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Rachel Keke & Corinne Masiero : « On est là pour vous empêcher de dormir »

L’une est une actrice pop­u­laire, à la gouaille et au fémin­isme affir­més. L’autre est la pre­mière femme de cham­bre française à avoir été élue députée. Corinne Masiero et Rachel Keke parta­gent des com­bats com­muns : con­tre l’exclusion, con­tre les vio­lences sex­istes et sex­uelles. Elles ne s’étaient jamais croisées. Dans « le saint des saints » des lieux de pou­voir, le palais Bour­bon, où s’est tenue leur ren­con­tre, elles ont par­lé de mépris de classe, de l’inceste, des femmes qui gag­nent 800 € par mois, de fringues comme cheval de Troie et de la place de la musique dans la lutte. Avec une énergie et des rires salu­taires.
Publié le 10/01/2023

Modifié le 13/03/2025

Rachel Keke et Corinne Masiero à l'Assemblée Nation à l'occasion de la rencontre pour La Déferlante 9
Lynn S.K.

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°9 Bais­er (févri­er 2023)

Vous vous ren­con­trez toutes les deux pour la pre­mière fois sous les ors de la République, dans le cadre très solen­nel de l’Assemblée nationale. Un décor assez inat­ten­du pour des transfuges de classe, des rebelles, des « grandes gueules »… Com­ment vous sen­tez-vous ici ?

Corinne Masiero Je ne sais pas trop, mes­dames. Je vais en par­ler à ma prochaine séance de psy­ch­analyse… En fait, je n’étais jamais entrée dans l’Assemblée nationale.

J’ai sou­vent man­i­festé devant, notam­ment avec les InterLuttant·es (1), un col­lec­tif qui organ­ise des tas d’actions, des occu­pa­tions… Mais c’est très étrange : Rachel, ton élec­tion a changé quelque chose. Pour la pre­mière fois, je me suis dit : « Putain, est-ce qu’il ne faudrait pas que je m’investisse aus­si dans ce que j’appelle la “poli­tique politi­ci­enne” ? »  Môme, je me suis impliquée dans un par­ti d’extrême gauche et les deals entre opposants poli­tiques m’ont rapi­de­ment dégoûtée. Un gars de ce par­ti m’avait dit : « Si tu veux faire de la poli­tique, il faut appren­dre à te salir les mains. » Ah bon ? « Bah tiens, voilà mon badge, salut, je me casse. » Cet engage­ment-là, c’était faire trop de con­ces­sions par rap­port aux valeurs qui sont les miennes.Plus tard, si j’ai accep­té d’être sur une liste élec­torale, c’était juste pour aider des cama­rades. Les éti­quettes de par­ti con­tin­u­ent de me faire peur. Je n’ai pas envie qu’on me foute dans une case. Je veux être libre. Mais depuis que tu t’es présen­tée comme députée, Rachel, je me dis : « En fait elle a peut-être rai­son. » Parce qu’une fois à l’intérieur du « saint des saints » on peut met­tre le bor­del. Moi, je sais foutre le bor­del d’une manière trashouille : je fais par­tie de la sec­tion bour­rins des InterLuttant·es. On dis­cute pas, on fonce. Mais toi, ou des gens comme François Ruf­fin, vous faites avancer les choses. Pour la pre­mière fois de ma vie, je me suis posé cette ques­tion-là : « Est-ce que je ne vais pas m’investir de la même manière que toi ? » Je n’ai pas le cerveau pour. Je n’ai pas ton tal­ent, je n’ai pas tes capac­ités. Sincère­ment, ça me tra­vaille vrai­ment. On me l’a déjà pro­posé plein de fois, j’ai tou­jours dit non. Mais là, le fait que tu sois une gonzesse, que tu viennes vrai­ment d’un milieu pop­u­laire… Ce qu’il m’intéresserait de savoir, Rachel, c’est com­ment est venu le déclic ?

Rachel Keke Ça remonte à notre grève des femmes de cham­bre en 2019. On a lut­té pen­dant vingt-deux mois face au groupe Accor (lire l’encadré en fin d’ar­ti­cle). Ça n’a pas été facile, on a subi beau­coup de mépris au sein de cet hôtel, de l’esclavagisme, des attouche­ments, une de nos col­lègues accuse même de viol l’ancien directeur de l’hôtel Ibis-Batig­nolles (2). Accor, c’est le groupe don­neur d’ordre. Il sous-traite le ménage et se fout des employées de la sous-trai­tance. Tu n’es pas d’accord ? On te licen­cie, on te pro­pose d’aller voir Pôle emploi. On a donc dû vrai­ment s’organiser pour pou­voir faire cette grève-là, parce qu’on en avait marre.

Des gens de La France insoumise (LFI) sont venus sur le piquet de grève. Je me suis dit que c’était le seul par­ti qui se sou­ci­ait des gens comme nous. Ces député·es venaient nous voir et ne con­nais­saient pas notre réal­ité. Je me suis dit que si j’étais à leurs côtés je pour­rais mieux leur expli­quer et qu’ils pour­raient mieux nous défendre. Quand on a fini la grève, il y a eu l’élection prési­den­tielle. J’étais en Côte d’Ivoire quand ils m’ont con­tac­tée pour m’inscrire dans l’Union pop­u­laire pour soutenir la cam­pagne de Jean-Luc Mélen­chon. Je n’ai pas hésité.

