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La politique autrement — Cécile Duflot & Winnie Byanyima

Entre Win­nie Byany­i­ma, femme poli­tique ougandaise aujourd’hui direc­trice d’Onusida, et Cécile Duflot, anci­enne min­istre du Loge­ment, quels hori­zons partagés ? La pre­mière était direc­trice exéc­u­tive d’Oxfam Inter­na­tion­al quand la sec­onde a pris les rênes de la branche française de l’ONG. Elles ont en com­mun des valeurs fémin­istes qu’elles con­cilient sans peine avec leurs con­vic­tions religieuses. Ren­con­tre entre deux per­son­nal­ités qui lut­tent avec prag­ma­tisme pour davan­tage de jus­tice sociale.
Publié le 28/04/2022

Modifié le 16/01/2025

Rencontre La Déferlante 6 Rencontre WINNIE BYANYIMA et CECILE DUFLOT
Mag­a­li Del­porte

Retrou­vez cet arti­cle dans La Défer­lante n°6 Rire (juin 2022)

Win­nie Byany­i­ma, Cécile Duflot, vous avez eu toutes deux des par­ents engagés pour la jus­tice sociale. Le fémin­isme avait-il sa place dans cette poli­ti­sa­tion pré­coce ?

Win­nie Byany­i­ma Oui, j’ai gran­di en étant très con­sciente que filles et garçons n’avaient pas les mêmes droits.

Le mot fémin­isme n’existait pas encore dans ma com­mu­nauté, mais ma mère, qui était enseignante, mil­i­tait pour les droits des femmes en organ­isant des clubs dans notre cour. Elle appre­nait à lire aux femmes de notre vil­lage, et aus­si à faire de l’artisanat, à s’occuper des enfants. Ensem­ble, elles par­laient des droits des filles, et notam­ment du droit à l’éducation – à une époque où seuls les garçons pour­suiv­aient leur sco­lar­ité – et du prob­lème des mariages pré­co­ces. Mon his­toire avec mon père a aus­si comp­té. Je viens d’une cul­ture pas­torale. Une vache a mis bas le jour de ma nais­sance : on m’a racon­té qu’il était déçu d’avoir une fille, mais se réjouis­sait d’avoir une nou­velle génisse. Je l’ai par la suite sou­vent taquiné : « Tu as préféré la vache à moi ! » Mais lui m’a tou­jours répété : « Ta nais­sance m’a ren­du heureux parce qu’une fille est l’égale d’un garçon. »Cécile Duflot Moi, mes par­ents étaient très mil­i­tants, très engagés dans les mou­ve­ments tiers-mondistes et la sol­i­dar­ité inter­na­tionale, mais pas par­ti­c­ulière­ment fémin­istes. Cela dit, mon frère, ma sœur et moi avons été élevé·es de la même manière, d’autant que ma mère tra­vail­lait. Nous devions tous et toutes débar­rass­er la table, par exem­ple. Mais dans cet envi­ron­nement, il n’y avait pas de réflex­ion sur la con­di­tion des femmes. Mon vrai déclic fémin­iste, c’est lorsque j’ai reçu ma con­fir­ma­tion dans l’Église catholique. J’étais très pieuse et quand j’ai demandé à l’évêque, dans ma let­tre de con­fir­ma­tion, quelle allait être la suite – puisque je n’avais pas le droit d’être ordon­née prêtre –, l’évêque m’a répon­du que Dieu avait fait les femmes et les hommes dif­férents, que chacun·e avait sa place. J’ai trou­vé ça vrai­ment dégueu­lasse. Parce que si j’avais pu, je serais dev­enue évêque plutôt que min­istre. Cette petite révolte intérieure, elle ne m’a jamais quit­tée.

Win­nie Byany­i­ma, à 25 ans, jeune ingénieure aéro­nau­tique, vous entrez dans la clan­des­tinité en inté­grant la rébel­lion armée ougandaise. Com­ment être fémin­iste en temps de guéril­la ?

Win­nie Byany­i­ma Le mou­ve­ment dans lequel je com­bat­tais était dirigé par des hommes pro­gres­sistes, aux con­cep­tions assez marx­istes. Moi, en tant que fémin­iste de gauche, je mil­i­tais pour l’égalité des sex­es. Et ils me dis­aient : « Win­nie, arrête de faire des prob­lèmes. Nous nous occu­per­ons de ça une fois que nous aurons élim­iné le dic­ta­teur. » Ils m’ont même traitée d’« obscu­ran­tiste », parce qu’ils craig­naient que je n’embrouille les cama­rades. Mais ils ont fini par com­pren­dre qu’il fal­lait s’attaquer à toutes les injus­tices en même temps. Et plus tard, notre mou­ve­ment a ouvert la voie aux femmes en poli­tique.

Cécile Duflot, vous avez à peu près le même âge quand vous rejoignez les Verts en 2001. Même ques­tion : com­ment être fémin­iste dans la sphère poli­tique, égale­ment très vir­iliste ?

