Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

Liberté d’avorter : que reste-t-il du Mlac ?

Le tra­vail du Mou­ve­ment pour la lib­erté de l’avortement et la con­tra­cep­tion (Mlac) a été décisif pour les droits des femmes. Tombé dans l’oubli après la dépé­nal­i­sa­tion de l’avortement en 1975, le Mlac fait aujour­d’hui l’objet d’un regain d’intérêt du grand pub­lic.
Publié le 01/02/2024

Modifié le 16/01/2025

En mars 1974, un bus du Mlac devant la gare du Nord, à Paris. Chaque semaine, elles sont des dizaines à se rendre à Amsterdam, aux Pays-Bas, pour y avorter grâce au soutien du mouvement.
OLIVIER VILLENEUVE / GAMMA-RAPHO

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Con­sul­tez le som­maire.

En févri­er 1973, un man­i­feste signé par 331 médecins déclarant publique­ment avoir réal­isé illé­gale­ment des avorte­ments paraît dans le Nou­v­el Obser­va­teur. Deux mois plus tard, dans le but de défendre les sig­nataires face aux risques d’inculpation et de sanc­tions dis­ci­plinaires, des mem­bres du Plan­ning famil­ial et du Groupe infor­ma­tion san­té (GIS), accompagné·es par des militant·es du Mou­ve­ment pour la libéra­tion des femmes (MLF) et d’organisations d’extrême gauche, créent le Mou­ve­ment pour la lib­erté de l’avortement et de la con­tra­cep­tion (Mlac).

L’association promeut une tech­nique d’avortement sim­ple, rapi­de et indo­lore : la méth­ode par aspi­ra­tion, rapi­de­ment appelée « méth­ode Kar­man » (lire l’encadré page 99). Le dis­cours et les pra­tiques du Mlac vont à l’encontre des savoirs issus de la for­ma­tion médi­cale, unique­ment cen­trés sur les com­pli­ca­tions de l’avortement.

Alors que depuis trois ans, le mou­ve­ment fémin­iste impose dans le débat pub­lic l’avortement en tant que lib­erté élé­men­taire des femmes, l’appel à créer des comités locaux du Mlac et à bafouer ouverte­ment la loi pour en démon­tr­er l’inanité est rapi­de­ment couron­né de suc­cès. Jusqu’à l’adoption de la loi rel­a­tive à l’IVG, dans les pre­miers jours de l’année 1975 (1), ce sont entre 250 et 300 per­ma­nences du Mlac (et de mou­ve­ments assim­ilés) qui, à tra­vers le ter­ri­toire français, dif­fusent l’information sur les out­ils de con­trôle des nais­sances et trou­vent col­lec­tive­ment des moyens pour que les femmes puis­sent accéder à un avorte­ment.

Dans l’effervescence post-soix­ante-huitarde, le Mlac se dis­tingue rapi­de­ment par l’inventivité de son reg­istre d’action, et appa­raît comme un mou­ve­ment patch­work qui attire la gauche révo­lu­tion­naire et l’extrême gauche con­tre-cul­turelle : maoïstes, trot­skistes, mem­bres du Par­ti social­iste unifié (PSU), mais aus­si « groupes femmes » (2), syn­di­cal­istes ou encore partisan·es d’une cri­tique de l’institution médi­cale joignent leurs forces pour tenir les per­ma­nences et organ­is­er la pro­pa­gande. La mix­ité de sexe qui domine ces espaces mil­i­tants fait alors excep­tion par­mi les mobil­i­sa­tions pour la cause des femmes. Le bras­sage d’individus et d’influences mul­ti­ples donne lieu à des comités très hétérogènes, autonomes et ancrés dans les moyennes et grandes villes.

Comme Blan­dine Lenoir, la réal­isatrice d’Annie Colère (3), le mon­tre dans son film, l’information et les tech­niques de con­trôle des nais­sances propagées par les comités du Mlac béné­fi­cient à des femmes de tous hori­zons, con­tribuant dès lors à un décloi­son­nement social : des ouvrières côtoient des infir­mières, des enseignantes et des femmes de ménage se ren­con­trent lors des per­ma­nences, dia­loguent pour chercher des solu­tions d’avortement en fonc­tion de leurs con­di­tions de vie respec­tives, devi­en­nent amies à l’occasion des voy­ages col­lec­tifs en Hol­lande ou en Angleterre, se reçoivent pour avorter à domi­cile puis partager un repas, font l’expérience de sol­i­dar­ités matérielles et de sou­tien émo­tion­nel entre par­faites incon­nues. L’engagement en pra­tique et la con­vivi­al­ité qui car­ac­térisent les comités du Mlac favorisent l’adhésion à la cause, voire l’implication active d’un cer­tain nom­bre de femmes. Enfin, la prise en charge des avorte­ments, sur place ou à l’étranger, par­ticipe de pra­tiques illé­gales mas­sives, impli­quant jusqu’aux usagères par le sim­ple fait qu’elles entre­ti­en­nent les stocks de pro­duits médi­caux ou prê­tent leur loge­ment le temps d’un ou plusieurs avorte­ments. Sans compter que la pro­mo­tion de l’aspiration abortive comme tech­nique facile­ment appro­pri­able a con­va­in­cu suff­isam­ment de non-médecins pour que des comités assu­ment cette pra­tique cor­porelle sub­ver­sive tout en revendi­quant la « déspé­cial­i­sa­tion », dans la lignée de la cri­tique de la divi­sion du tra­vail de Mai 68.