J’ai pris la parole au meet­ing de la place de la République, on m’amenait un peu partout. Mal­heureuse­ment, Jean-Luc Mélen­chon n’a pas gag­né l’élection. Je me suis donc rap­prochée de la sec­tion LFI dans ma ville, à Chevil­ly-Larue (Val-de-Marne), de Hadi Issah­nane. C’est lui qui m’a demandé si j’avais envie d’être can­di­date. Au début, je ne com­pre­nais pas de quelle élec­tion il par­lait ! Il m’a dit : « Tes col­lègues et toi, vous avez mené une lutte pen­dant vingt-deux mois, et vous avez gag­né. Je sais que, au sein de l’Assemblée nationale, tu peux nous représen­ter. » Je lui ai répon­du : « Hadi, j’ai un niveau CM2. Là-bas, avec les paperass­es, com­ment est-ce que je pour­rais faire ? » Il m’a répon­du : « Je sais que tu es courageuse, tu vas y arriv­er. » Quand on te donne un gâteau sur un plateau d’or, il ne faut pas le refuser.


« Je le dis sou­vent aux gens en grève aujourd’hui : danser, ça fait par­tie de la lutte. Il faut danser, il faut manger, il faut rigol­er. »

Rachel Keke


Com­ment a été accueil­li votre pre­mier dis­cours poli­tique à Aubervil­liers, un mois avant les élec­tions lég­isla­tives ?

Rachel Keke Ça a don­né ! Parce que, partout où je passe, je par­le de ces métiers essen­tiels, et de ces femmes surtout, qui subis­sent ces con­di­tions de tra­vail, qui sont méprisées, mal payées. En plus, après le tra­vail, elles ren­trent s’occuper des enfants à la mai­son. Et à la fin du mois, elles ont gag­né 800 euros. Même avec l’aide de la CAF, tu ne peux pas t’en sor­tir. Il faut aller le dire partout, et ça c’est mon truc. Oui, c’est ce que les femmes vivent. Elles sont piét­inées. À l’hôtel, il y a des femmes qui font le même boulot que les hommes, mais à elles, on ne pro­pose que des temps par­tiels. À l’homme, on lui don­nera plus d’heures pour le même tra­vail, et la femme touchera juste 800 euros. Dans les hôtels, il y a une majorité de femmes qui font les cham­bres. Sou­vent, elles ne savent pas lire, ne savent pas écrire, vien­nent d’un autre pays, ce sont des femmes racisées. Les employeurs, les sous-trai­tants en prof­i­tent pour pren­dre toutes les lib­ertés. Les gens n’arrivent pas à com­pren­dre que la femme tra­vaille dur, mais qu’elle touche moins d’argent. Pourquoi cette injus­tice ? C’est mon com­bat, mais il n’est pas facile. Car au sein même de l’Hémicycle, quand tu par­les de la sous-trai­tance, les hommes de droite ou d’extrême droite pensent qu’on exagère. Mais je le sais. C’est de là que je viens. Je dis la vérité.

À l’Assemblée, je me sens à l’aise pour en par­ler. Pen­dant les débats sur le pou­voir d’achat, en juil­let dernier, les élus de droite trou­vaient nor­mal de vivre avec 800 euros. Là, j’ai sor­ti mon truc de rebelle pour leur deman­der : « Mais qui ici a déjà touché 800 euros par mois, 900 euros, 1 000 euros ? Qui ? Ici, per­son­ne. » Voilà. Ces députés ne con­nais­sent pas la réal­ité. Je les appelle par­fois « les extra-ter­restres », ils ne vivent pas sur la Terre. C’est comme si on les avait élevés sur une autre planète. Même quand on leur explique la sit­u­a­tion, les con­di­tions réelles des gens, ça ren­tre puis ça sort. C’est ça qui me choque un peu.


« Je le dis sou­vent aux gens en grève aujourd’hui : danser, ça fait par­tie de la lutte. Il faut danser, il faut manger, il faut rigol­er. »

Rachel Keke


En tout cas, je me sens à ma place ici. L’Assemblée nationale est un endroit pour le peu­ple, où tout le monde peut venir s’exprimer. On n’a pas besoin d’un bac + 5, d’être médecin ou avo­cat pour être à l’Assemblée nationale. Je pense que ma présence ici doit don­ner du courage à tout le monde. Même si tu es boulanger, aux­il­i­aire de vie, même si tu es éboueur, restau­ra­teur : ren­tre dans un par­ti poli­tique, mon­tre ta con­vic­tion pour être élu. Et il faut que les par­tis poli­tiques pren­nent des gens issus du peu­ple.

Avez-vous été con­fron­tée au mépris de classe, au racisme au sein de l’Assemblée ?

Rachel Keke Pour l’instant, pas du tout. Je sais qu’ils font très atten­tion. Je n’ai pas eu de remar­ques comme celles lancées [en novem­bre 2022] à Car­los Martens Bilon­go, à qui un élu Rassem­ble­ment nation­al a dit : « Qu’il retourne en Afrique. » Je les vois, on se regarde, ils font atten­tion. Peut-être qu’ils se dis­ent : « Alerte, elle va faire son truc de rebelle. » Mais Car­los est très timide. Et c’est leur cible, les timides. Ils pensent que tu es faible. Quand je prends la parole à l’Assemblée nationale, c’est le silence radio. On me dit bon­jour, bon­soir. Pour l’instant, ça va.


« Se sor­tir du milieu pro­lo, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le milieu des pro­los, des pau­vres, c’est un milieu de merde ? Ben moi, je ne suis pas d’accord. »

Corinne Masiero


Corinne Masiero Est-ce que tu as ren­con­tré per­son­nelle­ment des gens de droite et d’extrême droite avec qui tu as eu un début de con­ver­sa­tion ?