Cécile Duflot Je me suis engagée dans un par­ti qui se revendi­quait déjà fémin­iste à l’époque. Mais quand je suis arrivée à la direc­tion du par­ti, j’avais 28 ans, j’ai enten­du l’un des chefs dire : « On ne va quand même pas foutre à la direc­tion une mère de famille nom­breuse. » J’avais trois enfants. J’ai ser­ré les dents et, en con­science, j’ai décidé d’adopter une par­tie des codes com­plète­ment vir­ilistes néces­saires pour se faire respecter. J’ai appris qu’il fal­lait par­fois être capa­ble d’aller à l’affrontement physique. Lors de mon pre­mier man­dat de secré­taire nationale, en 2006, il y avait un mec qui m’appelait régulière­ment « la man­ageuse » à la table de la direc­tion, pour me décrédi­bilis­er. Voy­ant qu’il n’arrêtait pas mal­gré l’ultimatum que je lui avais don­né, j’ai fini par lui met­tre un grand coup de genou entre les jambes en sor­tant d’une réu­nion. À ce moment-là, tout le monde s’est retourné. J’ai dit : « Oui, ne cherchez pas, je lui ai foutu un coup de genou dans les couilles. » Et je l’ai prévenu : « La prochaine fois, Patrick, c’est un coup de boule. Et tu sais quoi, je te tir­erai aus­si par les oreilles, ça fait très, très mal. » En vrai, je décon­seille à tout le monde de faire ça. Mais à par­tir de ce jour-là, ils se sont dit que j’étais cinglée, et plus per­son­ne ne m’a embêtée – c’est ter­ri­ble d’ailleurs, parce que c’est une défaite, c’est le pire du com­porte­ment vir­il. Plus tard, lors de négo­ci­a­tions dif­fi­ciles avec le Par­ti social­iste pen­dant les munic­i­pales de 2008, je fai­sais exprès de par­ler comme une char­retière alors que j’étais enceinte de huit mois et demi. La nana avec un très gros ven­tre qui s’exprime de façon vul­gaire en instau­rant un rap­port de force de brute, ça fai­sait per­dre leurs moyens à cer­tains. À l’époque, j’estimais que, pour mon­tr­er ma solid­ité, je devais ser­rer les dents sur les agres­sions et les remar­ques sex­istes. Main­tenant, notam­ment grâce à #MeToo, je réalise que je n’aurais pas dû subir ça ni y répon­dre de cette manière. Je ne fais plus ça !

Win­nie Byany­i­ma C’est un monde telle­ment iné­gal­i­taire… Lorsque j’ai débuté comme offi­cière mécani­ci­enne à Ugan­da Air­lines, il m’est arrivé de devoir endur­er les blagues grav­eleuses de mes supérieurs pen­dant huit heures de vol. Plus tard, au sein de mon organ­i­sa­tion poli­tique, c’étaient des remar­ques sex­istes. En tant que femme, vous êtes tout le temps désa­van­tagée. Si vous vous bat­tez pour vos droits, vous êtes agres­sive ; si vous vous taisez, vous êtes faible. C’est pour cette rai­son que nous sommes fémin­istes, parce que per­son­ne ne doit subir cela, et parce qu’au fil des ans, nous dévelop­pons une empathie à l’égard de toute per­son­ne subis­sant une oppres­sion.


« Je vois des jeunes repren­dre nos com­bats aus­si bien social­istes que fémin­istes, et j’essaie de leur trans­met­tre ce que j’ai appris. »

Win­nie Byany­i­ma


Dans votre lutte con­tre les oppres­sions juste­ment, Win­nie Byany­i­ma, il y a votre par­tic­i­pa­tion à la rédac­tion de la Con­sti­tu­tion ougandaise de 1995. Elle est recon­nue comme un out­il précurseur en matière d’égalité de genre.

Win­nie Byany­i­ma L’élaboration de cette nou­velle Con­sti­tu­tion pour l’Ouganda, c’est l’une des grandes réal­i­sa­tions de ma vie. Quand je me suis présen­tée aux élec­tions [de l’Assemblée con­sti­tu­ante], tous ceux au pou­voir dans ma cir­con­scrip­tion – au sein du gou­verne­ment local, de l’Église, des écoles – étaient des hommes. À l’époque, je n’étais pas mar­iée et je n’avais pas d’enfant ; je me suis retrou­vée à devoir défendre mes choix dans une com­mu­nauté très religieuse et con­ser­va­trice. Alors j’ai incité les femmes à s’engager et à vot­er pour moi : on pou­vait les voir men­er ma cam­pagne. Finale­ment, j’ai gag­né haut la main et j’ai pris la tête du groupe par­lemen­taire des 51 femmes députées. Avec quelques député·es représen­tant la jeunesse et les travailleur·euses, nous avons réus­si à for­mer un bloc représen­tant 20 % de l’Assemblée. Ensem­ble, nous avons intro­duit dans la Con­sti­tu­tion un quo­ta d’un tiers de femmes dans chaque assem­blée locale. Aujourd’hui, en Ougan­da, elles sont presque 50 % de femmes dans les assem­blées locales, l’un des chiffres les plus élevés au monde ! Pour for­mer les femmes qui inté­graient la vie poli­tique, nous avons créé le Forum des femmes pour la démoc­ra­tie (1) : nous leur avons mon­tré com­ment faire cam­pagne, écrire un dis­cours, lire un bud­get, présen­ter une motion, etc. Ce fut une péri­ode his­torique pas­sion­nante : on con­stru­i­sait un pays qui sor­tait de la guerre en élab­o­rant une con­sti­tu­tion où les droits humains, ceux des femmes et des enfants notam­ment, avaient toute leur place.

