Les enfants auteurs de violences sexuelles, angle mort des politiques publiques

C’est un événement inédit : jeudi 19 et vendredi 20 juin 2025, une audition publique sur les « mineurs auteurs de violences sexuelles », autrement dit des enfants qui agressent sexuel­le­ment, a eu lieu au ministère de la Santé, à Paris. Une qua­ran­taine d’expert·es ont pris la parole pour consti­tuer un socle de connais­sances communes sur ce sujet encore tabou. Sarah Boucault, jour­na­liste indé­pen­dante qui enquête depuis trois ans sur la question des enfants inces­teurs pour La Déferlante, regrette que leur approche soit restée très psychologisante.

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Publié le 26/06/2025

La psy­chiatre Anne-Hélène Moncany est une des ini­tia­trices des auditions qui ont eu lieu les 19 et 20 juin au ministère de la Santé. Crédit photo : FFCRIAVS

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Dans la grande famille des agres­seurs sexuels, les enfants sont nombreux. En 2024, ils repré­sen­taient un quart des auteurs de viols, selon la direction de la pro­tec­tion judi­ciaire de la jeunesse, et un tiers des auteurs d’agressions sexuelles.

Ces violences massives sont pourtant un angle mort des réflexions des professionnel·les de la santé, de la justice et de l’éducation comme des poli­tiques publiques. « On parle beaucoup des mineurs victimes, à juste titre, mais les mineurs auteurs, ça reste tabou car on a du mal à imaginer que l’enfant puisse commettre des violences sexuelles », analyse Anne-Hélène Moncany, psy­chiatre, pré­si­dente de la Fédération française des centres res­sources pour les inter­ve­nants auprès des auteurs de violences sexuelles (FFCRIAVS) et une des orga­ni­sa­trices de l’audition publique des 19 et 20 juin. « En 2018, dans un contexte post-#MeToo, une audition publique consacrée aux auteurs d’agressions sexuelles avait permis de mettre les recom­man­da­tions à jour, rappelle-t-elle. Nous nous étions fait la remarque que la question des mineurs, impor­tante quan­ti­ta­ti­ve­ment et spé­ci­fique, néces­si­tait un événement dédié. »

Comme l’a mentionné Thierry Ziliotto, chef du bureau des études sta­tis­tiques à la Direction de la pro­tec­tion judi­ciaire de la jeunesse durant les auditions, le pour­cen­tage d’enfants mis en cause pour infrac­tion sexuelle a augmenté de 77 % entre 2017 et 2024. Un chiffre à mettre en lien avec la hausse globale de la judi­cia­ri­sa­tion des affaires depuis #MeToo. Les mis en cause sont à une écrasante majorité des garçons (93 %), issus de tous les milieux sociaux ; ils ont souvent moins de 14 ans et sont donc plus jeunes que les auteurs d’autres infrac­tions. Un tiers sont eux-mêmes victimes de violences sexuelles.

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Des violences liées aux normes de genre

Quarante et un·e expert·es, prin­ci­pa­le­ment des psy­cho­logues et des psy­chiatres, ont défilé au pupitre durant ces deux journées, mis en commun leurs connais­sances et répondu aux questions d’un public d’acteur·ices du secteur socio-éducatif, de la justice, de la santé, de l’éducation, du milieu asso­cia­tif et de quelques jour­na­listes. S’il faut saluer cette ini­tia­tive sans précédent, on peut regretter que l’approche de ces violences soit d’abord indi­vi­dua­li­sante : « Dans les années 1980, l’auteur de violences sexuelles était soit un monstre, soit un malade mental. Nous avons à cette époque, et cela se ressent lors de ces auditions, énor­mé­ment psy­cho­lo­gi­sé les violences sexuelles alors qu’il s’agit d’une question politique », reconnaît Anne-Hélène Moncany.

Or ces violences sont direc­te­ment liées aux normes sociales de genre. « Certains garçons pensent qu’ils ont un droit acquis à la sexualité, et pendant l’adolescence, il y a une pression sociale pour la performer », abonde ainsi Mathilde Coulanges, psy­cho­logue au Criavs de Toulouse. Des biais que l’on retrouve également chez les professionnel·les (éducateur.ices, animateur.ices…) qui accom­pagnent les enfants auteurs, comme le souligne Delphine Rahib, cher­cheuse en santé publique : au même titre que l’ensemble de la popu­la­tion « un pro­fes­sion­nel sur cinq a été victime de violences sexuelles. On ne peut pas amener quelqu’un plus loin que là où on est soi-même, il ne faut pas l’oublier dans la réflexion. »

Autre sujet délaissé lors de ces deux journées d’auditions : la question de l’inceste commis par des enfants, qui n’a été abordée que dans peu d’interventions. Or, comme nous l’avons déjà documenté, la famille est le lieu pri­vi­lé­gié de l’apprentissage et de la repro­duc­tion des rapports de domi­na­tion. Selon le ministère de la Justice, 14 % des agres­sions sexuelles commises par des enfants relèvent de l’inceste, mais cette pro­por­tion est pro­ba­ble­ment sous-évaluée pour deux raisons : la défi­ni­tion légale de l’inceste n’inclut ni les cousin·es, ni les enfants qui, sans être du même sang, jouent dans la famille un rôle de frère ou de sœur. Par ailleurs, ces violences font rarement l’objet de plaintes devant la justice. « Mon hypothèse, avance Anne-Hélène Moncany, est que l’inceste commis par les mineurs est un impensé au sein de l’impensé, que ce soit dans la popu­la­tion générale aussi bien que chez les professionnel·les. »


« Nous avons, par le passé, beaucoup psy­cho­lo­gi­sé les violences sexuelles alors qu’il s’agit d’une question politique »

Anne-Hélène Moncany, psychiatre

L’importance de l’éducation sexuelle

Malgré tout, les intervenant·es présent·es au ministère de la Santé ont tenté de dessiner des pistes de solution : davantage d’in­for­ma­tions sur les violences sexuelles commises par les enfants dans le carnet de santé, à des­ti­na­tion des parents. Des cours d’éducation sexuelle pour eux comme pour leurs enfants. À ce titre, l’importance du programme d’éducation à la vie affective, rela­tion­nelle et sexuelle (Évars), qui devrait être mis en place à la rentrée 2025 dans tous les éta­blis­se­ments scolaires publics, a été soulignée. « Prévenir les violences sexuelles demande d’agir sur les repré­sen­ta­tions […] avec des récits, des discours, des pro­duc­tions cultu­relles qui insistent sur les réalités sociales des violences sexuelles », a conclu l’anthropologue Corentin Legras sous un tonnerre d’applaudissements.

Un rapport tiré de ces auditions sera remis au gou­ver­ne­ment en septembre 2025. « Nous aimerions qu’il soit porté au niveau inter­mi­nis­té­riel avec des pré­co­ni­sa­tions pour la Santé, la Justice, l’Intérieur, l’Éducation nationale, détaille Anne-Hélène Moncany. Un comité de suivi sera mis en place, afin qu’il ne reste pas au fond d’un tiroir. »

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