Warning: Undefined variable $article in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/divi-child/functions.php on line 400

Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

Masculinisme et biologie : le grand détournement

Beau­coup d’in­flu­enceurs antifémin­istes et con­ser­va­teurs dif­fusent sur les réseaux soci­aux des opin­ions racistes ou sex­istes en s’ap­puyant sur de pré­ten­dues théories sci­en­tifiques. Une enquête de Pauline Fer­rari.
Publié le 26/07/2024

Modifié le 14/02/2025

Lucile Gautier pour La Déferlante
Illus­tra­tion de Lucile Gau­ti­er pour La Défer­lante

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°15 Résis­ter, parue en août 2024. Con­sul­tez le som­maire.

« Un vrai homme doit pren­dre soin de son corps, parce que tout passe par le corps, tout est une ques­tion d’hormones », indique Kil­lian Sen­sei, cas­quette vis­sée sur la tête et mus­cles sail­lants, à ses 189 000 abonné·es sur YouTube.

Par­mi les vidéos les plus pop­u­laires sur la chaîne de celui qui se décrit comme « moti­va­teur mas­culin », nom­breuses sont celles qui pro­posent des solu­tions pour boost­er son taux de testostérone. Si elle est sécrétée en grande quan­tité, la testostérone per­met selon lui de ren­forcer les mus­cles, d’augmenter la libido, voire de favoris­er les com­porte­ments agres­sifs – approu­vés par les mas­culin­istes. De nom­breux influ­enceurs van­tent ce genre de sup­posées ver­tus mir­a­cles ; cer­tains affir­ment même arrêter d’éjaculer et, donc, de se mas­turber – la réten­tion sémi­nale ayant pré­ten­du­ment un effet sur leur testostérone.

Comme l’explique l’anthropologue Mélanie Gourari­er, spé­cial­iste des ques­tions de genre et autrice de Alpha Mâle. Séduire les femmes pour s’apprécier entre hommes (Seuil, 2017), les mas­culin­istes ten­tent de prou­ver que les hor­mones dif­féren­cient les hommes et les femmes : « Cela s’inscrit dans une généalo­gie de la recherche de ce qui fait le genre, sur lequel vient s’adosser la pen­sée dif­féren­tial­iste. Ils vont faire des analy­ses de sang, se mesur­er, etc. Ils cherchent dans l’observation et l’analyse de leur pro­pre corps à éprou­ver une cer­taine vérité sur ce qui con­stitue la mas­culin­ité. » Pour­tant, la testostérone est présente aus­si chez les femmes, et son action est beau­coup plus com­plexe que ce que les mas­culin­istes pré­ten­dent, comme le pré­cisent les sci­en­tifiques.

Ain­si la neu­ro­bi­ol­o­giste Cather­ine Vidal insiste-t-elle sur la plas­tic­ité du cerveau et la capac­ité de l’organisme à s’adapter à des influ­ences extérieures, pointant le rôle des con­struc­tions sociales et du milieu cul­turel pour expli­quer les com­porte­ments, davan­tage que des taux hor­monaux. Sur une vidéo, l’influenceuse iden­ti­taire et antifémin­iste Thaïs d’Escufon affirme de son côté que « plus une femme a mul­ti­plié les expéri­ences, moins elle pro­duit d’ocytocine », hor­mone qui ren­forcerait la fidél­ité dans un cou­ple. Son argu­men­taire a été réfuté sur France Info par des spé­cial­istes, qui dénon­cent une approche faite d’amalgames et d’idées pré­conçues ne cor­re­spon­dant pas à la réal­ité sci­en­tifique. Sa vidéo a néan­moins récolté plus de 26 000 likes sur Tik­Tok.

Captures d’écran de la chaîne YouTube de Killian Sensei, 189 000 abonné·es. Ses vidéos les plus populaires proposent des solutions pour booster son taux de testostérone. Les masculinistes tentent de prouver que les hormones différencient les hommes et les femmes, explique l’anthropologue Mélanie Gourarier.

