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Violences sexuelles : au cœur des cellules d’enquêtes des partis de gauche

Depuis #MeToo, les par­tis de gauche ont mis en place des dis­posi­tifs con­tre les vio­lences sex­istes et sex­uelles. Ces comités, com­posés de militant·es, récep­tion­nent des  sig­nale­ments allant du com­porte­ment sex­iste aux crimes sex­uels. De l’affaire Taha Bouhafs à celle de Julien Bay­ou, ces cel­lules d’enquête font l’objet de vifs débats. Jus­tice privée sans pos­si­ble recours pour les un·es, indis­pens­able garde-fou pour les autres, elles posent des ques­tions de droit et sec­ouent les par­tis, y com­pris ceux, à droite, qui ne veu­lent pas en enten­dre par­ler.
Publié le 17/01/2023

Modifié le 16/01/2025

Collage Nadia Diz Grana La Déferlante 9 - Enquête Violences sexuelles : au cœur des cellules d'enquêtes dans les partis de gauche
Nadia Diz Grana

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°9 Bais­er (févri­er 2023)

En soirée, Shirley Wird­en a longtemps par­lé de ce cama­rade du Par­ti com­mu­niste qui ne savait pas enten­dre un « non ». Elle racon­tait à ses ami·es ce jeune homme « très lourd et très répéti­tif » qui la sub­mergeait d’avances par SMS et sur les réseaux soci­aux.

« C’était une sur-sol­lic­i­ta­tion quo­ti­di­enne. Je ne répondais pas sur Face­book, alors il m’écrivait sur Insta­gram pour m’inviter à boire un verre », se sou­vient l’élue parisi­enne, aujourd’hui trente­naire. Pen­dant des années, l’idée de saisir les autorités du PCF ne lui a pas tra­ver­sé l’esprit, encore moins celle de porter plainte. « Per­son­ne ne m’en empêchait. C’est juste que ce n’était pas dans les radars. » Au fil du temps, la mil­i­tante recueille des échos d’autres femmes ayant subi du har­cèle­ment de la part du même cama­rade. Alors, début 2018, quand le PCF annonce la créa­tion d’une cel­lule d’écoute des vio­lences sex­istes et sex­uelles (VSS) bap­tisée « Tolérance zéro », Shirley Wird­en est l’une des pre­mières à leur écrire un mail. « La direc­tion devait être au courant pour qu’il n’accède pas à davan­tage de respon­s­abil­ités. Ma parole a été écoutée. C’était un soulage­ment, car c’était enfin dit de manière offi­cielle. »

« J’avais été huée. Certain·es pen­saient qu’il n’y avait “pas de ça” chez nous. Mais de nom­breuses femmes étaient venues se con­fi­er
à moi. »

Hélène Bidard, con­seil­lère de Paris, PCF


Fin 2017, en plein défer­lement de témoignages #MeToo sur les réseaux soci­aux, c’est Hélène Bidard, con­seil­lère de Paris, qui avait impul­sé ce dis­posi­tif, avec une poignée d’autres fémin­istes du PCF. « On sait que c’est dans tous les par­tis, dans tous les milieux », avait-elle lancé alors dans un dis­cours au con­seil nation­al du Par­ti. « J’avais été huée. Certain·es pen­saient qu’il n’y avait “pas de ça” chez nous. Mais de nom­breuses femmes étaient venues se con­fi­er à moi », racon­te-t-elle aujourd’hui. À cette époque, d’autres par­tis de gauche amor­cent la même réflex­ion, en réac­tion à l’affaire Denis Baupin, accusé par plusieurs élues d’Europe Écolo­gie-Les Verts (EELV) de har­cèle­ment et d’agressions sex­uelles . Chez les écol­o­gistes, cette onde de choc a mar­qué le début d’une phase « d’introspection », comme le recon­naît l’ancienne porte-parole d’EELV, Chloé Sagaspe. Une cel­lule d’écoute est lancée dès 2016 pour détecter toute autre sit­u­a­tion abu­sive. Après la mod­i­fi­ca­tion du règle­ment intérieur du par­ti en mars 2018, une « cel­lule d’enquête et de sanc­tion » offi­cielle voit le jour. Quelques mois plus tard, La France insoumise (LFI) inau­gure son « comité de suivi con­tre les vio­lences sex­istes et sex­uelles ». Au Par­ti social­iste (PS), la réflex­ion enclenchée avec le tour­nant Baupin donne nais­sance à la « cel­lule d’écoute et d’accompagnement des vic­times de vio­lences sex­istes et sex­uelles » en jan­vi­er 2020. En 2011, l’affaire DSK (1), d’une ampleur encore inédite, n’avait pas per­mis d’amorcer un tel proces­sus. « Il fal­lait un momen­tum poli­tique pour que soit enfin pris au sérieux ce qui n’avait pas été pri­or­i­taire pen­dant longtemps », observe Cécil­ia Gondard, secré­taire nationale à l’égalité entre les femmes et les hommes du PS.

