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Les associations féministes en burn-out

Mail­lon essen­tiel de la lutte con­tre les vio­lences sex­istes et sex­uelles, les asso­ci­a­tions fémin­istes croulent sous les deman­des de vic­times. Dans le même temps, les finance­ments man­quent cru­elle­ment. Résul­tat : les bénév­oles et les salariées de ces struc­tures sont en grande souf­france. Et les vic­times ne béné­fi­cient pas tou­jours de l’aide dont elles ont besoin.
Publié le 22/04/2024

Modifié le 16/01/2025

Conclusion du débat par Aminata Dango. Elle est présidence et co fondatrice de l'association crée en 2018. Elle travaille plus de 40h par semaine pour l'association. Petite elle a connu de grosses difficultés avec sa famille, ils ont beaucoup été aidés par des associations c'est pour cette raison qu'elle a décidé de s'engager. "Si demain on arrête je ne sais pas ce que ces femmes vont devenir. La CAF, les CCAS orientent des femmes vers nous." "Il nous faut des salariés mais malheureusement on manque de moyens."- Journée internationale contre les mutilations génitales féminines organisée par l'association Djamma Djigui, le 10 février 2024, Noisiel
Ami­na­ta Dan­go, présidente et cofon­da­trice de l’as­so­ci­a­tion Djam­ma-djigui qui oeu­vre con­tre les vio­lences con­ju­gales. L’as­so­ci­a­tion a organ­isé une journée de ren­con­tre à l’oc­ca­sion de Journée inter­na­tionale con­tre les muti­la­tions génitales féminines organisée, le 10 février 2024, Nois­iel. Crédit : Julie Bal­agué

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°14 Dessin­er, paru en mai 2024. Con­sul­tez le som­maire.

Ce matin d’août 2023, le télé­phone n’arrête pas de son­ner dans le petit local parisien du Col­lec­tif fémin­iste con­tre le viol (CFCV). Entre les murs tapis­sés d’affiches fémin­istes, les voix des qua­tre jeunes salariées écoutantes de la ligne de sou­tien aux vic­times d’agressions sex­uelles se croisent, prodiguant con­seils pra­tiques et juridiques : « Est-ce que vous avez pu voir un médecin, aller aux urgences gyné­co pour faire un dépistage des infec­tions sex­uelle­ment trans­mis­si­bles ?

Que vous por­tiez plainte ou non, c’est impor­tant », « Vous dites qu’il vous a tiré les cheveux, il y avait des témoins à ce moment-là ? », « Vous avez dit plusieurs fois non : il s’agit d’un viol. C’est très grave ce qui s’est passé ».

Alors que la prise de parole des vic­times est encour­agée depuis 2017 et le début du mou­ve­ment #MeToo, ce sont plus que jamais les asso­ci­a­tions fémin­istes qui con­stituent le pre­mier point de con­tact des vic­times vers une prise en charge. Comme la plu­part de ces struc­tures, le CFCV a vu la quan­tité de saisines aug­menter en con­tinu à par­tir de 2019 – l’effet rebond #MeToo –, soit 84 % d’appels en plus en cinq ans.

Pour la seule année 2020, le 3919, numéro nation­al spé­cial­isé dans les vio­lences con­ju­gales a, de son côté, enreg­istré 70 % d’appels en plus, prin­ci­pale­ment en rai­son du con­fine­ment. Aujourd’hui, d’après le cen­tre fran­cilien pour l’égalité femme-hommes Huber­tine Aucle­rt, « la ten­dance se sta­bilise » à un niveau élevé.