Cap­tures d’écran de la chaîne YouTube de Kil­lian Sen­sei, 189 000 abonné·es. Ses vidéos les plus pop­u­laires pro­posent des solu­tions pour boost­er son taux de testostérone. Les mas­culin­istes ten­tent de prou­ver que les hor­mones dif­féren­cient les hommes et les femmes, explique l’anthropologue Mélanie Gourari­er.

 

Conspirationnisme et pseudoscience

Sur les réseaux soci­aux, des mil­liers de con­tenus issus des sphères antifémin­istes et réac­tion­naires pré­ten­dent démon­tr­er, chiffres ou études à l’appui, les dif­férences biologiques et neu­ronales entre hommes et femmes, ces dernières étant par exem­ple trop émo­tives ou vénales à cause de cer­taines hor­mones ou car­ac­téris­tiques phys­i­ologiques. Ain­si, les iné­gal­ités ne seraient pas sociales, mais sim­ple­ment biologiques. En 2023, une étude de l’École d’anthropologie et de con­ser­va­tion de l’université du Kent mon­trait com­ment les mem­bres des com­mu­nautés mas­culin­istes détour­nent les études sci­en­tifiques pour valid­er leurs croy­ances à pro­pos des femmes.

L’un des coau­teurs, le chercheur Louis Bachaud, qui réalise sa thèse entre le Roy­aume-Uni et la France sur l’usage des sci­ences de la vie dans les dis­cours mas­culin­istes en ligne, explique que l’histoire de la biolo­gie a tou­jours été cor­rélée à des biais sex­istes et racistes. Il observe d’ailleurs, depuis les années 2010, une récupéra­tion de théories sci­en­tifiques par les com­mu­nautés antifémin­istes et d’extrême droite : celles-ci se rad­i­calisent et créent des groupes hybrides, « avec des chevauche­ments de thèmes, des dis­cours plus durs, et des mèmes qui cir­cu­lent entre les com­mu­nautés », explicite-t-il.

Par­mi ces thèmes : un déclin de l’Occident blanc et hétéro­sex­uel, dou­blé d’un anti­sémitisme et d’un racisme islam­o­phobe, et la dénon­ci­a­tion d’un lob­by fémin­iste accusé de vouloir dévir­ilis­er les hommes. Le tout basé sur des théories con­spir­a­tionnistes et pseudo­scientifiques : « L’extrême droite s’est tou­jours servie d’un ver­nis sci­en­tifique pour pré­ten­dre tenir un dis­cours de vérité », rap­pelle Mélanie Gourari­er. Ce qui change peut-être, avec Inter­net, c’est la rapid­ité de prop­a­ga­tion de ces mes­sages.

« Pour légitimer et jus­ti­fi­er un dis­cours sur la hiérar­chie des gen­res, on récupère la nature et l’observation de celle-ci », pour­suit Mélanie Gourari­er. Ain­si, les com­mu­nautés antifémin­istes n’hésitent pas à utilis­er la sci­ence, puisant dans la biolo­gie ou la zoolo­gie, pour forg­er leurs argu­ments. « Les coachs en séduc­tion veu­lent com­mer­cialis­er leurs ser­vices, alors ils se con­cen­trent sur les préférences sex­uelles, et met­tent en avant les choses qui peu­vent être changées, comme la con­fi­ance en soi. Les Incels (1), qui pensent être con­damnés par leur géné­tique, met­tent en avant des recherch­es sur les désa­van­tages d’une petite taille, de la neu­ro-atyp­ie, des car­ac­tères immuables », observe Louis Bachaud. Si leur dis­cours réac­tion­naire recourt à des jus­ti­fi­ca­tions présen­tées comme sci­en­tifiques, les mas­culin­istes sont sou­vent défi­ants vis-à-vis des savoirs perçus comme offi­ciels ou faisant con­sen­sus. « On retrou­ve des per­son­nes qui s’affirment comme auto­di­dactes et qui font repos­er la valeur de leur savoir sur le fait qu’elles l’ont acquis de façon “autonome”, en dehors des insti­tu­tions sci­en­tifiques, voire con­tre », ajoute Mélanie Gourari­er.

