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Tal Madesta — Être trans, du deuil à la lumière

En enta­mant sa tran­si­tion, Tal Mades­ta n’avait pas anticipé l’in­ten­sité émo­tion­nelle des expéri­ences à venir. La con­di­tion trans implique des sépa­ra­tions mul­ti­ples et la répéti­tion sans fin du deuil. Mais c’est aus­si vivre une forme de grâce, dans l’in­ven­tion con­stante de nou­veaux lan­gages.
Publié le 13/06/2023

Modifié le 16/01/2025

Chronique Tal Madesta La Déferlante 8 Rire

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°8. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.

Il y a deux choses aux­quelles je n’étais pas pré­paré lorsque j’ai com­pris qui j’étais.

La pre­mière, c’est à quel point être trans revient à appren­dre le deuil. Tous les jours, autour de moi, j’observe les unes qui por­tent l’habit noir et les autres dont les épaules ploient, alour­dies de mille croix.

Être trans, c’est vouloir dis­paraître afin de ne pas avoir à souf­frir son pro­pre corps une sec­onde de plus. Se trou­ver con­tin­uelle­ment cassé·e, ridicule, grotesque, et, dans les jours som­bres, espér­er secrète­ment être invis­i­ble aux yeux du monde autant qu’aux nôtres. C’est la dys­pho­rie, une faucheuse à l’allure bien par­ti­c­ulière, une goule qui dévore tout sur son pas­sage et qui laisse la peau si sèche que l’on devient fri­able au moin­dre vent.

Être trans, c’est encore trop sou­vent dire adieu à des mères, des pères, des frères et soeurs, des grands-par­ents et des ami·es, des oncles et des tantes. Rien ne fait grandir plus vite que de savoir dans sa chair ce que provoque l’abandon total et absolu de tous et toutes. Celles et ceux qui hurlent « pas de ça sous mon toit » ou les autres qui finis­sent par dis­paraître dis­crète­ment, l’air de rien, les mois pas­sant.

Être trans, c’est pour beau­coup faire le deuil de la grande vie, de la lumière et de la sécu­rité, des vacances en bord de mer et des grandes maisons au crépi bleuté. C’est renon­cer à tant de gloires fan­tas­mées, puisque sou­vent, être trans, c’est la pau­vreté, le pro­prio et le patron qui vous virent parce qu’eux non plus ne veu­lent « pas de ça sous leur toit ». C’est se con­tenter des miettes de quelqu’un qui veut en plus qu’on lui dise mer­ci.

On compte tous les jour les morts de nos frères et sœurs

Être trans, c’est faire l’apprentissage de l’humiliation, chez le médecin, à la mairie, dans la rue. C’est met­tre son armure d’aci­er et ser­rer les dents quand, dans le meilleur des cas, les gens rigo­lent en vous regar­dant dans le métro et quand, dans le pire des cas, ils s’ap­prochent avec l’en­vie man­i­feste et impérieuse de vous cass­er la gueule.

Etre trans, c’est se pré­par­er à mourir lit­térale­ment, sim­ple­ment parce que l’on compte tous les jours les morts de nos frères et soeurs. Leurs prénoms en écho drapent les parois de nos cervelles de jour comme de nuit : Sasha, Ivan­na, Jessy­ca, Vaness, Fouad/Avril/Luna, Tal, et tant d’autres. En évo­quant cet étrange bal­let des hom­mages ren­dus semaine après semaine et des march­es funèbres aux sen­tiers répéti­tifs, une amie avait par­lé du « sen­ti­ment per­vers de la rou­tine ». Cette sidérante prox­im­ité avec la mort, qui donne à ces éloges mor­tu­aires trop sou­vent pronon­cés un goût de cen­dre de plus en plus amer.

La vie pour­rait s’ar­rêter là, entre le mau­vais vaude­ville et la tragédie grecque. Mais il y a une sec­onde chose à laque­lle je n’é­tais pas pré­paré.