Rachel Keke Par­fois, au restau­rant. Je suis ouverte à tout le monde. Je ne suis pas une grosse tête. Je pense qu’il faut par­ler avec eux pour com­pren­dre. Il faut lut­ter con­tre le racisme par l’éducation. Il faut par­ler pour les amen­er à la rai­son. Je les appelle « les per­dus ». Ils ne con­nais­sent pas leur his­toire. Ils ont besoin d’aide en fait.

Corinne, pour désign­er le mépris des plus pau­vres, vous par­lez sou­vent de pro­lo­pho­bie ; qu’est-ce que c’est ?  

Corinne Masiero La pro­lo­pho­bie, c’est la peur des pro­los. Ce mot, j’ai d’abord cru que je l’avais vu quelque part. Et, pour en revenir à mon psy, avec qui je par­le sou­vent, il me dit un jour : « Mais c’est quoi ce truc de pro­lo­pho­bie ? C’est vous qui l’avez inven­té ? » Bah peut-être, je ne sais pas. C’est la peur et le mépris des pau­vres par les rich­es. Au début, on a par­lé de transfuges de classe. Moi ce que j’ai remar­qué chez les transfuges de classe, c’est qu’ils par­lent sou­vent de com­ment c’était avant, com­ment c’est devenu après, com­ment ils s’en sont sor­tis. Se sor­tir de quoi ? Se sor­tir de la merde, oui, ça peut arriv­er même à un bourge qui a une dif­fi­culté, qui fait fail­lite ou what­ev­er. Mais se sor­tir du milieu pro­lo, ça veut dire quoi ? Ça veut dire que le milieu des pro­los, des pau­vres, c’est un milieu de merde ? Ben moi, je ne suis pas d’accord.

La pro­lo­pho­bie, je l’ai ressen­tie… La pre­mière fois, très fort, quand j’étais môme et que j’avais changé d’école. Moi je viens du Nord, et dans le Nord on par­le en patois, en ch’ti. Quand je suis arrivée dans cette école, on m’a dit : « Ici on ne par­le pas en patois, c’est sale, ici on par­le le bon français. » Je me suis dit : « Mais alors, le milieu d’où je viens, le vil­lage, les gens de ma famille, on est sales. On est des nazes. » Ben moi, je ne suis pas d’accord avec ça. Enfin… je le dis main­tenant avec ma réflex­ion d’adulte.

Il y a un truc chez les transfuges, sou­vent, qui est d’adopter les codes de paroles, de gestes, de fringues des bour­geois. Comme si c’était pas bien de garder les codes de notre édu­ca­tion de pro­los. Comme s’il n’y avait qu’un seul code de com­porte­ment accept­able, celui des bour­geois. Tous les goss­es de pau­vres ont enten­du : « Te tiens pas comme ça, par­le pas comme ça. » Dans ma famille, on devait bien par­ler français devant le médecin, à l’administration. Fal­lait met­tre les fringues du dimanche pour sor­tir. Comme si ce qu’on por­tait la semaine était mépris­able.

Idem pour la cul­ture : les diver­tisse­ments pop­u­laires, la ducasse dans le Nord, les majorettes, la fan­fare, au mieux c’est rigo­lo, folk­lorique, exo­tique. C’est sym­pa, mais il faut écouter de l’opéra, lire les grands textes de Molière… Au théâtre, quand on me demandait de dire des textes de Tchekhov (qui, au pas­sage, me sort par les trous de nez), et que je par­lais avec mon accent du Nord, on me repre­nait : « Non, il faut par­ler en bon français. » Mais Tol­stoï, Tchekhov, tout ça, c’est des Russ­es, ils écrivent en russe. Donc, si tu veux vrai­ment par­ler comme ils écrivaient, tu dois par­ler en russe. Et si j’ai envie de par­ler avec l’accent picard, je peux et je ne vois pas où est le prob­lème. D’ailleurs, plus ça met les gens mal à l’aise, plus j’aime exagér­er mon accent. C’est une manière de dire : « J’ai le droit d’exister autant que les autres. »

Rachel Keke Moi je ne suis pas née ici, je suis venue à l’âge de 26 ans, j’ai mon accent, je ne vais pas arrêter de rouler les r ! Les gens sont oblig­és de s’adapter à ma façon de par­ler ! Et je m’habille comme je veux, comme je le sens. Je ne peux pas chang­er le milieu d’où je viens. Quand j’ai fait mon entrée à l’Assemblée, je suis venue en tailleur. Ce n’est pas parce que tu es une femme de ménage que tu ne peux pas bien t’habiller. Je m’adapte à tout et je m’habille comme je veux, comme je le sens.

Corinne Masiero Tout dépend si tu veux faire cheval de Troie ou pas. Moi, j’aime beau­coup faire cheval de Troie. Mais quand c’est moi qui décide, et que j’assume le truc. Bouger les codes, ça per­met de mon­tr­er qu’on a le droit d’exister. Ça peut être une action bour­rine, mais aus­si vouloir devenir députée quand rien ne t’y prédes­tine. En fait ça dépend de ce qui se passe, de l’air du temps. Un coup j’y vais avec un habit provo­cant, un coup j’y vais classe. Il faut savoir ce qu’on veut faire, l’effet que ça fera. C’est pas provo­quer pour provo­quer. C’est juste dire : « Moi, si je m’habille comme ça, si je par­le comme ça, si je me con­duis comme ça, c’est que je fais par­tie de la planète au même titre que vous, mon vieux. Mais il n’y a pas de rai­son que je devi­enne exacte­ment comme vous. » C’est comme les injonc­tions ves­ti­men­taires : sur qui ça tombe tou­jours ? Sur les gonzess­es. Tout à l’heure, pen­dant la ses­sion pho­to, par exem­ple, j’ai fait exprès de me met­tre comme ça, sans pull en tee-shirt à bretelles, parce que je ne porte plus de soutif depuis un moment. Je le fais exprès. Je sais qu’on voit mes tétons qui pointent. Je sais que c’est très mal vu, comme d’avoir une clope sur une pho­to. Des fois, je fais exprès de fumer. Si tu veux la pho­to, tu la prends comme ça et tu n’as pas le droit de l’enlever après. Mais c’est quoi le prob­lème ? Les mecs, on leur dit : « On voit vos tétons qui pointent ? » Non. C’est aus­si une manière de faire cheval de Troie.