Longtemps dis­crète, l’existence de ces cel­lules a été placée sous le feu des pro­jecteurs médi­a­tiques à la ren­trée 2022. Plusieurs hauts dirigeants ont été mis en cause dans des affaires, certes bien dis­tinctes, mais con­traig­nant plus ou moins les par­tis à met­tre en appli­ca­tion leurs promess­es d’exemplarité fémin­iste. Suite à des accu­sa­tions de vio­lences psycho­logiques de la part d’une ex-com­pagne, Julien Bay­ou a démis­sion­né, en sep­tem­bre 2022, de la direc­tion d’EELV et de la prési­dence du groupe écol­o­giste à l’Assemblée nationale, dénonçant une sit­u­a­tion « inten­able » dans laque­lle il ne peut, selon lui, faire val­oir sa défense. Le même mois, le député Adrien Quaten­nens (2) a recon­nu avoir vio­len­té physique­ment sa femme – qui a porté plainte con­tre lui – et s’est mis en retrait de ses fonc­tions de coor­di­na­teur de LFI. Les cel­lules d’enquête d’EELV et de LFI ont été saisies de ces deux affaires. « Cer­tains se font dévor­er par un mon­stre qu’ils ont con­tribué à créer », a lancé le min­istre de la Jus­tice, Éric Dupond-Moret­ti, en con­férence de presse, le 27 sep­tem­bre 2022. Le garde des Sceaux dénonçait l’avènement d’une « jus­tice de droit privé qui n’a aucun sens ».

Depuis 2018, à LfI  : 44 signalements, 18 exclusions

En mai 2022, le retrait du jour­nal­iste activiste Taha Bouhafs de la course à la dépu­ta­tion avait déjà sus­cité un tol­lé. Enrôlé sous les couleurs de LFI, ce dernier s’était retiré quand le comité de suivi con­tre les vio­lences sex­istes et sex­uelles (CVSS) du par­ti a ouvert une enquête à son encon­tre, après avoir reçu un témoignage rela­tant des faits de vio­lences sex­uelles. « J’ignore ce dont on m’accuse, je n’ai jamais été con­fron­té aux dites accu­sa­tions », déclarait Taha Bouhafs dans une let­tre pub­liée sur Twit­ter en juil­let. Son avo­cat, Raphaël Kempf, réag­it pour La Défer­lante : « On ne peut con­damn­er une per­son­ne sur la sim­ple base d’un témoignage. C’est un principe de la Con­ven­tion européenne des droits de l’homme. Par ailleurs, la per­son­ne mise en cause et son avo­cat, doivent avoir la pos­si­bil­ité de ques­tion­ner la per­son­ne qui accuse. »

