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« Mais qu’est-ce que je fous là, en fait ? »

Com­ment pren­dre la parole en tant qu’homme dans un espace féministe ? Pour Mar­tin Page, le statut d’« allié » sus­cite plus de ques­tions qu’il ne scelle de cer­ti­tudes.
Publié le 30/07/2021

Modifié le 16/01/2025

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°3 Se bat­tre (sep­tem­bre 2021)

Ma présence au sein de cette revue fémin­iste a sus­cité des remar­ques par­fois cri­tiques [lire le cour­ri­er des lecteur·ices du numéro 2 de La Déferlante]. C’est une ques­tion que je me suis posée moi-même quand on m’a pro­posé cette chronique.

Mais ma posi­tion est que, si des féministes me deman­dent quelque chose, je dis OK. Cela m’a amené à une inter­ro­ga­tion plus large : pourquoi un mec s’intéresse-t-il à la remise en cause du patri­ar­cat ? J’ai par­fois enten­du : pour l’argent, pour être cool ou dans l’espoir de couch­er avec des fémin­istes. La sus­pi­cion est légitime et il faudrait être un bien piètre allié pour se vex­er. Parce que « homme allié » ou « homme décon­stru­it », ça sonne un peu comme « cap­i­tal­isme vert » – c’est un oxy­more – il y a de quoi être scep­tique. 

Mais si je ne suis pas là pour ces raisons, alors pourquoi ? J’ai deux hypothès­es. Pour les dévelop­per, je dois un peu racon­ter ma vie. 

En voici une esquisse : père pein­tre, chômeur, alcoolique, prob­lèmes psy, sdf, foy­er Sonaco­tra, hôpi­tal psy­chi­a­trique, tutelle de mon pro­pre père, mal­adie neu­rologique (Kor­sakov), mort. Ses oeu­vres ont été jetées dans des bennes par les huissiers. Je n’ai pas eu une jeunesse très douce. Aujourd’hui, j’ai atteint un cer­tain niveau de bour­geoisie pré­caire, mais j’ai vécu ça. J’ai été ce genre de jeune qui don­nait une par­tie de son salaire à sa mère pour par­ticiper aux frais du foy­er et à son père pour qu’il puisse s’acheter à manger.

Vivre l’oppression, faire alliance

Alors je crois que si je me suis engagé dans d’autres caus­es, c’est que la mienne est intime­ment trop douloureuse. Quand je sou­tiens le com­bat fémin­iste, je me bats aus­si aux côtés de mon père, des pau­vres, des malades, je porte des coups con­tre des adver­saires de mon passé (ce n’est donc pas sans ambiguïtés). 

Je fais le pari que les meilleur·es allié·es sont celles et ceux qui ont vécu d’autres oppres­sions (je pense à l’engagement mas­sif de mem­bres de la com­mu­nauté juive aux États-Unis dans le mou­ve­ment des droits civiques des années 1950 à 1970, mais aus­si au sou­tien apporté par des per­son­nes LGBT à la grève dans les mines au Roy­aume-Uni en 1984–1985). La méfi­ance à l’égard des alliés des fémin­istes est nor­male, mais peut-être que ce sont des hommes qui, eux aus­si, ont vécu la vio­lence de la norme d’une manière ou d’une autre, et qui ont con­nu le racisme, l’antisémitisme, le mépris de classe, les stéréo­types validis­tes¹, l’homophobie, le viol…

Il y a une autre hypothèse con­cer­nant ma présence ici.

J’ai tou­jours été un homme peu vraisem­blable. Celui dont les autres trou­vent qu’il n’est pas un « vrai » mec, je passe sur les insultes, les sar­casmes et les vio­lences (ce n’est pas pour rien que Col­ine Pier­ré et moi avons coédité chez Mon­stro­graph Moi les hommes, je les déteste, de Pauline Har­mange). Je me suis tou­jours sen­ti en inadéqua­tion avec le genre mas­culin, même si, social­i­sa­tion oblige, je n’y échappe pas totale­ment.

Longue vie aux traîtres !

Cer­taines per­son­nes nées hommes « quit­tent » ce genre assigné à la nais­sance. Leur social­i­sa­tion et leur expres­sion de genre sont mas­cu­lines, mais un jour iels com­pren­nent que si ça fait mal comme ça, s’iels sont perdu·es, c’est qu’iels ne sont pas des hommes.

Ain­si plus je lis, plus je réfléchis, plus je me com­prends, plus il est évi­dent que je suis non binaire (et bien con­scient que, même non binaire, on n’en a pas fini avec le genre). Je repense à un texte pub­lié le 9 mars dernier par la blogueuse La Mecx­pliqueuse à pro­pos de Léo Thiers-Vidal, l’un des pre­miers théoriciens fran­coph­o­nes de la mas­culin­ité, qui s’est sui­cidé il y a une quin­zaine d’années et qui, dans un texte paru en 2002 dans Nou­velles Ques­tions fémin­istes, expli­quait vouloir « bris­er le lien avec le groupe social des hommes et éla­bor­er une con­science anti­mas­culin­iste ». La Mecx­pliqueuse se demande si Thiers-Vidal n’aurait pas tran­si­tion­né « s’il avait vécu dans un autre milieu, à un autre moment ». 

C’est une ques­tion : et si par­fois un mec allié était en fait une per­son­ne trans ou non binaire qui ne l’a pas encore com­pris ou qui n’ose pas le dire publique­ment ? Voilà qui explique peut-être ma présence ici, mon point de vue par­ti­c­uli­er, fruit de mon his­toire et de mon iden­tité.

On ne peut pas pour autant dire aux hommes cis² de devenir trans ou non binaires, ça ne marche pas comme ça (en revanche, il faudrait qu’ils se ren­seignent sur ces sujets). Mais on peut peut-être leur deman­der de faire quelque chose qui leur coûte, et pas qui les val­orise, comme c’est le cas avec la décon­struc­tion et le terme « allié ». En pre­mier lieu : trahir leur genre. Selon quelles modal­ités ? Je ne sais pas. Déjà en util­isant ce mot de « traître », négatif, pas val­orisant, qui brise l’entente, et rap­pelle que la mas­culin­ité n’est pas une nature, mais une con­struc­tion poli­tique et un sys­tème qui assurent la supré­matie d’un groupe social. « Traître » s’adresse aux autres hommes, et non plus aux femmes, il mar­que le désir d’une rup­ture : il ne s’agit plus d’un com­bat pour les femmes, mais con­tre les hommes.

*****

 ¹ Le validisme, égale­ment appelé capacitisme, est un sys­tème d’oppressions qui dis­crim­ine et intéri­orise les per­son­nes hand­i­capées, con­sid­érant les per­son­nes valides comme la norme sociale.

 ² Cis­genre (rac­cour­ci en « cis ») : dont l’identité de genre est en con­cor­dance avec le sexe assigné à la nais­sance.

Martin Page

Martin Page est auteur de romans (dont L'apiculture selon Samuel Beckett), de livres jeunesse (dont Le permis d'être un enfant), et d’essais (Manuel d’écriture et de survie, Au-delà de la pénétration). Avec sa compagne, Coline Pierré, il est co-créateur du laboratoire d’édition Monstrograph. Voir tous ses articles

Se battre : nos corps dans la lutte

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