 


« Autre con­cept récupéré par les com­mu­nautés vir­ilistes : celui du « mâle alpha », qui désign­erait le chef de meute chez les loups. »


 

Les com­mu­nautés mas­culin­istes ne cessent de se com­par­er aux espèces ani­males. Ils citent par exem­ple sou­vent « la loi de Brif­fault », du nom d’un anthro­po­logue et écrivain fran­co-­bri­tan­nique (2), affir­mant que « c’est la femelle, et non le mâle, qui déter­mine les con­di­tions d’existence d’une famille ani­male. Si la femelle ne peut obtenir aucun béné­fice d’une asso­ci­a­tion avec le mâle, alors il n’y a pas d’association. » Un principe qui jus­ti­fierait le con­cept d’hypergamie fémi­nine, pos­tu­lant que toutes les femmes voudraient s’unir avec des hommes aux ressources finan­cières et sociales plus élevées qu’elles. « Cette “loi”, tirée d’un vieux livre prô­nant la dom­i­na­tion mas­cu­line, n’a aucune exis­tence dans la lit­téra­ture sci­en­tifique con­tem­po­raine », souligne Odile Fil­lod, chercheuse indépen­dante qui analyse la con­struc­tion des dis­cours biologiques autour du genre. « Utilis­er cette cita­tion est d’autant plus ridicule que Brif­fault par­le ici de ce qu’il appelle la famille ani­male par oppo­si­tion à la famille humaine : selon lui, chez l’hu­main l’iné­gal­ité de capac­ités intel­lectuelles entre les sex­es est inver­sée, ce qui fait que les mâles y domi­nent, au con­traire, la famille », ajoute-t-elle.

Autre con­cept récupéré par les com­mu­nautés vir­ilistes : celui du « mâle alpha », qui désign­erait le chef de meute chez les loups, et domin­erait les autres par un accès pri­or­i­taire à la repro­duc­tion. Prob­lème : ce con­cept du zool­o­giste alle­mand Rudolf Schenkel a été dévelop­pé en 1947 à par­tir de l’observation de loups en cap­tiv­ité. Depuis, de nom­breux zool­o­gistes ont démon­tré qu’il ne cor­re­spondait absol­u­ment pas au com­porte­ment des meutes en milieu naturel.

 

Darwin a bon dos

« Depuis le milieu du xixe siè­cle, les théories de Dar­win sur la sélec­tion naturelle et sex­uelle ont été util­isées pour jus­ti­fi­er tout et n’importe quoi », rap­pelle Louis Bachaud. C’est encore le cas aujourd’hui. Or, comme le pré­cise Odile Fil­lod, « la théorie dar­wini­enne de la sélec­tion sex­uelle explique juste pourquoi cer­tains traits géné­tiques ont été sélec­tion­nés au cours de l’évolution. La recherche sci­en­tifique n’a pas davan­tage pro­duit de don­nées mon­trant que les hommes seraient naturelle­ment prédis­posés à choisir les femmes en fonc­tion de tel ou tel trait que de don­nées prou­vant l’existence de prédis­po­si­tions féminines à choisir les hommes ayant tel ou tel trait physique ou autre. »

Cela n’empêche pas le youtubeur antifémin­iste Valek, presque 400 000 abonné·es, d’indiquer dans ses con­tenus que l’amitié homme-femme serait impos­si­ble parce que « les hommes en tant que pré­da­teurs choi­sis­sent sou­vent leurs amies en fonc­tion de leur attrac­tiv­ité physique ». Une vidéo qui compte près de 500 000 vues, mais qui ne com­porte aucune source sci­en­tifique, et pour cause : il ne s’agit pas tant de se com­par­er à la nature que de vouloir la faire cor­re­spon­dre à une vision idéologique de la société. « Ils con­sid­èrent que la nature est aujourd’hui viciée, et qu’il faut la trans­former par un retour vers une nature plus “authen­tique” », pointe Mélanie Gourari­er (3).