Par télé­phone, la députée de Paris Sarah Legrain, qui pilote le CVSS de LFI, argue qu’il a été pro­posé à Taha Bouhafs d’être enten­du courant octo­bre. « Le dossier entre nos mains était suff­isam­ment lourd pour que nous décid­ions de lancer immé­di­ate­ment une alerte auprès du comité de respect des principes, comme c’est prévu dans notre fonc­tion­nement. Nous avons con­sid­éré avoir suff­isam­ment d’éléments pour ne pas vouloir pren­dre le risque d’en faire un député, pourvu de l’immunité par­lemen­taire qui va avec. » Hors urgence, la procé­dure est tout autre, assure Sarah Legrain, la seule des sept femmes du CVSS dont le nom est pub­lic – l’anonymat pour les autres per­met de « ne pas subir des pres­sions ou recevoir des sig­nale­ments par des voies informelles ». Une fois bouclé, le rap­port est adressé au « comité de respect des principes », l’organe dis­ci­plinaire, chargé de régler tous les lit­iges. Cette instance réalise l’entretien con­tra­dic­toire, pour la ver­sion du mis en cause. Depuis 2018, 44 sig­nale­ments (con­cer­nant unique­ment des hommes) ont été effec­tués, pour des faits allant de com­porte­ments sex­istes de faible inten­sité à des vio­lences sex­uelles. Dix-huit exclu­sions ont été pronon­cées. D’autres mis en cause, selon la grav­ité des faits reprochés, se sont sim­ple­ment vus con­traints de suiv­re un stage de sen­si­bil­i­sa­tion con­tre le sex­isme.
« La cel­lule n’est pas là pour être neu­tre, assume Cécil­ia Gondard du PS. Nous sommes du côté de la vic­time et nous ne remet­tons jamais en cause sa parole. » Le nom des neuf « référent·es » est pub­lié sur une page dédiée du site web des social­istes. « Ce sont des psy­cho­logues, avocat·es, assistant·es social·es », énumère Cécil­ia Gondard. À compter de l’ouverture d’une enquête, le PS s’est fixé un délai de huit mois pour ren­dre sa déci­sion. Celle-ci est pronon­cée par la « com­mis­sion de lutte con­tre le har­cèle­ment et les dis­crim­i­na­tions », un organ­isme dis­ci­plinaire créé spé­ciale­ment en sep­tem­bre 2022. En trois ans, une exclu­sion défini­tive et une tem­po­raire ont été pronon­cées. Ce fonc­tion­nement bicéphale, séparant la phase d’écoute de celle du con­tra­dic­toire, reste encore flou pour beau­coup. La secré­taire nationale soupire : « Lors du dernier con­seil nation­al, j’y suis allée à coups de Pow­er­Point pour expli­quer ce fonc­tion­nement à la direc­tion du par­ti. Il y a une accep­ta­tion générale. Mais certain·es ne com­pren­nent pas la dif­férence entre cel­lule d’écoute et com­mis­sion. Ça va pren­dre du temps, mais on ne lâche pas. »

Au PCF, la com­mis­sion « Tolérance zéro », com­posée de qua­tre femmes et deux hommes, n’est pas encore entrée dans les statuts. « On va les refaire pour la pre­mière fois depuis dix ans en avril 2023, annonce Shirley Wird­en, qui a repris la tête de l’instance. Je suis une dizaine de dossiers en ce moment, dont une moitié rel­a­tive à des faits remon­tant à plusieurs années. » Le con­tra­dic­toire comme la sanc­tion incombe à la « com­mis­sion nationale de règle­ment des con­flits ». Depuis cinq ans, deux exclu­sions défini­tives ont été pronon­cées, ain­si que vingt sus­pen­sions. « Ce qui a l’air peu au regard du nom­bre d’adhérent·es, com­mente Hélène Bidard. Mais sur les dix années antérieures, il n’y avait eu que trois exclu­sions pronon­cées, pour des diver­gences poli­tiques. »

Des réunions entre cellules dédiées des partis et syndicats

Dans le paysage des cel­lules au sein des par­tis, c’est EELV qui se dis­tingue le plus car l’équipe assure à la fois l’écoute et le con­tra­dic­toire, avec la pos­si­bil­ité de sus­pendre le sus­pect à titre con­ser­va­toire pour qua­tre mois. Son nom « cel­lule d’enquête et de sanc­tion » prête néan­moins à con­fu­sion. Car, si elle pré­conise une sanc­tion, elle n’a pas le pou­voir de l’entériner. Longtemps, ce rôle incom­bait au con­seil fédéral, assem­blée d’une cen­taine de per­son­nes, l’équivalent du par­lement du par­ti. « Nous fai­sions preuve de bonnes inten­tions démoc­ra­tiques, avance Jérémie Crépel, ex-secré­taire nation­al adjoint chargé du lien avec la cel­lule. Mais nous n’avions pas la pos­si­bil­ité de garan­tir la con­fi­den­tial­ité. » En sep­tem­bre 2022, une enquête de France Info (3) épin­gle EELV. Une mil­i­tante, qui dénonçait une agres­sion sex­uelle per­pétrée par un cadre, affirme avoir été con­tac­tée par son agresseur deux jours après avoir témoigné à la cel­lule. Un mem­bre du con­seil fédéral aurait fait fuiter le nom de la jeune femme. Pour prévenir tout nou­veau risque, un comité de sanc­tions dédié spé­ci­fique­ment aux VSS a été insti­tué par une réforme de févri­er 2022, com­posé de deux per­son­nes du bureau exé­cu­tif nation­al et de deux autres du bureau du con­seil fédéral, chargées de sanc­tion­ner ou non le mis en cause. EELV ne com­mu­nique pas de chiffres pré­cis. « [Ils] démis­sion­nent sou­vent dès qu’ils ont leur rap­port entre les mains, pour éviter que la sanc­tion ne tombe », pré­cise Jérémie Crépel.


