« J’ai 31 ans, je suis journaliste, productrice et réalisatrice. J’ai une licence d’anglais et un master en journalisme. Je suis veuve et mère d’une petite fille.
Avant le génocide, je vivais dans le quartier de Tel al-Hawa, dans la ville de Gaza, au nord de la bande de Gaza. Notre maison familiale a été détruite. J’ai été déplacée sept fois ces dix-huit derniers mois. Nous n’avons pas de carburant : un litre d’essence coûte 180 dollars, alors qu’avant on le payait deux dollars. Il n’y a pas non plus d’argent liquide et les banques ne fonctionnent pas. Je vais donc en retirer chez des commerçants qui sont en réalité des profiteurs de guerre et, chaque fois, je perds la moitié de la somme à cause des frais qu’ils appliquent. On doit se battre pour tout, absolument tout…
La nuit, le son des explosions résonne plus fort. Nous dormons à peine. J’ai des pertes de mémoire à cause de la faim – j’ai perdu près de 14 kilos. Je suis sans cesse à la recherche de nourriture, de farine. Il n’y a pas non plus de gaz pour cuisiner. Aujourd’hui, par exemple, je n’avais pas de pain, donc ma fille a mangé un concombre en guise de petit-déjeuner. Nous vivons dans un environnement inhumain. Nous subissons un génocide.
Les antennes de communication ont été détruites et j’ai aussi du mal à trouver une connexion internet décente pour mon travail. Pour vous envoyer ces messages ou pour faire parvenir hors de Gaza les vidéos que j’ai filmées, je dois aller dans un bureau qui offre une bonne connexion. On y va aussi pour avoir des nouvelles de nos proches, c’est important. On manque de matériel, beaucoup de journalistes ont perdu leur équipement en fuyant les bombes ou dans la destruction de leurs maisons. On travaille avec le strict minimum.
« C’est extrêmement important pour moi que les gens du monde entier soient en empathie avec les Palestinien·nes. »
Mes collègues masculins sont de vrais soutiens. Ils admirent que je sois revenue sur le terrain après que mon mari a été tué, alors que j’ai une petite fille à charge. Elle n’avait que 11 mois quand son père est mort. Je n’ai pas eu d’espace pour vivre ce deuil. J’ai allaité ma fille pendant 17 mois et cela m’a abîmé la santé. Mais je n’avais pas le choix : il n’y avait plus de nourriture sur les marchés à Rafah. J’avais aussi peur de la laisser pour aller sur le terrain, d’être tuée et qu’elle se retrouve seule. Personne ne devrait avoir à vivre ça.
« Israël traque les journalistes »
Les gens souffrent, ils veulent que nous, journalistes gazaoui·es, soyons leurs porte-voix. Depuis que le génocide a commencé, on ne voit plus le Hamas dans les rues. Le problème que nous rencontrons, c’est que les gens ont de plus en plus peur de passer du temps à nos côtés car nous sommes très souvent tué·es. Israël nous traque et nous cible : nous avons déjà perdu 220 consœurs et confrères.
Avant le génocide, tout était beaucoup plus facile. Et pourtant, à l’époque, on se plaignait du siège qui restreignait drastiquement notre liberté de mouvement. Je travaillais sur des projets documentaires, notamment sur les sites historiques à Gaza. Nous devions obtenir une permission du Hamas pour filmer autour de la zone frontalière avec Israël ou pour faire voler un drone. Parfois, la permission n’arrivait pas à temps, mais c’était surmontable. À cause du siège et des restrictions imposées par l’armée israélienne, nous n’avions pas toujours le matériel adéquat pour les tournages – se procurer une batterie de caméra pouvait prendre un mois. À l’époque, sous occupation, nous avions toujours des craintes pour notre vie. Nous avons subi plusieurs guerres, mais rien qui ressemble à ce qui se passe depuis le 7 octobre 2023. Aujourd’hui, je filme des blessé⋅es, la famine, la malnutrition chez les enfants, le manque de médicaments, la destruction totale des infrastructures, du système de santé, de l’éducation… Tout s’est complètement effondré, tout !
Avant, j’étais une passeuse d’histoires. Maintenant, je suis devenue moi-même une protagoniste de ces histoires. C’est extrêmement important pour moi que, dans le monde entier, les gens soient en empathie avec les Palestinien·nes – en particulier avec les Gazaoui·es –, et qu’ils comprennent mieux ce que cela signifie de vivre un génocide. Mon regard est une fenêtre sur Gaza. »
Ces propos ont été recueillis le 16 juillet 2025, entre Paris et Gaza ville, par messages vocaux.