 

Une charge de travail impossible à absorber

Résul­tat : les struc­tures d’écoute et d’accueil croulent sous le tra­vail. « Dès qu’une écoutante est en vacances ou malade, on est en sous-effec­tifs et on doit faire des heures sup­plé­men­taires. On prend du retard sur cer­taines mis­sions », témoigne Véronique Wolf, coor­di­na­trice au CFCV. À Mar­seille, le ren­force­ment des équipes de Sol­i­dar­ité Femmes 13 ne suf­fit pas à éponger les 20 % de deman­des sup­plé­men­taires que la struc­ture enreg­istre chaque année. « S’il y a une cam­pagne d’affichage sur les vio­lences, le nom­bre d’appels explose, con­state Sophie Pioro, direc­trice de l’association. Les salariées ont par­fois l’impression d’un puits sans fond. »

Le rythme était déjà intense avant 2020 : « On a tou­jours fonc­tion­né en flux ten­du : avant le Covid, chaque tra­vailleuse sociale suiv­ait env­i­ron 40 femmes », se rap­pelle Camille (son prénom a été mod­i­fié), anci­enne salariée de Du côté des femmes, une asso­ci­a­tion du Val‑d’Oise con­trainte à la liq­ui­da­tion fin 2023. « On fai­sait six entre­tiens par jour, alors qu’il en aurait fal­lu trois pour accom­pa­g­n­er les femmes cor­recte­ment… »

Au fil des années, l’augmentation de la charge de tra­vail s’est traduite dans tout le secteur par une mul­ti­pli­ca­tion d’arrêts mal­adie, de burn-out, de départs. « Faire des arbi­trages en per­ma­nence, ça génère de la souf­france éthique : pri­oris­er des vic­times au détri­ment d’autres, c’est inhu­main », analyse Mar­i­lyn Baldeck, anci­enne déléguée générale de l’Association con­tre les vio­lences faites aux femmes au tra­vail (AVFT). « Les insti­tu­tions de l’État envoient les femmes dans des struc­tures qui n’ont pas les moyens de les accueil­lir », insiste de son côté Anne-Cécile Mail­fert, prési­dente de la Fon­da­tion des femmes qui finance de nom­breuses asso­ci­a­tions.

Sekhna Fall, coordinatrice de l'association Femmes entraide et autonomie. Elle est confronté quotidiennement à des situations très lourdes "On a beau être pro, c'est difficile de ne pas être affecté, de ne pas rentrer à la maison avec ces difficultés. On a des appels le soir, le week-end. Comment ne pas répondre ?" "Il faudrait plus de moyens et plus de solutions pour ces femmes." - Journée internationale contre les mutilations génitales féminines organisée par l'association Djamma Djigui, le 10 février 2024, Noisiel

Sekhna Fall, coor­di­na­trice de l’as­so­ci­a­tion Femmes entraide et autonomie pen­dant la Journée inter­na­tionale con­tre les muti­la­tions génitales féminines organisée par l’as­so­ci­a­tion Djam­ma-djigui, le 10 février 2024, Nois­iel (Seine-et-Marne). Crédit : Julie Bal­agué.

Plusieurs organ­i­sa­tions ont déjà ten­té de lancer l’alerte. En jan­vi­er 2018, l’AVFT fer­mait sa per­ma­nence télé­phonique pen­dant qua­tre mois pour essay­er de faire avancer les dossiers en cours : « Ça nous a fait du bien, mais ça ne nous a pas per­mis de résor­ber notre retard, se rap­pelle Lau­re Ignace, for­ma­trice et anci­enne juriste de l’association. Les jeunes pro­fes­sion­nelles qui ont envie d’“en être” se don­nent à fond et par­tent essorées au bout de quelques années. Elles sont rem­placées par d’autres, qu’il faut à nou­veau for­mer. » Un turnover qui génère une perte de temps et de com­pé­tences en matière d’accompagnement.
Ce tableau som­bre a au moins le mérite de met­tre en lumière les risques psycho­sociaux de ce secteur : mau­vaise ergonomie des postes de tra­vail, charge émo­tion­nelle, risques d’agressions antifémin­istes, mais aus­si « usure de com­pas­sion » et « trau­ma­tisme vic­ari­ant ». Étudiés depuis plusieurs années au Cana­da ou en Bel­gique (1), ces phénomènes sont encore peu con­nus en Europe. « Face au recueil répété de réc­its de vio­lences et d’horreurs, on peut dévelop­per les mêmes symp­tômes que les vic­times (flash-back, cauchemars, dépres­sions, insom­nies, stress post- trau­ma­tique…) sans avoir vécu les mêmes choses, explique la psy­cho­logue Mar­i­on Fareng (2). Cela peut touch­er des juristes, des tra­vailleurs soci­aux, des psy­cho­logues, des jour­nal­istes, des ONG. »