 


« Les iné­gal­ités de genre s’expliqueraient par le fait que les femmes seraient des êtres naturelle­ment inférieurs, notam­ment du point de vue de l’intelligence. »


 

Con­stru­it en glanant et détour­nant des résul­tats mis en lumière par la biolo­gie com­porte­men­tale, le pré­ten­du « retour à la nature » pro­mu par les mas­culin­istes est en réal­ité la val­i­da­tion d’un mod­èle de société con­ser­va­teur : sché­ma famil­ial reposant sur des rôles gen­rés, rejet de l’immigration, et antifémin­isme. On observe aus­si un recours à la psy­cholo­gie évo­lu­tion­niste, courant con­tro­ver­sé qui pos­tule que nos pen­sées et com­porte­ments sont le résul­tat de l’évolution, et donc de la sélec­tion naturelle et sex­uelle théorisée par Dar­win, quitte à sim­pli­fi­er ou même trahir sa pen­sée. « C’est une dis­ci­pline qui par­le beau­coup de préférence sex­uelle. Cela attire les mas­culin­istes parce que c’est une dis­ci­pline cri­tiquée par les fémin­istes, mais aus­si parce que ça pose la ques­tion de la nature pro­fonde des hommes et des femmes, qui va par­faite­ment avec leur idéolo­gie », résume le chercheur Louis Bachaud. Pour­tant la psy­cholo­gie évo­lu­tion­niste reste de l’ordre des pré­dic­tions hypothé­tiques de l’évolution sur les com­porte­ments des indi­vidus, tient-il à rap­pel­er. « Les gens s’approprient la recherche sci­en­tifique pour don­ner du sens au réel. Mais il n’y a jamais d’études empiriques ou d’expériences : ce prisme dar­winien, on peut l’appliquer à tout », ajoute-t-il.

Les com­mu­nautés mas­culin­istes inter­prè­tent les théories sci­en­tifiques de façon à pou­voir gom­mer toute respon­s­abil­ité sociale et toute oppres­sion sys­témique. « L’importance des con­struc­tions sociales est large­ment sures­timée si on veut expli­quer les dif­férences entre les hommes et les femmes. Elles sont prin­ci­pale­ment dues à la biolo­gie (géné­tique, hor­mones, etc.) et [à] l’environnement non social (poli­tique, économie, cli­mat, mal­adies infec­tieuses, etc.) », pou­vait-on ain­si lire en 2020 sur le site MGTOW-france.fr, issu du mou­ve­ment Men Going Their Own Way (MGTOW), un groupe mas­culin­iste rassem­blant des hommes qui ne désirent plus rela­tion­ner avec des femmes. Dans ces espaces poli­tiques, les iné­gal­ités de genre sont expliquées par le fait que les femmes seraient des êtres naturelle­ment inférieurs, notam­ment du point de vue de l’intelligence. Cette vision des femmes comme moins cérébrales et moins rationnelles s’appuie notam­ment sur les travaux du psy­cho­logue bri­tan­nique Richard Lynn (4), très appré­cié non seule­ment dans les sphères mas­culin­istes, mais aus­si dans les cer­cles d’extrême droite.

Peggy Sastre, l’évoféminisme au service des inégalités de genre

Les courants mas­culin­istes ne sont pas les seuls à utilis­er la sci­ence pour jus­ti­fi­er les iné­gal­ités. Doc­teure en philoso­phie et pas­sion­née de Dar­win, Peg­gy Sas­tre est invitée régulière­ment dans les médias con­ser­va­teurs tels que Le Figaro pour cri­ti­quer le fémin­isme – tout en se revendi­quant elle-même de ce courant de pen­sée. Elle fut la coré­dac­trice de la tri­bune faisant val­oir la « lib­erté d’importuner » aux côtés de Cather­ine Deneuve, en plein mou­ve­ment #MeToo.