Aujourd’hui, Yow­eri Musev­eni – votre ancien frère d’armes – gou­verne l’Ouganda en dic­ta­teur. Où en sont les droits des femmes dans ce régime autori­taire ?

Win­nie Byany­i­ma Le prési­dent Musev­eni a mené une révo­lu­tion à laque­lle j’ai par­ticipé, puis il a com­mencé à mod­i­fi­er la Con­sti­tu­tion de 1995 avec l’aide de députés cor­rom­pus. Il a changé les règles à son avan­tage et celui de sa clique ; lui et quelques hommes qui con­trôlaient l’armée se sont acca­paré le pou­voir poli­tique. Peut-on être fémin­iste et soutenir une telle dic­tature ? Bien sûr que non. Le fémin­isme défend l’égalité, la jus­tice pour tous et toutes. C’est pourquoi j’ai quit­té la poli­tique pour me con­sacr­er au développe­ment inter­na­tion­al. Je ne pou­vais pas con­tin­uer à soutenir un prési­dent et un gou­verne­ment qui n’ont pas la légitim­ité du peu­ple. Aujourd’hui, des fémin­istes sont présentes dans la société civile, dans les uni­ver­sités et dans d’autres insti­tu­tions, des femmes sont élues en nom­bre, pour­tant le sys­tème est blo­qué par un leader qui ne veut pas lâch­er le pou­voir. Ces bons chiffres ser­vent de faire-val­oir démoc­ra­tique pour le régime, mais ils n’ont aucun effet sur les Ougandais·es des class­es pop­u­laires. Nous n’abandonnons pas. Je vois des jeunes repren­dre nos com­bats aus­si bien social­istes que fémin­istes, et j’essaie de leur trans­met­tre ce que j’ai appris. C’est deux pas en avant, un pas en arrière.

Cécile Duflot, vous entrez chez les Verts juste après le vote de la loi sur la par­ité en 2000. En vingt ans de vie poli­tique, avez-vous pu con­stater les effets posi­tifs de cette loi ?

Cécile Duflot En matière de fémin­i­sa­tion, comme le dit Win­nie, ça pro­gresse par à‑coups. Il n’y a jamais eu autant de femmes can­di­dates à l’élection prési­den­tielle : les deux par­tis qui ont struc­turé la vie poli­tique française de ces dernières décen­nies – le Par­ti social­iste et les Répub­li­cains – ont cha­cun une can­di­date [Anne Hidal­go et Valérie Pécresse], c’est une pre­mière his­torique. La prise de posi­tion de Valérie Pécresse face à Jean-Jacques Bour­din (2) n’aurait jamais été imag­in­able avant #MeToo. Et plus aucune min­istre ne se fera sif­fler dans l’hémicycle parce qu’elle porte une robe (3). Je fais par­tie d’une généra­tion qui n’était pas con­va­in­cue par la par­ité. Moi, je voulais gag­n­er des postes au mérite mais je n’avais pas du tout réal­isé que le sys­tème était extrême­ment fer­mé. Je suis très heureuse que des fémin­istes plus expéri­men­tées aient tenu bon en 2000. Pour­tant, même s’il y a par­ité au gou­verne­ment aujourd’hui, le pou­voir exé­cu­tif en France est encore entre des mains mas­cu­lines. Les femmes nom­mées au gou­verne­ment sans avoir instau­ré un rap­port de force sont con­damnées, pour beau­coup, à faire de la fig­u­ra­tion ou à être com­plices du patri­ar­cat. Donc même si les règles sont utiles, elles ne suff­isent pas.

En févri­er 2019, vous avez révélé avoir été agressée onze ans aupar­a­vant par Denis Baupin, alors fig­ure incon­tourn­able chez les Verts. Qu’est-ce qui vous décide à pren­dre la parole à ce moment-là ?

Cécile Duflot L’histoire est un peu plus anci­enne. Je savais com­ment se com­por­tait Denis Baupin, mais je pen­sais qu’il avait changé depuis qu’il avait ren­con­tré sa com­pagne [Emmanuelle Cosse]. En 2015, je retourne à l’Assemblée nationale et je com­prends qu’il y a tou­jours un souci. Alors, quand San­drine Rousseau, qui à l’époque est porte-parole nationale d’EELV, me racon­te l’agression sex­uelle qu’elle a subie, je lui promets de témoign­er si elle porte plainte. Quand elle le fait l’année suiv­ante, je suis con­vo­quée par la police et je dis ce que j’ai à dire. Mais en mars 2017, l’enquête est classée sans suite (4). Finale­ment, c’est Denis Baupin qui porte plainte. Début 2019, le procès arrive et je réalise qu’il va coïn­cider avec le moment où Win­nie – alors direc­trice d’Oxfam Inter­na­tion­al – vient inau­gur­er les nou­veaux locaux d’Oxfam France. Sur le coup, je suis effon­drée et je me dis que, médi­a­tique­ment, ça va com­plète­ment phago­cyter sa vis­ite. Quand je l’appelle enfin, je lui racon­te, et là – je m’en sou­viendrai toute ma vie –, elle me dit : « Je suis si fière de toi ! » C’était incroy­able, telle­ment le con­traire de ce à quoi je m’attendais ! Sa réac­tion a joué sur l’intégralité de mon témoignage. Témoign­er a été à la fois extrême­ment libéra­toire et extrême­ment douloureux, ça a fait remon­ter chez moi tout un tas de scènes que j’avais vécues. Et quand j’ai vu la presse après, je me suis dit : « Putain ! Avoir ser­ré les dents pen­dant 15 ans pour finir ma car­rière poli­tique avec “Duflot en larmes au tri­bunal” en une ! » Mais on ne choisit pas sa part dans l’histoire de l’émancipation des femmes. Je n’avais pas anticipé que ma robe bleue deviendrait un éten­dard du sex­isme en poli­tique. Et quand je suis allée témoign­er au procès Baupin, je l’ai fait pour San­drine et parce que, vrai­ment, je trou­vais hal­lu­ci­nant qu’il ose porter plainte.

