Maternité des Lilas : retour sur une fermeture annoncée

Vendredi 31 octobre, la maternité des Lilas (Seine-Saint-Denis) a défi­ni­ti­ve­ment fermé ses portes. Historiquement engagé aux côtés des femmes et des minorités de genre, l’établissement a fait les frais de quinze ans de gestion chaotique et d’atermoiements politiques.

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Publié le 07/11/2025

En septembre 2013, soignant·es, usager·es et militantes féministes, manifestaient après l’abandon du projet de reconstruction de la la maternité des Lilas. Crédit photo : Laurent Hazgui/Divergence
En septembre 2013, soignant·es, usager·es et mili­tantes fémi­nistes, mani­fes­taient après l’abandon du projet de recons­truc­tion de la la maternité des Lilas. Crédit photo : Laurent Hazgui/Divergence

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En cette soirée d’Halloween, les « sorcières », comme aiment à se faire appeler les soi­gnantes de la maternité des Lilas, près de Paris, n’avaient pas le cœur à la fête. 

Après avoir laissé sortir, au milieu d’une haie d’honneur, leur dernière patiente, elles ont vu les portes de l’établissement se fermer défi­ni­ti­ve­ment derrière elles. Comme annoncé en juillet 2025, l’agence régionale de santé (ARS) Île-de-France ne financera plus cette maternité. Elle invoque trois raisons : une prise en charge insuf­fi­sam­ment sécurisée pour les patientes (qui a valu à la maternité le retrait de sa cer­ti­fi­ca­tion en janvier 2025 par la Haute Autorité de santé), une fré­quen­ta­tion en chute libre (1 200 nais­sances en 2020 contre 700 en 2024) et la menace d’une cessation de paiements. Trois dif­fi­cul­tés dont l’ARS est pourtant en partie responsable.

Inaugurée en 1964, la maternité des Lilas pra­ti­quait des avor­te­ments avant même leur dépé­na­li­sa­tion et n’a jamais cessé d’offrir aux personnes enceintes le choix d’un accou­che­ment pas ou peu médi­ca­li­sé, laissant toute sa place au conjoint·e. Bien plus tard, à partir de 2019, elle a également été pionnière en France dans le suivi des gros­sesses d’hommes trans. Ce projet d’accompagnement, au plus près des besoins indi­vi­duels, requiert des équipes étoffées, spé­ci­fi­que­ment formées et donc des moyens finan­ciers que la Sécurité sociale ne prend pas en charge. L’établissement ayant fait le choix de ne pas réper­cu­ter les coûts sur les usager·es, c’est l’État qui, jusqu’ici, absorbait son déficit. « C’est vraiment parce qu’elle portait un projet politique à part entière et grâce aux mobi­li­sa­tions [des salariées, des fémi­nistes et des syndicats] qu’elle a tenu jusqu’à aujourd’hui, analyse la socio­logue Elsa Boulet. Depuis le milieu des années 1990, les plans de péri­na­ta­li­té incitent à concen­trer les accou­che­ments dans des struc­tures disposant de davantage de matériel technique et de personnel – notamment des médecins anes­thé­sistes – dis­po­nible en per­ma­nence. » (Lire notre encadré en bas de page.)

Une promesse trahie

Dans les années 2000, comme d’autres mater­ni­tés, celle des Lilas est sommée de s’adapter pour assurer sa pérennité. En 2008, un projet de recons­truc­tion et d’agrandissement visant à la rendre rentable, est adopté par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot : le terrain est choisi et les plans validés. Mais, coup de théâtre : en 2011, Claude Évin, alors président de l’ARS, prenant pour prétexte un conflit en cours entre un anes­thé­siste et des sages-femmes de l’établissement, suspend brus­que­ment le projet. Malgré une mobi­li­sa­tion des salarié·es et des usager·es, soutenue par de nom­breuses per­son­na­li­tés du monde du spectacle (Catherine Ringer, Arthur H, Karin Viard), le projet de recons­truc­tion est défi­ni­ti­ve­ment enterré en 2013, en dépit de la promesse de soutien faite par le candidat François Hollande pendant la campagne présidentielle.