« Le plus courant, c’est que des gens exclus d’un mou­ve­ment arrivent dans un par­ti sans que l’on ne sache rien de leurs casseroles. »

Sarah Legrain, référente du comité de suivi con­tre les vio­lences sex­istes et sex­uelles de La France insoumise


Tous les trimestres, depuis juin 2021, des réu­nions informelles sont organ­isées à l’initiative de Raphaëlle Manière, respon­s­able du pôle anti-VSS de la CGT, entre les cel­lules dédiées des dif­férents par­tis et syn­di­cats. Elle résume : « On y partage nos réflex­ions pour devenir plus égal­i­taires. » Plusieurs syn­di­cats répon­dent à l’appel aux côtés des qua­tre par­tis précédem­ment cités, mais aus­si « le Par­ti de gauche, l’Union com­mu­niste lib­er­taire, Génération·s, Ensem­ble !, et le Nou­veau par­ti ant­i­cap­i­tal­iste (NPA) », liste Raphaëlle Manière. Shirley Wird­en, du PCF, renchérit : « Ça nous fait du bien d’être dans l’entraide. Per­son­ne n’a la pré­ten­tion de dire qu’il ou elle fait mieux que l’autre. Tout est récent donc tout reste per­fectible. » L’itinérance des agresseurs fait débat. L’homme qui a harcelé Shirley Wird­en n’a pas atten­du la saisie de son dossier pour quit­ter le par­ti. Il s’est, depuis, encar­té ailleurs. « C’est un vrai sujet, se préoc­cupe l’Insoumise Sarah Legrain. Le plus courant, c’est que des gens exclus d’un mou­ve­ment arrivent dans un par­ti sans que l’on ne sache rien de leurs casseroles. »

Au NPA, on com­mence pour­tant à se pos­er la ques­tion de la réin­té­gra­tion des radiés. Il faut dire que le par­ti d’extrême gauche a quelques années d’avance. Un dis­posi­tif de lutte con­tre les VSS, le plus ancien réper­torié par nos soins, existe depuis sa créa­tion en 2009 à la suite de la dis­so­lu­tion de la Ligue com­mu­niste révo­lu­tion­naire (LCR). « C’était déjà présent au sein de la LCR », rap­pelle Alice Pel­leti­er, de la « com­mis­sion nationale d’intervention fémin­iste ». Pour sig­naler un cas de VSS, les adhérent·es doivent saisir la com­mis­sion de médi­a­tion com­posée d’une dizaine de per­son­nes. « Nous sommes assez peu con­tac­tées par mail, cela se fait surtout par le éseau ami­cal. Notre fonc­tion­nement est plus informel qu’ailleurs : c’est lié à la taille de notre par­ti où nous sommes 1 800, pour­suit la mil­i­tante. Chez nous les copines se réu­nis­sent en AG non mixte, donc il y a une parole forte et sol­idaire. Nous dis­cu­tons des signes avant-coureurs comme une atti­tude vir­iliste ou un com­porte­ment méprisant. Les vio­lences ont lieu dans un con­texte qui le per­met parce que l’agresseur se sent dans l’impunité. » Dès qu’il y a sai­sine, le mis en cause est sus­pendu à titre pro­vi­soire. Au NPA, l’enquête, comme le choix de la sanc­tion, est con­fiée à la « com­mis­sion de médi­a­tion », l’instance par­i­taire qui règle tous les dif­férends au sein du par­ti (4). « Mais il n’y a pas de médi­a­tion pour les VSS », souligne Alice Pel­leti­er, qui indique que deux cas de VSS ont été traités cette année et ont con­duit à une exclu­sion défini­tive. Longtemps, le NPA a occupé l’inconfortable posi­tion d’être le pio­nnier, c’est-à-dire le pre­mier par­ti à se con­fron­ter aux VSS et au sein duquel, mécanique­ment, le plus d’affaires éclataient au grand jour. « Nous avions l’impression d’avoir plus de cas, ce qui n’était pas la réal­ité », pré­cise Alice Pel­leti­er.