Je pense que ma parole a porté parce que j’avais pu être agressée alors que j’incarnais une cer­taine force, j’étais cheffe de par­ti, je tenais tête au prési­dent de la République. Mon témoignage, ça voulait dire que les vio­lences sex­uelles, ce n’était pas un truc de faible femme, de vic­time, de chouineuse mais bien un enjeu sys­témique. De fait, en poli­tique, les agresseurs savaient que leurs vic­times ne pour­raient pas par­ler. Tu n’es pas cheffe de par­ti si tu vas te plain­dre parce que machin a essayé de t’embrasser. Ça a tou­jours fait par­tie du sys­tème pour nous écarter : soit tu sup­por­t­ais et cela te rendait dure, soit tu pre­nais la tan­gente. D’une cer­taine manière, j’ai fini par pren­dre la tan­gente, d’ailleurs, moi aus­si. Mais Win­nie, à ce moment-là, avec ses mots, elle m’a don­né un blanc-seing, elle m’a dit : « Vas‑y. ». Je ne suis pas de celles qui pensent que la soror­ité existe tout le temps, mais par­fois une phrase dite par une femme en qui vous avez con­fi­ance, ça change tout.


« la con­quête de l’espace que se dis­putaient les grands pays est dev­enue un con­cours de bites entre mil­liar­daires. Ça nous emmène dans le mur. »

Cécile Duflot


Win­nie Byany­i­ma La vio­lence envers les femmes et les filles est si répan­due qu’il n’y a pra­tique­ment aucune d’entre nous qui n’y a pas été con­fron­tée. Nous ne pour­rons pas résoudre ce prob­lème tant que nous n’aurons pas de dirigeant·es prêt·es à dénon­cer la vio­lence, et c’est ce que j’ai vu Cécile faire, au prix d’un lourd trib­ut. S’il y a une seule rai­son pour laque­lle nous avons besoin de femmes au pou­voir partout, c’est qu’il n’y aura pas de tolérance zéro tant que les femmes ne dirigeront pas aus­si.

Win­nie Byany­i­ma, quels sou­venirs gardez-vous du scan­dale qui a éclaté alors que vous étiez à la tête d’Oxfam Inter­na­tion­al, sur des faits de vio­lences sex­uelles per­pétrées par des mem­bres d’Oxfam Grande-Bre­tagne à Haïti en 2011 ?

Win­nie Byany­i­ma C’était une sit­u­a­tion très dif­fi­cile. La vio­lence est une ques­tion d’inégalités et d’abus de pou­voir. Dans ce cas, il y avait notre pou­voir en tant qu’organisation human­i­taire dis­posant de ressources pour sauver des vies en Haïti, en l’occurrence le pou­voir de nos employé·es, pour la plu­part des per­son­nes occi­den­tales priv­ilégiées. En face, il y avait les vic­times, des femmes noires pau­vres d’Haïti. Même si cela avait eu lieu dix ans avant mon entrée en fonc­tion, Oxfam n’était pas moins respon­s­able (5). Se men­tir n’aurait servi à rien. Cer­tains des grands mem­bres du réseau Oxfam craig­naient que cela n’ait un impact sur leur image de mar­que. Mais les fémin­istes au sein de notre con­seil d’administration ont dit non, nous devons deman­der par­don publique­ment. C’était dif­fi­cile, mais cela a aidé Oxfam à devenir une organ­i­sa­tion résol­u­ment plus fémin­iste.

Vous avez d’ailleurs évo­qué à divers­es repris­es, l’une et l’autre, la néces­sité d’instaurer une approche fémin­iste du pou­voir au sein de cette ONG. À quoi ressem­ble-t-elle con­crète­ment ?

