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Histoire d’un slogan : Marre du rose !

Dans les rayons « pour filles » des grandes sur­faces et des mag­a­sins de jou­ets, le rose est omniprésent. En 2015, les mil­i­tantes d’Osez le fémin­isme et des Chi­ennes de garde ont lancé la cam­pagne « Marre du rose ! ». Leur objec­tif : met­tre en lumière un mar­ket­ing gen­ré qui lim­ite le choix des filles et les enferme dans des clichés sex­istes et une vision hyper stéréo­typée de la féminité.
Publié le 05/10/2022

Modifié le 24/02/2025

Pinkification : Marre du rose, collage La Déferlante 8
Séver­ine Scaglia

Retrou­vez cet arti­cle dans le n°8 Jouer de La Défer­lante

Suite à un rap­port du Sénat de 2014 aler­tant sur les effets néfastes que peu­vent avoir les jou­ets stéréo­typés aus­si bien dans l’enfance qu’à l’âge adulte 1Chan­tal Jouan­no et Roland Courteau, « Jou­ets : la pre­mière ini­ti­a­tion à l’égalité », rap­port d’information du Sénat no 183, 2014., les asso­ci­a­tions Osez le fémin­isme ! et Les Chi­ennes de garde ont lancé en 2015 une cam­pagne con­tre ces pro­duits gen­rés sous le slo­gan : « Marre du rose ! »

Con­statant, comme c’est indiqué sur le site de la cam­pagne, « qu’il y a bel et bien une con­séquence entre le fait d’offrir des jeux ros­es et bleus » et les iné­gal­ités sociales entre les femmes et les hommes, les deux col­lec­tifs – rejoints depuis 2018 par un troisième : Pépite sex­iste – se fix­ent alors pour objec­tif de lut­ter con­tre les clichés véhiculés par les jou­ets qui se cristallisent dans l’usage presque sys­té­ma­tique du rose pour col­or­er ceux conçus pour les filles. Au-delà des jou­ets, c’est tout le dis­posi­tif de vente qui obéit au stéréo­type bien ancré que « le rose, c’est pour les filles » : on retrou­ve la même teinte dans le pack­ag­ing, la sig­nalé­tique util­isée pour dis­tinguer les rayons dans les mag­a­sins, ou encore dans les cat­a­logues de pro­mo­tion.

Une « pinkification » qui explose dans les années 1980

L’omniprésence du rose dans les jou­ets « pour filles », appelée « pinki­fi­ca­tion », est un phénomène cul­turel et mar­ket­ing rel­a­tive­ment récent. Il appa­raît dans les années 1980, au moment où la poupée Bar­bie, pro­duit emblé­ma­tique d’une fran­chise de jou­ets asso­ciée au rose dès sa créa­tion en 1959, con­naît un énorme suc­cès. Dans le sil­lon de la mar­que états-uni­enne, d’autres fran­chis­es pop­u­laires ont mar­qué leur empreinte rose dans le monde du jou­et : les Pol­ly Pock­et, qui sont des cof­frets à l’intérieur desquels se déploie un univers minia­ture ; My Lit­tle Pony, une série de petits poneys aux grands yeux et à la crinière soyeuse ; Hel­lo Kit­ty, qui reprend les codes de l’esthétique japon­aise du kawaï 2L’esthétique kawaï, mot qui peut se traduire par « mignon », est dev­enue par­tie inté­grante de l’identité des femmes japon­ais­es dans les années 1980, se dif­fu­sant ensuite en dehors de l’archipel via la pop cul­ture, les man­gas et les ani­mes., et surtout Dis­ney Princess. Gamme de pro­duits dérivés déployée en 1999, les princess­es issues de l’univers Dis­ney rem­por­tent un véri­ta­ble suc­cès mar­ket­ing, loin devant Bar­bie. Les jou­ets en lien avec la thé­ma­tique des princess­es – reprise par de nom­breuses autres mar­ques – sont qua­si sys­té­ma­tique­ment pro­posés avec un pack­ag­ing rose, quand ils ne sont pas eux-mêmes ros­es.

Si elle dis­tingue ce qui serait « pour les filles », la pinki­fi­ca­tion se déploie égale­ment dans une asymétrie filles/garçons qui suit l’association couleur-sexe tra­di­tion­nelle, « rose pour les filles » et « bleu pour les garçons ».

La mise en place d’une telle par­ti­tion au sein des rayons de jou­ets vaut néan­moins davan­tage pour les filles que pour les garçons : les jou­ets dits mas­culins ne sont pas si uni­for­mé­ment déclinés en bleu, ils peu­vent être aus­si rouges, noirs, gris, jaunes, verts, etc.

La couleur n’est toute­fois pas le seul mar­queur de dis­tinc­tion des jou­ets. Leur fonc­tion aus­si est dif­férente selon qu’ils con­viendraient pré­ten­du­ment aux filles ou aux garçons : des répliques de sèche-cheveux, des poupées et des dînettes pour les filles ; des voitures minia­tures, des robots et des jeux de con­struc­tion pour les garçons. En dis­tin­guant et opposant le monde dit « des garçons » et celui dit « des filles », la pinki­fi­ca­tion des jou­ets est donc une man­i­fes­ta­tion vis­i­ble et exagérée d’une polar­i­sa­tion de la société autour de la ques­tion du sexe et du genre, reposant sur des clichés sex­istes que les enfants repro­duisent 3Mona Zegaï, « La mise en scène de la dif­férence des sex­es dans les jou­ets et leurs espaces de com­mer­cial­i­sa­tion », Les Cahiers du genre, 2010.: aux filles et aux femmes la coquet­terie et la séduc­tion, les activ­ités tournées vers l’intérieur et la cohé­sion famil­iale (faire la cui­sine, le ménage, s’occuper des enfants), aux garçons et aux hommes celles qui visent à la con­struc­tion et à l’action tournées vers l’extérieur.


