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Rosalie Petit : joueuse professionnelle de poker

Ros­alie Petit, 31 ans, est joueuse pro­fes­sion­nelle de pok­er. Évolu­ant dans le monde entier, en live comme en stream, depuis sept ans, elle vit con­fort­able­ment de sa pas­sion. Mais elle est ultra-minori­taire : on compte env­i­ron 5 % de joueuses dans le cir­cuit pro­fes­sion­nel. Désireuse de faire évoluer les men­tal­ités, elle n’hésite pas à dénon­cer le sex­isme encore très prég­nant dans ce milieu.
Publié le 05/10/2022

Modifié le 19/02/2025

Rosalie Petit : joueuse professionnelle de poker
Romy Alizée

Retrou­vez cet arti­cle dans le n°8 Jouer de La Défer­lante

« Même si ma grand-tante, Elis­a­beth de la Pastel­lière, était une grande cham­pi­onne de bridge, le pok­er n’est pas spé­ciale­ment une his­toire de famille. J’ai tou­jours été pas­sion­née par les jeux de cartes et les jeux de plateau comme Citadelle ou Sev­en Won­ders.

C’est ma pas­sion pour la stratégie qui a fait que j’ai rapi­de­ment gag­né au pok­er : j’avais toutes les prédis­po­si­tions pour me lancer dans cette car­rière. Dès le début, j’ai com­pris que je péné­trais dans une arène mas­cu­line. Les joueurs se met­tent à table avec un a pri­ori : les femmes sont faibles, douces, timides… Cela reste très ancré dans leur men­tal­ité et comme ils restent entre eux, dif­fi­cile de s’en défaire.

À 18 ans, je me suis retrou­vée assise à une table entourée d’hommes, c’était dans un casi­no dans le Jura. J’ai posé mon argent devant moi, et dès que je me suis instal­lée sur ma chaise, un joueur m’a lancé : “Tu t’es per­due made­moi­selle. Les machines à sous, c’est de l’autre côté.” Puis il a ajouté : “Quand tu auras per­du, je t’offrirai une coupe.” J’ai bien com­pris que, pour eux, je n’étais pas à ma place. Je me suis sen­tie rabais­sée plus bas que terre. Mais, ce soir-là, je lui ai pris jusqu’à son dernier jeton. Il a quit­té la table, les yeux rivés au sol.

Faire de sa supposée faiblesse une force

C’est à ce moment-là que j’ai com­pris que le jeu était biaisé. Les hommes nous pren­nent pour des quich­es. Ils pensent tou­jours que nous man­quons d’audace et que nous ne jouons qu’une fois les meilleures cartes à dis­po­si­tion, ce qui cor­re­spond à peu près à 5 % des mains. Ils pensent qu’on est pas­sives, qu’on a peur de bluffer, qu’on attend que ça passe. Et à ce jeu-là, ce sont eux qui ten­dent le bâton : il est aisé de les pren­dre à revers. Avant d’être con­nue, il m’est arrivé de fein­dre de me tromper pour inciter le joueur à prof­iter de ma pré­sumée naïveté et lui faire com­met­tre une erreur qui m’a été prof­itable. Un adver­saire relance à 3 000 [valeur de 3 000 euros en jetons], tu sur­re­lances à 11 000 et tu fais comme si tu n’avais pas fait exprès. Le croupi­er t’interdit de revenir sur ton erreur, l’adversaire va vouloir prof­iter de la sit­u­a­tion : dom­mage pour lui !