C’est une manière d’être aux com­man­des ?

Corinne Masiero C’est moi qui décide et j’ai le droit. C’est comme dans une rela­tion sex­uelle : à 8 heures t’as envie, à 8 h 10 t’as plus envie, à 8 h 15, tu sais pas. C’est toi qui décides, c’est per­son­ne qui te l’impose. Et c’est pareil pour les dress code et tout. Je crois que ça, en tant que gonzesse, en faisant par­tie de milieux hyper machistes et hyper mas­culins, comme à l’Assemblée nationale, c’est des trucs qu’on peut apporter. Ce que tu dis­ais tout à l’heure : ils doivent s’adapter à ta manière de par­ler, ta manière de t’habiller, ta manière de t’exprimer quand tu as la rage… Bah oui les gars. À force d’entendre tou­jours tout le monde qui par­le la même langue de bois, qui par­le pareil, tu ne sais plus s’ils sont de droite ou de gauche… Ce qui fait la richesse des sociétés, c’est le mélange.

Rachel Keke Je voulais vous deman­der… Je pense à ce moment où vous vous êtes dénudée devant des mil­liers de per­son­nes pen­dant la remise des césars, quel courage ! Je veux savoir : d’où sort ce courage-là ?

Corinne Masiero C’est pas du courage, je suis une grosse frous­sarde. J’ai vrai­ment peur tout le temps. J’ai peur quand je vais en manif, quand je vais en action, quand je tra­vaille, j’ai peur. Mais vrai­ment, je ne suis pas quelqu’un de courageux. Je peux vom­ir telle­ment j’ai peur. Sauf que, à un moment don­né, le seul truc qui me tient, c’est que je me dis que si je ne le fais pas, qui va le faire ? Ça peut paraître très orgueilleux, ce que je suis en train de dire. Mais il y a des moments, par exem­ple dans le métro ou dans le bus quand tu vois quelqu’un qui par­le mal à une autre per­son­ne, et tout le monde fait sem­blant de ne pas avoir enten­du… Eh ben, si t’es la pre­mière per­son­ne à réa­gir, d’autres vont suiv­re. Et voilà… Faut don­ner l’élan. Si je ne le fais pas, il n’y a per­son­ne qui va le faire. Et par­fois c’est mal­adroit, mais il faut faire quelque chose. Moi, j’ai l’impression que je n’ai pas le choix.

Enfin tu me diras, on a tou­jours le choix, le choix de se bar­rer aus­si. Des fois, je me barre. Ça m’est arrivé dans des man­i­fs. Je me rap­pelle en 1986 (3), j’étais inscrite à la fac et on fai­sait des man­i­fs. Du côté de Saint-Ger­main, il y a un moment où ça a dégénéré. Il y avait deux flics à moto qui nous pour­chas­saient. J’ai flip­pé ma race, je me suis bar­rée en courant. Avec les Gilets jaunes aus­si, quand on était pris en nasse…

À la soirée des Césars, celle dont tu par­les, je flip­pais aus­si. Je voulais en prof­iter pour faire une tri­bune, au nom des InterLuttant·es, mais moi je ne suis pas députée, je ne sais pas faire de tri­bune. Je sais me met­tre à poil, je l’avais déjà fait sur les toits de la Drac, le min­istère de la Cul­ture en région. Puisqu’ils voulaient met­tre les intermittent·es à poil, fal­lait que je me foute à poil. Mais je ne l’ai dit à per­son­ne, sinon on allait me décourager. Je pen­sais pass­er au début de la soirée. En fait, j’ai atten­du deux heures dans les couliss­es… J’en pou­vais plus. J’avais froid avec juste ma peau d’âne et du sang dessus, à me deman­der si j’oserais le faire ou pas. Jusqu’au dernier moment, j’ai eu le pal­pi­tant. Et puis j’ai arrêté de penser, et je l’ai fait. On ne m’a même pas mise dehors !

Rachel Keke Et ça a marché ! Je dois dire « Félic­i­ta­tions » !

Corinne Masiero Ouais, mer­ci ma poule.

Rachel Keke Il faut des femmes comme ça.

Vous attendiez-vous aux réac­tions très vio­lentes et aux réflex­ions sur votre corps qui ont eu lieu à la suite de cette per­for­mance ? 

Corinne Masiero Je le savais. C’était fait exprès. J’ai 58 ans, des ver­ge­tures, du bide, les poils sur les jambes, les seins qui tombent. Et so what ? C’est quoi le prob­lème ? On fait par­tie de la majorité des gens, donc je ne vois pas pourquoi on ne pour­rait pas être représen­tées au ciné­ma et ailleurs. Je m’attendais aux « elle est vieille », « elle est moche »… Mais c’est bien ! Exprimez-vous, don­nez votre venin qu’on puisse vous le foutre à la gueule après. Je m’attendais moins aux mes­sages de sou­tien, j’en ai eu plein, de nanas prin­ci­pale­ment, mais aus­si de mecs.