Dans les asso­ci­a­tions fémin­istes, les écoutantes, comme toutes les femmes, sont aus­si per­son­nelle­ment con­cernées, à des degrés divers, par les vio­lences patri­ar­cales dans leur vie privée. « Notre tra­vail mélange beau­coup l’intime, le tra­vail, le mil­i­tan­tisme, le monde des idées et le monde des émo­tions. Tout s’entrechoque et donne un cock­tail plus com­plexe que dans d’autres métiers », analyse Louise Delavier, cofon­da­trice de l’association. En avant toute(s), qui accom­pa­gne des adolescent·es et jeunes femmes par le biais d’un tchat en ligne (lire aus­si notre débat page 130). De son côté, la juriste Lau­re Ignace se sou­vient : « Quand je suis arrivée à l’AVFT, j’ai plongé la tête la pre­mière dans le tra­vail, avec un fort engage­ment mil­i­tant. Je ne comp­tais pas mes heures, je traitais les mails le soir et le week-end. On ne m’a jamais posé de lim­ites. L’absence de réflex­ion sur l’organisation col­lec­tive à moyens con­stants et les con­flits de valeurs ont dégradé mon état de san­té. Jusqu’à l’épuisement. »

 


« Faire des arbi­trages en per­ma­nence, ça génère de la souf­france éthique : pri­oris­er des vic­times au détri­ment d’autres, c’est inhu­main. »

Mar­i­lyn Baldeck


 

Des besoins colossaux

Dans les asso­ci­a­tions comme ailleurs, la lég­is­la­tion impose aux employeur·euses de pro­téger leurs salarié·es des risques psy­choso­ci­aux. Mais ce cadre est sou­vent mécon­nu des con­seils d’administration (CA) qui les gèrent. À la fois bénév­oles et employeurs, cer­tains man­quent de temps et de com­pé­tences juridiques. « Il y a des CA fémin­istes qui s’emparent du sujet et font de la préven­tion… Mais la plu­part sont com­posés de mil­i­tantes de bonne volon­té un peu per­dues sur ces ques­tions », témoignent Mar­ilou et Vir­ginie du syn­di­cat Asso-Sol­idaires, qui a dévelop­pé une for­ma­tion sur la souf­france au tra­vail.
Pour plusieurs des asso­ci­a­tions fémin­istes que nous avons inter­rogées, la ques­tion du bien-être au tra­vail est cen­trale. Mais elle se révèle dif­fi­cile­ment con­cil­i­able avec les cadences et le manque de moyens. Quant aux struc­tures portées par des bénév­oles, elles n’ont pas de for­ma­tion juridique con­tre la souf­france au tra­vail et doivent pos­er leurs pro­pres lim­ites. « Le prob­lème, c’est que le mil­i­tan­tisme ne s’arrête pas à la fin de la journée, il con­tin­ue par mes­sages, sur les réseaux soci­aux », con­state Car­o­line de Haas, cofon­da­trice de #NousToutes et d’Osez le Fémin­isme ! – qui ne milite plus aujourd’hui dans ces col­lec­tifs.
Mal­gré les annonces répétées d’Emmanuel Macron de faire de la lutte con­tre les vio­lences faites aux femmes la « grande cause » du quin­quen­nat et l’objectif du Grenelle des vio­lences con­ju­gales lancé en 2019, les sub­ven­tions sont loin d’atteindre les besoins des asso­ci­a­tions, oscil­lant entre 2,6 et 5,4 mil­liards d’euros par un rap­port de la Fon­da­tion des femmes, en 2023. En 2020, c’est un rap­port du Sénat qui inci­tait déjà le gou­verne­ment à pass­er « de la parole aux actes » dans un con­texte où « l’afflux de deman­des, à la suite du mou­ve­ment “me too” […] n’a pas été entière­ment com­pen­sé par des ressources budgé­taires cor­re­spon­dantes ». Un con­stat con­fir­mé, en sep­tem­bre 2023 par la Cour des comptes, qui regrette que les annonces prési­den­tielles ne se soient « pas traduite[s] par la déf­i­ni­tion et la décli­nai­son d’une stratégie glob­ale »

