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« Le féminisme iranien est une force de contestation révolutionnaire »

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Publié le 21/10/2022

Modifié le 16/01/2025

Chowra Makaremi est une chercheuse franco-iranienne.
Archives per­son­nelles

Un mois après le début du soulève­ment en Iran, les man­i­fes­ta­tions de femmes con­tre le port du voile se sont trans­for­mées en un large mou­ve­ment de con­tes­ta­tion sociale qui ne sem­ble pas faib­lir. Un cas d’école de con­ver­gence des luttes qu’analyse pour La Défer­lante l’anthropologue fran­co-irani­enne Chowra Makare­mi.

Depuis la mi-sep­tem­bre et l’assassinat de la jeune Mah­sa Ami­ni par la police religieuse, la jeunesse irani­enne man­i­feste un peu partout aux cris de « Femme, vie, lib­erté ». Com­ment faut-il, selon vous, com­pren­dre ce slo­gan ? 

Zhi­na Mah­sa Ami­ni apparte­nait à la minorité kurde qui est extrême­ment dis­crim­inée en Iran – son « vrai » prénom est d’ailleurs un prénom kurde, Zhi­na, que l’État refuse d’enregistrer. C’est impor­tant pour com­pren­dre les cir­con­stances de sa mort : Zhi­na Mah­sa n’était pas plus mal voilée que la majorité des filles à Téhéran, mais celles qui sont orig­i­naires de la cap­i­tale savent où aller pour éviter les con­trôles, com­ment se com­porter avec les agents, à qui don­ner de l’argent, qui appel­er en cas de prob­lème…
Les protes­ta­tions ont com­mencé le soir des funérailles de la jeune femme dans la ville de Saqqez. C’est de là qu’est par­ti le slo­gan en langue kurde « Femme, vie, lib­erté », une devise poli­tique inven­tée au sein du Par­ti des tra­vailleurs kur­des (PKK) d’Abdullah Öcalan –  dans lequel, certes, les femmes n’ont pas tou­jours été suff­isam­ment représen­tées, mais qui a théorisé que la libéra­tion du Kur­dis­tan ne se ferait pas sans elles.
Je note au sujet du mot « vie » con­tenu dans ce slo­gan que beau­coup de jeunes man­i­fes­tantes et man­i­fes­tants don­nent lit­térale­ment leur vie pour le change­ment de régime qu’ils récla­ment. Quand Zhi­na Mah­sa est morte, les pre­mières images d’elle qui ont été dif­fusées la mon­traient en robe rouge en train d’exécuter une danse tra­di­tion­nelle qui témoigne d’un culte de la joie qu’on retrou­ve sur tous les comptes Insta­gram ou Tik­tok des man­i­fes­tantes tuées aupar­a­vant.

Chowra Makaremi est une chercheuse franco-iranienne.

Chowra Makare­mi est une chercheuse fran­co-irani­enne. Crédit pho­to : Archives per­son­nelles

Quelle est la place des fémin­istes dans le mou­ve­ment qui agite l’Iran depuis plus d’un mois ?

La dimen­sion prin­ci­pale de cette révolte est le refus du voile qui est la matéri­al­i­sa­tion de ce que les fémin­istes irani­ennes appel­lent « l’apartheid de genre » : un ensem­ble de dis­crim­i­na­tions économiques, cul­turelles et juridiques, inscrites dans les lois sur le tra­vail ou l’héritage.
Mais ce mou­ve­ment veut aus­si met­tre fin à d’autres dis­crim­i­na­tions : par exem­ple, […]

celles con­tre les minorités comme les Baloutch­es, les arabo­phones, les Baha’is, ou encore les réfugiés afghans de deux­ième généra­tion qui n’ont jamais pu avoir la nation­al­ité irani­enne.

« OPPOSER LES MANIFESTANTES IRANIENNES QUI ENLÈVENT LE VOILE AUX FRANÇAISES MUSULMANES QUI SOUHAITENT LE PORTER, C’EST PASSER À CÔTÉ DE CETTE PUISSANCE RÉVOLUTIONNAIRE »

Le mou­ve­ment fémin­iste iranien existe depuis trente ans, et il est très puis­sant – la Prix Nobel de la paix [en 2003], Shirin Eba­di, est une femme, tout comme les détenues emblé­ma­tiques du régime. Ses mil­i­tantes ont été entraînées à une lec­ture juridique du sys­tème de dom­i­na­tion, et leur doc­trine con­stitue la colonne vertébrale de nom­breuses formes d’activisme. Comme théorie et comme méth­ode, le fémin­isme inter­sec­tion­nel iranien per­met aujourd’hui de com­pren­dre com­ment, pour la pre­mière fois depuis quar­ante ans, des seg­ments de la pop­u­la­tion qui n’ont jamais été sol­idaires se soulèvent en même temps.

