques de la mas­culin­ité de gauche des années Mit­ter­rand. Le dis­cours anti­con­formiste est devenu un endroit de val­ori­sa­tion, et c’est là que s’est for­mée, à mon sens, la com­plic­ité des médias envers les vio­lences sex­istes et les artistes pédocrim­inels.

Mal­gré la mul­ti­pli­ca­tion des affaires de vio­lences sex­uelles très médi­atisées, il sub­siste encore des voix pour défendre « le droit d’importuner » et pour cri­ti­quer un « néop­u­ri­tanisme ». La route sem­ble encore longue…

La remise en ques­tion de ces actes existe, mais elle est super­fi­cielle. Bien sûr, entre la cou­ver­ture de l’affaire Dominique Strauss-Kahn, en 2011, et celle des accu­sa­tions con­tre Benoît Jacquot, en 2024, les choses ont évolué. Mais je reste con­va­in­cue que si la fab­rique médi­a­tique n’évolue pas, si elle con­tin­ue à ne s’intéresser qu’aux indi­vidus – Jacquot, Godrèche, Doil­lon, Le Besco, Depar­dieu – et ne s’intéresse pas au fond des affaires, alors rien ne chang­era. Le « secret de polichinelle » con­cer­nant les vio­ls dont est accusé Roman Polan­s­ki a été révélé il y a longtemps main­tenant, mais Téléra­ma con­sacre encore aujourd’hui deux pages à son dernier film. J’attends donc de voir quelle sera la récep­tion cri­tique du prochain film de Benoît Jacquot, dont la sor­tie est prévue dans quelques mois.

 

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Anne-Laure Pineau

Journaliste pigiste indépendante, membre du collectif Youpress et de l’AJL (Association des journalistes lesbiennes, gay, bi·es, trans et intersexes). Pour ce numéro, elle a écrit le scénario de la BD sur Diana Sacayan. Voir tous ses articles

Avorter : Une lutte sans fin

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Con­sul­tez le som­maire.


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