Peg­gy Sas­tre se définit comme « évofémin­iste », « c’est-à-dire un fémin­isme qui prend comme base, comme matière, le par­a­digme dar­winien et évo­lu­tion­naire », s’appuie sur la psy­cholo­gie évo­lu­tion­niste, assure que la dom­i­na­tion mas­cu­line n’existe pas, et s’acharne sou­vent sur les « néo-fémin­istes » et les « wok­istes », qui sem­blent l’obséder. Dans les colonnes du jour­nal Le Point, auquel elle col­la­bore régulière­ment, elle affirme ain­si que, « aux États-Unis, la chas­se au patri­ar­cat vient de s’inviter chez des anthro­po­logues idéo­logues, faisant une vic­time : la sci­ence ». Mais elle-même n’hésite pas à sélec­tion­ner les études sus­cep­ti­bles de con­forter ses croy­ances. Dans un de ses ouvrages, paru en 2018, Com­ment l’amour empoi­sonne les femmes, elle affir­mait ain­si que les mil­i­tantes fémin­istes seraient « plus “mas­culin­isées” que la moyenne des femmes, c’est-à-dire qu’elles ont été exposées à davan­tage de testostérone lorsqu’elles étaient dans l’utérus de leur mère » – la preuve par l’annulaire qui, dans ce cas, serait plus grand que l’index chez les futures rebelles. Une théorie qu’elle recon­naît elle-même comme peu fiable, mais qu’elle n’hésite pas à relay­er pour appuy­er ses pro­pos sur la dif­férence des sex­es. La sci­ence est apparem­ment vic­time, ici, de celle qui pré­tendait la sauver.

Racisme à la carte

Lynn est égale­ment auteur d’une « carte mon­di­ale des QI », sup­posée mon­tr­er une dif­férence de niveau intel­lectuel selon les pays, et qui tourne depuis plusieurs années dans les réseaux racistes. « La com­para­i­son entre pays de scores moyens à des tests de QI a peu de sens dès lors que leurs cul­tures dif­fèrent : soit le test est mieux adap­té à l’un qu’à l’autre, soit des tests dif­férents ont été util­isés. De plus, des fac­teurs envi­ron­nemen­taux en moyenne plus favor­ables dans les pays occi­den­taux influ­ent pos­i­tive­ment sur les scores à ces tests, et rien ne per­met a con­trario d’affirmer que des dif­férences géné­tiques jouent ici un rôle. Cette carte ne mon­tre donc pas que le QI bais­serait dans un pays occi­den­tal par l’incorporation à son pool géné­tique de vari­ants plus fréquents ailleurs », analyse Odile Fil­lod. Mais le mal est fait : des influ­enceurs mas­culin­istes et d’extrême droite ne man­quent pas de citer cette carte en référence, comme Julien Rochedy, directeur du Front nation­al de la jeunesse entre 2012 et 2014, et ani­ma­teur d’une chaîne YouTube comp­tant 166 000 abonné·es.

Les théories pseu­do­sci­en­tifiques visant à établir des dif­féren­ci­a­tions biologiques entre les indi­vidus, dans un but raciste ou sex­iste, voy­a­gent sur la Toile, de tweets en groupes Face­book ou en fils de dis­cus­sion sur Telegram. À mesure que les com­mu­nautés réac­tion­naires se mélan­gent et se rejoignent autour de cer­taines théories con­spir­a­tionnistes, elles ne restent pas con­finées au Web occi­den­tal. « On retrou­ve des dis­cours mas­culin­istes en Afrique du Nord, en Amérique du Sud, en Inde… On les retrou­ve dans les sociétés qui s’ouvrent à la mon­di­al­i­sa­tion, et où il y a une restruc­tura­tion, car la place des femmes dans la société change », remar­que Louis Bachaud, qui rap­pelle que les dis­cours mas­culin­istes, en se bas­ant sur une sup­posée crise de la mas­culin­ité, pren­nent de mul­ti­ples formes. Ces théories biol­o­gisantes touchent même cer­taines sphères se revendi­quant comme fémin­istes, à l’image des mil­i­tantes anti-trans Mar­guerite Stern et Dora Moutot, qui se définis­sent comme « femel­listes », et qui affir­ment qu’être une femme, c’est être une « femelle humaine », « ancrée dans la réal­ité biologique de son corps ». Un dis­cours essen­tial­isant, à rebrousse-poil de la célèbre cita­tion de Simone de Beau­voir : « On ne naît pas femme, on le devient. »