« On a laissé pourrir le fruit afin qu’il tombe tout seul »

Marie-Laure Brival, ancienne direc­trice de la maternité des Lilas

La notoriété de la maternité des Lilas dissuade toutefois les autorités de santé de la fermer. Durant treize ans, l’agence régionale de santé continue d’éponger son déficit, estimé entre 3 et 5 millions d’euros selon les années. « On a laissé pourrir le fruit afin qu’il tombe tout seul », analyse son ancienne direc­trice, Marie-Laure Brival.

Gestion chaotique

Mais le déclin est amorcé. Plusieurs projets de fusion avec d’autres éta­blis­se­ments hos­pi­ta­liers sont imaginés, sans aboutir. Les soi­gnantes craignent une dégra­da­tion de leurs condi­tions de travail avec, pour corol­laire, une déna­tu­ra­tion de leur métier. En 2017, alors qu’un projet d’adossement à une clinique voisine est fina­le­ment sur le point de se concré­ti­ser, l’homme d’affaires Louis Fabiano arrive à la tête de l’association ges­tion­naire. Le projet a déjà englouti 1 million d’euros sur le budget de la maternité, mais le nouveau président n’honore pas les rendez-vous proposés par l’ARS et laisse le plan s’enliser. Il est, en revanche, nettement plus diligent à servir ses propres intérêts. En 2022, il touche une com­mis­sion de 160 000 euros sur la vente des murs de la maternité à de nouveaux pro­prié­taires. La même année, le syndicat Sud dépose une plainte contre X pour prise illégale d’intérêt et abus de confiance.

La gou­ver­nance chaotique de la maternité laisse, par ailleurs, s’instaurer un climat de violences au sein de l’équipe de salarié·es. En 2020, un dernier mouvement social unit les soi­gnantes contre un médecin, devenu tout-puissant au sein de l’établissement, accusé de har­cè­le­ment moral et d’agressions sexuelles. Vingt-trois salariées portent plainte devant le Conseil de l’ordre des médecins, et sept au pénal, mais l’homme est relaxé par deux fois. Informée de ces problèmes, l’ARS Île-de-France regarde ailleurs, arguant qu’il s’agit d’un éta­blis­se­ment privé.

Après quinze ans d’agonie liée à l’abandon des pouvoirs publics mais aussi au désen­ga­ge­ment des réseaux fémi­nistes et syndicaux, la fermeture de la maternité des Lilas est à la fois une déli­vrance et un déchi­re­ment pour ses soi­gnantes et ses usager·es. Les 80 salarié·es vont être licencié·es et les patient·es seront réparti·es au sein des hôpitaux des environs, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) ou à Paris, où la prise en charge des accou­che­ments est davantage médicalisée.

Au-delà de la dis­pa­ri­tion d’un accueil depuis toujours axé sur le droit des personnes à disposer de leur corps, la fermeture de la maternité des Lilas marque une défaite sym­bo­lique pour le féminisme, à l’heure où l’extrême droite, aux portes de l’exécutif, entend priver les femmes et les personnes trans de leurs droits à l’avortement et à une paren­ta­li­té choisie.

La disparition des petites maternités

Quarante pour cent des mater­ni­tés fran­çaises ont fermé depuis l’an 2000. Il s’agit prin­ci­pa­le­ment d’établissements de niveau 1, qui n’étaient pas équipés de plateaux tech­niques pour prendre en charge les usager·es en cas de com­pli­ca­tions. Au nom de leur sécurité, les autorités de santé ont donc encouragé le regrou­pe­ment des sages-femmes et des médecins dans des unités médi­ca­li­sées, consi­dé­rées comme les seules rentables depuis l’instauration de la tari­fi­ca­tion à l’acte en 2012. La fuite des soignant·es et des parturient·es vers ces mater­ni­tés réputées plus sûres a fini de vider les petits éta­blis­se­ments, entraî­nant la fermeture de tous ceux passant sous la barre des 300 nais­sances par an, seuil fatidique en dessous duquel les agences de santé ne garan­tissent plus la sécurité des accou­che­ments. En mai 2025, en réponse à la hausse jugée « alarmante » de la mortalité infantile, en partie dûe à l’éloignement géo­gra­phique croissant des struc­tures de soins, l’Assemblée nationale votait un moratoire de trois ans sur la fermeture des petites mater­ni­tés. Le texte, qui fait débat chez les expert·es en santé publique comme chez les élu·es, attend d’être validé par le Sénat.

Soigner dans un monde qui va mal

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