Warning: Undefined variable $article in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/divi-child/functions.php on line 400

Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

Maman, mamie, les serviettes pliées et moi

No Anger est hand­i­capée physique. Pour échap­per à un place­ment en insti­tu­tion spé­cial­isée, elle a passé son enfance à rechercher l’excellence sco­laire, au détri­ment d’apprentissages quo­ti­di­ens qu’elle jugeait trop gen­rés. Aujourd’hui adulte, elle réalise com­bi­en cette stratégie a pu nuire à son autonomie.

par

Publié le 17/10/2023

Modifié le 16/01/2025

mock-up Chronique No Anger « Maman, Mamie, les serviettes pliées et moi » - La Déferlante 12

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°12 Rêver, de novem­bre 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
Con­sul­ter le som­maire

Dans ma famille, on plie les servi­ettes. En trois, puis en deux. Ma grand-mère fai­sait ce geste. Ma mère en a hérité. C’est une habi­tude qui, chez moi, se trans­met, de généra­tion en généra­tion, à toutes les per­son­nes qui doivent s’occuper du linge, tenir leur mai­son, fonder un foy­er.

Pen­dant longtemps, j’ai ignoré la plu­part des gestes de la par­faite maîtresse de mai­son et de la mère idéale. Mon corps n’a pas appris à les faire. Lorsque mon grand frère devait pass­er l’aspirateur ou aider à met­tre la table, j’étais gênée de con­tin­uer à jouer, m’interrogeant sur mon util­ité au sein de la mai­son. Frus­trée de ne pou­voir faire ma part des tâch­es ménagères, je me demandais sou­vent quelle était ma place dans la famille.

Singer le corps valide

 

Si, comme d’autres gestes du quo­ti­di­en, celui de pli­er des servi­ettes ne m’a pas été trans­mis, ce n’était pas par défail­lance de la part de mes par­ents, mais parce que l’urgence était ailleurs. Nous étions dans les années 1990 et mon avenir d’adulte était sans cesse mis en doute par les insti­tu­tions. Ma sco­lar­ité en école pri­maire dépendait du bon vouloir de l’Éducation nationale. « Mais vous savez bien qu’elle devra un jour quit­ter l’école et aller dans un cen­tre », se plaig­nait par­fois la direc­trice d’école que mes par­ents devaient sup­pli­er à chaque fin d’année sco­laire de me réin­scrire dans son étab­lisse­ment. La rage au cœur, la peur au ven­tre, j’ai dû vivre avec ces mots qui fai­saient plan­er la men­ace de mon insti­tu­tion­nal­i­sa­tion. J’étais assignée à une autre rési­dence que celle que l’on prévoit pour une jeune fille hétéro­sex­uelle et valide. En tant qu’enfant hand­i­capée, je devais déjouer non pas le piège d’une mai­son à tenir mais le dan­ger d’un intérieur qui m’enfermerait. Pour y échap­per, pour être une adulte finan­cière­ment indépen­dante, il me fal­lait être une élève irréprochable : avoir de bonnes notes, taire mes douleurs et ma fatigue, pass­er sous silence mes émo­tions. J’ai dû par­ler le lan­gage vir­iliste de la per­for­mance et singer le corps valide. Sinon, la direc­trice m’aurait exclue, me jugeant inadap­tée à son école.

Trop occupée à garder la face, j’ai oublié d’apprendre à être une adulte. Pen­dant mon ado­les­cence, je préférais les savoirs sco­laires et légitimes, nég­ligeant les savoir-faire perçus comme féminins que je trou­vais futiles, voire dégradants. Il était inutile que je sache pli­er le linge. Je ne me pro­je­tais pas encore dans le quo­ti­di­en d’une per­son­ne qui devrait rem­plir le fri­go, gér­er les lessives, et pos­séderait un meu­ble télé. Même si je l’espérais, rien ne me per­me­t­tait de penser cet avenir. Au mieux, même si j’échappais à l’institutionnalisation, je vivrais dans le stu­dio accolé à la mai­son, que mes par­ents avaient fait con­stru­ire en prévi­sion du moment où j’aurais besoin d’indépendance. Igno­rant com­ment être une adulte hand­i­capée dans un monde de valides, je me définis­sais finale­ment et bien mal­gré moi comme un per­pétuel objet de soin. L’anathème de l’exclusion sco­laire me pri­vait des ressources pour m’imaginer tout autre.