 

En mars 1974, à la clinique Sarfati à Amsterdam, le Dr Nieborer, assisté d’une représentante française du Mlac, procède à un avortement. API / GAMMA RAPHO

En mars 1974, à la clin­ique Sar­fati à Ams­ter­dam, le Dr Nie­bor­er, assisté d’une représen­tante française du Mlac, procède à un avorte­ment. API / GAMMA RAPHO

 

Le 17 jan­vi­er 1975, la loi dite Veil, autorisant l’interruption volon­taire de grossesse, est pro­mul­guée. Dans la foulée, le Mlac se désagrège. Il est pro­gres­sive­ment oublié. Inter­roger aujourd’hui son héritage soulève des enjeux de mémoire qui rejouent en par­tie les ten­sions qui ont sévi au sein même du mou­ve­ment. Si l’on con­sid­ère l’issue lég­isla­tive de cette lutte – l’accès à l’avortement sur demande de la femme –, c’est à l’évidence un acquis-phare, dont nous sommes trib­u­taires jusqu’à aujourd’hui. Mais au-delà de la loi Veil, un legs pre­mier du Mlac est la défense de con­di­tions d’avortement plus sat­is­faisantes, qui s’est traduite en droit avec le rem­bourse­ment de l’acte (1982), la créa­tion du délit d’entrave à l’IVG (1983), et plus tard l’allongement des délais d’avortement ou encore la sup­pres­sion de l’entretien psy­choso­cial préal­able à l’IVG pour les femmes majeures (2001). Ces avancées sont le pro­duit de reven­di­ca­tions portées par des indi­vid­u­al­ités et des organ­i­sa­tions mil­i­tantes qui se sont rad­i­cal­isées avec le Mlac – comme le Plan­ning famil­ial – ou qui en sont héri­tières – telles l’Association nationale des cen­tres d’IVG et de con­tra­cep­tion (Ancic) et la Coor­di­na­tion des asso­ci­a­tions pour le droit à l’avortement et à la con­tra­cep­tion (Cadac). En ce sens, la bataille actuelle pour inscrire le droit d’avorter dans la Con­sti­tu­tion pour­rait se réclamer du Mlac, et sans doute plus encore de l’association Choisir (4), his­torique­ment tournée vers une stratégie d’action légal­iste.

S’approprier la pratique abortive

Si l’on porte le regard sur le mil­i­tan­tisme quo­ti­di­en des Mlac, on ne peut man­quer le mot d’ordre cen­tral de « démédi­cal­i­sa­tion », qui a trou­vé au sein du mou­ve­ment social de 1973–1974 des tra­duc­tions diver­gentes. Dans les Mlac à majorité médi­cale, où ce sont les médecins qui pra­tiquent l’aspiration abortive, il s’agit d’assouplir les normes de l’interaction médecin-usagère, en visant le partage d’informations avec les avor­tantes. Dans des comités à majorité pro­fane, on s’approprie la pra­tique abortive et on refuse de don­ner un man­dat exclusif au corps médi­cal. À dif­férents degrés, le mou­ve­ment appa­raît donc comme un foy­er de con­tes­ta­tion de la médecine qui irradie dans l’immédiat après-Mlac.

