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« Siamo tuttx antifascistx » : pour un front queer antifasciste

Né en Ital­ie dans les années 1920, le slo­gan « Siamo tut­ti antifascisti » con­naît aujourd’hui une nou­velle pop­u­lar­ité et est de plus en plus scan­dé et bran­di dans sa ver­sion fémin­isée et non binaire. L’auteur·ice sicilien·ne Costan­za Spina y lit l’urgence d’une con­ver­gence antifas­ciste avec les luttes trans­fémin­istes et antiracistes.
Publié le 26/07/2024

Modifié le 16/01/2025

Siamo tuttx antifascistx par Hélène Aldeguer
Illus­tra­tion : Hélène Aldeguer pour La Défer­lante

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°15 Résis­ter, parue en août 2024. Con­sul­tez le som­maire.

En Ital­ie, tous les 25 avril, nous com­mé­morons la fin du régime fas­ciste (1). En 2024, ce jour-là, une parole a été cen­surée à la télévi­sion publique ital­i­enne : celle de l’intellectuel Anto­nio Scu­rati, auteur d’une biogra­phie de Mus­soli­ni.

Dans un texte qui devait être lu lors d’une émis­sion de RAI 3, l’écrivain reprochait au gou­verne­ment ital­ien d’extrême droite de ne pas hon­or­er son devoir de mémoire et de ne jamais pronon­cer le mot « antifas­cisme ». Son inter­ven­tion a été dépro­gram­mée. D’aucuns y ont vu la main­mise de la prési­dente du Con­seil Gior­gia Mel­oni. En Ital­ie, les épisodes de cen­sure et de licen­ciements de jour­nal­istes se suc­cè­dent. Alors que le pays sera l’invité d’honneur de la Foire inter­na­tionale du livre de Franc­fort [en octo­bre 2024], le gou­verne­ment Mel­oni est accusé d’avoir cen­suré la par­tic­i­pa­tion du jour­nal­iste Rober­to Saviano, auteur de Gomor­ra et fig­ure des luttes anti­mafia ouverte­ment opposée à Fratel­li d’Italia (2). Les atteintes portées aux droits des per­son­nes minorisées se mul­ti­plient. Et des groupes d’ultra­droite man­i­fes­tent dans les rues le bras levé, sans crain­dre de repré­sailles. Même si, en man­i­fes­ta­tion, on entend encore sou­vent le slo­gan « Siamo tut­ti antifascisti! (3) », l’antifascisme peine à mobilis­er. C’est pourquoi il est urgent de nous réap­pro­prier ce slo­gan et de créer un front antifas­ciste queer et fémin­iste.

Selon la thèse de certain·es historien·nes, comme Emilio Gen­tile et Mim­mo Franzinel­li, depuis la mort de Mus­soli­ni et la fin du régime total­i­taire, l’Italie n’a jamais vrai­ment rompu avec le fas­cisme, qui était au cœur de toutes les insti­tu­tions et fonc­tions éta­tiques. Ce con­tin­u­um a per­mis au par­ti Fratel­li d’Italia d’accéder au pou­voir. Le slo­gan ital­ien est donc l’expression d’une utopie, celle d’un Occi­dent qui en aurait fini avec son macabre héritage. Il nomme ce qui est innom­ma­ble, le « fas­cisme », qui, à l’instar du mot « géno­cide », ren­voie l’Europe à ses crimes et à son déni. Comme le souligne Loren­zo Zam­poni, pro­fesseur de soci­olo­gie à la Scuo­la Nor­male Supe­ri­ore de Pise, « affirmer que nous sommes tous·tes antifas­cistes en manif, sug­gère que notre société ne l’est plus. En réal­ité, en Ital­ie, nous n’avons jamais été tous·tes antifas­cistes ». Si ce com­bat fait peur au pou­voir en place, au point de cen­sur­er le dis­cours d’un écrivain, c’est parce qu’il oblige une par­tie des Italien·nes à se pronon­cer ouverte­ment sur une idéolo­gie qui, en réal­ité, fascine encore bon nom­bre d’entre elles et eux.

L’héritage communiste

 

Quelle est l’histoire de ce slo­gan qui embar­rasse Gior­gia Mel­oni ? Les pre­mières occur­rences du mot « antifas­cisme » remon­tent à 1922, lorsque le régime fas­ciste s’installe dans la Pénin­sule. Cette année-là, pour la pre­mière fois, le quo­ti­di­en L’Humanité dénonce la police française qui livre les « antifas­cistes » italien·nes aux mil­ices de Mus­soli­ni. Quelques mois plus tard, « l’Internationale com­mu­niste fait de l’antifascisme une caté­gorie poli­tique à part entière. Il s’agit de lut­ter con­tre le fas­cisme qui s’élève en Europe », écrit la jour­nal­iste Pauline Petit (4). Certain·es antifas­cistes pren­nent ouverte­ment posi­tion con­tre le régime, avant d’être condamné·es à l’exil, à la prison ou à la mort. Le philosophe ital­ien Benedet­to Croce, qui dans un pre­mier temps fut fasciné par le Duce, choisit son camp et rédi­ge en 1925 un man­i­feste antifas­ciste, con­nu sous le nom d’Anti­man­i­festo. Il répond au Man­i­feste des intel­lectuels fas­cistes pub­lié quelques jours plus tôt par le philosophe Gio­van­ni Gen­tile. Comme Croce, au-delà des fron­tières ital­i­ennes, d’autres intellectuel·les pub­lient des tri­bunes qui plantent les graines d’un antifas­cisme européen.


