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Le syndrome de la femme battue reconnu devant les tribunaux

Util­isé depuis le début des années 1990 au Cana­da, le con­cept du syn­drome de la femme battue émerge dans les tri­bunaux français. En car­ac­térisant l’état d’emprise des femmes vic­times de vio­lences con­ju­gales répétées, il per­met de mieux juger les affaires de mari­cide. Mais il n’est pas exempt de cri­tiques.
Publié le 28/04/2022

Modifié le 16/01/2025

Chronique Marion Dubreuil La Déferlante 6

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°6 Rire. (juin 2022)

Le 25 juin 2021, je suis au tri­bunal de Chalon-sur-Saône au procès en appel de Valérie Bacot pour l’assassinat de son con­joint vio­lent. À l’heure du ver­dict, cette femme de 40 ans, qui encour­ait la per­pé­tu­ité, est con­damnée à qua­tre ans de prison, dont trois avec sur­sis.

Elle a fait un an de déten­tion pro­vi­soire et ressort donc libre du tri­bunal, sous les applaud­isse­ments de la foule. Pour la pre­mière fois, j’entends un juge pronon­cer l’expression « syn­drome de la femme battue » (SFB) pour motiv­er une déci­sion sur un mari­cide (1). Jusque-là, le SFB n’avait pas, en France, dépassé le stade de l’expertise judi­ci­aire.

Ce con­cept a été dévelop­pé par la psy­cho­logue clin­i­ci­enne améri­caine Lenore Walk­er en 1979 (2) : « Toute femme peut subir la vio­lence une fois dans ses rap­ports avec un homme. Si cela se repro­duit et qu’elle ne fuit pas cette sit­u­a­tion, elle est définie comme femme battue. » Le SFB est car­ac­térisé par impuis­sance, hyper­vig­i­lance et stratégie d’évitement ; il per­me­t­trait d’expliquer notam­ment qu’une femme reste avec un con­joint vio­lent et qu’elle n’aurait par­fois pas d’autre échap­pa­toire que tuer ou être tuée. Depuis 1994, il est réper­torié dans le reg­istre améri­cain des mal­adies men­tales sous la rubrique « stress post-trau­ma­tique ».

Dès 1990, ce con­cept a été util­isé par la jus­tice cana­di­enne pour acquit­ter une jeune femme du meurtre de son con­joint vio­lent. Angélique Lyn Laval­lée, 22 ans, avait pour­tant abat­tu son com­pagnon d’une balle en pleine tête, de dos. Mais la jus­tice a retenu que le jour des faits « il avait men­acé de la tuer si elle ne le tuait pas en pre­mier » ; la jeune femme avait craint pour sa vie. En deux ans de rela­tion, elle s’était ren­due à huit repris­es à l’hôpital pour des con­sul­ta­tions après des vio­lences con­ju­gales. La Cour suprême du Cana­da a con­clu à la « légitime défense » : l’expertise psy­chi­a­trique étab­lis­sant un SFB était un élé­ment de preuve admis­si­ble. Une révo­lu­tion dans le droit crim­inel cana­di­en qui a entraîné la révi­sion de 98 cas d’homicides par des femmes.

L’expertise psychiatrique devient incontournable

En France, les expert·es-psychiatres sont sou­vent décrié·es par les professionnel·les de jus­tice : pas assez formé·es, trop subjectif·ves. N’importe quel·le psy­chi­a­tre en exer­ci­ce avec un casi­er judi­ci­aire vierge peut pré­ten­dre à la fonc­tion d’expert·e judi­ci­aire. Et pour­tant, ce sont des acteurs et actri­ces incon­tourn­ables des procès d’assises : 49148 exper­tis­es psy­chi­a­triques ont été ordon­nées en 2020 en France. « On est obligé de par­ler de psy­chotrau­ma­tisme, regrette l’avocate Lor­raine Ques­ti­aux, qui a défendu deux femmes mari­cides, pour ras­sur­er les juré·es et anticiper une ques­tion qui ne devrait pas être au coeur des débats!: pourquoi n’est-elle pas par­tie ? Face à cette anx­iété sociale, l’expertise psy­chi­a­trique nous per­met de démon­tr­er qu’une femme qui a tué son con­joint vio­lent n’a choisi ni la facil­ité ni la vengeance. »