Win­nie Byany­i­ma Nous avons com­mencé par exam­in­er qui déte­nait le pou­voir au sein d’Oxfam, pour le partager plus équitable­ment – c’est ça, le fémin­isme. Nous avons regardé vers les pays du Sud et demandé à des fémin­istes indi­ennes de nous aider à met­tre en œuvre des principes fémin­istes dans notre gou­ver­nance, nos pro­grammes et nos cam­pagnes. Et puis nous avons agi. Notre con­seil d’administration est passé d’environ 30 % à plus de 60 % de femmes mem­bres ! Nous avons inté­gré davan­tage d’organisations affil­iées du Sud dans notre struc­ture, afin de rééquili­br­er le pou­voir en leur faveur. Nous avons for­cé nos écon­o­mistes et nos militant·es à regarder au-delà des iné­gal­ités économiques pour tenir compte d’autres dis­par­ités, comme celles liées au genre.

Cécile Duflot Comme le dit Win­nie, pour que les femmes comptent, il faut les compter. Ça veut par exem­ple dire qu’on sys­té­ma­tise une approche gen­rée : à Oxfam France, on a mis en lumière l’impact que le plan de relance pro­posé par la France fin 2020 aurait con­crète­ment sur les con­di­tions de vie des femmes. Dans notre organ­i­sa­tion interne, le scan­dale d’Oxfam Grande-Bre­tagne en Haïti nous a amené·es à appli­quer un principe de tolérance zéro envers toute remar­que ou com­porte­ment sex­istes. C’est reposant pour tout le monde, y com­pris pour les hommes. À un autre niveau, cette vision fémin­iste devrait aus­si avoir un impact sur les rela­tions entre affilié·es du Sud et du Nord, mais on n’est pas encore au bout du chemin, pour par­ler poli­ment. C’est mal­gré tout un cadre glob­al qui oblige à dis­cuter des rela­tions de pou­voir en général.


« Ni les iné­gal­ités de genre ou de classe, ni la pau­vreté, ni la crise cli­ma­tique ne sont une fatal­ité. C’est le résul­tat de choix ou de non-choix poli­tiques. Je veux que ce com­bat soit un jour vic­to­rieux. »

Cécile Duflot


Vous vous êtes toutes deux éloignées de la vie poli­tique insti­tu­tion­nelle pour tra­vailler dans des ONG ou des insti­tu­tions supra­na­tionales. Pourquoi ce choix ?

Win­nie Byany­i­ma Le Mou­ve­ment de résis­tance nation­al (6) a com­mencé [à la fin des années 1990] à per­dre son âme, à être cor­rompu et à trich­er aux élec­tions. Quand j’ai man­i­festé mon oppo­si­tion, j’ai été réduite au silence, plusieurs fois jetée en prison. Ça a fait peur aux autres politicien·nes et ça m’a empêchée de mobilis­er au sein du mou­ve­ment. À un moment, j’ai com­pris que je devais trou­ver un autre espace de lutte. Je suis par­tie, mais avec beau­coup de peine au cœur, car j’aimais servir ma com­mu­nauté. Comme je fai­sais par­tie du mou­ve­ment des femmes, j’ai pu inté­gr­er un pro­gramme de l’Union africaine, puis les Nations unies. Chaque fois, j’ai trou­vé un poste où j’ai pu faire avancer mes valeurs fémin­istes. Il est pos­si­ble d’influencer des vies sans être élue, en mobil­isant les com­mu­nautés par exem­ple, en util­isant les ressources à dis­po­si­tion. Mes fonc­tions à Onusi­da sont très poli­tiques, comme c’était déjà le cas à Oxfam. Si vous savez com­ment pouss­er vos idées, vous pou­vez avoir beau­coup d’influence.

Et vous, Cécile Duflot, votre départ de la vie poli­tique a‑t-il quelque chose à voir avec le con­stat d’une crise démoc­ra­tique ?

Cécile Duflot C’est un dou­ble mou­ve­ment. À titre per­son­nel, j’avais énor­mé­ment encais­sé pen­dant quinze ans et j’avais très peur de devenir aigrie. Ensuite, il fal­lait faire mûrir la société sur les ques­tions écologiques. Même avec la trans­for­ma­tion d’EELV [en 2010, le par­ti Les Verts devient Europe Écolo­gie Les Verts], le par­ti éco­lo restait un peu can­ton­né. Mais cela ne veut pas dire que je ne crois plus en la poli­tique. Pen­dant mes deux ans au min­istère du Loge­ment, j’ai bien vu qu’on pou­vait agir, avec de l’énergie et des com­pro­mis. Sim­ple­ment j’ai eu envie de trou­ver une autre façon de faire. À Oxfam France, notre tra­vail est de lier les ques­tions écologiques et sociales afin d’ouvrir un hori­zon de jus­tice crédi­ble. C’est ce qui a fonc­tion­né avec l’Affaire du siè­cle 7. Notre avan­tage, c’est que nous pou­vons tra­vailler sur la durée, sans échéance élec­torale ni dimen­sion par­ti­sane et donc créer des coali­tions les plus larges pos­si­bles. Ni les iné­gal­ités de genre ou de classe, ni la pau­vreté, ni la crise cli­ma­tique ne sont une fatal­ité. Je sais que c’est le résul­tat de choix ou de non-choix poli­tiques. Je veux que ce com­bat soit un jour vic­to­rieux.

Win­nie Byany­i­ma, pour Oxfam Inter­na­tion­al, vous êtes inter­v­enue régulière­ment au forum de Davos. Aller inter­peller les élites économiques sur leur lieu de pou­voir, est-ce un moyen d’instaurer un rap­port de force ?