Inter­rogés par La Défer­lante, les ser­vices d’Aurore Bergé, min­istre déléguée à l’égalité entre les femmes et les hommes, chargée de la lutte con­tre les dis­crim­i­na­tions, met­tent en avant une aug­men­ta­tion de 6,6 % des crédits alloués aux asso­ci­a­tions entre 2023 et 2024, avec un total de 38,9 mil­lions d’euros prévus par la loi de finances 2024, pour la préven­tion et l’aide aux vic­times. « Certes, l’État met plus d’argent sur la table. Mais comme il y a beau­coup plus d’appels à l’aide, au bout du compte, il y a moins d’argent pour chaque femme suiv­ie », tacle Anne-Cécile Mail­fert, dont la Fon­da­tion éval­ue cette baisse de crédits indi­vidu­elle à 25 % depuis 2019.

De nombreux téléphones filment ou photographient l'événement - Journée internationale contre les mutilations génitales féminines organisée par l'association Djamma Djigui, le 10 février 2024, Noisiel

Pen­dant la Journée inter­na­tionale con­tre les muti­la­tions génitales féminines organisée par l’as­so­ci­a­tion Djam­ma-djigui, le 10 février 2024, à Nois­iel (Seine-et-Marne) Crédit : Julie Bal­agué

Depuis le début de l’année 2023, plusieurs organ­i­sa­tions de pre­mier plan sont ain­si passées de la survie à l’effondrement. Dans l’Essonne, alors que les deman­des de vic­times aug­men­taient de 35 %, l’association Léa Sol­i­dar­ité femmes a dû réduire ses temps d’accueil et licenci­er un tiers de ses effec­tifs, lais­sant douze salariées recevoir à elles seules env­i­ron 2 500 vic­times femmes et enfants cette année-là. En avril, l’association niçoise Accueil femmes sol­i­dar­ité a mis la clé sous la porte. En mai, Du côté des femmes, la seule struc­ture spé­cial­isée du Val‑d’Oise a été placée en redresse­ment judi­ci­aire puis liq­uidée en décem­bre.
Autre cause de cette pré­car­ité : les sub­ven­tions sont allouées – et donc remis­es en ques­tion – chaque année. De plus, elles sont aus­si ver­sées tar­di­ve­ment. Selon le min­istère de l’Égalité entre les femmes et les hommes, entre 2020 et 2022, seules 18 struc­tures, dont Femmes sol­idaires ou le CFCV, ont béné­fi­cié d’une con­ven­tion pluri­an­nuelle du min­istère, leur assur­ant un min­i­mum de sta­bil­ité. Pour les autres, ce fonc­tion­nement rend incer­tain le main­tien des postes de per­ma­nentes comme la pour­suite des pro­jets en cours.

Pour obtenir ces finance­ments publics, les asso­ci­a­tions doivent égale­ment con­sacr­er du temps et de l’énergie à des mille­feuilles admin­is­trat­ifs com­plex­es. « Je n’avais jamais fait de deman­des de sub­ven­tions. On est oblig­ées d’apprendre à val­oris­er ce qu’on fait avec les bons mots. Et pen­dant qu’on fait ça, on n’est pas sur le ter­rain », s’agace Ami­na­ta Dan­go, cofon­da­trice de l’association Dja­ma-djigui à Nois­iel, en Seine-et-Marne. Les huit bénév­oles les plus actives qui font vivre cette asso­ci­a­tion y con­sacrent cha­cune jusqu’à 40 heures par semaine. Avec les moyens du bord et des sub­ven­tions occa­sion­nelles, aidées par deux per­son­nes en ser­vice civique, elles tien­nent des per­ma­nences, accom­pa­g­nent des femmes qui vont dépos­er plainte, les ori­en­tent vers une psy­cho­logue, en met­tent d’autres à l’abri. La mil­i­tante soupire : « On fait un tra­vail indis­pens­able et recon­nu par les col­lec­tiv­ités, on sauve des vies. Mais on ne peut pas encore créer des postes salariés ni avoir une vision à long terme. » Cette charge de tra­vail a encore aug­men­té depuis la mul­ti­pli­ca­tion, dans les années 2000, des finance­ments alloués sur la base d’appels à pro­jets met­tant en con­cur­rence les asso­ci­a­tions entre elles (3). Les rares struc­tures qui le peu­vent embauchent des salariées affec­tées à la recherche de dons privés.