Vous sen­tez-vous entourées, soutenues ? Où est le col­lec­tif autour de vous ?

Rachel Keke Quand on a com­mencé la lutte à l’Ibis, on a eu telle­ment de dif­fi­cultés, avec le syn­di­cat proche du patron qui voulait cass­er la grève. On a com­mencé à 34 per­son­nes, et ils ont fait pres­sion sur les maris pour empêch­er les femmes d’aller sur le piquet de grève. Il y a eu des men­aces, du har­cèle­ment. Dix femmes du groupe ont aban­don­né. À la fin, on est restées à 19 femmes et un homme. On a com­pris qu’on devait être unies et sol­idaires, sans quoi c’était mort pour nous. On a créé tout de suite un groupe What­sApp. Quand on ren­trait, cha­cune appelait cha­cune pour voir com­ment on avait trou­vé la journée, com­ment résoudre les embrouilles. C’est par­ti comme ça. À la fin on s’est retrou­vées comme des sœurs, même père, même mère. On est tou­jours ensem­ble aujourd’hui.

Sou­vent je vais à l’hôtel et tout le monde est con­tent de me voir. Je leur dis : « Ce qu’on a gag­né, ne lais­sez pas le patron vous l’enlever. » D’ailleurs, même le patron a recon­nu notre force. Il m’a demandé : « Com­ment vous avez tenu ? Sous la pluie, le vent, la neige ! D’où vous avez pris cette force-là ? » Je lui ai répon­du : « La sol­i­dar­ité ; l’union fait la force. » Et au final, on a ren­ver­sé le groupe Accor !

Vous vous indignez des con­di­tions de tra­vail et des salaires indé­cents, mais aus­si des vio­lences con­tre les femmes pré­caires…

Rachel Keke On subit beau­coup de choses dans ces métiers. Je par­le de l’hôtellerie parce que je sais ce qui s’y passe, mais d’autres femmes dans d’autres secteurs sont vic­times de vio­lences, de vio­ls, sans qu’on en par­le. On dirait que seuls les agresseurs célèbres intéressent les médias. Moi quand je dis sur les plateaux de télé, à la radio, qu’une col­lègue femme de cham­bre a été vio­lée, rien ne se passe, ce n’est le prob­lème de per­son­ne.

Et quand j’entends dans l’Hémicycle la prési­dente des macro­nistes dire : « Si vous êtes vic­time de vio­lence, allez à la police, allez porter plainte », ça me blesse. Parce que, quand on va à la police, elle ne prend pas nos plaintes. Tout récem­ment, une col­lègue femme de cham­bre frappe à la cham­bre d’un client. Il ouvre et mon­tre son sexe. Elle va au com­mis­sari­at porter plainte. On lui dit : « On ne peut pas pren­dre votre plainte, madame, faites une main courante… »  Et du coup la dame n’a pas porté plainte. On se fout de nous. Ça m’énerve quand on fait de la récupéra­tion poli­tique sur le prob­lème de la vio­lence faite aux femmes.

Corinne Masiero C’est ce que je gueule, regueule et ratagueule. J’ai fait un spec­ta­cle avec une nana de 68 ans, Adol­pha (4), qui avait tué son con­joint parce qu’il lui foutait sur la gueule et la vio­lait. Elle lui a mis un coup de fusil et elle a fait de la zon­zon. Elle cumu­lait tout depuis l’enfance : sous-pro­lé­tari­at, femme, inces­tée par plusieurs per­son­nes dans sa famille, sa mère qui n’en avait rien à foutre, qui la vio­len­tait. Elle a tout subi, tout.

C’est aus­si pour ça que j’ai créé le groupe de musique Les Vaginites, pour pou­voir le dire plus fort… J’écris des chan­sons, des textes, qui par­lent de ça. On est trois dans ce groupe et à un moment don­né on s’est ren­du compte qu’on avait été toutes les trois vic­times d’agression sex­uelle, de viol, d’inceste. L’inceste, c’est vrai­ment le truc qui touche tout le monde. C’est même le seul moment où la lutte des class­es n’apparaît pas. Ça touche toutes les bonnes femmes, bour­geois­es ou pro­los, et quelques mecs aus­si. Mais en tant que femme, on est vrai­ment con­sid­érée comme la sous-race. Et quand t’es racisée, alors t’es vrai­ment tout en bas. C’est pas nor­mal. On est telle­ment con­di­tion­nés par des édu­ca­tions patri­ar­cales… Le chef de famille, c’est le mec, et tu fais ce qu’on te dit. Et, si tu dois te mari­er avec machin, tu le fais. Si tu dois fer­mer ta gueule, tu le fais. Si tu t’habilles comme ça, c’est lui qui décide. Et de quel droit tu résistes, de quel droit tu par­les ? Quand j’ai par­lé d’inceste (5), ça a telle­ment choqué ma famille qu’on m’a demandé de quel droit je par­lais de ça, que cer­tains allaient se retourn­er dans leur tombe. Per­son­ne ne m’a demandé com­ment j’allais. Per­son­ne ne m’a dit : « Par­don, mais com­ment ça s’est passé ? Est-ce que tu as besoin d’aide ? »

Les Vaginites, c’est votre façon d’agir poli­tique­ment, de faire du bruit là où il y a trop de silence. Com­ment est né ce groupe de rock ? 