Il s’ag­it de toutes les fleurs qui poussent entre les fentes de trot­toirs bitumés. Il y a le deuil et la mort, oui, mais der­rière eux, une tor­nade gronde et men­ace de tout dévaster sur son pas­sage. À cause du deuil, ou peut-être grâce à lui.

Transformer de banales injections en rituels de tendresse

Parce que, oui, être trans, ce sont quelque­fois les pleurs doux dans le miroir et la joie de voir son corps chang­er, la grande ten­dresse qui réside dans le fait de s’ap­pro­prier une enveloppe qui nous ressem­ble enfin. C’est trans­former de banales injonc­tions en rit­uels de ten­dresse et de care, pra­tiqués avec celles et ceux qu’on aime, avec qui on partage cent mal­heurs et mille éclats de rire.

Parce que, ensuite, être trans, c’est recréer de nou­velles familles partout où l’on peut, avec une frénésie qui nous est pro­pre, c’est rem­plac­er des sœurs de sang par des sœurs de cœur et sub­stituer de nou­velles maisons aux anci­ennes. C’est don­ner à l’en­gage­ment affec­tif un sens bien plus pro­fond que quiconque ne vivant pas la con­di­tion trans pour­rait le com­pren­dre. Car en sachant ce que l’on a per­du, on sait d’au­tant mieux ce qu’on gagne à aimer.

Parce que, encore, être trans, c’est riposter face à la honte, planter son regard noir dans celui des inconnu·es qui, mu·es par la curiosité, nous obser­vent comme au théâtre, jusqu’à les faire rou­gir et fix­er le sol. C’est anéan­tir le fiel des insultes par un humour caus­tique qui a l’acid­ité des «têtes brûlées» qu’on mangeait, enfants. C’est jouer les têtes brûlées, en se mon­trant plus malin·es et rapi­des que beau­coup. C’est men­tir aux médecins pour leur dire ce qu’ils veu­lent enten­dre, c’est servir la soupe aux juges et aux admin­is­tra­tions, c’est mérit­er un oscar pour chaque échange avec n’im­porte quelle insti­tu­tion qui pense se moquer de nous quand c’est nous qui nous rions d’elle.

Parce que, enfin, être trans, c’est dompter le deuil en trans­for­mant chaque mort en reven­di­ca­tion poli­tique, chaque sui­cide, en rassem­ble­ment com­mu­nau­taire, chaque assas­si­nat en riposte médi­a­tique. C’est se pré­val­oir d’une com­bat­iv­ité à toute épreuve et de ressources inépuis­ables mal­gré le sen­ti­ment per­vers de la rou­tine.

Lorsque j’é­tais petit, j’in­ven­tais des lan­gages secrets que le monde extérieur ne com­pre­nait pas, pour mieux m’en pro­téger, sans doute. De la même manière, il réside dans le fait d’être trans une grâce et une finesse incom­préhen­si­bles aux yeux des pro­fanes. À cause de la mar­gin­al­i­sa­tion for­cée et des vio­lences dont nous sommes vic­times autant que par les tré­sors de lutte qu’elles nous con­traig­nent à déploy­er, nous par­lons une langue inédite, pleine de rage et de colère, pleine de beauté et de résilience, et surtout pleine de tout ce que le monde nous don­nera demain, de gré ou de force. •

Tal Mades­ta est jour­nal­iste indépen­dant et mil­i­tant trans­fémin­iste. Il est l’au­teur d’un essai, Désir­er à tout prix (Binge Audio Édi­tions, 2022). Il est égale­ment l’au­teur de La Fin des mon­stres aux édi­tions La Défer­lante. Cette chronique est la dernière d’une série de qua­tre.

Tal Madesta

Journaliste indépendant spécialisé dans les questions de discriminations, il est l’auteur de plusieurs livres, dont La Fin des monstres (La Déferlante Éditions, 2023). Il co-anime le podcast Les Couilles sur la table (Binge Audio). Voir tous ses articles

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Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°8. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.


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