« Dans une entre­prise, les salarié·es ne sont pas licencié·es pour avoir com­mis des infrac­tions pénales, mais parce que le droit du tra­vail n’a pas été respec­té. Cela devrait être pareil dans un par­ti poli­tique. »

Mar­i­lyn Baldeck, déléguée générale de l’As­so­ci­a­tion européenne con­tre les vio­lences faites aux femmes au tra­vail (AVFT)


Au centre et à droite, aucun comité d’enquête sur les VSS

« Les cel­lules sont tou­jours accusées de mal faire, de ne pas être impar­tiales et d’avoir voulu enfon­cer ou sauver Untel », regrette Mathilde Viot (5), cofon­da­trice de l’Observatoire des vio­lences sex­istes et sex­uelles en poli­tique. Fondée en févri­er 2022, l’association appelle à la créa­tion d’un organ­isme, financé sur fonds publics, selon le mod­èle de la Haute Autorité pour la trans­parence de la vie publique mise en place peu après l’affaire Cahuzac. « Il est temps que les vio­lences faites aux femmes soient pris­es tout autant au sérieux que les con­flits d’intérêts », scan­de l’ancienne attachée par­lemen­taire. Une alter­na­tive envis­agée par Sarah Legrain de LFI : « Notre charte pour­rait évoluer dans ce sens lors de l’assemblée représen­ta­tive de décem­bre », anticipe-t-elle. Puis de nuancer : « Ma con­vic­tion, c’est que l’on ne pour­ra jamais exter­nalis­er la déci­sion poli­tique. »

Reste que l’option d’une « haute autorité » per­me­t­trait d’inclure les femmes d’autres mou­vances poli­tiques « et de combler les défail­lances des par­tis de droite », con­clut Mathilde Viot. Car au cen­tre et à droite, où aucun comité d’enquête sur les VSS n’a jamais vu le jour, seule Renais­sance fait fig­ure d’exception. À l’automne 2022, une refonte des statuts a per­mis la créa­tion d’une struc­ture bap­tisée « Préven­tion, écoute, action » com­posée de dix mem­bres et dirigée par Mar­lène Schi­ap­pa. Un choix qui étonne plusieurs interlocuteur·ices des cel­lules de gauche, qui pointent sa ges­tion de l’affaire Hulot (6). Au Parisien, l’ancienne secré­taire d’État à l’égalité entre les femmes et les hommes a promis « une struc­ture qui ne con­siste ni à couper des têtes arbi­traire­ment ni à étouf­fer des affaires. […] Nous ne sommes pas un par­ti de jus­tice expédi­tive, de procès stal­in­iens ».

En sep­tem­bre 2022, alors qu’il était can­di­dat à la prési­dence du par­ti Les Répub­li­cains, Bruno Retail­leau s’est déclaré « favor­able » à la créa­tion d’une cel­lule d’enquête. Aurélien Pradié, lui aus­si engagé dans la course pour la chef­ferie LR, a au con­traire estimé que c’était « à la jus­tice de tranch­er ». Même ren­gaine au Rassem­ble­ment nation­al. Pour Jor­dan Bardel­la, « ce n’est pas aux par­tis poli­tiques de s’autogérer et de se faire jus­tice eux-mêmes. Les par­tis poli­tiques ne sont pas des astres à part qui se gou­ver­nent selon des lois dif­férentes. »