Win­nie Byany­i­ma Le forum de Davos est un espace où se réu­nis­sent les dirigeant·es des grandes entre­pris­es du monde entier et des pays rich­es. Entre eux, ils pra­tiquent un lob­by­ing mutuel, étab­lis­sent l’agenda économique de l’année à venir et ignorent les 99 % qui ne sont pas là. Je n’y suis jamais allée pour négoci­er mais pour leur dire ma vérité. J’ai eu cette oppor­tu­nité parce que je dirigeais Oxfam Inter­na­tion­al et qu’il nous sem­blait très impor­tant de con­fron­ter les participant·es à ce qui se passe vrai­ment pour la majorité des gens ordi­naires. C’est puis­sant, ça les ébran­le. Je ne peux pas dire qu’ils ont changé, mais l’agenda a changé.

Quand nous avons pub­lié notre pre­mier rap­port sur les iné­gal­ités en 2014, ils nous ont d’abord ignoré·es poli­ment. Mais ils ont fini par inscrire les iné­gal­ités à l’ordre du jour et main­tenant, ils les men­tion­nent dans le rap­port annuel sur les risques mon­di­aux qu’ils pub­lient à l’issue de chaque forum. C’est un préreq­uis : d’abord, vous forcez les gens à voir le prob­lème et, ensuite, vous les poussez à met­tre en œuvre des solu­tions.

Pas­sons à une dimen­sion plus intime : vous assumez toutes les deux votre foi catholique…

Win­nie Byany­i­ma Ah, mais j’ai encore plus en com­mun avec Cécile que je ne le pen­sais !

Est-ce que cette foi, dans un con­texte de pris­es de posi­tion réac­tion­naires de l’institution catholique, n’entre pas en con­flit avec votre engage­ment fémin­iste ?

Cécile Duflot Pour moi, pas du tout. Par exem­ple, j’ai énor­mé­ment soutenu la théolo­gi­en­ne Anne Soupa lorsqu’elle a can­di­daté à l’archevêché de Lyon en mai 2020. Des amies fémin­istes m’ont dit : « L’Église catholique est sex­iste, ignorons-la », mais je ne suis pas d’accord. Quand une insti­tu­tion a une telle influ­ence psy­chologique sur une société, ce qui s’y passe n’est pas anodin. Et je sou­tiens les femmes qui veu­lent accéder aux mêmes respon­s­abil­ités que les hommes, où qu’elles se trou­vent.

Me souci­er du plus faible et ne pas jeter la pierre sur la pros­ti­tuée, c’est ça que j’ai appris avec les Évangiles et c’est absol­u­ment cohérent avec la défense des per­son­nes LGBTQI+. Je n’ai aucun prob­lème à artic­uler les enseigne­ments de la Bible, l’éducation que j’ai reçue et les com­bats que je mène. J’ai bien con­science que c’est très gênant pour certain·es mais je suis mère de famille nom­breuse, j’ai eu plusieurs maris et je suis catholique. J’ai reçu des cour­ri­ers me deman­dant d’arrêter de le revendi­quer. Au moment des débats sur le Mariage pour tous, l’aumônier de l’Assemblée nationale m’a même invitée à déje­uner : il était embar­rassé de voir une min­istre catholique man­i­fester en faveur de cette loi ! Je crois qu’il aurait préféré que je me taise. Moi, je suis con­tente que ça dérange. Il n’y a pas sur Terre d’envoyé direct de Dieu qui peut déter­min­er qui a rai­son entre moi et je ne sais quel prêtre inté­griste. C’est qui le vrai catholique ? Allez, on débat, je n’ai pas peur. D’autant qu’aujourd’hui le pape François a quand même embrassé beau­coup de com­bats qui étaient les miens, c’est assez cocasse.

Win­nie Byany­i­ma J’ai moi aus­si été élevée dans la reli­gion catholique. Je tiens à ma foi, parce qu’elle est à la racine de mes valeurs poli­tiques. Elle a con­fir­mé ce que mes par­ents me trans­met­taient : l’essentiel est de pren­dre soin des autres, de sa com­mu­nauté. Plus tard, à l’école, les religieuses m’ont appris qu’il fal­lait partager et vivre sim­ple­ment. Tout ça m’a fait pren­dre con­science des iné­gal­ités. Mais je n’accepte pas tout ce qui est enseigné au sein de l’Église. Je ne suis pas d’accord avec la dis­crim­i­na­tion que les femmes y subis­sent, ni avec la haine que prêchent certain·es au nom d’une reli­gion. Je pense notam­ment que l’Église doit rat­trap­er son retard sur les ques­tions LGBTQI+ et accepter que cer­taines per­son­nes sont nées comme elles sont. Le pape va dans ce sens, mais j’aimerais que cela aille plus vite. On peut se bat­tre con­tre ça, la foi reste.

Votre tra­vail au sein d’Onusida vous vaut-il d’être vue comme une héré­tique ?

