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« Mon crime ne me définit pas »

Libre depuis un an après avoir passé dix années en prison, Mar­i­on M. racon­te les difficultés qu’elle a rencontrées pour retrou­ver son statut de femme indépendante. Son témoignage est le troisième d’une série de qua­tre chroniques écrites par d’anciennes détenues de la prison des femmes de Rennes.

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Publié le 30/07/2021

Modifié le 16/01/2025

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°3 Se bat­tre (parue en sep­tem­bre 2021)

J’ai 46 ans aujour­d’hui. Après une décen­nie passée der­rière les bar­reaux et 14 mois de bracelet électronique, me voilà libre de ma « dette », de mes mou­ve­ments et de mon avenir.

Enfin ! Mais cette lib­erté si fantasmée et si longue à obtenir ne résout pas tout. Mon par­cours est celui d’une enfant qui n’a manqué absol­u­ment de rien sur le plan matériel, mais qui a gran­di dans une ver­tig­ineuse absence d’af­fec­tion et de sécu­rité. Deux par­ents qui, de mon plus loin­tain sou­venir, ne se sont voué qu’une haine féroce et sans fil­tre. Un père aux gestes déplacés à mon égard. Plus tard, un mari ivre tous les soirs, peu avare en gifles et en humil­i­a­tions. Des années de traite­ment con­tre l’infertilité. Tout cela sur fond de 23 démé­nage­ments en 30 ans, aux qua­tre coins de la France – au gré des muta­tions pro­fes­sion­nelles de mes par­ents puis de celles de mon ex-mari – qui empêcheront toute con­struc­tion de liens et con­tribueront à ren­dre les bases de ma per­son­nal­ité un peu plus mou­vantes.

Cela n’est pas gai, certes, mais telle­ment quel­conque dans l’univers car­céral, où cohab­itent des vies cabossées et des âmes meur­tries. Le point com­mun entre nous toutes : une exis­tence qui mène droit dans le mur. Ce mur arrive plus ou moins tard et sous dif­férentes formes, en fonc­tion des crimes ou des dél­its com­mis. Tou­jours est-il qu’en ce qui  me con­cerne, à force de ranger soigneuse­ment mes blessures dans des petits tiroirs pour, tout à la fois, les sup­port­er et les occul­ter, la com­mode a fini par céder. Bru­tale­ment.

Littéralement radiée de la société

Dans un état dépres­sif sévère et avec un dis­cerne­ment altéré, j’ai voulu mourir, mais en emmenant avec moi mes deux têtes blondes de 8 et 4 ans. Bien plus tard, je me suis réveil­lée à l’hôpital. Seule. Eux n’ont pas survécu. À mon réveil, je fus accueil­lie par un polici­er, plan­té devant moi : « À compter de cette heure, madame, vous êtes en garde à vue. » 48 heures plus tard, je me suis retrou­vée alors, pour la pre­mière fois, face à un juge des lib­ertés et de la déten­tion. Sur le plan légal, c’est à ce moment pré­cis que les acteur·ices de la mag­i­s­tra­ture se procla­ment représentant·es et défenseur·esses de la « société ». Elles et ils œuvrent alors pour déter­min­er ce que vous méritez, et c’est bien nor­mal, mais aus­si ce que vous êtes. Cela est plus déli­cat et hasardeux, car elles et ils ne vous jugent qu’au prisme de votre acte. Plus tard, à la suite de l’enquête menée par les expert·es psy­chi­a­triques, au moment du procès, c’est votre per­son­ne, l’être humain que vous êtes, votre his­toire, votre per­son­nal­ité et même votre apparence qui sont décor­tiquées et jugées avec pour prin­ci­paux out­ils, tel que je le ressens alors, l’orgueil et le mépris. 

Ma cul­pa­bil­ité est abyssale, j’ai créé un raz de marée chez toutes celles et ceux qui ont con­nu mes deux enfants. C’est un fait, mon acte est ter­ri­ble et incom­préhen­si­ble, mais il ne me définit pas. Du pre­mier au dernier jour de déten­tion, j’ai été lit­térale­ment radiée de la société, physique­ment, sociale­ment, civique­ment. Je n’étais plus une femme, ni une mère, ni une soeur, ni une fille, ni une col­lègue. Seule­ment une détenue et une affaire judi­ci­aire.