Des médecins, des infir­mières, des sages-femmes, des aides-soignantes, des con­seil­lères con­ju­gales et famil­iales, par­ties prenantes de cette lutte, por­tent alors au sein de l’hôpital les reven­di­ca­tions d’une meilleure prise en compte des per­son­nes con­cernées, usagères de la san­té, et la dénon­ci­a­tion du pou­voir médi­cal. Néan­moins, l’institution et ses rou­tines ont rapi­de­ment dévoyé les pra­tiques alter­na­tives que ces soignant·es ten­taient d’importer. C’est ain­si que les miroirs, ser­vant à faciliter la par­tic­i­pa­tion des usagères, sont peu à peu retournés dans les tiroirs dans les années 1980, de même que l’autopose du spécu­lum a été aban­don­née, sauf par celles et ceux exerçant dans des étab­lisse­ments per­me­t­tant l’entretien des fidél­ités mil­i­tantes, comme la mater­nité des Lilas, en Seine-Saint-Denis. Le trans­fert de pra­tiques mil­i­tantes dans la sphère pro­fes­sion­nelle s’est donc bien sou­vent résumé à un héritage éphémère. De sur­croît, les réseaux fémin­istes act­ifs dans les années 1980 et 1990 n’ont guère soutenu la péren­ni­sa­tion de pra­tiques « démédi­cal­isantes ».

On pour­rait ain­si croire à un pas­sage de relais raté entre généra­tions mil­i­tantes. Mais en réal­ité, l’inscription de ces ques­tions cor­porelles dans une fil­i­a­tion fémin­iste ne va pas de soi. Si le MLF avait bien pré­paré le ter­rain de la lutte dès 1970, une bonne par­tie de ses mem­bres, par méfi­ance envers une mobil­i­sa­tion mixte et cen­trée sur le con­trôle des nais­sances, sont restées à dis­tance du Mlac et de la défense en actes de la lib­erté d’avorter. Quant aux col­lec­tifs priv­ilé­giant « l’action directe », c’est-à-dire la pra­tique illé­gale d’avortements mil­i­tants, la majorité a émergé hors de la nébuleuse fémin­iste – et même par­fois reposé sur des militant·es scep­tiques vis-à-vis des « groupes femmes ». Le moment Mlac représente à cer­tains égards une occa­sion man­quée de mobil­i­sa­tion fémin­iste sur l’autodétermination cor­porelle, les enjeux de san­té des femmes, et con­tre l’emprise médi­cale sur leur vie.

 

Affiche du Mlac dessinée par Claire Bretécher, 1975. VILLE DE PARIS / BIBLIOTHÈQUE MARGUERITE DURAND

Affiche du Mlac dess­inée par Claire Bretéch­er, 1975. VILLE DE PARIS / BIBLIOTHÈQUE MARGUERITE DURAND

 

Des expériences utopiques

Les mobil­i­sa­tions pour l’avortement libre des années 1970 représen­tent, en effet, un héritage para­dox­al pour les fémin­istes. Avec l’adoption de la loi Veil, la reven­di­ca­tion de lib­erté des femmes est trans­for­mée en préoc­cu­pa­tion de san­té publique. Or, on l’oublie sou­vent, la con­sti­tu­tion de l’avortement comme acte médi­cal – l’IVG – a pré­cisé­ment été l’objet de con­flits au sein du Mlac. Pour­tant, dans la mémoire col­lec­tive, l’accès au droit d’avorter a durable­ment gom­mé la cri­tique de l’encadrement médi­cal des femmes et du con­trôle social qui le sous-tend.

Ain­si, par­mi les comités locaux du Mlac qui, en 1973 et 1974, prô­nent la pra­tique abortive par des pro­fanes, cer­tains la pour­suiv­ent jusqu’entre 1980 et 1984, en dépit de la loi qui ne l’autorise qu’à l’hôpital par un·e médecin. Tout en prenant en charge les « exclues de la loi » (femmes pau­vres, hors délai, immi­grées, mineures), ces militant·es défend­ent l’appropriation de l’acte par les femmes ordi­naires, con­tre le mono­pole médi­cal récem­ment instau­ré. En s’emparant égale­ment d’autres actes caté­gorisés comme gyné­cologiques tels que les suiv­is de grossesse et les pos­es de stérilet, les « Mlac dis­si­dents » à Aix-en-Provence, Lille, Lyon ou Paris éprou­vent ce qu’est une pra­tique fémin­iste qui fonde bien­tôt leur iden­tité col­lec­tive. Certain·es médecins, ancien·nes des Mlac, pour­suiv­ent par ailleurs des pra­tiques con­traires à la loi, telles que le dépasse­ment du délai légal d’IVG à l’hôpital ou la mini-aspi­ra­tion en cab­i­net, l’affirmant par­fois haut et fort et cher­chant l’inculpation, selon la logique ayant pré­valu au Mlac : faire chang­er la loi en mon­trant qu’elle n’est pas respec­tée.

 


Pour un cer­tain nom­bre de col­lec­tifs, il ne s’agissait pas tant de désobéir au pou­voir que de per­me­t­tre aux femmes d’acquérir « ici et main­tenant » la maîtrise de tout ce qui con­cerne leur corps, y com­pris la pro­créa­tion.