Les com­mu­nautés mas­culin­istes et d’extrême droite s’adossent à des théories sci­en­tifiques qu’elles instru­men­talisent, selon Mélanie Gourari­er. « Ils sont méfi­ants à l’égard des dis­cours sci­en­tifiques, mais vont en même temps repren­dre des don­nées décon­tex­tu­al­isées des recherch­es. Le risque, c’est un grand mélange et une mécom­préhen­sion des résul­tats », souligne-t-elle. Or, comme le mon­trent les témoignages d’anciens mas­culin­istes, les argu­ments sci­en­tifiques ont un grand pou­voir de con­vic­tion : ils don­nent de la légitim­ité à un ressen­ti. « Ce serait facile de dire qu’ils n’ont rien com­pris, ou que c’est de la mau­vaise sci­ence. Mais le fait est que tout savoir sci­en­tifique, surtout quand il est descrip­tif, risque tou­jours d’être réap­pro­prié de tra­vers », affirme Louis Bachaud. C’est ain­si que des savoirs venus de plusieurs dis­ci­plines ser­vent d’argumentaire pour défendre une cer­taine vision du monde, et devi­en­nent des armes per­me­t­tant de men­er des batailles idéologiques. Des armes qui, ensuite, peu­vent même tir­er des balles réelles : fin mai 2024, près de Bor­deaux, la police a inter­pel­lé un jeune homme de 26 ans qui avait revendiqué sur Face­book sa fas­ci­na­tion pour Elliot Rodger, mas­culin­iste auteur d’une tuerie de masse aux États-Unis en 2014. Céli­bataire « con­damné à l’Incel dream depuis six ans », selon ses pro­pres mots, Axel G., pos­sesseur d’une arme, aurait expliqué, en garde à vue, avoir envis­agé un atten­tat. •

Cette enquête a été éditée par Élise Thiébaut.


(1) Les Incels (pour « invol­un­tary celi­bates », absti­nents sex­uels involon­taires) sont une com­mu­nauté de jeunes hommes qui se plaig­nent d’un manque d’accès aux rela­tions affec­tives et sex­uelles avec les femmes, qu’ils ren­dent respon­s­ables de cette exclu­sion.

(2) Dans The Moth­ers: A Study of the Ori­gins of Sen­ti­ments and Insti­tu­tions, pub­lié en 1927, Robert Stephen Brif­fault (1876–1948) fait l’hypothèse, dans une prose tein­tée de sex­isme et de racisme, que les sociétés préhis­toriques étaient des matri­ar­cats, et que l’avènement de la civil­i­sa­tion passe par celle du patri­ar­cat.

(3) Sur ce sujet, lire « Écolo­gie : les pen­sées réac­tion­naires en embus­cade », de Chris­telle Gilabert (page 128).

(4) Tit­u­laire d’un doc­tor­at en psy­cholo­gie à Cam­bridge, Richard Lynn (1930–2023) se décrivait lui-même comme un « raciste sci­en­tifique ». L’université d’Ulster lui a retiré en 2018 son titre de pro­fesseur émérite.

Les mots importants

Masculinisme

Réac­tion­naire, misog­y­ne et antifémin­iste, ce...

Lire plus

Pauline Ferrari

Journaliste freelance, spécialiste des questions de genre et des cultures web, elle signe dans ces pages  une enquête sur les influenceurs masculinistes. Elle est l’autrice de  Formés à la haine des femmes. Comment les masculinistes infiltrent les réseaux sociaux (JC Lattès, 2023). Voir tous ses articles

Résister en féministes

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°15 Résis­ter, parue en août 2024. Con­sul­tez le som­maire.


Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/plugins/really-simple-ssl/class-mixed-content-fixer.php on line 107