C’est en y inté­grant nos émo­tions qu’il sera pos­si­ble de don­ner à notre lutte un nou­veau souf­fle.


En 1926, Anto­nio Gram­sci, philosophe et secré­taire du Par­ti com­mu­niste ital­ien, est arrêté pour con­spir­a­tionnisme par les fas­cistes, mal­gré son immu­nité par­lemen­taire. Depuis sa prison, il conçoit une Ital­ie où le pro­lé­tari­at prendrait le pou­voir et inclut la « ques­tion mérid­ionale (5) » dans la lutte marx­iste. En dénonçant les crimes du Nord cap­i­tal­iste, ayant annexé le Sud avec l’aide mil­i­taire des pays colo­ni­aux européens pour en faire des ter­res d’exploitation, il décrit le fas­cisme comme une idée bour­geoise aux vel­léités colo­niales. La Ligue du Nord, par­ti néo­fas­ciste dirigé par Mat­teo Salvi­ni, vice-prési­dent du Con­seil des min­istres, s’est d’ailleurs con­stru­ite sur la dis­crim­i­na­tion et la haine envers les Italien·nes du Sud ; l’intuition gram­sci­enne reste donc par­ti­c­ulière­ment actuelle. « Dans un con­texte où l’antifascisme devient un objet du présent, le slo­gan reprend de la force », estime le soci­o­logue Loren­zo Zam­poni.

Déclinaisons inclusives

 

Dans un arti­cle inti­t­ulé « Siamo tutte antifas­ciste! » [au féminin pluriel], pub­lié dans L’Ant­i­cap­i­tal­iste, la mil­i­tante révo­lu­tion­naire Manon Boltan­sky souligne que l’élection de Gior­gia Mel­oni en sep­tem­bre 2022 est sur­v­enue la même semaine que la Journée inter­na­tionale pour le droit à l’avortement. Dans les man­i­fes­ta­tions fémin­istes qui se déroulent pen­dant cette semaine de ten­sions, le slo­gan anti­fasciste appa­raît décliné au féminin, ce qui mon­tre la déter­mi­na­tion des militant·es italien·nes à s’emparer du sujet pour se démar­quer du fémona­tion­al­isme de la nou­velle prési­dente du Con­seil.

 

Depuis, en France, il est devenu fréquent de voir la devise fémin­isée pour mar­quer le lien entre la lutte con­tre l’extrême droite et la lutte pour les droits des femmes. L’élection de Gior­gia Mel­oni doit « son­ner comme une mise en garde funeste. Partout les femmes doivent con­tin­uer à se bat­tre pour leur droit à dis­pos­er de leur corps. Elles ont rai­son de crier : “Siamo tutte antifas­ciste! », écrit Manon Boltan­sky.

De la même façon, les luttes queers s’organisent con­tre les offen­sives anti­trans portées par des per­son­nal­ités d’extrême droite. Nous l’avons con­staté sur les murs des villes de France : la devise se décline aus­si en dehors de tout mar­queur de genre, se trans­for­mant en « Siamo tut­tx antifas­cistx! ». Comme le souligne la mil­i­tante trans­fémin­iste Far­rah Youssef, les luttes trans­fémin­istes et queers sont large­ment absentes des milieux dits « antifa » tra­di­tion­nels, d’où l’importance de créer un front antifas­ciste plus ancré dans l’actualité. Lorsque l’antifascisme devient une affaire d’hommes cis blancs, il a ten­dance à être réduit à leur unique expéri­ence sociale et poli­tique. Or, il est essen­tiel de penser le fas­cisme en y appor­tant la per­spec­tive des per­son­nes con­cernées par ses poli­tiques mor­tifères. L’antifascisme est avant tout une stratégie pour s’opposer à ce que Far­rah Youssef définit comme un « com­plexe indus­tri­al­isé de mort », met­tant en dan­ger la vie de cer­taines pop­u­la­tions.