En tant que femmes, on peut nous dire à la fois qu’on est nulles parce qu’on est des femmes, et aus­si que l’on gagne parce qu’on est des femmes et qu’on décon­cen­tre les hommes : on cumule une activ­ité très dif­fi­cile men­tale­ment et une sur­charge men­tale liée à notre genre. Dans le pok­er, les femmes ne représen­tent que 5 % des professionnel·les 1D’après une étude du site états-unien Zip­pia, en 2022,5 % des joueur·euses professionnel·les de pok­er sont des femmes. 78 % sont des hommes blancs., alors on s’accroche. Les joueuses que je ren­con­tre n’ont pas froid aux yeux, elles n’hésitent pas à tenir tête à leurs adver­saires hommes. Cer­taines ne lais­sent rien pass­er quand il y a des remar­ques sex­istes ou misog­y­nes qui fusent pen­dant la par­tie. Le côté vieille France du pok­er, il nous colle aux basques même en dehors du milieu : pour beau­coup de monde, être une femme qui joue de l’argent serait une preuve de mal­hon­nêteté. C’est encore perçu très néga­tive­ment. Par­fois, on me dit : “Ah, tu joues au pok­er ? Donc tu bluffes, tu manip­ules”, alors que c’est d’abord un jeu d’analyse, d’observation, de stratégie, comme les échecs. C’est une dis­ci­pline qui impose beau­coup de tra­vail et de rigueur, mais qu’on assim­i­le trop sou­vent à la chance et au bluff.

Marre de laisser cette violence sous le tapis

Il existe des tournois de pok­er non mixtes car cer­taines joueuses n’acceptent de jouer que dans ces con­di­tions. C’est bien pour elles, elles ne subis­sent pas les remar­ques. Même si je préfère les tournois mixtes, je joue chaque année le cham­pi­onnat du monde Ladies, exclu­sive­ment féminin, à Las Vegas. Les meilleures joueuses du monde y par­ticipent. Mais, con­traire­ment à ce que l’on pour­rait espér­er, le pok­er féminin est peu sol­idaire, ce que je regrette beau­coup.

À ma petite échelle, je lutte con­tre le sex­isme : je reverse désor­mais 5 % de mes prof­its à la Fon­da­tion des femmes. J’ai gran­di avec une maman malade, dans la pré­car­ité : je l’ai vue se bat­tre seule con­tre le monde entier. Je n’ai pas pu l’aider à l’époque. Je n’ai plus la chance d’avoir ma mère, alors je veux aider d’autres femmes. Il y a quelques mois j’ai décidé de pub­li­er sur les réseaux soci­aux les mes­sages injurieux que rece­vait mon coach me con­cer­nant. Des mes­sages comme “Tu la coach­es ou tu la bais­es”, ou bien : “Elle est bonne physique­ment pas besoin de plus.

J’en avais marre de laiss­er cette vio­lence sous le tapis depuis plus de sept ans. Comme toutes les joueuses. Ça a très vite cir­culé dans le milieu : j’ai reçu le sou­tien de beau­coup de per­son­nal­ités du pok­er, mais aus­si des cri­tiques adressées en mes­sage privé sur Twit­ter selon lesquelles je n’étais pas assez irréprochable, trop fémi­nine, habil­lée trop sexy pour me faire la porte-parole de ce com­bat-là, pour faire remon­ter ces vio­lences sex­istes. Je desser­vais la cause. Mais la révo­lu­tion, je peux la men­er si je veux. J’ai beau avoir souf­fert du regard des hommes dans le milieu du pok­er, au dernier tournoi WSOP, je suis venue avec mon tee-shirt “Girls can do any­thing”. À la prochaine vic­toire, j’écrirai “Free woman” sur mon torse nu, et là ils auront de quoi par­ler. » •

Pro­pos recueil­lis le 8 juin 2022 par télé­phone par Anne-Lau­re Pineau, jour­nal­iste indépen­dante, mem­bre du comité édi­to­r­i­al de La Défer­lante.

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    D’après une étude du site états-unien Zip­pia, en 2022,5 % des joueur·euses professionnel·les de pok­er sont des femmes. 78 % sont des hommes blancs.
Anne-Laure Pineau

Journaliste pigiste indépendante, membre du collectif Youpress et de l’AJL (Association des journalistes lesbiennes, gay, bi·es, trans et intersexes). Pour ce numéro, elle a écrit le scénario de la BD sur Diana Sacayan. Voir tous ses articles

Jouer, quand les féministes bousculent les règles

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