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Paysanne, féministe, et fière de l’être

En 2008, Marie-Edith Macé a repris la ferme laitière famil­iale en Ille-et-Vilaine. Pour com­bat­tre le sex­isme quo­ti­di­en, elle s’ap­puie sur le col­lec­tif Les Elles de l’Adage, qui regroupe des paysannes en non-mix­ité.
Publié le 24/04/2024

Modifié le 16/01/2025

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°14 Dessin­er, paru en mai 2024. Con­sul­tez le som­maire.

Toute petite déjà, je dis­ais : « C’est moi que je trairai les vach­es quand j’srai grande ! » Et le 1er décem­bre 2008, à 7 heures, au rythme des pul­sa­teurs de la machine à traire, je deviens cheffe, et il n’y a pas d’homme dans ma ferme ! Pour­tant, étant don­né que j’avais choisi un méti­er d’homme, je pen­sais nor­mal de me coltin­er les hommes, nor­mal encore de faire mes preuves, et nor­mal tou­jours d’être la seule femme dans un univers mas­culin quand il s’agit de par­ler d’achat col­lec­tif de moisson­neuse-bat­teuse, tracteur, semoir…

J’avais en tête le bon vieux mod­èle paysan. Toute ma vie, j’avais vu ma grand-mère et ma mère tra­vailler à la ferme. La ques­tion d’un éventuel statut pour ces femmes n’avait pas encore ger­mé et, de généra­tion en généra­tion, les seules femmes qui deve­naient cheffes d’exploitation (je déteste ces deux mots !) étaient celles dont le mari était mort ou à la retraite. Les autres fai­saient car­rière sous le statut de « femme de ». Elles n’avaient aucun statut, pas de revenus, et donc on dis­ait d’elles qu’elles ne tra­vail­laient pas ! Aujourd’hui encore, même avec un statut, cette invis­i­bil­ité est prég­nante.

Févri­er 2009, pre­mière réu­nion de la Cuma, la coopéra­tive qui nous per­met d’acheter du matériel agri­cole à plusieurs. J’arrive 10 min­utes en retard, his­toire de ne pas avoir à cla­quer une bise, voire qua­tre, à tous les agris de la salle. Je prends ma res­pi­ra­tion et je ren­tre en me dis­ant que je n’ai pas le droit à l’erreur pour ne pas être cat­a­loguée comme incom­pé­tente. Déjà que j’avais osé m’installer sur les 60 hectares qui atti­raient toutes les con­voitis­es. Bah oui : « 60 hectares pour quoi faire ? », « Une femme, ça ne con­duit pas les tracteurs ! », « Elle ne va jamais y arriv­er… ».

Mais quand je me suis instal­lée, savoir con­duire un tracteur ou pas était le cadet de mes soucis. Et pour­tant, c’est le sujet le plus cli­vant. Si tu es un homme, tu dois savoir con­duire un tracteur… ça doit être inscrit dans le code géné­tique mas­culin ! Par con­tre si tu es une femme, tu es for­cé­ment une petite chose frag­ile et con­duire un gros machin comme ça, au mieux tu ne vas pas y arriv­er, au pire tu vas le cass­er !

Dans les fer­mes, les maîtres de stage sont pra­tique­ment tou­jours des hommes qui n’enseignent pas la con­duite du tracteur aux femmes. Les clichés sont bien ancrés et les filles sont reléguées à la traite et aux soins des veaux, tan­dis que les garçons ont accès à la con­duite et aux cul­tures. Les apports fon­da­men­taux devraient se faire en cen­tre de for­ma­tion, et qui plus est en non-mix­ité pour per­me­t­tre à cha­cune de dépass­er ses lim­ites sans crainte d’être jugée.

L’association des Elles réu­nit des paysannes, éleveuses de vach­es, de chèvres ou de mou­tons qui veu­lent s’initier ou appro­fondir dif­férentes tech­niques (pâturage, tra­vail du métal, tra­vail du bois, plomberie, élec­tric­ité…), mais aus­si pour faire col­lec­tif, se dire « com­ment ça va ? » sincère­ment, partager nos vécus et nous apercevoir que ce que l’on croy­ait être notre expéri­ence isolée est aus­si le vécu des copines, des sœurs !

Sans les Elles, je ne sais pas si je serais toujours paysanne

Ce groupe de femmes a vu le jour en 2017 à la demande du con­seil d’administration du Civam Adage 35* qui voulait pro­pos­er un lieu de partage aux paysannes, mais aus­si aux femmes de paysans (qui ne tra­vail­lent pas sur la ferme). J’étais la seule femme dans ce CA et j’étais farouche­ment opposée à la créa­tion de ce groupe, je ne com­pre­nais pas com­ment, en nous ren­con­trant seule­ment entre femmes, nous allions défendre notre cause.