L’antiracisme décolonial au cœur de l’antifascisme

 

Depuis les années 2020, avec la vis­i­bil­i­sa­tion du mou­ve­ment Black Lives Mat­ter, les cat­a­stro­phes migra­toires et main­tenant le géno­cide du peu­ple pales­tinien, le slo­gan invite à en finir avec le con­tin­u­um colo­nial et à dénon­cer les poli­tiques anti­migratoires de la droite européenne. Selon Loren­zo Zam­poni, « comme tous les élé­ments de mémoire col­lec­tive, l’antifascisme d’aujourd’hui racon­te son époque et se struc­ture avec force autour de l’anti­racisme ». C’est pré­cisé­ment ce que Far­rah Youssef, orig­i­naire de Rabat au Maroc, a vécu : « En arrivant en France en 2015, dit-elle, j’ai com­pris ce qu’était le con­tin­u­um colo­nial et fas­ciste. Les deux sont rarement pen­sés con­join­te­ment. Y com­pris par les per­son­nes con­cernées, qui ne réalisent par­fois pas que ce lien existe alors qu’elles sont les pre­mières vic­times des nécrop­oli­tiques (6). » Nous ne devons jamais oubli­er que le racisme colo­nial­iste est un point com­mun à de nom­breux pro­jets fas­cistes.

En 2021, Mat­teo Salvi­ni, alors min­istre de l’Intérieur, a été accusé par le tri­bunal de Palerme, en Sicile, de séques­tra­tion et d’abus de pou­voir pour avoir blo­qué en mer 147 migrant·es en 2019. Il avait refusé l’accès aux ports de l’île à plusieurs bateaux. Les Sicilien·nes, cibles des vio­lences de l’extrême droite depuis des décen­nies, s’opposent à sa poli­tique migra­toire. « Siamo tut­ti anti­razz­isti! » [Nous sommes tous antiracistes], entend-on crier dans les rues de Catane, en sol­i­dar­ité avec les migrant·es.

L’antifascisme sem­ble avoir du mal à s’organiser. Comme Far­rah Youssef et bon nom­bre d’autres militant·es queers, j’estime que seules les luttes trans­fémin­istes et antiracistes pour­ront don­ner un nou­v­el élan à l’antifascisme. Aujourd’hui, notre camp souf­fre d’un manque de con­nais­sances réelles de son enne­mi, par­fois défi­ni de façon grossière. Far­rah Youssef craint que le slo­gan devi­enne un sim­ple déco­rum mil­i­tant. Selon sa per­spec­tive, pour créer un nou­veau front antifas­ciste, il est impor­tant de « con­tin­uer à inve­stir nos mots d’émotions », car c’est notam­ment par l’émotion qu’il sera peut-être pos­si­ble de don­ner à notre lutte un nou­veau souf­fle. Anto­nio Scu­rati, dans son dis­cours cen­suré, insiste quant à lui sur l’importance de définir les ter­mes : « Tant que ce mot, “antifas­cisme”, ne sera pas pronon­cé par ceux qui nous gou­ver­nent, le fan­tôme du fas­cisme con­tin­uera d’infester la mai­son de la démoc­ra­tie. » •

Costan­za Spina Jour­nal­iste et auteur·ice, iel a pub­lié en 2023 son pre­mier essai, Man­i­feste pour une démoc­ra­tie déviante. Amours queers face au fas­cisme (édi­tions Trou­ble).

Hélène Aldeguer Autrice de bande dess­inée et illus­tra­trice, elle s’intéresse aux luttes d’émancipation et aux mou­ve­ments antiracistes et anti-
impéri­al­istes. Elle tra­vaille actuelle­ment à l’adaptation en BD des mémoires d’Emma Gold­man, à paraître en 2025 aux édi­tions Futur­opo­lis.


(1) Le 25 avril est la date choisie en Ital­ie pour célébr­er la fin de l’occupation nazie du pays et du régime fas­ciste instau­ré par Mus­soli­ni en 1945. Ce jour de la Libéra­tion est un jour férié.

(2) Frères d’Italie est un par­ti d’extrême droite dirigé par Gior­gia Mel­oni depuis 2014. Il est arrivé en tête des élec­tions lég­isla­tives de 2022 et des européennes de 2024.

(3) Tra­duc­tion : « Nous sommes tous antifas­cistes ! » C’est ici la for­mu­la­tion orig­i­nale du slo­gan, énon­cée au mas­culin dit « générique » – en ital­ien, le i final est la mar­que du mas­culin pluriel, tan­dis que le e est la mar­que du féminin pluriel.

(4) Pauline Petit, « Croce con­tre Gen­tile, l’antifascisme à coups de man­i­festes », France Cul­ture, 20 juil­let 2023.

(5) Étude des caus­es des dif­férences économiques et sociales en Ital­ie, entre le Nord, indus­tri­al­isé, et le Sud, paupérisé.

(6) Con­cept du philosophe Achille Mbe­m­be, la nécro­politique est une stratégie poli­tique qui impose la mort physique ou sociale de cer­taines pop­u­la­tions.

Costanza Spina

Journaliste et auteur·ice, iel a quitté l’Italie pour la France en 2009, pour fuir le conservatisme du gouvernement de droite. Son premier essai, Manifeste pour une démocratie déviante. Amours queers face au fascisme (éditions Trouble) a été publié en 2023. Pour La Déferlante, iel revient sur l’histoire du slogan “Siamo Tutte antifascite”. Voir tous ses articles

Résister en féministes : la lutte continue

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°15 Résis­ter, parue en août 2024. Con­sul­tez le som­maire.


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