De la pédagogie auprès des financeurs publics et privés

Com­ment, dans ce con­texte, préserv­er la san­té men­tale des écoutantes ? Plusieurs asso­ci­a­tions met­tent en place des garde-fous. L’association En avant toutes finance par exem­ple une mutuelle qui per­met à ses salariées d’accéder à des soins psycho­logiques : « Tu ne peux pas con­stru­ire ton pro­jet sans pren­dre en compte cet aspect-là. Mais il faudrait que la société entière se préoc­cupe de pren­dre soin de nous et des tra­vailleurs soci­aux », souligne Louise Delavier. Chez #NousToutes, la déci­sion a été prise de gér­er les mes­sageries et la veille médi­a­tique sur les fémini­cides de manière tour­nante pour lim­iter l’exposition des bénév­oles aux réc­its de vio­lences. En cas de besoin, elles peu­vent aus­si appel­er une psy­cho­logue pour une con­sul­ta­tion d’urgence – un numéro encore peu util­isé. « Je pense que les per­son­nes n’osent pas, ou se finan­cent elles-mêmes des soins quand elles le peu­vent, pour ne pas mor­dre sur les finances du col­lec­tif », s’inquiète Col­ine Brou, mil­i­tante du col­lec­tif.

Flyers de l'association - Journée internationale contre les mutilations génitales féminines organisée par l'association Djamma Djigu, le 10 février 2024, Noisiel

Fly­ers de l’as­so­ci­a­tion Djam­ma-djigui dis­tribués pen­dant la Journée inter­na­tionale con­tre les muti­la­tions génitales féminines, le 10 février 2024, à Nois­iel (Seine-et-Marne). Crédit Julie Bal­agué

La psy­cho­logue fémin­iste Juli­ette Merci­er est la cofon­da­trice du Cen­tre Berta Pap­pen­heim, un cen­tre de « soins engagés » qui reçoit des mil­i­tantes dans plusieurs lieux asso­ci­at­ifs parisiens ou en visio­con­férence. Ces espaces de dis­cus­sion col­lec­tifs ont pour voca­tion de traiter les prob­lèmes organ­i­sa­tion­nels et rela­tion­nels. « On peut met­tre en place des règles con­crètes, comme lim­iter la durée des entre­tiens avec les vic­times, altern­er avec d’autres tâch­es pour ne pas se noy­er dans la vio­lence. Mais il faut surtout se sen­tir soutenue par la hiérar­chie et les col­lègues, ne pas être isolée dans des sit­u­a­tions com­pliquées, sug­gère-t-elle. Si on sent qu’on s’oublie pour l’autre, qu’il y a un glisse­ment, il y a dan­ger pour l’écoutante et la vic­time. ».

À Toulouse, l’Association pro­mo­tion ini­tia­tive femmes (Api­af), pili­er du réseau fémin­iste local, souhaite main­tenir son équipe à un effec­tif de vingt per­son­nes pour con­serv­er une organ­i­sa­tion hor­i­zon­tale. Les femmes accueil­lies n’ont pas de référente attitrée : « On est inter­change­ables, et ça nous pro­tège de la respon­s­abil­ité face aux déci­sions. On n’a pas à se deman­der seule : “Est-ce qu’elle va se faire tuer si elle ren­tre chez elle ce soir ?”, explique une salariée. Si on sort boulever­sée d’un entre­tien, on en par­le tout de suite. »