J’ai changé d’avis depuis. Je n’imaginais pas la force d’un groupe en non-mix­ité, je n’avais pas con­science de la lib­erté de parole que cela per­met. Et alors, tout est revenu en boomerang. J’ai pris con­science de l’invisibilité des femmes, du sex­isme cri­ant et du sex­isme ordi­naire, autant de petits coups quo­ti­di­ens sous forme de blagounettes à 2 balles qui s’accumulent dans la besace, et ça finit par être lourd à porter :
« – Bon­jour, je voudrais par­ler à la per­son­ne qui s’occupe des cul­tures.
– C’est moi…
– Non, en fait je voudrais par­ler au respon­s­able… »
« Tu es paysanne ? Ah, tu tra­vailles avec ton mari ! »
« On est en chantier d’ensilage aujourd’hui… T’as qu’à faire le repas pour dix ! Et ce serait bien d’amener à boire aux gars quand ils arriveront au silo avec leur remorque ! »

Pour en revenir aux Elles, ce groupe est arrivé à un moment de ma vie pro­fes­sion­nelle où j’en avais le plus besoin. Je m’étais entre-temps asso­ciée avec deux hommes (un père et son fils) et cette asso­ci­a­tion bat­tait de l’aile. Ils avaient décidé, au bout de qua­tre ans, que la valeur de mon tra­vail n’était pas équiv­a­lente à la leur, qu’il fal­lait que je leur laisse ma ferme. Si Les Elles n’avaient pas été là, si je n’avais pas eu cet espace de lib­erté pour dire, pour pleur­er, pour racon­ter à d’autres paysannes et enten­dre que, non, ce n’était pas nor­mal, que je n’étais pas folle, je ne sais pas si je serais tou­jours paysanne aujourd’hui. Repar­tir de ces journées de ren­con­tres boost­ée à 5 000 volts, avec la force de déplac­er des mon­tagnes et dire : « NON ! C’est ma ferme et j’y reste. » Dire que je suis capa­ble et que je n’ai rien à prou­ver, juste faire, juste vivre, juste y croire.
Juste, juste, juste… pas si sim­ple que ça. Une chose dont je suis sûre, c’est que ma ferme est et restera à taille humaine. Mais il me fau­dra quand même retrou­ver quelqu’un pour tra­vailler avec moi.

1er août 2018, 7 heures, au rythme des pul­sa­teurs de la machine à traire, l’aventure recom­mence. Je suis de nou­veau cheffe toute seule sur ma ferme. Je respire. Je me sens légère. Même si la charge de boulot est impor­tante, une soupape s’est ouverte et je sens la pres­sion dimin­uer. Libérée de cette impres­sion que tous mes faits et gestes sont sur­veil­lés. Libérée de devoir ren­dre des comptes, plus besoin de me jus­ti­fi­er.
Et me dire que finale­ment, être paysanne, c’est riche. Riche de la mul­ti­plic­ité des activ­ités, de prise de déci­sions, de respon­s­abil­ité.
Et aus­si riche de galères, de ques­tions, de doutes. Et même si pas si riche que ça dans le porte-mon­naie, je suis heureuse et fière d’être là ! •

Cette chronique rédigée par Marie-Edith Macé est la pre­mière d’une série de qua­tre écrites par le col­lec­tif de paysannes en non-mix­ité Les Elles de l’Adage.


*Les Civam (Cen­tres d’initiatives pour val­oris­er l’agriculture et le milieu rur­al) sont des groupe­ments agri­coles et ruraux qui tra­vail­lent de manière col­lec­tive à la tran­si­tion agro-écologique. L’Adage 35 est une asso­ci­a­tion d’éleveurs et éleveuses qui échangent dans une per­spec­tive d’éducation pop­u­laire autour des sys­tèmes de pâturage en Ille-et-Vilaine.

Marie-Edith Macé

Ancienne comptable, elle a repris en 2008 la ferme familiale à Melesse (Ille-et-Vilaine) et élève depuis des vaches laitières. En 2017, elle a créé le groupe Les Elles, qui réunit des paysannes en non-mixité. Voir tous ses articles

Dessiner : esquisses d’une émancipation

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°14 Dessin­er, paru en mai 2024. Con­sul­tez le som­maire.


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