Comment avez-vous abordé cette expérience de la correspondance ?
KAOUTAR HARCHI : Je trouvais ça intéressant d’apprendre à connaître un écrivain au-delà de ses livres, d’explorer avec lui l’écriture à chaud sur des questions d’actualité. C’était une manière différente d’aborder les dominations de race, de genre et de classe, d’une manière qui ne soit pas théorique ou abstraite, qui devait vraiment être incarnée par des éléments concrets.
AURÉLIEN BELLANGER : Je trouve passionnant d’échanger sur notre métier entre pair·es. L’important pour moi était que cet échange soit de bonne foi, que nous ne soyons pas dans une posture.
Avez-vous rencontré des difficultés ?
KAOUTAR HARCHI : Une lettre transmet notre intimité à un instant précis, et ce n’est pas simple à écrire. Le fait de s’adresser à une personne tout en sachant que ces textes seront également lus par d’autres personnes modifie un peu la perspective. C’est une fausse intimité.
AURÉLIEN BELLANGER : L’exercice comportait un certain formalisme. Pendant longtemps, la lettre était un écrit terriblement banal, puis elle a disparu quasiment du jour au lendemain. Pourtant, le genre épistolaire est un classique de la littérature. Un livre est toujours un peu lu comme une lettre qui a été envoyée. C’est bien de confronter son métier d’écrivain à cette expérience.
Quelles réflexions vous sont apparues en échangeant ensemble ?
AURÉLIEN BELLANGER : Nous avons été les contemporain·es d’un génocide [à Gaza], d’un moment qui marquera l’époque. Cela a donné une solennité particulière à notre échange.
KAOUTAR HARCHI : Ces lettres étaient parfois très argumentées, et pour certaines simplement une sorte de témoignage de la cruauté de l’époque. J’espère que les personnes qui nous liront, avec le recul, pourront mesurer ce que c’était de vivre ça, face à nos écrans. Nous avons aussi tenté de nous interroger sur ce que la littérature peut, face à cela.
Que retirez-vous de cette correspondance qui a duré six mois ?
KAOUTAR HARCHI : L’échange avec Aurélien avait un enjeu politique important, notamment depuis la parution de son ouvrage Les Derniers Jours du Parti socialiste [Seuil, 2024], dans lequel les questions de l’islamophobie, du racisme structurel et de la gauche coloniale en France sont assez clairement posées. Il s’inscrit parfaitement dans les dialogues
que nous devons essayer de tisser entre écrivain·es qui reconnaissent le caractère structurel de l’islamophobie et le poids du colonialisme en France.
AURÉLIEN BELLANGER : La question du racisme structurel est relativement récente dans ma vie. Elle fait partie des quelques épiphanies qui m’ont permis de prendre conscience des biais que j’avais, en tant qu’homme, en tant que Blanc. Ce sont des sujets qu’il était passionnant d’aborder avec Kaoutar.
Qu’espérez-vous que les lecteur·ices retiennent de ces lettres ?
AURÉLIEN BELLANGER : Le caractère le plus angoissant du métier d’écrivain, c’est l’idée qu’il y ait des lecteurs et lectrices. J’ai essayé de mettre ça à part, afin d’écrire ces lettres comme des vraies lettres.
KAOUTAR BELLANGER : J’espère que les lecteurs et les lectrices aborderont ce texte comme un dialogue. C’est une écriture immédiate, au fil des jours, à partir d’éléments qui sont encore partiels. Elles et ils vont recevoir avec un temps de décalage ce que nous avons pu nous dire dans un moment partagé.
AURÉLIEN BELLANGER : Et en même temps, l’un des intérêts métaphysiques de la littérature, c’est de douter qu’il n’y a que le présent qui existe. L’idée, c’est de faire exister d’autres strates temporelles.
Des lettres devenues livre
L’idée de proposer à des duos d’écrivain·es d’échanger pendant six mois, à raison d’une lettre mensuelle, pour appréhender une époque en plein bouleversement, provient du média épistolaire La Disparition. Première d’une série de trois, la correspondance entre Kaoutar Harchi et Aurélien Bellanger a d’abord existé sous forme de lettres envoyées sous format papier entre janvier et juin 2025 aux abonné·es de La Disparition, avant que La Déferlante Éditions propose de les rassembler en un livre. Sans parler des blessé·es sortira en librairie le 3 octobre prochain.
👉 Vous pouvez déjà acheter le livre sur notre site.

Entretien réalisé le 17 mai 2025 par Emma Bokono et édité par Malwenn Cailliau, respectivement journaliste et assistante d’édition à La Déferlante.





