En cette soirée d’Halloween, les « sorcières », comme aiment à se faire appeler les soignantes de la maternité des Lilas, près de Paris, n’avaient pas le cœur à la fête.
Inaugurée en 1964, la maternité des Lilas pratiquait des avortements avant même leur dépénalisation et n’a jamais cessé d’offrir aux personnes enceintes le choix d’un accouchement pas ou peu médicalisé, laissant toute sa place au conjoint·e. Bien plus tard, à partir de 2019, elle a également été pionnière en France dans le suivi des grossesses d’hommes trans. Ce projet d’accompagnement, au plus près des besoins individuels, requiert des équipes étoffées, spécifiquement formées et donc des moyens financiers que la Sécurité sociale ne prend pas en charge. L’établissement ayant fait le choix de ne pas répercuter les coûts sur les usager·es, c’est l’État qui, jusqu’ici, absorbait son déficit. « C’est vraiment parce qu’elle portait un projet politique à part entière et grâce aux mobilisations [des salariées, des féministes et des syndicats] qu’elle a tenu jusqu’à aujourd’hui, analyse la sociologue Elsa Boulet. Depuis le milieu des années 1990, les plans de périnatalité incitent à concentrer les accouchements dans des structures disposant de davantage de matériel technique et de personnel – notamment des médecins anesthésistes – disponible en permanence. » (Lire notre encadré en bas de page.)
Une promesse trahie
Dans les années 2000, comme d’autres maternités, celle des Lilas est sommée de s’adapter pour assurer sa pérennité. En 2008, un projet de reconstruction et d’agrandissement visant à la rendre rentable, est adopté par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot : le terrain est choisi et les plans validés. Mais, coup de théâtre : en 2011, Claude Évin, alors président de l’ARS, prenant pour prétexte un conflit en cours entre un anesthésiste et des sages-femmes de l’établissement, suspend brusquement le projet. Malgré une mobilisation des salarié·es et des usager·es, soutenue par de nombreuses personnalités du monde du spectacle (Catherine Ringer, Arthur H, Karin Viard), le projet de reconstruction est définitivement enterré en 2013, en dépit de la promesse de soutien faite par le candidat François Hollande pendant la campagne présidentielle.
« On a laissé pourrir le fruit afin qu’il tombe tout seul »
Marie-Laure Brival, ancienne directrice de la maternité des Lilas
La notoriété de la maternité des Lilas dissuade toutefois les autorités de santé de la fermer. Durant treize ans, l’agence régionale de santé continue d’éponger son déficit, estimé entre 3 et 5 millions d’euros selon les années. « On a laissé pourrir le fruit afin qu’il tombe tout seul », analyse son ancienne directrice, Marie-Laure Brival.
Gestion chaotique
Mais le déclin est amorcé. Plusieurs projets de fusion avec d’autres établissements hospitaliers sont imaginés, sans aboutir. Les soignantes craignent une dégradation de leurs conditions de travail avec, pour corollaire, une dénaturation de leur métier. En 2017, alors qu’un projet d’adossement à une clinique voisine est finalement sur le point de se concrétiser, l’homme d’affaires Louis Fabiano arrive à la tête de l’association gestionnaire. Le projet a déjà englouti 1 million d’euros sur le budget de la maternité, mais le nouveau président n’honore pas les rendez-vous proposés par l’ARS et laisse le plan s’enliser. Il est, en revanche, nettement plus diligent à servir ses propres intérêts. En 2022, il touche une commission de 160 000 euros sur la vente des murs de la maternité à de nouveaux propriétaires. La même année, le syndicat Sud dépose une plainte contre X pour prise illégale d’intérêt et abus de confiance.
La gouvernance chaotique de la maternité laisse, par ailleurs, s’instaurer un climat de violences au sein de l’équipe de salarié·es. En 2020, un dernier mouvement social unit les soignantes contre un médecin, devenu tout-puissant au sein de l’établissement, accusé de harcèlement moral et d’agressions sexuelles. Vingt-trois salariées portent plainte devant le Conseil de l’ordre des médecins, et sept au pénal, mais l’homme est relaxé par deux fois. Informée de ces problèmes, l’ARS Île-de-France regarde ailleurs, arguant qu’il s’agit d’un établissement privé.
Après quinze ans d’agonie liée à l’abandon des pouvoirs publics mais aussi au désengagement des réseaux féministes et syndicaux, la fermeture de la maternité des Lilas est à la fois une délivrance et un déchirement pour ses soignantes et ses usager·es. Les 80 salarié·es vont être licencié·es et les patient·es seront réparti·es au sein des hôpitaux des environs, à Montreuil (Seine-Saint-Denis) ou à Paris, où la prise en charge des accouchements est davantage médicalisée.
Au-delà de la disparition d’un accueil depuis toujours axé sur le droit des personnes à disposer de leur corps, la fermeture de la maternité des Lilas marque une défaite symbolique pour le féminisme, à l’heure où l’extrême droite, aux portes de l’exécutif, entend priver les femmes et les personnes trans de leurs droits à l’avortement et à une parentalité choisie.
La disparition des petites maternités
Quarante pour cent des maternités françaises ont fermé depuis l’an 2000. Il s’agit principalement d’établissements de niveau 1, qui n’étaient pas équipés de plateaux techniques pour prendre en charge les usager·es en cas de complications. Au nom de leur sécurité, les autorités de santé ont donc encouragé le regroupement des sages-femmes et des médecins dans des unités médicalisées, considérées comme les seules rentables depuis l’instauration de la tarification à l’acte en 2012. La fuite des soignant·es et des parturient·es vers ces maternités réputées plus sûres a fini de vider les petits établissements, entraînant la fermeture de tous ceux passant sous la barre des 300 naissances par an, seuil fatidique en dessous duquel les agences de santé ne garantissent plus la sécurité des accouchements. En mai 2025, en réponse à la hausse jugée « alarmante » de la mortalité infantile, en partie dûe à l’éloignement géographique croissant des structures de soins, l’Assemblée nationale votait un moratoire de trois ans sur la fermeture des petites maternités. Le texte, qui fait débat chez les expert·es en santé publique comme chez les élu·es, attend d’être validé par le Sénat.



