« On ne peut plus rien dire »

par

Publié le 07/02/2022

Modifié le 16/01/2025

Laurie Quétel

Le recours à cette expres­sion s’est multiplié dans l’espace public et média­tique après #MeToo. Remontant aux années 2000, relayée par l’humoriste Didier Bourdon et l’ancien président Nicolas Sarkozy, elle s’inscrit dans la filiation d’un discours réac­tion­naire qui fustige le poli­ti­que­ment correct sous couvert de défendre la liberté d’expression.

« On peut plus rien dire »: c’est la phrase de tonton Gégé qui clôt la dis­cus­sion au repas des fêtes de fin d’année. C’est aussi le mar­ron­nier média­tique des chaînes d’information en continu. C’est également le fonds de commerce des essais et inter­ven­tions dans les médias d’éditorialistes – Alain Finkielkraut, Eugénie Bastié, Éric Zemmour, Caroline Fourest, ou encore le socio­logue québécois Mathieu Bock-Côté… – qui ont en commun d’avoir publié des ouvrages plus ou moins liés aux dangers du poli­ti­que­ment correct. Évoquez l’introduction du pronom iel dans le dic­tion­naire, les collages contre les fémi­ni­cides ou encore l’organisation de réunions en non-mixité pour les mili­tantes racisées… et la dis­cus­sion se terminera inva­ria­ble­ment de la même manière : « Non mais de toute façon, aujourd’hui on ne peut plus rien dire ! »
La cir­cu­la­tion de cette phrase a connu un regain dans la période post-#MeToo. Entre 2017 et 2021, le nombre d’articles de presse publiés en France com­por­tant l’expression « on ne peut plus rien dire » a été multiplié par cinq. Peu après qu’ont été initiés plusieurs mou­ve­ments de libé­ra­tion de la parole dans l’espace public, les médias tra­di­tion­nels se sont fait l’écho d’une crainte néo­réac­tion­naire de res­tric­tion de la liberté d’expression. À la télé, dans les journaux, à table, parler des droits des minorités revenait rapi­de­ment à débattre de si, oui ou non, « on » pouvait toujours faire autant de blagues sur les Arabes et impor­tu­ner une femme dans la rue.

QUI EST CE « ON » ?
Depuis le début des années 2000, dans les médias français, le « on » du « on ne peut plus rien dire » a été incarné par trois figures : l’humoriste, l’homme politique et l’éditorialiste réac­tion­naire. En 2005, Didier Bourdon, comédien du groupe Les Inconnus, sort un single intitulé On peuplu rien dire, dans lequel il ironise, entre autres choses, sur le fait de ne plus pouvoir dire « pédé » ou « tafiole » pour désigner un « homo ». […]