Win­nie Byany­i­ma Non, mais je suis fréquem­ment attaquée sur Twit­ter par des com­mu­nautés par­ti­c­ulière­ment con­ser­va­tri­ces, surtout dans mon pays. En Ougan­da, être gay fait de vous un·e criminel·le. Mal­gré l’existence de traite­ments per­me­t­tant à des per­son­nes séropos­i­tives de vivre longtemps, elles con­tin­u­ent de mourir à cause des préjugés et de la haine. Devoir cacher celle ou celui qu’on aime, avoir peur d’aller se faire soign­er, c’est hor­ri­ble. Donc, face aux attaques, je riposte, j’entame la con­ver­sa­tion. Je suis heureuse de com­bat­tre ces injus­tices, et je me fiche de ce qu’on en dit.

On vous sent portées, l’une et l’autre, par cet opti­misme qui donne l’énergie de lut­ter. Quelle utopie fémin­iste espérez-vous voir advenir dans le futur ?

Cécile Duflot Moi, je crois qu’il peut y avoir une gou­ver­nance fémin­iste du monde. Nous avons souf­flé pen­dant un siè­cle et demi sur les feux du vir­il­isme, en épuisant les ressources naturelles et en accrois­sant les iné­gal­ités. L’exemple absolu, c’est la con­quête de l’espace que se dis­putaient les grands pays et qui est main­tenant dev­enue un con­cours de bites entre mil­liar­daires. Ça nous emmène dans le mur, col­lec­tive­ment. L’alternative, c’est évidem­ment de laiss­er les fos­siles dans le sol, etc. Mais si nous voulons que cela advi­enne, nous devrons coopér­er et, pour cela, une gou­ver­nance fémin­iste me sem­ble un préreq­uis. Nous devons pren­dre con­science qu’un sys­tème de dom­i­na­tion con­duit à sa pro­pre perte, car le dom­i­nant est inca­pable de se fix­er des lim­ites. De façon plus anec­do­tique, j’espère que je pour­rai un jour racon­ter ce qu’était notre vie de femmes et que cela sem­blera aus­si lunaire que se rap­pel­er aujourd’hui que nos arrière-grands-mères n’avaient pas le droit de porter de pan­talons.

Win­nie Byany­i­ma Les mou­ve­ments col­lec­tifs me don­nent de l’espoir, car rien ne peut avancer sans des gens qui se lèvent. #MeToo a com­mencé dans l’industrie hol­ly­woo­d­i­enne puis a fait tomber des hommes puis­sants et a sec­oué bien des secteurs d’un con­ti­nent à l’autre. De plus en plus, je con­state une évo­lu­tion dans les insti­tu­tions, où nous avons tous·tes dû chang­er les règles afin de pou­voir éradi­quer la vio­lence sex­uelle. Je veux que cela con­tin­ue. Ensuite, la sit­u­a­tion des femmes en poli­tique pro­gresse aus­si : en Alle­magne, le gou­verne­ment est par­i­taire pour la pre­mière fois ; en Fin­lande, une jeune femme est dev­enue Pre­mière min­istre et s’est entourée d’autres femmes. Le monde est en train de chang­er sous mes yeux, et j’ai bon espoir que le futur soit fémin­iste. •

Entre­tien réal­isé le 10 févri­er 2022 par Alix Bayle, jour­nal­iste indépen­dante, et Emmanuelle Josse, coré­dac­trice en chef de La Défer­lante. Les pro­pos de Win­nie Byany­i­ma ont été traduits de l’anglais par Mar­guerite Capelle.

1. Le Forum for Women in Democ­ra­cy (FOWODE) offre une plate­forme d’outils et de réseaux pour faciliter l’entrée des femmes ougandais­es dans les instances déci­sion­naires.

2. Le 18 jan­vi­er 2022, sur BFM TV, lors de l’émission « La France dans les yeux », en face de l’intéressé, Valérie Pécresse exprime son sou­tien aux femmes qui ont porté plainte pour agres­sion sex­uelle con­tre le jour­nal­iste.

3. Lors d’une séance à l’Assemblée nationale le 17 juil­let 2012, des députés de l’UMP sif­flent Cécile Duflot, alors min­istre, qui porte une robe col­orée.

4. Pour pre­scrip­tion des faits. Denis Baupin riposte alors en assig­nant au tri­bunal ses accusatri­ces pour dénon­ci­a­tion calom­nieuse. Mais ce procès donne lieu à plusieurs témoignages (dont celui de Cécile Duflot) à charge con­tre l’homme poli­tique, qui se voit con­damné pour procé­dure abu­sive.

5. Oxfam Inter­na­tion­al regroupe 20 organ­i­sa­tions car­i­ta­tives indépen­dantes pour lut­ter con­tre la pau­vreté dans le monde. En 2018, le quo­ti­di­en bri­tan­nique The Times révèle que des col­lab­o­ra­teurs de l’ONG, en mis­sion à Haïti en 2010, ont eu des rap­ports tar­ifés avec des pros­ti­tuées haï­ti­ennes. Suiv­ront d’autres révéla­tions con­cer­nant des vio­ls et des vio­lences sex­uelles com­mis­es par d’autres employés d’Oxfam au Soudan du Sud et au Liberia.

6. Le Nation­al Resis­tance Move­ment (NRM) est issu de la lutte armée con­tre le prési­dent Mil­ton Obote à par­tir de 1981. Il prend le pou­voir en 1986, et son fon­da­teur, Yow­eri Musev­eni, pré­side depuis le pays. (Lire l’encadré ci-dessous.)