Un beau jour, la logique uni­ver­si­taire a pris le pas sur celle de l’institutionnalisation. Me voilà, après le bac, pré­parant des con­cours de grandes écoles, et voilà même que j’en réus­sis un. Con­tre toute attente, j’ai dû par­tir étudi­er à trois cents kilo­mètres de la mai­son. « Elle ne tien­dra pas six mois », dis­ait-on chez mes oncles et tantes, par­mi les voisin·es ou les ami·es de mes par­ents. Alors, une fois de plus, la peur au ven­tre, la rage au cœur, je suis entrée dans mon pre­mier apparte­ment étu­di­ant.

Réintégrer les gestes de la famille

 

Entre les mains d’un ser­vice d’auxiliaires de vie, je me suis retrou­vée assignée au rôle du corps à soign­er. Il m’était intimé de rester à ma place. Tout me dis­ait que je n’étais pas chez moi : des espaces mal adap­tés à mes déplace­ments, des plac­ards trop hauts, un car­net de liai­son où des con­signes étaient écrites sans me con­sul­ter,
et ces phras­es qui reve­naient sans cesse : « Attends, laisse, je vais le faire. »

Tou­jours ces mots qui par­lent du point de vue valide et me croient inca­pable. Cette croy­ance qui me dépos­sède de mon foy­er. Cette illu­sion d’un quo­ti­di­en indo­lore auquel je ne prendrais aucune­ment part. Tou­jours cet imag­i­naire vali­do-cen­tré sur mon corps assisté par autrui.

Cette ingérence m’effaçait de chez moi. Le petit apparte­ment était tenu par des inconnu·es, avec leurs pro­pres manières de faire. Je ne voulais pas de ces gestes imposés : j’aspirais à des gestes délégués. Il fal­lait que mon intérieur ressem­ble à mon his­toire per­son­nelle. Ne pas per­dre ce qui m’était fam­i­li­er, con­tin­uer de m’inscrire dans la lignée de ma mère, ne pas oubli­er le savoir-faire quo­ti­di­en de ma grand-mère. Réin­té­gr­er la chaîne de trans­mis­sion, de laque­lle les logiques validistes m’avaient exclue.
Pour pou­voir les trans­met­tre à mes aidant·es, je me suis réap­pro­prié les gestes de ma famille. Ils n’étaient plus à mes yeux de dégradantes futil­ités, mais les ressources de mon éman­ci­pa­tion. En les apprenant puis en les enseignant, j’ai affir­mé que j’étais chez moi, mar­quant cet intérieur de mon corps et de ma fil­i­a­tion. Main­tenant, je sais pli­er les servi­ettes. En trois, puis en deux.

 

Doc­teure en sci­ence poli­tique, No Anger est une artiste et mil­i­tante queer et anti­va­lidiste. Elle s’intéresse aux mou­ve­ments soci­aux et aux ques­tions liées au genre, au corps et à la sex­u­al­ité. Elle livre ici sa troisième chronique d’une série de qua­tre.

Les mots importants

Validisme

Le con­cept a émergé dans les années 1970 aux...

Lire plus

No Anger

(photo en attente ) Docteure en science politique, No Anger est une artiste et militante queer et antivalidiste. Elle s’intéresse aux mouvements sociaux et aux questions liées au genre, au corps et à la sexualité. Elle signe ici sa première chronique d’une série de quatre. Voir tous ses articles

Rêver : la révolte des imaginaires

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°12 Rêver, de novem­bre 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
Con­sul­ter le som­maire


Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/plugins/really-simple-ssl/class-mixed-content-fixer.php on line 107