Corinne Masiero C’est d’abord Daniel Mer­met qui m’avait pro­posé d’intervenir pour les 30 ans de son émis­sion radio « Là-bas si j’y suis ». Je suis venue avec deux copines, les Chamot, qui chantent un morceau qui s’appelle Ta gueule, que j’aime bien. Par exten­sion, on a com­mencé à par­ler de choses qui nous con­cer­naient. Et donc, comme on est toutes des nanas, on a par­lé des agres­sions, des vio­lences faites aux femmes, de l’inceste, les IVG, tout ça. On a créé un groupe qui est devenu Les Vaginites et on devrait sor­tir notre album en jan­vi­er 2023 (6). On a aus­si fait un spec­ta­cle qui s’appelle Le Par­rain 4, puisqu’il y a déjà eu les films Le Par­rain 1, 2, 3… C’est une copine qui m’avait racon­té com­ment elle avait été inces­tée par son par­rain de ses 7 ans à ses 14 ans. Ça par­lait de son par­rain, qui est tou­jours vivant, tou­jours reçu dans la famille. Et tout le monde ferme sa gueule. Chaque fois qu’on fait ces con­certs des Vaginites ou ces spec­ta­cles comme Le Par­rain 4, des gens vien­nent nous voir à la fin. Ils nous dis­ent : « Je con­nais quelqu’un à qui c’est arrivé. » Tu les écoutes, et en fait la per­son­ne dont ils par­lent, c’est eux.


« Ma présence ici doit don­ner du courage à tout le monde. Même si tu es boulanger, aux­il­i­aire de vie, même si tu es éboueur, restau­ra­teur : ren­tre dans un par­ti poli­tique, mon­tre ta con­vic­tion pour être élu. »

Rachel Keke


Rachel Keke C’est la honte. Ils ont honte de dire que c’est eux.

Corinne Masiero On cul­pa­bilise. Mais la honte doit chang­er de camp. Tu en as d’autres qui sont choqués. Une fois, on par­lait du viol d’un gamin et une nana me dit : « Ah mais quand même c’est vio­lent. » J’ai répon­du : « Vous avez absol­u­ment rai­son, c’est vio­lent. Un gamin de 4 ans qui se fait sodomiser, c’est très vio­lent. » Elle a fer­mé sa gueule. C’est tou­jours cette his­toire de trou­ver le bon moment pour putsch­er. J’appelle ça « putsch­er », c’est-à-dire ren­tr­er dedans, bour­riner. Il y a des moments pour le faire, car ça peut provo­quer des élec­tro­chocs, une prise de con­science. Et ça, c’est citoyen, c’est du mil­i­tan­tisme, c’est de l’engagement.

À quel moment on prend con­science de cette place des femmes, et on se révolte, on décide de putsch­er ?

Corinne Masiero Mais ça c’est sur toute une vie… Quand t’es petite, t’observes. Tu fer­mes ta gueule, car on ne te laisse pas par­ler. Donc j’écoutais les adultes et je me dis­ais : « Mais c’est quand même dingue, c’est eux qui sont cen­sés avoir rai­son, mais je les trou­ve cons comme des bites. Ce qu’ils dis­ent c’est méchant, c’est mal­sain, c’est raciste. » Je n’utilisais pas ces mots-là, mais je le pen­sais. Et pourquoi moi, je n’avais pas le droit de par­ler ? Je viens d’une famille pro­lo qui était com­mu­niste à fond des deux côtés, athée, anti­cléri­cale et tout le bor­del, avec des valeurs défendues par la gauche en général. Dans le quo­ti­di­en, je voy­ais que ça ne s’appliquait pas. Égal­ité homme-femme ? Les bonnes femmes fai­saient la bectance, la vais­selle, tor­chaient les goss­es, pen­dant que les autres étaient dans le canapé, en train de fumer des clopes et boire des coups… Sans par­ler des agres­sions que j’ai subies, et je n’étais pas la seule dans la famille. Tu n’oses pas en par­ler. On t’a telle­ment dit que le dan­ger venait de la rue. Que si on t’agressait, il fal­lait cass­er des vit­res avec des cail­loux pour que les gens sor­tent de chez eux pour inter­venir. Mais quand ça se passe à l’intérieur… Tu décou­vres les injus­tices.

Je viens d’une famille ital­i­enne, très machiste. Je voy­ais bien que les femmes étaient de l’autre côté de la bar­rière. Le mod­èle à attein­dre, c’était la sainte madone qui pond des enfants. Et de l’autre côté, il y avait la pute. Ben tant qu’à faire, moi j’ai décidé de faire la pute. Je ne veux pas de gosse et je ne veux pas de ce mod­èle… Ce sont des choix. Quand t’as 20 ans, on te demande : « Quand est-ce que tu t’y mets ? » À 40 ans, on m’a dit qu’il serait temps… Il serait temps de quoi ? J’ai pas envie de gosse, faites pas chi­er avec ça. Et enfin la ménopause arrive, tu fais alléluia ! Fini les tests de grossesse !


« Quand j’ai par­lé d’inceste, ça a telle­ment choqué ma famille qu’on m’a demandé de quel droit je par­lais de ça, que cer­tains allaient se retourn­er dans leur tombe. Per­son­ne ne m’a demandé com­ment j’allais. »

Corinne Masiero


Rachel Keke, les chan­sons ont aus­si eu un rôle cru­cial dans votre his­toire mil­i­tante ?

Rachel Keke La musique donne de la force ! Pen­dant la grève de l’Ibis, arrivait un moment où, si on ne met­tait pas la musique pour danser, on se sen­tait fatiguées. Et le directeur de l’hôtel guet­tait nos signes de fatigue. Alors on a emprun­té du matériel et on a pris l’habitude de danser sur le piquet de grève. Ça nous empêchait d’avoir froid, ça nous don­nait de l’énergie, ça nous fai­sait du bien. On met­tait de tout, des chan­sons con­go­lais­es autant que du John­ny !

