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Sur le banc de touche

Le vol­ley-ball a été la pas­sion de Marthe. Et puis, avec l’adolescence, sont venues les con­sid­éra­tions dégradantes sur son corps pub­ère. Une sex­u­al­i­sa­tion con­stante qui a fini par lui gâch­er le plaisir de jouer.
Publié le 28/04/2022

Modifié le 16/01/2025

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°6 Rire. (juin 2022)

Je porte ma veste de survête­ment, mes genouil­lères au niveau des chevilles, mes chaus­settes mon­tantes me grat­tent. Mon short et mon tee-shirt me ser­rent.

Je suis en train de faire mes lacets quand le coach de l’équipe adverse m’adresse ces mots. Je ne le con­nais pas. Il a la cinquan­taine, me regarde avec insis­tance. Moi, j’ai 12 ans et je suis alors en plein ques­tion­nement sur les évo­lu­tions physiques de mon corps. Depuis un an déjà, ma poitrine s’est dévelop­pée, elle est même dev­enue imposante. En quelques mois, sur mon torse ont poussé de véri­ta­bles mon­tagnes dont le poids, au quo­ti­di­en, est dif­fi­cile à sup­port­er. J’ai mal au dos. J’ai tro­qué à con­tre­coeur mes mail­lots de corps favoris Petit Bateau pour des bras­sières et des sou­tiens-gorges aux arma­tures bar­bares. Je dois telle­ment tir­er sur le tee-shirt de ma tenue de sport qu’il finit par être défor­mé au niveau de la poitrine. À l’entraînement, le malaise s’installe. Les sauts et les plon­geons me font mal. Tout comme le regard des autres. Dans le ves­ti­aire avec mes coéquip­ières, j’ai honte de ma dif­férence: elles, elles ont tou­jours leurs sous-vête­ments d’« enfant », alors que moi je me cache dans les douch­es pour met­tre ma bras­sière

Jouer, sous le feu des regards, devient une épreuve

Quand j’entre sur le ter­rain, je scrute les spec­ta­teurs dans la salle et je me demande ce qui les intéresse vrai­ment. Est-ce que c’est ce sport qui leur plaît, ou le fait de voir des filles dans des tenues cour­tes et moulantes?

Le vol­ley, que j’ai com­mencé à 4 ans et qui a tou­jours été un moment de plaisir et de lâch­er-prise, devient une épreuve. Mes per­for­mances s’en ressen­tent, je regarde davan­tage le pub­lic que la tra­jec­toire du bal­lon. J’en arrive à m’autocensurer : même si j’en ai envie, je refuse de pra­ti­quer le beach-vol­ley parce que l’équipement m’effraie. Il est com­posé d’une  sim­ple bras­sière et d’un short si court qu’il ressem­ble à une culotte.

Je reste plus de dix ans dans mon club ama­teur basé dans une petite ville du Nord. Par­fois je joue avec l’équipe mas­cu­line quand elle est en sous-effec­tif. Un jour, alors que je suis seule dans les ves­ti­aires des filles, j’entends les garçons de l’équipe adverse qui traîne dans les couloirs, en meute, et qui me cherche : « Marthe, t’es où ? T’es bonne! T’as pas un numéro ? » Isolée dans ce ves­ti­aire gris et froid, je sais pas quoi faire, je panique, je souf­fle, je me rha­bille. Vite.

Qua­tre ans plus tard, à 16 ans, je rejoins un club for­ma­teur où le niveau est plus élevé. Cette fois, la salle où je joue a une capac­ité de 2900 places. Je pense aux vis­ages incon­nus. Des grandes lumières éclairent par­faite­ment le ter­rain, qui con­cen­tre tous les regards. Le trac monte.

L’ambiance dans les ves­ti­aires est dif­férente de celle de mon club précé­dent : on se douche ensem­ble, je n’ai pas d’intimité. Sans s’apercevoir de mon mal-être, mes coéquip­ières me surnom­ment par­fois « gros lolos » ou encore « gros tétons ».

Le jour de mes 18 ans, mon corps dit stop

Sur le ter­rain, pen­dant les entraîne­ments, je développe des straté­gies pour cam­ou­fler mes formes : deux bras­sières super­posées pour main­tenir et surtout aplatir ma poitrine, un tee-shirt ample qui descend jusque sous mes fess­es. Mal­heureuse­ment, pen­dant les matchs de com­péti­tion, je suis oblig­ée d’endosser l’équipement offi­ciel des spon­sors, qui me serre davan­tage. Quand je joue, je sens les yeux rivés sur moi. Le regard des autres me donne mal au ven­tre. Peu à peu, ça me dégoûte du vol­ley, jusqu’à ce que je perde totale­ment l’envie de jouer. Je suis à présent han­tée quo­ti­di­en­nement par mes com­plex­es. Surtout ne pas trop suer, ne pas devenir trop rouge après des efforts physiques intens­es. Les moin­dres vari­a­tions de mon poids, de ma mus­cu­la­ture sont sur­veil­lées. J’étouffe. Pour­tant, je reste docile et je con­tin­ue à encaiss­er.

Il y a le maquil­lage qu’on vous encour­age à porter pour les matchs, sous peine de réflex­ions du type « Pour les pho­tos, ça va pas être beau, on voit tes cernes, tu pour­rais faire un effort…». Il y a les équipements four­nis : tee-shirts moulants et mini-shorts. Et cette culotte qui me ren­tre dans les fess­es, juste sous le logo du spon­sor… Le jour de mes 18 ans, mon corps dit stop. Ce jour-là, je saute, je tombe et je perds con­nais­sance. Ma tête heurte le sol à plusieurs repris­es. Trau­ma­tisme crânien. J’arrête le vol­ley.

Trois ans plus tard, je n’ai tou­jours pas repris le sport. J’ai dû faire le deuil d’une par­tie de moi-même. Le deuil de cette fille qui jouait au vol­ley, qui avait envie, qui fonçait… Mais dès que j’y pense, la phrase glaçante de ce coach croisé à l’aube de mon ado­les­cence résonne à nou­veau dans ma tête : elle suf­fit à chas­s­er la nos­tal­gie du sim­ple plaisir de jouer.

Marthe Dolphin

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Rire : peut-on être drôle sans humilier

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