Retrouver ma place

Tout est chiffre ou devient chiffre : numéro d’écrou, numéro de cel­lule, nom­bre d’années de peine à effectuer, tra­vail rémunéré à la pièce, achats du quo­ti­di­en (lim­ités, y com­pris pour l’hygiène !), arti­cles et alinéas du Code de procé­dure pénale pour essay­er de com­pren­dre ce qui vous arrive, jusqu’au cal­en­dri­er accroché à la porte de la cel­lule. Le temps s’écoule dans cette salle d’attente de la vie et j’attends patiem­ment de retrou­ver ma « place ». Par chance, j’ai fait une belle ren­con­tre, je me suis mar­iée à Fresnes en 2013 avec un homme que j’avais con­nu bien avant mon incar­céra­tion et j’ai eu une petite fille à la prison de Rennes en 2015. Alors cette sor­tie, je la rêve. Févri­er 2020, la grande porte s’ouvre enfin. La chaleur d’un foy­er, l’amour des miens, ça y est, j’y suis ! Le bracelet élec­tron­ique et le con­fine­ment n’ont aucun impact sur mon bon­heur, tout est doux et léger. 

Cette place dans la société, j’ai toute­fois un mal fou à la retrou­ver. De mon côté, je me sens alors prête et con­fi­ante. Je suis libérée, mais avec pour seul doc­u­ment offi­ciel en poche mon « bil­let de sor­tie » et son en-tête du min­istère de la Jus­tice. Si, dans un pre­mier temps, je pense que ce sera mon sésame pour repren­dre ma vie en main, je con­state que ce bout de papi­er me ren­voie sans arrêt à mon ancien statut. Il me stig­ma­tise. Il fait office de pièce d’identité et presque de CV. Partout je dois le présen­ter pour jus­ti­fi­er le fait d’arriver sans dossier et sans pas­sif : à la banque, auprès de la Sécu­rité sociale, dans les cab­i­nets médi­caux, etc. 

À plusieurs repris­es, on me demande de fournir un cer­ti­fi­cat d’hébergement rédigé par mon mari. Aux yeux de l’administration péni­ten­ti­aire, je ne suis donc pas son épouse mais une per­son­ne qu’il héberge, comme quelqu’un de pas­sage ou un banal site Inter­net ! Même chez moi… je ne suis pas vrai­ment chez moi. Ma fierté est blessée. La con­seil­lère d’insertion chargée du suivi de la péri­ode sous bracelet me ser­monne fer­me­ment : il n’est pas ques­tion que j’utilise mon nom d’épouse puisque le min­istère de la Jus­tice m’identifie sous mon nom de jeune fille. L’infantilisation n’a plus de lim­ite, on choisit mon iden­tité à ma place. Moi qui pen­sais être libre après avoir franchi la porte de sor­tie… 

Il y a eu aus­si cette autre con­seil­lère qui après m’avoir annon­cé que je n’aurai aucune allo­ca­tion chô­mage après dix ans et demi d’activité en déten­tion (le droit du tra­vail ne s’applique pas aux détenu·es) se croit ras­sur­ante en me dis­ant avec un grand sourire : « Mais ce n’est pas grave, vous avez un mari ! » Le jour de mon procès, j’ai été jugée par un pro­cureur représen­tant la « société ». Durant toute ma déten­tion, j’ai imag­iné que la sor­tie serait mon eldo­ra­do, qu’elle sign­erait mon retour dans cette « société ». Une fois dehors, j’ai eu le sen­ti­ment que les insti­tu­tions, les règles et les normes qui régis­sent notre société me fer­maient de nou­veau la porte, qu’elles m’enfermaient encore. Je n’ai pas bais­sé les bras, j’ai lut­té pour rede­venir une femme indépen­dante et libre. Aujourd’hui, j’exerce un méti­er à tra­vers lequel j’aide les autres à trou­ver leur place dans le monde du tra­vail.

Se battre : nos corps dans la lutte

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°3 Se bat­tre (parue en sep­tem­bre 2021)


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