Une cri­tique fréquente qui n’a pas lieu d’être, réplique Mar­i­lyn Baldeck, déléguée générale de l’Association européenne con­tre les vio­lences faites aux femmes au tra­vail (AVFT) : « Der­rière le débat de savoir si l’on est pour ou con­tre les cel­lules, je devine une ques­tion sous-jacente : pour ou con­tre le traite­ment des VSS en dehors du spec­tre pénal ? Or, on ne peut raisonnable­ment pas s’appuyer sur une procé­dure pénale pour jus­ti­fi­er des mesures dis­ci­plinaires, car le délai va être beau­coup trop long par rap­port au besoin de gér­er ces affaires en urgence. » Ces cel­lules relèvent, selon la juriste, du droit du tra­vail. « Dans une entre­prise, les salarié·es ne sont pas licencié·es pour avoir com­mis des infrac­tions pénales, mais parce que le droit du tra­vail et/ou les règles internes n’ont pas été respec­tées. Cela devrait être pareil dans un par­ti poli­tique. » La juriste dis­tingue les infrac­tions pénales, qui sanc­tion­nent le trou­ble à l’ordre pub­lic, des mesures dis­ci­plinaires, qui véri­fient la con­for­mité d’un com­porte­ment selon les règles de fonc­tion­nement de la struc­ture. Pour étay­er son argu­men­taire, l’AVFT cite une jurispru­dence du 25 mars 2020, con­fir­mant la con­damna­tion prud’homale d’un employeur pour har­cèle­ment sex­uel, mal­gré une relaxe au pénal. « Un indi­vidu peut être sanc­tion­né en interne, même s’il n’a pas été con­damné par la jus­tice pénale, explique Marylin Baldeck. La faute pénale et la faute civile ne procè­dent pas de la même logique. Si la sanc­tion dis­ci­plinaire repose sur des faits que le tri­bunal cor­rec­tion­nel a con­sid­érés comme “insuff­isants” – mais pas inex­is­tants – pour car­ac­téris­er une infrac­tion pénale, ni le principe d’autorité de la chose jugée ni le principe de pré­somp­tion d’innocence ne sont remis en cause. »

Épauler et accompagner les femmes sur le long terme

De fait, les cel­lules de lutte con­tre les VSS sont bien sou­vent les anticham­bres d’un par­cours judi­ci­aire. Quand elle était à la tête de « Tolérance Zéro », Hélène Bidard a accom­pa­g­né des plaig­nantes au com­mis­sari­at. Sa suc­cesseuse, Shirley Wird­en émet par­fois des sig­nale­ments au pro­cureur de la République : « Je ne veux pas que les femmes aient l’impression qu’il est suff­isant de pass­er par le par­ti. Au PCF, nous faisons du dis­ci­plinaire. La jus­tice fait du judi­ci­aire. »

Au NPA, les femmes sont épaulées autant que pos­si­ble sur le long terme, en étant aigu­il­lées vers des psy­cho­logues compétent·es et / ou dans leurs par­cours de plainte. « Pour elles, cela ne se règle pas en quelques semaines et c’est par­fois ce qui est le plus dur à gér­er », con­fie Alice Pel­leti­er. « Oui, c’est éprou­vant, abonde Shirley Wird­en. Il n’y a pas de décon­nex­ion pos­si­ble sur ces sujets. Les vic­times nous sol­lici­tent dès qu’elles en ont besoin. Les écouter, c’est un don de soi. » Cécil­ia Gondard du PS résume : « Il faut le faire donc on le fait. » Pour ces raisons, les cel­lules con­nais­sent par­fois des dif­fi­cultés de recrute­ment, avec un nom­bre de bénév­oles qui décroît au fil des ans. Le PS devrait d’ailleurs bien­tôt lancer une cam­pagne de recrute­ment. « Il y a un coût poli­tique à cet engage­ment, prévient Hélène Bidard. Mais tant que #MeToo est là, nous avons une force indé­ni­able pour faire bouger les lignes. Nous avons une chance énorme de vivre cette péri­ode. » •

1. Le 14 mai 2011, Dominique Strauss Kahn, directeur du FMI et prési­den­tiable, est accusé d’agression sex­uelle par Nafis­satou Dial­lo, femme de cham­bre du Sof­i­tel de New York. Les hommes poli­tiques et édi­to­ri­al­istes français se dis­tinguent alors par leur mépris de classe et leurs pro­pos racistes et sex­istes envers Nafis­satou Dial­lo.

