« L’extrême droite est aux portes du pouvoir ». Bien aidée par des femmes et des hommes politiques qui, pendant des décennies, ont fait semblant de s’ériger en rempart contre son projet politique raciste tout en l’imitant. Elle vampirise désormais de nombreux espaces pour y dérouler son discours suprémaciste et attiser la haine.
Il fut un temps où j’avais la naïveté de croire que, quel que soit le parti politique au pouvoir, le droit resterait (plus ou moins) le droit. C’était une grossière erreur. C’est à s’y méprendre, tant les imitations sont réussies, mais il serait irresponsable de dire que l’extrême droite et le reste, c’est pareil. Nous, qui faisons partie des populations directement visées par les discours de haine et les politiques racistes – et qui sentons les digues sauter l’une après l’autre depuis des années –, savons que la pleine accession de l’extrême droite au pouvoir renforcera un racisme systémique déjà bien ancré et libérera une horde de fauves qui n’attendent que cela pour laisser libre cours à leur violence.
En effet, contrairement à ce qu’elle veut laisser croire, l’extrême droite n’a pas changé. C’est la même que celle qui adhérait aux idéologies fascistes et nazies dans les années 1930. La même que celle dont les militants organisaient des expéditions pour tabasser des personnes perçues comme étrangères dans les années 1980. La même qui a tué Ibrahim Ali (1) et Brahim Bouarram (2) en 1995, le militant antifasciste Clément Méric (3) en 2013 et le rugbyman Federico Martín Aramburú en 2022 (4). Où qu’elle soit, peu importe qui l’incarne, l’extrême droite, depuis toujours, propage une idéologie mortifère. Le massacre qui se déroule actuellement en Palestine, opéré par le gouvernement d’extrême droite israélien, nous le rappelle chaque jour.
En tant que militante antiraciste, je me demande moins comment nous en sommes arrivé·es à ce naufrage moral, intellectuel et politique que comment nous en sortirons. Nos mobilisations donnent lieu à de violentes répressions : dissolution d’associations, interdiction de manifestations, procédures judiciaires… Mais nous restons debout et tenons la ligne malgré tout.
Les luttes de nos parents en héritage
Nous avons de qui tenir. Les contextes politiques sont différents, mais, bien loin de courber l’échine, nos parents ont lutté, résisté. Je ne manquerai jamais une occasion de rappeler que nous, descendant·es de l’immigration postcoloniale, ne sommes pas des enfants de nulle part, encore moins les enfants de n’importe qui.
Je parle souvent de l’actualité politique avec mon père. Sous ses airs de grand sage à la barbe blanchie et à la voix toute douce, il a été en première ligne pour défendre les droits des travailleurs immigrés ouest-africains en France. Né sur un territoire colonisé, puis arrivé en France à la fin des années 1960, il a activement pris part à la lutte contre les augmentations de loyer dans les foyers, alors qu’il résidait lui-même dans celui, historique, de la rue Bara à Montreuil, en Seine-Saint-Denis, géré à l’époque par l’Association pour la formation des travailleurs africains et malgaches (Aftam).
Ah ! Vous devriez l’entendre lorsqu’il raconte la manière dont ils ont tenu le bras de fer durant deux ans, jusqu’à la victoire, en 1971 ! Grève des loyers, assemblées générales, réunions avec le gestionnaire pour imposer des travaux de réhabilitation et l’annulation des dettes de loyer pour les grévistes, création d’un journal de lutte baptisé Tambalé (mot qui désigne en soninké l’instrument par lequel on appelle les gens à se rassembler) et d’une association regroupant des résidents de tous les foyers de travailleurs africains parisiens : un rapport de force exemplaire.
Mais je crois que ce que nos parents ont fait de plus grand encore a été de lutter pour le respect de leur dignité, sans bruit mais avec détermination. À une époque où l’on ne voyait en elleux que de la main‑d’œuvre ou des parasites et où l’on méprisait tout ce qui faisait leur identité, nos parents ont résisté et cultivé l’amour de nous-mêmes à travers la transmission de leurs langues, de leurs histoires et de leurs traditions. Car elles et ils savaient que notre dignité ne se construirait pas dans l’amputation d’une partie de notre identité. Elles et ils ont lutté en créant de solides réseaux de solidarité, ou en mettant les compétences
des un·es au service des autres face aux administrations ou aux patron·nes.
des un·es au service des autres face aux administrations ou aux patron·nes.
Nous qui sommes leurs enfants avons pour devoir de reprendre le flambeau en cultivant les richesses de nos identités et en nous organisant collectivement pour défendre les plus fragiles et les plus exposé·es d’entre nous aux violences de l’extrême droite : personnes exilées ou sans domicile fixe, femmes portant le voile, jeunes de quartiers populaires et racisé·es, minorités de genre, etc.
Rejoignons des collectifs, mettons nos compétences au service des personnes nécessiteuses, soutenons les médias indépendants qui relaient nos luttes, investissons-nous dans la politique locale, défendons les services publics pour garantir un accès au soin, à l’éducation, à l’habitat digne et à la justice pour tous·tes.
Bref, luttons pour nos droits et ceux de nos enfants, en prenant soin de ne jamais user de l’argument qui consiste à dire que « ce pays ne tiendrait pas sans notre force de travail ». Car l’exploitation de nos corps ne sera jamais ce qui justifiera notre droit d’exister librement dans ce pays qui, quelles que soient ses tares, n’appartient pas davantage à d’autres qu’à nous. « Nous sommes ici chez nous et nous y sommes debout ! » comme nous aimons le rappeler au Front de mères.
Soyons convaincu·es que seule la lutte nous débarrassera des messagers et messagères de la haine. Elles et ils peuvent faire semblant de défendre la cause des droits des femmes, celle des enfants, des agriculteur·ices, des pauvres, du climat ou des animaux. Elles et ils resteront des suprémacistes. C’est pourquoi la première ligne à tenir est antiraciste, et c’est pourquoi nous la tenons fermement. Un jour, nos enfants se vanteront d’avoir eu des ascendant·es qui ont résisté et, contrairement aux falsificateur·ices d’histoire, elleux ne mentiront pas.
Pour l’heure, formons nos bataillons ! •
Goundo Diawara est cosecrétaire nationale del’association Front de mères. Elle est coautrice de l’ouvrage Nos enfants, nous-mêmes. Manuel de parentalité féministe (Horsd’atteinte, 2024). Cette chronique est la deuxième d’une série de quatre.
(1) Le 21février 1995, à Marseille, un colleur d’affiche du Front national abat Ibrahim Ali, 17ans, d’une balle dans le dos.
(2) Le 1ermai 1995, en marge d’un rassemblement duFront national à Paris, trois skinheads agressent Brahim Bouarram, un Marocain de 29ans et père defamille. L’un d’eux le pousse dans la Seine ; ilmeurt noyé.
(3) Le 5juin 2013, Clément Méric, étudiant de 18ans et militant antifasciste, est tué au cours d’une rixe avec des militants de l’extrême droite nationaliste.
(4) Le principal suspect du meurtre par balles (dans le dos) de l’ex-joueur international argentin de rugby Federico Martín Aramburú, le 19mars 2022, est un membre du Groupe union défense (GUD).