Dessinatrice, musicienne et réalisatrice, Loup Blaster est également conseillère municipale d’opposition à Calais et combat, depuis 2021, la politique mise en place par la maire Natacha Bouchart (Les Républicains). Dans sa circonscription, le candidat du RN, Marc de Fleurian, a été élu député avec 53,7 % des voix.
« Je suis née en 1992, j’ai grandi à Calais dans un environnement artistique et engagé. Mon père est luthier, ma mère psychologue. Ils militaient chez Les Verts et nous emmenaient souvent en réunion. À la maison, il y avait toujours Libération sur la table. C’était facile de parler politique.
Ma mère a beaucoup ramé : c’est elle qui gagnait l’argent du foyer et portait l’organisation de la maison. Mon père, lui, est une encyclopédie vivante. Il connaît tout sur tout et a tendance à donner des leçons. Moi, j’ai voulu être dans l’expérience, pas dans la théorie.
Mes souvenirs d’enfant à Calais, c’est une vie artistique très riche, du spectacle vivant partout. Avec mes trois sœurs, on faisait de la musique, du solfège, du cirque… Après le collège, je suis partie à Roubaix, près de Lille, pour suivre une filière arts appliqués, puis j’ai fait trois ans d’études en cinéma d’animation. J’ai ensuite vécu à Londres pendant un an. À chaque fois que je revenais par le ferry, je voyais de nouveaux murs et de nouvelles barrières construites pour empêcher les personnes exilées de traverser la Manche. Et à chaque fois, de plus en plus de policier·es.
Je suis rentrée définitivement en 2016, au moment où 10 000 personnes vivaient dans la « grande jungle ». J’avais beaucoup à faire à Calais. C’est en me faisant des copains exilés dans les campements que j’ai réalisé le gouffre entre le récit médiatique sur la crise migratoire et la réalité. La préfecture démantelait des camps en prétendant que les gens avaient la gale, mais c’était faux. Il y a eu des incendies et les autorités ont accusé les migrant⸱es en disant que c’était « une pratique rituelle » d’incendier leur village ! J’ai commencé à dessiner pour rendre visible cette réalité. Si on ne fait pas de bruit, les choses n’existent pas. Il y a une chape de plomb sur cette ville qui nous empêche d’exprimer notre antiracisme. Moi, je résiste à l’extrême droite par l’expression artistique, sans argent, ni subvention.
Porter la voix des exilé·es
En 2017, j’ai été candidate suppléante aux législatives sur une liste écolo [Europe Écologie Les Verts] mais on a perdu. En 2020, la liste citoyenne sur laquelle j’étais inscrite a remporté six sièges au conseil municipal. J’étais 7e, et c’est à la suite d’un désistement l’année suivante que j’ai commencé à siéger face à la majorité de Natacha Bouchart. Depuis trois ans, j’essaye de porter la voix des exilé⸱es et des associations qui les aident. La politique ne ressemble pas assez aux gens : on devrait avoir des élu⸱es chômeurs et chômeuses, réfugié⸱es, jeunes femmes…
Dans cette enceinte municipale, mon corps de femme dérange. Il y a quelques mois, avec un copain, on a fait une séance photo improvisée dans la salle d’apparat de la mairie de Calais. J’ai posé en minijupe, les pieds sur la table, et posté les photos sur Instagram. Mon but, c’était de me moquer du pouvoir, du patriarcat, du père qui rentre du boulot, met les pieds sous la table et attend que « Bobonne » lui apporte à manger. Mes opposant·es ont trouvé que ces photos étaient « indignes d’une élue ».
Il va falloir être visible partout dans l’espace public : coller des affiches, organiser des évènements.
L’art est important pour réaffirmer nos valeurs, notre solidarité, nos identités queers face à l’extrême droite qui gagne du terrain. Dimanche dernier, c’est le candidat du Rassemblement national, Marc de Fleurian, qui a remporté les législatives dans notre circonscription. La gauche est arrivée troisième au premier tour et s’est désistée. Nos idées ont perdu : la pente à remonter est énorme. Tout le nord de la France est tombé aux mains de l’extrême droite. Partout, la situation migratoire à Calais est utilisée afin de justifier les politiques racistes. Maintenant, il va nous falloir proposer un projet de gauche suffisamment puissant pour reprendre du terrain et faire reculer les idées xénophobes. Il va nous falloir être visibles partout dans l’espace public, coller des affiches, organiser des évènements. Il faut aussi recréer de la convivialité autour de la nourriture, de l’art, faire de l’éducation populaire finalement.
Je me suis souvent considérée comme un électron libre et souvent questionnée sur mon utilité. Mais depuis cette campagne dans laquelle se sont agrégé⸱es plein de citoyen⸱nes et de militant⸱es, je veux continuer à lutter en collectif. On est tous et toutes complémentaires. Moi, par exemple, je ne me considère pas comme une experte, j’ai plutôt une expérience de terrain. Mais je veux bien porter la parole de celles et ceux qui ne veulent pas s’exposer.
Un de mes rêves, ce serait qu’avec d’autres militant⸱es, on prenne la mairie de Calais dans deux ans. On ne peut pas laisser notre ville dans les tréfonds du racisme. On est une cité ouvrière, avec du savoir-faire manuel, mais on a perdu notre identité. Le RN nous fait croire que c’est à cause des exilé⸱es que la ville s’est effondrée, alors que c’est à cause du capitalisme, qui provoque la fermeture des usines. Si les gens comprennent ça, ça va leur donner de la puissance. Je ne sais pas si on gagnera, mais on va essayer. »
Propos recueillis par téléphone le 8 juillet 2024, par Marion Pillas.
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