2. Adrien Quaten­nens a été con­damné le 13 décem­bre 2022 à qua­tre mois de prison avec sur­sis. Il a par ailleurs été sus­pendu du groupe par­lemen­taire LFI jusqu’au 13 avril 2023.

3. « Une vic­time d’agression sex­uelle dénonce les failles de la cel­lule d’écoute d’EELV », par Stéphane Pair, francetvinfo.fr, le 30 sep­tem­bre 2022.

4. Le dernier con­grès, en décem­bre 2022, a décidé la créa­tion d’une cel­lule con­tre les VSS, non mixte, chargée de recueil­lir la parole des militant·es, d’émettre des pré­con­i­sa­tions et d’accompagner les plaig­nantes.

5. Mathilde Viot est l’autrice de L’homme poli­tique, moi j’en fais du com­post (Stock, 2022), un essai tiré de son par­cours dans les arènes poli­tiques.
En tant qu’attachée par­lemen­taire, l’autrice avait cofondé en 2016 le col­lec­tif Chair col­lab­o­ra­trice, réu­nis­sant des femmes col­lab­o­ra­tri­ces de l’Assemblée nationale et du Sénat.

6. En févri­er 2018, Mar­lène Schi­ap­pa, alors secré­taire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, pub­lie dans le Jour­nal du dimanche une tri­bune de sou­tien à Nico­las Hulot, min­istre de la Tran­si­tion écologique, accusé de viol. Une enquête pour viol et agres­sion sex­uelle sur mineure sera ouverte, puis classée sans suite pour pre­scrip­tion en sep­tem­bre 2022. (Con­tac­tée par La Défer­lante, Mar­lène Schi­ap­pa n’a pas don­né suite à nos deman­des d’entretien.)

L’onde de choc Baupin

En mai 2016, dans une enquête con­jointe de Lénaïg Bre­doux (Medi­a­part) et Cyril Graziani (France Inter), plusieurs femmes, respon­s­ables et élues EELV, accusent Denis Baupin, alors vice-prési­dent de l’Assemblée nationale, de har­cèle­ment et d’agressions sex­uelles. Le par­quet de Paris ouvre une enquête. Elle sera classée sans suite en mars 2017 pour cause de pre­scrip­tion, même si les faits étaient « cor­roborés » et « sus­cep­ti­bles d’être qual­i­fiés pénale­ment », pré­cise le pro­cureur de Paris. Denis Baupin quitte la vie poli­tique et porte plainte pour dénon­ci­a­tion calom­nieuse et diffama­tion. Mais il est con­damné en avril 2019 à vers­er des dom­mages et intérêts pour « abus de con­sti­tu­tion de par­tie civile » après un procès reten­tis­sant qui aura vu ses vic­times, des témoins et les jour­nal­istes ayant rap­porté ces faits sur le banc des prévenu·es. « L’affaire Baupin, et plus encore le procès de presse auquel elle a don­né lieu, est une pre­mière du genre, analyse la poli­tiste Vanes­sa Jérome. Aucune vio­lence sex­uelle com­mise par un homme poli­tique sur des femmes poli­tiques n’avait été aus­si mas­sive­ment dénon­cée jusque-là. » Dans un arti­cle con­sacré à ce sujet pour la revue Mou­ve­ments (mars 2019), Vanes­sa Jérome qual­i­fie cette déci­sion de jus­tice d’« emblé­ma­tique de l’ère post-#MeToo ». Et pré­cise : « [La jurispru­dence] sécurise les jour­nal­istes qui enquê­tent sur ce sujet, ou souhait­eraient le faire, ain­si que les indi­vidus (vic­times et témoins, quel·le que soit leur sexe/orientation sex­uelle) qui voudraient témoign­er. »

 

Laurène Daycard

Journaliste indépendante, membre du collectif Les Journalopes. Elle travaille depuis plusieurs années sur les violences de genre et écrit un livre sur les féminicides à paraître aux éditions du Seuil d'ici quelques mois. Voir tous ses articles

Baiser : pour une sexualité qui libère

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°9 Bais­er (févri­er 2023)


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