C’est comme ça que notre hymne Frot­ter, frot­ter, il faut pay­er est né. L’artiste ivoirien Bob­by­o­det est venu nous soutenir, puis il a voulu écrire une chan­son sur notre lutte. Comme il n’avait pas les mots clés, on l’a faite ensem­ble. C’est devenu le titre, Dur Dur Ménage. Ça a cir­culé partout sur les réseaux soci­aux. Cette ambiance a attiré du monde, on dan­sait, on cri­ait ! C’est un moyen de lutte très effi­cace ! Et ça réu­nit. Je le dis sou­vent aux gens en grève aujourd’hui. Danser, ça fait par­tie de la lutte. Il faut danser, il faut manger, il faut rigol­er. Nous, ça nous a beau­coup aidées, et les gens en face se demandaient : « Mais ces femmes ne se fatiguent jamais ? »

Corinne, cette lutte de l’Ibis est en train d’inspirer un film, c’est l’une des raisons pour lesquelles vous vouliez ren­con­tr­er Rachel… Voulez-vous nous en dire plus ?

Corinne Masiero Je voulais te ren­con­tr­er parce que je suis vrai­ment admi­ra­tive de tout ce que tu as fait avant d’être députée, et depuis. Aus­si parce que j’étais femme de ménage à une époque et que je sais de quoi ça cause. C’était un point com­mun. T’es hyper fémin­iste. T’es une grande gueule, moi j’admire ça à fond. Et puis un jeune réal­isa­teur m’a con­tac­tée. Il m’a par­lé d’un pro­jet de film sur des femmes de ménage qui tra­vail­lent pour une grande chaîne d’hôtel et qui font grève. J’ai dit : « Ben alors, ça te rap­pelle pas quelque chose ? »

Rachel Keke Ah oui, il y a du Keke là-dedans !

Corinne Masiero Ce jeune réal­isa­teur a en tête une fic­tion qui s’inspire de votre his­toire, pas un doc­u­men­taire filmé. Je lui ai demandé s’il vous avait con­tac­tées, toi et tes cama­rades de lutte. Et non, parce que, pour lui, c’était juste une inspi­ra­tion. On a par­lé de com­ment il envis­ageait l’histoire, les per­son­nages… Je lui ai dit qu’il ne par­lait pas des reven­di­ca­tions ni des salaires ni des agres­sions sex­istes. Et au bout du compte, il m’a rap­pelée pour me dire que j’avais rai­son, qu’il avait été voir des nanas et des syn­di­cal­istes pour obtenir de la matière sur l’objet de ces luttes, qu’il fal­lait que ça appa­raisse dans le film. Voilà, ce n’est que le début, mais j’ai déjà un peu putsché.

Toutes les deux, vous êtes con­stam­ment en train de ramen­er des gens à la réal­ité, de les oblig­er à se réveiller !

Corinne Masiero Wok­iste !

Rachel Keke Oui, arrêtez de dormir. L’heure est grave. Les femmes, prenez le pays main­tenant, ça suf­fit là.

Corinne Masiero Il est l’heure !

Rachel Keke Les temps sont durs, faut qu’on se réveille. Il faut con­tin­uer à descen­dre dans la rue, c’est là que les choses peu­vent bouger, qu’on peut tenir tête à ce gou­verne­ment. Moi, je crois à la lutte.

Corinne Masiero Il faut ! Dans la rue et dans le quo­ti­di­en, partout.

Rachel Keke Il ne faut plus avoir peur.

Corinne Masiero Ni peur ni honte. Mais les oreilles doivent s’ouvrir. Et que les actes suiv­ent. En même temps, depuis quelques années, il y a un virage fémin­iste qui a été pris. Il y a des supers war­riors dans la généra­tion entre 13–14 et 25 ans. Ces mômes vont dans les man­i­fs, sont dupes de rien, ils ont une vraie con­science citoyenne. Sol­i­dar­ité avec eux ! •

Entre­tien réal­isé le 18 novem­bre 2022 à l’Assemblée nationale par Iris Deroeux, jour­nal­iste indépen­dante et Kareen Janselme, jour­nal­iste à L’Humanité, toutes deux mem­bres du comité édi­to­r­i­al de La Défer­lante.

1. La coor­di­na­tion des InterLuttant·es défend le droit des intermittent·es et des pré­caires.

2. En 2017, une femme de cham­bre accuse l’ancien directeur de l’hôtel Ibis-Batig­nolles de l’avoir vio­lée. Une enquête a été ouverte.

3. En 1986 ont eu lieu de nom­breuses man­i­fes­ta­tions étu­di­antes con­tre le pro­jet de loi Deva­quet qui visait à réformer les uni­ver­sités. À la suite de l’une d’entre elles, des policiers à moto, les « voltigeurs », ont frap­pé à mort le jeune Malik Oussekine.

4. Adol­pha Van Meer­haeghe a joué avec Corinne Masiero dans le film Les Invis­i­bles. Elle a racon­té son his­toire dans le livre Une vie bien renger d’Adolpha, coédi­tion l’Impubliable et Dernier cri, 2012, qui a aus­si inspiré une comédie sociale jouée sur scène avec Corinne Masiero.

