« Je me présente comme une journaliste engagée. Cette dénomination ne me dérange pas, car on n’arrive pas dans le métier avec une page blanche derrière soi. Des discussions, des rencontres, des lectures m’ont amenée à cette profession. J’étais engagée pour l’écologie avant de devenir journaliste.
J’ai grandi à Calais, dans une famille nombreuse de la bourgeoisie, mais ayant été scolarisée dans l’enseignement public, j’ai évolué dans un milieu très mixte socialement. Je pense que mon engagement remonte à l’enfance, car grandir dans cette ville n’est pas neutre. Calais est une ville frontière qui accueille des personnes ayant fui la guerre, en Europe, au Moyen-Orient ou sur le continent africain. Je me souviens que quand j’avais 8 ou 9 ans, des Kosovar·es vivaient dans le parc à côté de chez moi. Cela m’a marquée d’être au contact de cette réalité. À l’époque du collège puis du lycée, j’étais impliquée dans une association nommée Salam, qui vient en aide aux exilé·es. J’ai compris par la suite que cet engagement m’avait servi de formation politique.
Dans mon entourage, personne n’exerçait le métier d’enquêteur·ice ou de journaliste. Je l’ai découvert lors d’un voyage en sac à dos après mes études à Sciences Po Paris. Plein de jeunes diplômé·es partaient à l’autre bout du monde, mais moi, j’avais envie de parcourir la France et de rencontrer des gens qui me faisaient rêver. J’ai côtoyé des personnes qui n’étaient pas issues du milieu agricole et qui reprenaient une ferme ou en créaient une. Cela a donné naissance à mon premier livre : Les Néo-paysans (coédition Le Seuil/Reporterre, 2016), écrit avec Gaspard d’Allens. Après le bouquin, je me suis dit : quelle formidable façon de s’engager, de rencontrer des gens ! C’est comme ça que je suis devenue journaliste.
« Personne ne peut être neutre »
Je ne me disais pas journaliste à l’époque. Je me demandais plutôt si on pouvait l’être sans avoir fait d’école de journalisme, s’il n’y avait pas un statut à obtenir… Le fait de me considérer comme telle s’est fait petit à petit, notamment grâce aux collectifs de journalistes. Pour moi, exercer ce métier, c’est aussi créer des liens et échanger avec ses pair·es. C’est vraiment ce qui donne de la force. Et c’est comme ça que j’ai trouvé ma place dans le monde professionnel.
Les questions rurales me portent depuis longtemps. J’ai fait le choix de vivre à la campagne dans le nord de la France. Peut-être que si je vivais en ville je serais moins sensible à l’environnement autour de moi. J’observe ce qui se passe où j’habite, tout en continuant à voyager pour mes enquêtes. C’est particulièrement important pour les sujets que je traite, car le territoire agricole n’est pas homogène. Ce qui compte, d’après moi, c’est de transmettre des informations d’intérêt général, qui sont absentes du débat public. Par exemple, quand on ne peut pas entrer dans une ferme parce qu’elle appartient à une entreprise privée, c’est qu’il y a quelque chose à creuser.
« Exercer ce métier, c’est aussi créer des liens et échanger avec ses pair·es. C’est vraiment ce qui donne de la force. »
On me demande souvent comment j’articule journalisme et militantisme. Mais je trouve la question mal posée. Est-ce que dans un pays en guerre on demande aux gens s’ils sont militants ? Certes, en France, nous ne sommes pas en guerre, mais le pays est traversé par une conflictualité sourde. Une violence systémique s’exerce contre les humain⋅es et contre la nature – par exemple, le taux de suicide dans le monde agricole est trois fois plus élevé que dans le reste de la population active. C’est une évidence que personne ne peut être neutre. Le journalisme est pour moi un outil de lutte au même titre que le droit ou la politique.
On a souvent une intuition ou un avis avant de se mettre à enquêter sur un sujet. C’est un moteur, mais cela ne doit jamais dicter le résultat. Ce qui prime, tout au long du travail d’investigation, c’est la rigueur : la manière dont on mène l’enquête, dont on interroge ses sources, dont on exploite les rapports, les études, la documentation. L’engagement relève avant tout de la déontologie, pas de l’idéologie. Être engagé·e, c’est rester honnête face à ce que l’on découvre, c’est juger les faits avec exigence et responsabilité. »
Ces propos ont été recueillis au téléphone, le 15 juillet 2025.