 

Le film Annie Colère, évo­qué plus haut, racon­te l’histoire d’un Mlac fic­tif qui par­ticipe à défi­er les pou­voirs publics par l’avortement mil­i­tant, bien­tôt pris en main par des femmes non-médecins. Les com­men­taires qui suiv­aient les pro­jec­tions étaient prompts à qual­i­fi­er ces illé­gal­ismes poli­tiques de « désobéis­sance civile », selon un mécan­isme clas­sique de relec­ture d’un mil­i­tan­tisme passé à l’aune d’une caté­gorie du présent. Si cette expres­sion résume avec justesse la stratégie orig­inelle des Mlac, elle échoue à ren­dre compte des expéri­ences utopiques à l’œuvre dans cer­taines frac­tions du mou­ve­ment social.

Pour un cer­tain nom­bre de col­lec­tifs, il ne s’agissait pas tant de désobéir au pou­voir que de per­me­t­tre aux femmes d’acquérir « ici et main­tenant » la maîtrise de tout ce qui con­cerne leur corps, y com­pris la pro­créa­tion. On aurait tort de sous-estimer ces formes d’utopie réelle qui, en nar­guant les dis­posi­tifs éta­tiques, for­mu­lent des expéri­men­ta­tions alter­na­tives à l’ordre établi. Ici en l’occurrence, la pra­tique d’avortements (mais aus­si d’accouchements, de touch­ers vagin­aux, de diag­nos­tics d’infection, etc.) devient en soi por­teuse de trans­for­ma­tions sociales : l’entretien col­lec­tif de savoirs et savoir-faire cor­porels à visée éman­ci­patrice struc­ture l’agir poli­tique. Quel poten­tiel cri­tique en tir­er à présent ?

Le self-help, héritier légitime

Alors que les « Mlac dis­si­dents » et les groupes d’autosanté fémin­istes n’avaient, du fait de leur mar­gin­al­ité dans le mou­ve­ment des femmes des années 1970, aucune légataire directe, le self-help sem­ble désor­mais pren­dre sa revanche en France, avec la mul­ti­pli­ca­tion de groupes et de références livresques (dont l’actualisation, en 2021, du célèbre manuel fémin­iste Notre corps, nous-mêmes, aux édi­tions Hors d’atteinte). Cette pra­tique fémin­iste fait l’objet d’un tra­vail mémoriel intense, comme le mon­tre la soci­o­logue Lucile Quéré (5) : des ani­ma­tri­ces d’ateliers ponctuels d’autoexamen mais aus­si des mem­bres de col­lec­tifs affini­taires de self-help se con­sid­èrent comme déposi­taires de l’histoire du Mlac, et pro­duisent active­ment des liens entre les groupes généra­tionnels.

Entre développe­ment per­son­nel et idéolo­gies fémin­istes, écol­o­gistes ou lib­er­taires, la mou­vance du self-help a beau être éclatée aujourd’hui, elle est sociale­ment située et s’adresse aux frac­tions diplômées de la société. Dans un con­texte de casse du sys­tème de san­té, dont les pre­mières vic­times sont les pop­u­la­tions pau­vres et racisées – subis­sant en out­re de plein fou­et la dégra­da­tion des milieux de vie par la pol­lu­tion et le change­ment cli­ma­tique –, la cri­tique fémin­iste struc­turelle du pou­voir médi­cal et de l’industrie phar­ma­ceu­tique gag­n­erait à s’ancrer dans les con­di­tions de vie et les savoirs de san­té des class­es pop­u­laires. À cet égard, elle peut appren­dre des pra­tiques des Mlac.

Sous les divers­es formes qui s’inventent entre étu­di­antes urbaines ou entre fémin­istes des ZAD, le self-help actuel pointe pêle-mêle le sex­isme du monde médi­co-phar­ma­ceu­tique, les approches man­agéri­ales de l’accouchement, l’indifférence envers les dif­fi­cultés du post-par­tum ou encore la fer­me­ture de petites mater­nités et de cen­tres d’IVG. Dans ces échanges se dessi­nent d’autres hori­zons con­tra­cep­tifs, pro­créat­ifs et sex­uels : décen­trement du script péné­tra­tion-éjac­u­la­tion, défense des maisons de nais­sance et des accouche­ments à domi­cile, meilleure prise en compte des inter­rup­tions spon­tanées de grossesse, iden­ti­fi­ca­tion des liens entre destruc­tion envi­ron­nemen­tale et prob­lèmes de san­té, con­nais­sance du périnée… La liste s’allonge si l’on con­sid­ère les reven­di­ca­tions des col­lec­tifs mobil­isés con­tre la pré­car­ité men­stru­elle et l’endométriose.