5. Dans le doc­u­men­taire Inces­te, le dire et l’entendre, dif­fusé sur France 3 en sep­tem­bre 2022.

6. Au moment du bouclage de ce numéro de La Défer­lante, l’album est en cours d’enregistrement.

22 mois de lutte et une élec­tion plus tard
Elles par­tirent 34 pour arriv­er 20 grévistes au bout de 22 mois de lutte. Dos usés, corps abîmés, les femmes de cham­bres de l’hôtel Ibis-Batig­nolles ont tenu près de deux ans sans salaire, de juil­let 2019 à mars 2021, grâce aux sou­tiens et caiss­es de grève. Gou­ver­nante et porte-parole du mou­ve­ment, Rachel Keke y a ren­con­tré des sœurs et décou­vert le mil­i­tan­tisme. À l’issue du con­fine­ment, le sous-trai­tant STN et le don­neur d’ordre Accor cèdent : qual­i­fi­ca­tions et salaires sont reval­orisés, les heures sup­plé­men­taires payées, et une poin­teuse est instal­lée. Rachel Keke s’engage dans le syn­di­cal­isme, le fémin­isme, la poli­tique. La coif­feuse ivoiri­enne arrivée en France en 2000, née d’une mère vendeuse et d’un père chauf­feur, nat­u­ral­isée Française en 2015, devient la pre­mière femme de cham­bre députée, le 19 juin 2022 dans la 7e cir­con­scrip­tion du Val-de-Marne, investie par La France insoumise.

 

Corinne Masiero, sans fil­tre
Son nom rime avec ciné­ma social, verbe haut, com­bats de gauche, fémin­isme. Corinne Masiero vient d’abord des planch­es : elle a pra­tiqué le théâtre de rue tel que façon­né par le Brésilien Augus­to Boal dans les années 1970 dans le but de déclencher la parole des opprimé·es. Aujourd’hui encore, elle met tout son corps dans la bataille, quelle que soit la scène. Celle d’une énième céré­monie hors sol des Césars par exem­ple, en mars 2021, qu’elle court-cir­cuite à poil et recou­verte de faux sang pour alert­er l’assistance sur la pré­car­ité des gens du spec­ta­cle. « Qui veut la peau de Roger l’intermittent ? » tancera-t-elle avec son accent du Nord. Elle y tient, à cet accent, autant qu’à son coin d’origine. Née à Douai en 1964 d’un père mineur et d’une mère femme de ménage, elle enchaîne les petits boulots et les galères, passe par la pros­ti­tu­tion et les addic­tions, avant d’être attirée par le théâtre, grâce à des proches, puis par le ciné­ma. Sa fil­mo­gra­phie, imprégnée de ce vécu et racon­tant sou­vent les marges, illus­tre la richesse du ciné­ma français débar­rassé des codes bour­geois : de son appari­tion dans La Vie rêvée des anges (Erick Zon­ka, 1998) à sa per­for­mance dans Louise Wim­mer (Cyril Men­negun, 2012) en pas­sant par Les Invis­i­bles (Louis-Julien Petit, 2018) ou encore la série télévisée à suc­cès Cap­i­taine Mar­leau (Josée Dayan et Elsa Marpeau, depuis 2015). En 2022, Corinne Masiero témoigne pour la pre­mière fois publique­ment de vio­ls inces­tueux subis pen­dant son enfance. La dénon­ci­a­tion des vio­lences sex­uelles est au cœur de pro­jets très per­son­nels, tels que le groupe punk-rock Les Vaginites, qu’elle forme avec deux amies. Leur pre­mier album est atten­du en jan­vi­er 2023. Face aux vio­lences et la bêtise, « ouvre ta gueule », hurlent-elles.

 

La B.O. de la ren­con­tre
Ça a com­mencé comme un ada­gio. « Elle est grande », a mur­muré Mme la députée accueil­lant Corinne Masiero à l’entrée de l’Assemblée nationale. En retrait, la comé­di­enne écoutait sage­ment Rachel Keke lui par­ler de sa mobil­i­sa­tion du matin devant un lycée pro­fes­sion­nel. Puis ça s’est embal­lé pen­dant la séance pho­to dans la salle des Qua­tre-Colonnes, où se croisent d’ordinaire les par­lemen­taires et la presse. Larges sourires partagés en posant devant le buste d’Olympe de Gouges, mais dans les jardins, Corinne Masiero a voulu enchaîn­er sur les clichés « sexy », virant par­ka et gros pull. « C’est la pre­mière fois que je demande une députée en pacs, tiens ! » a‑t-elle lancé, un genou à terre. Éclats de rire avant que Rachel ne prenne une pose plus las­cive en imi­tant une scène de Titan­ic. Un gen­darme de la garde répub­li­caine salue la « cap­i­taine Mar­leau » alias Corinne Masiero. Dans le bureau de la députée Keke, celle-ci nous fait décou­vrir son clip Dur Dur Ménage, dont la musique a ryth­mé la grève gag­nante qu’elle a menée à l’Ibis-Batignolles. Corinne Masiero dégaine son morceau punk Rage against Ze Machist en live avec son groupe Les Vaginites. On se quitte en écoutant une dernière fois Foufoune, de Mara. « C’est comme si je con­nais­sais Corinne depuis tou­jours », con­clut ray­on­nante Rachel Keke.

 

Les mots importants

Grève féministe

Reprise d’une pra­tique util­isée ini­tiale­ment par...

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Kareen Janselme

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Iris Deroeux

Reporter basée à Paris après avoir vécu en Inde et aux Etats-Unis pendant dix ans, comme correspondante pour Libération puis Médiapart. Elle collabore au journal Le Monde sur des questions sociales et de jeunesse et enseigne le journalisme en tant que maîtresse de conférences associée à l'université de Strasbourg. Pour ce numéro de La Déferlante, elle interviewé Mélissa Laveaux et Jeanne Added. Voir tous ses articles

Baiser : pour une sexualité qui libère

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°9 Bais­er (févri­er 2023)


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