« ON SE FORCE À DÉCONSTRUIRE LA CULPABILITÉ MILITANTE, LA CULTURE DU DÉVOUEMENT, LA SENSATION D’URGENCE, CAR ON SERA TOUJOURS DÉBORDÉES. »

Une salariée de l’association L’Échappée, à Lille


Mêmes réflex­ions à Lille, au sein de l’association L’Échappée, où les salariées ont défi­ni un nom­bre max­i­mum d’accompagnements de vic­times pour cha­cune d’entre elles. « On se force à décon­stru­ire la cul­pa­bil­ité mil­i­tante, la cul­ture du dévoue­ment, la sen­sa­tion d’urgence, car on sera tou­jours débor­dées. Les seules lim­ites fixées, ce sont les nôtres. Pra­ti­quer un accom­pa­g­ne­ment fémin­iste implique de les respecter », explique l’une d’entre elles. Des choix qui impliquent de faire de la péd­a­gogie auprès des financeurs publics et privés. « On leur explique que recevoir deux fois plus de per­son­nes ne veut pas dire qu’on fait deux fois mieux le boulot. Et qu’on ne peut pas pren­dre soin des autres si on ne prend pas soin de nous. »

Le temps de tra­vail con­sacré aux super­visions, à la for­ma­tion et au bien-être des salariées a en effet un coût, que les asso­ci­a­tions ont par­fois du mal à estimer dans leurs bud­gets. « Le milieu asso­ci­atif devrait adapter sa charge de tra­vail à ses moyens humains réels, estime aujourd’hui Lau­re Ignace, anci­enne de l’AVFT. Si on en fai­sait deux fois moins, peut-être que ça chang­erait le rap­port de force face à l’État, qui a besoin de nous. » Pen­dant le mou­ve­ment social con­tre la réforme des retraites à l’hiver et au print­emps 2023, plusieurs asso­ci­a­tions fémin­istes toulou­saines ont par­ticipé à la grève recon­ductible : « Pour nous, c’était très impor­tant de mon­tr­er qu’on pou­vait s’arrêter, annuler des actions sans que tout s’écroule, se sou­vi­en­nent Mar­ilou et Vir­ginie du syn­di­cat Asso-Sol­idaires. Cette mobil­i­sa­tion nous a fait beau­coup de bien. Et elle a per­mis de rap­pel­er que faire des économies sur notre dos et sur nos heures de tra­vail gra­tu­ites, ce sont des choix poli­tiques ! » •


(1) Lire Pas­cale Bril­lon, Entretenir ma vital­ité d’aidant. Guide pour prévenir la fatigue de com­pas­sion et la détresse pro­fes­sion­nelle, Les édi­tions de l’Homme (Mon­tréal, Québec), 2002. Voir aus­si la vidéo Le stress vic­ari­ant, quéza­ko ? sur YouTube, réal­isée par Lau­ra­line Michel et le col­lec­tif OXO (Bel­gique).

(2) Mar­i­on Fareng tra­vaille sur la ques­tion de l’exposition aux réc­its de vio­lences sex­uelles. Elle inter­vient auprès des salarié∙es de plusieurs entre­pris­es et médias, dont La Défer­lante.

(3) En décem­bre 2020, le gou­verne­ment a provo­qué un tol­lé en annonçant l’ouverture d’un appel d’offres pour la reprise du 3919, la ligne d’assistance aux femmes vic­times de vio­lence, his­torique­ment gérée par la Fédéra­tion nationale Sol­i­dar­ité femmes (FNSF). À la suite d’une mobil­i­sa­tion d’ampleur, la procé­dure a finale­ment été inter­rompue.

Sarah Bosquet

Journaliste membre du collectif Hors Cadre, elle s’intéresse à l’actualité carcérale, à la dépollution des friches industrielles ou à l’accompagnement des victimes de violences sexistes et sexuelles. Dans nos pages, elle signe l’enquête sur le burn out dans les associations féministes. Voir tous ses articles

DESSINER : ESQUISSES D’UNE ÉMANCIPATION

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