Les expert·es peu­vent faire pencher la bal­ance judi­ci­aire. En juin 2021, devant la cour d’assises de Saône-et-Loire qui jugeait Valérie Bacot, l’expert Denis Prieur avait expliqué avoir « l’intime con­vic­tion qu’elle était totale­ment aliénée et que tuer son mari était le seul acte de libéra­tion pos­si­ble ». Quelques mois plus tard, il m’a con­fié ne pas avoir « osé con­clure à l’abolition du dis­cerne­ment par peur d’aller trop loin et de desservir les intérêts [de Valérie Bacot] ». Cela reve­nait à dire qu’elle n’était pas pénale­ment respon­s­able, donc qu’elle ne devait pas être jugée ; Denis Prieur a estimé que les magistrat·es et les juré·es n’étaient pas prêt·es à l’entendre. Cela m’a fait penser au dossier Rita Grav­e­line, cette Cana­di­enne qui a tué son con­joint vio­lent d’un coup de fusil dans son som­meil une nuit de 1999. Après sept ans de procé­dures, la Cour suprême du Cana­da l’avait défini­tive­ment acquit­tée en esti­mant qu’elle n’était « pas en lien avec le réel » quand elle a fait feu « par automa­tisme ».

Une « culture profonde du déni de la parole des femmes »

L’un des risques de l’utilisation du con­cept de SFB est de créer un arché­type de la femme battue. Il faudrait entr­er dans la case de la femme sup­pli­ciée, comme Valérie Bacot, à qui rien n’a été épargné#: elle a été vio­len­tée physique­ment, mais aus­si for­cée à se pros­tituer, par son mari, qui avait aus­si été son beau-père, déjà con­damné pour l’avoir vio­lée dans son enfance. Vingt-qua­tre années d’un cal­vaire insouten­able.

En dehors du syn­drome de la femme battue, quelle est la prise en compte des vio­lences con­ju­gales dans les cas de mari­cides ? Elles sont par exem­ple totale­ment absentes des moti­va­tions de la cour d’appel d’Évreux, qui a con­damné, le 23 octo­bre 2021, Alexan­dra Richard à dix ans de réclu­sion crim­inelle pour le meurtre de son con­joint. Quand les expert·es ne font pas, ou font mal, la médi­a­tion entre la jus­tice et les femmes accusées de mari­cide, ces dernières ne sont pas enten­dues. Mₑ Ques­ti­aux, l’avocate d’Alexandra Richard, dénonce une «!cul­ture pro­fonde du déni de la parole des femmes!».

Pour l’avocate fémin­iste Chora­lyne Dumes­nil, « l’écueil de ces exper­tis­es finale­ment, c’est de se sous­traire à l’analyse poli­tique des rap­ports de pou­voir et de se con­tenter d’une analyse indi­vidu­elle, d’une lec­ture psy­chologique et psy­chi­a­trique des réac­tions des femmes au patri­ar­cat ». Et si le syn­drome de la femme battue était avant tout l’aveu d’échec d’une société inca­pable de pro­téger les femmes ? Car si elles n’ont pas d’échappatoire face à un con­joint vio­lent alors même qu’elles ont la pos­si­bil­ité en droit de dépos­er plainte et d’obtenir une mesure d’éloignement, cela démon­tre bien que ces mécan­ismes sont inopérants. La recon­nais­sance du syn­drome de la femme battue ne suf­fit pas ; les avo­cates de Valérie Bacot ont assigné l’État en jus­tice pour faute lourde : les sig­nale­ments de vio­lences n’ont pas été pris en compte, l’État ne l’a pas pro­tégée.

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1. Défi­ni comme « homi­cide con­ju­gal féminin » ou « meurtre de l’époux par l’épouse » (nous n’avons pas trou­vé de cas où ce mot désigne le meurtre d’un homme par son con­joint).

2. Lenore Walk­er, The Bat­tered Woman Syn­drome, Springer Pub­lish­ing Co. Inc, 2009 [1979].

 

Marion Dubreuil

Journaliste judiciaire, elle documente les violences sexistes et sexuelles depuis sept ans, comme le procès pour viol de Tariq Ramadan ou celui de Christophe Ruggia. Depuis trois ans, elle est également dessinatrice judiciaire. Dans ce numéro, elle fait le récit du procès des violeurs de Mazan. Voir tous ses articles

Rire : peut-on être drôle sans humilier

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