Que deman­dent les hommes qui pren­nent part au soulève­ment ?

Il ne s’agit pas unique­ment de man­i­fes­ta­tions pour les droits des femmes : les hommes orig­i­naires des quartiers pop­u­laires descen­dent aus­si dans la rue pour pro­test­er con­tre la vie chère ; ceux orig­i­naires du Kur­dis­tan man­i­fes­tent pour ne pas être vic­times de vio­lence… Il faut aus­si avoir en tête l’appauvrissement rapi­de de l’Iran, où les class­es moyennes sont réduites à peau de cha­grin en rai­son du Covid, des sanc­tions inter­na­tionales et de la cor­rup­tion. Tous ces élé­ments sont à com­pren­dre ensem­ble.
Finale­ment, le voile n’est devenu une demande de pre­mier plan que lorsque, ces dernières années, les fémin­istes sont arrivées au bout des reven­di­ca­tions réformistes pos­si­bles. C’est ain­si qu’est né l’activisme quo­ti­di­en sur cette ques­tion qui con­stitue un des piliers de l’ordre théocra­tique   une façon de rap­pel­er à tous·tes les Iranien·nes que le pou­voir s’inscrit sur les corps. En 2018, « les filles de la rue de la révo­lu­tion », défendues par l’avocate Nas­rin Sotoudeh, se sont mis­es à man­i­fester avec un voile blanc porté non pas sur la tête mais au bout d’un bâton. Elles ont écopé de quinze ans de prison et sont encore détenues aujourd’hui.

En France, dans les médias comme chez les commentateur·ices poli­tiques, un par­al­lèle a sou­vent été établi entre les Irani­ennes qui se dévoilent et les Français­es musul­manes qui se voilent. Pensez-vous que cette grille de lec­ture soit per­ti­nente ?

Ce que mon­tre le soulève­ment en Iran, c’est que le fémin­isme n’est pas unique­ment un out­il intel­lectuel qui per­met de revendi­quer l’égalité à l’intérieur d’un État de droit mais qu’il peut être une force de con­tes­ta­tion révo­lu­tion­naire.
Oppos­er les man­i­fes­tantes irani­ennes qui enlèvent leur voile aux Français­es musul­manes qui souhait­ent le porter, c’est pass­er à côté de cette puis­sance révo­lu­tion­naire. La haine du voile chez celles qui le brû­lent lors des man­i­fes­ta­tions ne ren­voie à aucune altérité : elles ne détes­tent pas le voile de leur mère, de leurs grands-mères et de leurs amies, mais le tis­su dont on les emmail­lote. La ques­tion qui se pose à cet endroit est celle du con­trôle poli­tique du corps des femmes par les gou­verne­ments partout dans le monde.
Pour autant, je ne souscris pas au rac­cour­ci qui con­siste à dire : « En Iran on oblige les femmes à porter le voile et en France à l’enlever. » En France on oblige les femmes à enlever le voile, et si elles ne le font pas elles risquent d’être dés­co­lar­isées, licen­ciées ou humil­iées devant leurs enfants. En Iran ou en Afghanistan, si elles retirent leur voile, elles risquent d’être tor­turées et tuées. C’est une dif­férence con­sti­tu­tive, pas un con­tin­u­um de vio­lences.
Mal­gré tout cela, réduire ce qui se passe actuelle­ment en Iran à une révolte con­tre le voile, c’est jouer le jeu des réformistes iraniens qui assim­i­lent la sit­u­a­tion insur­rec­tion­nelle actuelle à une reven­di­ca­tion ves­ti­men­taire. Tous les slo­gans deman­dent un change­ment de régime, aucun ne dit non au hijab. Quand les filles brû­lent leur voile dans la rue, c’est une façon de s’en pren­dre à un pili­er du régime : elles le brû­lent en dis­ant « à bas la dic­tature ». Il faut les écouter.

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Anne Roy

Journaliste à l’agence AEF info, elle garde de sa dizaine d’années passées à L’Humanité et d’un long détour au Japon, un appétit pour les luttes féministes en France et bien au-delà. Membre du comité éditorial de La Déferlante. Voir tous ses articles


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