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Les hommes politiques ont-ils droit à une vie privée ?

« Il est impor­tant que les hommes entrés en poli­tique préser­vent leur vie per­son­nelle », dis­ent les uns. Certes, mais « le privé est poli­tique », répon­dent les fémin­istes. Héritée de la pen­sée libérale, la sépa­ra­tion entre sphères poli­tique et privée fait le lit des vio­lences patri­ar­cales, explique la philosophe Manon Gar­cia.
Publié le 10/01/2023

Modifié le 16/01/2025

mock-up article La Déferlante 9 - Chronique Manon Garcia « Les politiques ont-ils droit d'avoir une vie privée »

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°9 Bais­er (févri­er 2023)

Dans le sil­lage des affaires Coquer­el, Bouhafs, Quaten­nens et Bay­ou – qua­tre fig­ures de la gauche accusées de com­porte­ments sex­istes ou de vio­lences sex­uelles (lire aus­si notre enquête Vio­lences sex­uelles : au cœur des cel­lules d’enquêtes des par­tis de gauche ) –, une con­vic­tion bien française ne cesse de refaire sur­face : il serait très impor­tant que les hommes poli­tiques (parce qu’il s’agit tou­jours d’hommes) puis­sent avoir une vie privée.

Beau­coup de gens voient en effet dans la dou­ble vie de Mit­ter­rand, dans les infidél­ités notoires de Chirac ou les heures que Dominique Strauss-Kahn pas­sait chaque jour hors de Bercy lorsqu’il était min­istre de Jospin, une source de fierté nationale : nous, au moins, nous ne suc­com­bons pas au sup­posé puri­tanisme améri­cain et à son obses­sion de la trans­parence. Que François Hol­lande quitte l’Élysée en scoot­er la nuit pour voir sa maîtresse ne regarde que lui. Et il est ten­tant, en effet, de penser que le per­son­nel poli­tique devrait, comme tout le monde, avoir droit à une sphère privée.

Le raison­nement, hérité de la pen­sée libérale, est générale­ment le suiv­ant : il faut pro­téger l’individu des inter­ven­tions lib­er­ti­cides de l’État et laiss­er, autant que pos­si­ble, les gens men­er leur vie comme ils l’entendent. Un tel raison­nement est loin d’être tou­jours nuis­i­ble : c’est celui-là même qui a per­mis, par exem­ple, la dépé­nal­i­sa­tion de l’homosexualité aux États-Unis avec l’arrêt Lawrence ver­sus Texas ren­du par la Cour suprême en 2003. En recon­nais­sant à tous les indi­vidus un droit à la vie privée, on leur recon­naît le droit d’avoir des pra­tiques homo­sex­uelles. Dans l’Union européenne, on a, sur la même base, recon­nu théorique­ment le droit d’avoir toutes les pra­tiques sex­uelles que l’on désire à con­di­tion qu’elles soient con­sen­ties par les deux parte­naires.

Des violences intrafamiliales souvent invisibilisées

Alors pourquoi un tel malaise lorsque, le 18 sep­tem­bre dernier, le député LFI Adrien Quaten­nens, après avoir admis qu’il avait giflé sa com­pagne (lire page 33), demandait dans un com­mu­niqué de presse que « [son] droit à la vie privée soit respec­té » ? Pourquoi, dans ce type d’affaires, les fémin­istes rap­pel­lent-elles inlass­able­ment que « le privé est poli­tique » et qu’il y a quelque chose de pro­fondé­ment dan­gereux dans l’idée d’une sphère privée placée à l’abri des regards et de la loi ?

La pre­mière objec­tion, majeure, con­tre la divi­sion du monde entre une sphère publique et une sphère privée, c’est qu’elle est dan­gereuse pour les femmes et les enfants. C’est au nom de cette dis­tinc­tion et de l’idée que la sphère privée serait organ­isée par des liens d’amour et de bien­veil­lance que les vio­lences domes­tiques, l’inceste, la majorité des vio­ls et agres­sions sex­uelles ont longtemps échap­pé à la loi. Une telle con­cep­tion fait de la cel­lule famil­iale une boîte noire dans laque­lle la puis­sance publique ne doit pas entr­er. Pour­tant, loin de l’image d’Épinal de la paix des ménages, les chiffres* sont formels : 213 000 femmes par an sont vic­times de vio­lences de la part de leur con­joint ou ex, 47 % des vio­lences sex­uelles sont com­mis­es par un com­pagnon ou ex-com­pagnon et 18 % des femmes déclar­ent avoir subi des vio­lences dans leur entourage famil­ial avant l’âge de 18 ans.