Win­nie Byany­i­ma et Cécile Duflot en 10 dates

1959 : Nais­sance de Win­nie Byany­i­ma à Mbarara, en Ougan­da, trois ans avant l’indépendance du pays.

1975 : Nais­sance de Cécile Duflot à Vil­leneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne).

1976 : Win­nie Byany­i­ma fuit la dic­tature ougandaise et part étudi­er en Angleterre.

1994 : Win­nie Byany­i­ma est élue mem­bre de l’Assemblée con­sti­tu­ante ougandaise, puis députée en 1996.

2006 : Cécile Duflot est élue secré­taire nationale des Verts.

2012 : Nom­mée min­istre de l’Égalité des ter­ri­toires et du Loge­ment sous François Hol­lande, Cécile Duflot démis­sionne en 2014.

2013 : Win­nie Byany­i­ma devient direc­trice exéc­u­tive d’Oxfam Inter­na­tion­al.

2018 : Cécile Duflot prend la direc­tion d’Oxfam France.

2019 : Févri­er Cécile Duflot appelée à témoign­er au procès inten­té par Denis Baupin pour dénon­ci­a­tion calom­nieuse.
Novem­bre  Win­nie Byany­i­ma est nom­mée direc­trice exéc­u­tive d’Onusida.

 

Une his­toire ougandaise
Le par­cours de Win­nie Byany­i­ma est lié à l’histoire agitée de l’Ouganda, pays enclavé d’Afrique de l’Est et colonie bri­tan­nique jusqu’en 1962. La sit­u­a­tion poli­tique post-indépen­dance y est très insta­ble : en 1971, Idi Amin Dada met en place une dic­tature san­guinaire qui cause la mort ou la dis­pari­tion
de cen­taines de mil­liers d’Ougandais·es. Quand il est chas­sé du pou­voir huit ans plus tard, une guerre civile éclate : aux côtés de Yow­eri Musev­eni, un temps son com­pagnon, Win­nie Byany­i­ma prend part à la rébel­lion au sein du Nation­al Resis­tance Move­ment (NRM). En 1986, le NRM parvient au pou­voir et Musev­eni devient prési­dent. Les idéaux marx­istes du mou­ve­ment cèdent la place à des poli­tiques libérales, qui font du pays le bon élève du FMI, avec divers signes de mod­erni­sa­tion – diminu­tion de la pau­vreté, développe­ment d’une classe moyenne, intro­duc­tion de quo­tas de femmes au Par­lement. Mais la Con­sti­tu­tion ougandaise, adop­tée en 1995, est pro­gres­sive­ment réfor­mée pour favoris­er l’autoritarisme crois­sant de Musev­eni. En mai 2021, celui-ci entame, à l’âge de 76 ans, son six­ième man­dat con­sé­cu­tif.

 

De la com­plic­ité à l’amitié
C’est Cécile Duflot qui a sug­géré d’inviter Win­nie Byany­i­ma pour une ren­con­tre dans les pages de La Défer­lante : « Elle a un par­cours dingue ! »
Le jour de l’entretien, elles sont arrivées en même temps, décon­trac­tées et enjouées comme le sont les bonnes copines : elles avaient prof­ité du pas­sage à Paris de Win­nie Byany­i­ma, qui tra­vaille à Genève, pour déje­uner ensem­ble. Mal­gré toutes leurs dif­férences – leurs lieux et milieux d’origine, leur jeunesse, leur âge –, leur com­plic­ité, nour­rie de plusieurs années de col­lab­o­ra­tion au sein du réseau Oxfam, saute aux yeux. Avec amuse­ment, Win­nie Byany­i­ma se sou­vient de la pre­mière inter­ven­tion – plutôt reten­tis­sante – de Cécile Duflot au sein du con­seil d’administration de l’ONG : « Elle a dit : “Pourquoi est-ce que je devrais par­ler en anglais ? Je pen­sais que nous étions une organ­i­sa­tion mon­di­ale.” Nous avons changé les règles, nous avons fait
venir des inter­prètes, et elle a pu par­ler en français. » Mais quand il s’agit d’évoquer les liens de con­fi­ance noués dans le con­texte du procès Baupin, les gorges se nouent, l’émotion sur­git : ce qui se joue entre ces deux-là, c’est aus­si un fémin­isme en acte.

Emmanuelle Josse

Ancienne consultante dans l’édition et la communication et cofondatrice du P.A.F – Collectif pour une parentalité féministe. Cofondatrice, corédactrice en chef, elle est en charge, depuis Paris, des relations libraires et de la maison d’édition. Voir tous ses articles

Alix Bayle

Ancienne correspondante à Londres pour France 24, elle travaille comme pigiste, notamment dans le documentaire audiovisuel. Militante féministe, elle a cofondé le PA.F (collectif pour une PArentalité Féministe) et Toutes Apôtres !, qui agit pour l’égalité de tous·tes les baptisé·es au sein de l’Église catholique. Voir tous ses articles

Rire : peut-on être drôle sans humilier

Retrou­vez cet arti­cle dans La Défer­lante n°6 Rire (juin 2022)


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