Vif pour Bar­bie ou décliné dans des teintes plus pas­tel chez les princess­es, le rose ren­voie à des mod­èles lim­ités de ce que peut être une femme : pas­sive, super­fi­cielle, coquette, séduc­trice et mater­nelle.


Incitées à vouloir du rose même si elles le détestent

Il ne faudrait toute­fois pas per­dre de vue que cette dis­tinc­tion chro­ma­tique est aus­si et surtout une stratégie com­mer­ciale qui, en créant arti­fi­cielle­ment un besoin de dif­féren­ci­a­tion, vise à ven­dre en dou­ble un même objet. L’objectif est que, dans une même famille, garçons et filles désirent chacun·e le jou­et qui est cen­sé leur cor­re­spon­dre, entraî­nant un dou­ble achat, tan­dis qu’un jou­et indif­féren­cié aurait pu être partagé par les enfants des deux sex­es. En out­re, les jou­ets sont sou­vent plus chers lorsqu’ils sont déclinés « pour les filles » : si aucune étude n’a été réal­isée sur ce sujet en France, Pépite sex­iste relaie régulière­ment sur ses réseaux soci­aux des écarts de prix sig­ni­fi­cat­ifs.

Vif et imper­ti­nent pour Bar­bie ou décliné dans des teintes plus pas­tel chez les princess­es, le rose ren­voie à des mod­èles lim­ités de ce que peut être une femme : pas­sive, super­fi­cielle, coquette, séduc­trice et mater­nelle. La pinki­fi­ca­tion des jou­ets par­ticipe ain­si à la con­struc­tion de l’identité gen­rée des filles sur le mode de l’injonction, en pro­posant un unique mod­èle de ce que doit être une femme, dans une ver­sion exagérée des stéréo­types de féminité.

Mais qu’on ne se méprenne pas : il n’y a pas de mal à ce que des filles veuil­lent jouer avec un jou­et rose, pas plus qu’il n’y a de prob­lème à aimer les princess­es ou les poupées. Le ras-le-bol du rose exprimé par les asso­ci­a­tions fémin­istes tient moins à la couleur et à sa sym­bol­ique qu’à son emploi presque sys­té­ma­tique. Un mono­chromatisme qui lim­ite les filles dans leurs choix. À cela il faut ajouter que, souhai­tant faire comme leurs copines à l’école, les filles sont égale­ment incitées par effet de groupe à vouloir des jou­ets et des vête­ments ros­es, y com­pris lorsqu’elles affir­ment détester cette couleur.

En 2014, une équipe de psy­cho­logues com­porte­men­taux états-uni­enne a en effet mis en avant que plus une fille se sent en accord avec son iden­tité de genre, plus elle a ten­dance à se con­former à des stéréo­types de genre (dont le goût pour le rose) pour « faire fille ». La pinki­fi­ca­tion con­di­tionne ain­si les filles dans leurs préférences et dans leur capac­ité à se définir en dehors des stéréo­types de genre : il s’agit soit de se con­former à la règle « Le rose, c’est pour les filles », soit de la braver et d’être alors exclue des normes de féminité.

Le rose omniprésent relève donc bien d’une con­trainte spé­ci­fique de genre, une entrave au libre développe­ment des filles. Car si les garçons sont, eux aus­si, exposés à des stéréo­types de mas­culin­ité, ceux-ci sont à la fois plus divers et perçus plus pos­i­tive­ment par la société : ils ren­voient à l’action (fig­urines de sol­dats ou de super-héros), à la créa­tion (jeux de con­struc­tion, répliques d’outils) et aux grands espaces (véhicules minia­tures, jeux de plein air), c’est-à-dire à la capac­ité d’agir sur le monde. En finir avec le « rose-pour-les-filles » et les stéréo­types asso­ciés devrait donc pass­er aus­si par une diver­si­fi­ca­tion chro­ma­tique des jou­ets « pour filles » et l’intégration de plus de rose dans ceux « pour garçons ». •

  • 1
    Chan­tal Jouan­no et Roland Courteau, « Jou­ets : la pre­mière ini­ti­a­tion à l’égalité », rap­port d’information du Sénat no 183, 2014.
  • 2
    L’esthétique kawaï, mot qui peut se traduire par « mignon », est dev­enue par­tie inté­grante de l’identité des femmes japon­ais­es dans les années 1980, se dif­fu­sant ensuite en dehors de l’archipel via la pop cul­ture, les man­gas et les ani­mes.
  • 3
    Mona Zegaï, « La mise en scène de la dif­férence des sex­es dans les jou­ets et leurs espaces de com­mer­cial­i­sa­tion », Les Cahiers du genre, 2010.
Kévin Bideaux

Artiste-chercheur en arts et en études de genre, il est l’auteur d’une thèse sur la couleur rose et sa symbolique de féminité, La Vie en rose. Petite histoire d’une couleur aux prises avec le genre, à paraître aux éditions Amsterdam en 2023. Voir tous ses articles

Jouer, quand les féministes bousculent les règles

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