Le manque de cohérence des hommes de gauche

La sec­onde objec­tion, plus philosophique, porte sur la dimen­sion fon­da­men­tale­ment sex­iste de cette sépa­ra­tion. Car cette dis­tinc­tion va de pair avec une exclu­sion : comme le mon­tre la philosophe Car­ole Pate­man dans Le Con­trat sex­uel (La Décou­verte, 2010), cette sépa­ra­tion entre le pub­lic et le privé a his­torique­ment été pen­sée pour can­ton­ner les femmes à la sphère privée. Chez le philosophe anglais du xvi­ie siè­cle, John Locke, c’est parce que le pou­voir de l’homme sur la femme est con­sid­éré comme naturel et néces­saire qu’il faut faire une dif­férence entre la sphère privée, lieu de ce pou­voir, et la sphère publique, où des hommes libres et égaux con­tribuent à l’organisation de la vie publique.

Les fémin­istes ont remis en ques­tion, en par­ti­c­uli­er depuis les années 1970, l’idée que les rela­tions de la sphère privée ne seraient pas poli­tiques. Au sein des groupes de parole non mixtes mis en place pour que les femmes parta­gent leurs expéri­ences quo­ti­di­ennes émerge une évi­dence : les vio­lences, les humil­i­a­tions, le non-partage des tâch­es n’ont rien d’individuel. Ce sont des man­i­fes­ta­tions, au niveau de la famille, d’un sys­tème de dom­i­na­tion qui struc­ture la société dans son ensem­ble.

Le com­mu­niqué de presse livré par Quaten­nens en sep­tem­bre est, mal­gré lui, une démon­stra­tion de cette thèse. Il croit racon­ter l’histoire banale d’un cou­ple qui se déchire, mais on y retrou­ve des régu­lar­ités maintes fois mis­es en évi­dence par les études soci­ologiques sur les vio­lences dans le cou­ple. L’élu dit avoir du mal à accepter le divorce à l’initiative de son épouse, or on sait que la sépa­ra­tion est le moment où les femmes courent les plus grands dan­gers de vio­lences dans le cou­ple. Il par­le d’une sim­ple gifle, or on sait que la min­imi­sa­tion de la vio­lence exer­cée est un des ressorts pri­mor­diaux de ces vio­lences (et de fait, l’ex-compagne du député, Céline Quaten­nens, a déclaré un mois plus tard avoir subi « depuis plusieurs années […] des vio­lences physiques et morales »). Il men­tionne en pas­sant les cen­taines de SMS qu’il lui a adressées, or on sait que le har­cèle­ment est une des formes les plus clas­siques de cette dom­i­na­tion de la sphère privée. Lorsque l’on objec­tive le réc­it de ce que Jean-Luc Mélen­chon a voulu voir comme un sim­ple « divorce con­flictuel », on y retrou­ve la vio­lence du patri­ar­cat dans ce qu’elle a à la fois de banal et d’éminemment poli­tique.

Exiger que les respon­s­ables poli­tiques de gauche, qui dis­ent incar­n­er des idéaux d’émancipation de toutes et tous, quit­tent leur fonc­tion lorsqu’ils sont accusés de vio­lences sex­istes dans leur vie privée ne relève donc pas d’un pré­ten­du stal­in­isme ou wok­isme, ou encore d’un quel­conque mépris de la pré­somp­tion d’innocence, mais d’une sim­ple exi­gence de cohérence. Per­son­ne ne s’offusquerait de l’idée que l’on ne puisse pas être député vert ou insoumis tout en étant marc­hand de som­meil ou patron voy­ou. Ces­sons, col­lec­tive­ment, d’avoir suff­isam­ment peu de con­sid­éra­tion pour les femmes pour penser que leur oppres­sion est un détail que l’on peut bal­ay­er d’un revers de la main (ou d’un tweet). •

Cette chronique de Manon Gar­cia est la pre­mière d’une série de qua­tre.

* Le rap­port d’enquête « Cadre de vie et sécu­rité » 2019 est con­sultable sur le site du min­istère de l’Intérieur, et « Les chiffres de référence sur les vio­lences faites aux femmes » 2020 sur celui d’Arrêtons les vio­lences

Manon Garcia

Philosophe féministe, elle enseigne la philosophie morale et politique à la Freie Universität de Berlin, en Allemagne. Elle a dirigé une anthologie de philosophie féministe intitulée *Philosophie féministe : Patriarcat, savoirs, justice *(Vrin, 2021). Voir tous ses articles

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