« Le journalisme est pour moi un outil de lutte »

Le 3 septembre paraîtra le numéro 19 de La Déferlante intitulé « S’informer en fémi­nistes ». Pendant tout le mois d’août, nous donnons la parole à des personnes qui s’engagent pour une infor­ma­tion fiable et indé­pen­dante. Troisième d’une série de quatre : le témoi­gnage de Lucile Leclair, jour­na­liste d’investigation et militante contre l’agrobusiness.

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Publié le 21/08/2025

Lucile Leclair a choisi de vivre à la campagne, dans le nord de la France, pour rester au contact du monde rural. Crédit photo : Stéphane Dubromel / Hans Lucas
Lucile Leclair a choisi de vivre à la campagne, dans le nord de la France, pour rester au contact du monde rural. Crédit photo : Stéphane Dubromel / Hans Lucas

Découvrez la revue La Déferlante n°19 « S’informer en fémi­nistes », parue en septembre 2025. Consultez le sommaire.

« Je me présente comme une jour­na­liste engagée. Cette déno­mi­na­tion ne me dérange pas, car on n’arrive pas dans le métier avec une page blanche derrière soi. Des dis­cus­sions, des ren­contres, des lectures m’ont amenée à cette pro­fes­sion. J’étais engagée pour l’écologie avant de devenir journaliste.

J’ai grandi à Calais, dans une famille nombreuse de la bour­geoi­sie, mais ayant été sco­la­ri­sée dans l’enseignement public, j’ai évolué dans un milieu très mixte socia­le­ment. Je pense que mon enga­ge­ment remonte à l’enfance, car grandir dans cette ville n’est pas neutre. Calais est une ville frontière qui accueille des personnes ayant fui la guerre, en Europe, au Moyen-Orient ou sur le continent africain. Je me souviens que quand j’avais 8 ou 9 ans, des Kosovar·es vivaient dans le parc à côté de chez moi. Cela m’a marquée d’être au contact de cette réalité. À l’époque du collège puis du lycée, j’étais impliquée dans une asso­cia­tion nommée Salam, qui vient en aide aux exilé·es. J’ai compris par la suite que cet enga­ge­ment m’avait servi de formation politique.

Dans mon entourage, personne n’exerçait le métier d’enquêteur·ice ou de jour­na­liste. Je l’ai découvert lors d’un voyage en sac à dos après mes études à Sciences Po Paris. Plein de jeunes diplômé·es partaient à l’autre bout du monde, mais moi, j’avais envie de parcourir la France et de ren­con­trer des gens qui me faisaient rêver. J’ai côtoyé des personnes qui n’étaient pas issues du milieu agricole et qui repre­naient une ferme ou en créaient une. Cela a donné naissance à mon premier livre : Les Néo-paysans (coédition Le Seuil/Reporterre, 2016), écrit avec Gaspard d’Allens. Après le bouquin, je me suis dit : quelle for­mi­dable façon de s’engager, de ren­con­trer des gens ! C’est comme ça que je suis devenue journaliste.

« Personne ne peut être neutre »

Je ne me disais pas jour­na­liste à l’époque. Je me demandais plutôt si on pouvait l’être sans avoir fait d’école de jour­na­lisme, s’il n’y avait pas un statut à obtenir… Le fait de me consi­dé­rer comme telle s’est fait petit à petit, notamment grâce aux col­lec­tifs de jour­na­listes. Pour moi, exercer ce métier, c’est aussi créer des liens et échanger avec ses pair·es. C’est vraiment ce qui donne de la force. Et c’est comme ça que j’ai trouvé ma place dans le monde pro­fes­sion­nel.

Les questions rurales me portent depuis longtemps. J’ai fait le choix de vivre à la campagne dans le nord de la France. Peut-être que si je vivais en ville je serais moins sensible à l’environnement autour de moi. J’observe ce qui se passe où j’habite, tout en conti­nuant à voyager pour mes enquêtes. C’est par­ti­cu­liè­re­ment important pour les sujets que je traite, car le ter­ri­toire agricole n’est pas homogène. Ce qui compte, d’après moi, c’est de trans­mettre des infor­ma­tions d’intérêt général, qui sont absentes du débat public. Par exemple, quand on ne peut pas entrer dans une ferme parce qu’elle appar­tient à une entre­prise privée, c’est qu’il y a quelque chose à creuser.


« Exercer ce métier, c’est aussi créer des liens et échanger avec ses pair·es. C’est vraiment ce qui donne de la force. »


On me demande souvent comment j’articule jour­na­lisme et mili­tan­tisme. Mais je trouve la question mal posée. Est-ce que dans un pays en guerre on demande aux gens s’ils sont militants ? Certes, en France, nous ne sommes pas en guerre, mais le pays est traversé par une conflic­tua­li­té sourde. Une violence sys­té­mique s’exerce contre les humain⋅es et contre la nature – par exemple, le taux de suicide dans le monde agricole est trois fois plus élevé que dans le reste de la popu­la­tion active. C’est une évidence que personne ne peut être neutre. Le jour­na­lisme est pour moi un outil de lutte au même titre que le droit ou la politique.

On a souvent une intuition ou un avis avant de se mettre à enquêter sur un sujet. C’est un moteur, mais cela ne doit jamais dicter le résultat. Ce qui prime, tout au long du travail d’investigation, c’est la rigueur : la manière dont on mène l’enquête, dont on interroge ses sources, dont on exploite les rapports, les études, la docu­men­ta­tion. L’engagement relève avant tout de la déon­to­lo­gie, pas de l’idéologie. Être engagé·e, c’est rester honnête face à ce que l’on découvre, c’est juger les faits avec exigence et responsabilité. »

Ces propos ont été recueillis au téléphone, le 15 juillet 2025.

S’informer en féministes : face à l’offensive, la contre-attaque

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