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Le tatouage pour «reprendre sa liberté»

Dans le salon qu’elle a mon­té à Limo­ges, la tatoueuse Pia Beau­mont pose ses aigu­illes sur la peau des femmes qui veu­lent retrou­ver du pou­voir sur leur corps.
Publié le 24/04/2024

Modifié le 24/01/2025

La tatoueuse Pia Beaumont, dans son espace de travail, à Limoges, le 12 mars 2024.
La tatoueuse Pia Beau­mont, dans son espace de tra­vail, à Limo­ges, le 12 mars 2024. Crédit Leah Guill­out

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°14 Dessin­er, parue en mai 2024. Con­sul­tez le som­maire.

« Gamine, c’est en voy­ant ma grande sœur dessin­er que j’ai com­mencé à grif­fon­ner à mon tour. À côté de ça, toutes les semaines, je dan­sais le fla­men­co avec ma grand-mère espag­nole. Des ponts se sont créés entre la façon dont j’habitais mon corps et ce que je pro­dui­sais sur le papi­er. Le dessin, c’est du mou­ve­ment. Si on n’est pas connecté·e à son corps, rien ne sort.

Quand j’étais devant ma feuille, tout dis­parais­sait autour de moi, comme si j’étais sous hyp­nose. Mes par­ents n’avaient pas de cul­ture artis­tique, mais dès qu’ils ont vu quel plaisir je pre­nais à dessin­er, ils m’ont inscrite à un cours munic­i­pal. À par­tir de mes 13 ans, j’ai pu suiv­re des cours de mod­èle vivant avant de pass­er un bac arts appliqués, avec au pro­gramme beau­coup d’histoire de l’art et une ving­taine d’heures par semaine con­sacrées à la pra­tique du dessin.

Quelques années plus tard, ma grande sœur m’a demandé de réalis­er les ébauch­es de son pre­mier tatouage trib­al dans le bas du dos. Pour mon père, se faire tatouer était de très mau­vais goût, surtout pour une femme. Alors même si ça m’amusait beau­coup, je n’imaginais pas devenir tatoueuse. D’autant que ma référence, c’était ce que je voy­ais dans mon petit vil­lage de Cham­pagne : des salons avec unique­ment des tatoueurs hommes et des motards comme clients.

Cette année-là, j’ai com­mencé un BTS en com­mu­ni­ca­tion visuelle. C’était les pre­mières années d’Internet et, en fouil­lant sur MySpace, j’ai décou­vert le tra­vail de femmes artistes et tatoueuses comme Dodie et Maud Dard­eau. À 18 ans, je me suis fait tatouer pour la pre­mière fois : l’idée d’en faire mon méti­er est rev­enue. Je me raison­nais en me dis­ant : “Finis tes études, on ver­ra plus tard.” Mais c’était trop tard, la graine était plan­tée ! Quand j’ai ter­miné mon mas­ter en design glob­al, je me suis dit : “C’est main­tenant ou jamais !”

Je n’avais aucun con­tact dans ce milieu à l’époque, alors j’ai fait des recherch­es sur Inter­net, et j’ai appris qu’il n’existait pas de for­ma­tion offi­cielle, mais que certain·es tatoueur·euses pre­naient par­fois des apprenti·es. J’ai été embauchée par le plus gros salon de ma ville, mais ça a été très com­pliqué. J’étais la pre­mière femme à inté­gr­er l’équipe et je n’y étais pas la bien­v­enue. Mon boss était un gros dégueu­lasse qui ne respec­tait ni les filles ni le droit du tra­vail. J’ai passé les pre­mières années à tra­vailler six jours par semaine, prin­ci­pale­ment à net­toy­er le local. Je touchais à peine 30 % des revenus des rares tatouages que je fai­sais. Alors, après qua­tre ans là-bas, je me suis sauvée.

Un moment d’égoïsme pour ses clientes

Finale­ment j’ai ouvert mon shop à Limo­ges et suis dev­enue ma pro­pre patronne. Je me suis spé­cial­isée dans les motifs flo­raux et orne­men­taux. Ce qui a fait fonc­tion­ner le bouche-à-oreille, c’est que je suis une tatoueuse très à l’écoute. Avant chaque tatouage, je con­clus avec ma cliente ou mon client un pacte de con­fi­ance mutuelle : si ce que je pro­pose ne lui con­vient pas, elle ou il peut renon­cer. De mon côté, si je ne “sens” pas la per­son­ne, je peux refuser de la tatouer. Je pro­pose générale­ment une pre­mière ébauche à même la peau qui per­met de con­stru­ire un pro­jet unique, en m’adaptant à la spé­ci­ficité du corps de la per­son­ne. La cliente ou le client prend quelques jours pour se famil­iaris­er avec le dessin et le valid­er ou non.

En clien­tèle, j’ai à peu près 90 % de femmes. La plu­part d’entre elles ont la quar­an­taine et des enfants. Cer­taines ont dû économiser pen­dant plusieurs mois pour s’offrir un tatouage. Elles vien­nent sou­vent après une sépa­ra­tion ou une fois que leurs enfants sont par­tis de la mai­son, comme pour repren­dre leur lib­erté. Le tatouage, c’est le moment d’égoïsme qu’elles s’accordent enfin après avoir beau­coup don­né à leur famille. Une fois que c’est ter­miné, elles me dis­ent sou­vent que ça fait du bien de pren­dre du temps pour elles.
Beau­coup d’entre elles ont vécu des agres­sions sex­istes et sex­uelles, que ce soit chez elles ou à l’extérieur, alors je fais super atten­tion : par exem­ple, au moment où elles se désha­bil­lent, je leur pro­pose un plaid ou des cache-tétons pour se cou­vrir. Pour ces femmes, le tatouage peut être un moyen de repren­dre le pou­voir sur leur corps, comme un retour à elles-mêmes, mais ce n’est pas for­cé­ment ver­bal­isé. J’adore quand je vois sor­tir de l’atelier une femme plus déter­minée que quand elle y est entrée. J’aime penser que je plante des graines d’empouvoirement.  »

Pro­pos recueil­lis par télé­phone le 31 jan­vi­er 2024 par Marie-Agnès Laf­fougère, jour­nal­iste en alter­nance à La Défer­lante. •

Marie-Agnès Laffougère

Journaliste indépendante, elle travaille pour Têtu, Livres Hebdo et Radio France sur des sujets liés au genre et aux questions LGBT+. Voir tous ses articles

DESSINER / ESQUISSE D’UNE EMANCIPATION

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°14 Dessin­er, parue en mai 2024. Con­sul­tez le som­maire.


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