En revanche, l’autonomie abortive, c’est-à-dire la capac­ité des femmes à avorter entre elles, est encore sou­vent évac­uée dans ces espaces. Est-ce à dire que les généra­tions fémin­istes se trans­met­tent là un impen­sé quant à l’autodétermination cor­porelle ? À la faveur du renou­veau du self-help fémin­iste, de la poli­ti­sa­tion de la pra­tique pro­fes­sion­nelle des sages-femmes, et d’un resur­gisse­ment de l’action directe dans les luttes écol­o­gistes, le Mlac peut faire héritage pour met­tre en pra­tique des utopies fémin­istes de soins et de libre dis­po­si­tion de nos corps. •

 

La face cachée de la « méthode Karman »

L’avortement par aspi­ra­tion con­siste, après dilata­tion du col de l’utérus, à aspir­er son con­tenu au moyen d’une can­ule en plas­tique sou­ple reliée par un tuyau à un mécan­isme d’aspiration – seringue mod­i­fiée, aspi­ra­teur médi­cal élec­trique, pompe à vélo inver­sée, etc.

COLL. DIXMIER/KHARBINE-TAPABOR

COLL. DIXMIER/KHARBINE-TAPABOR

Dans la plu­part des Mlac, ce procédé est con­nu en tant que « méth­ode Kar­man », du nom de Har­vey Kar­man, un avor­teur non-médecin très enclin à l’autopromotion, qui est loin de faire l’unanimité auprès des fémin­istes aux États-Unis. Cette appel­la­tion abu­sive trans­forme le tit­u­laire du brevet des can­ules en plas­tique en con­cep­teur de la total­ité du pro­to­cole d’aspiration abortive – y com­pris l’« anesthésie ver­bale », c’est-à-dire l’environnement atten­tif au con­fort des femmes qu’auraient en réal­ité mis au point des mil­i­tantes cal­i­forni­ennes.

En France, l’invocation con­tin­ue de la « méth­ode Kar­man » en 1973 et 1974 imprègne le débat pub­lic de la pos­si­bil­ité d’une pra­tique abortive sécurisée et facile d’accès. L’argumentaire d’innovation tech­nique qui l’accompagne par­ticipe à la libéral­i­sa­tion de l’avortement au nom de la san­té et de la moder­nité médi­cale plutôt que de l’intégrité cor­porelle
des femmes.

Cinquante ans plus tard, la « méth­ode Kar­man » reste au cœur du réc­it le plus courant du mou­ve­ment français pour l’avortement libre, sans recul cri­tique vis-à-vis de la longue his­toire de l’avortement illé­gal. Il est assez ironique que le nom de cet homme en soit venu à sym­bol­is­er la lutte pour la lib­erté d’avorter, et éclipse les pra­tiques con­tes­tataires de femmes.

 

 


(1) Pro­mul­guée le 17 jan­vi­er 1975, la loi dite Veil dépé­nalise, pour une durée de cinq ans, les inter­rup­tions volon­taires de grossesse pra­tiquées par un·e médecin, dans un cadre hos­pi­tal­ier. La loi sera recon­duite, sans lim­ite dans le temps, en 1979.

(2) Cette appel­la­tion est util­isée pour désign­er de nom­breux groupes fémin­istes dans les années 1970.

(3) L’autrice de cet arti­cle a tra­vail­lé comme con­seil­lère his­torique sur ce film.

(4) L’association Choisir la cause des femmes, sou­vent abrégée en Choisir, est fondée en 1971 à l’initiative de l’avocate Gisèle Hal­i­mi pour défendre les femmes pour­suiv­ies devant la jus­tice pour avorte­ment, et revendi­quer le droit à l’avortement et à la con­tra­cep­tion libre et gra­tu­ite.

(5) Lucile Quéré, Un corps à nous. Luttes fémin­istes pour la réap­pro­pri­a­tion du corps, Press­es de Sci­ences Po, 2023.

Lucile Ruault

Sociologue, chargée de recherche au CNRS. Ses travaux portent sur le genre du travail procréatif et les savoirs hétérodoxes en santé. Elle est notamment autrice de Le spéculum, la canule et le miroir. Avorter au MLAC, une histoire entre féminisme et médecine, paru chez ENS Éditions en 2023. Voir tous ses articles

Avorter : Une lutte sans fin

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Con­sul­tez le som­maire.


Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/plugins/really-simple-ssl/class-mixed-content-fixer.php on line 107