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Le débardeur de Sigourney Weaver

Artiste non binaire anti­va­lidiste, No Anger racon­te dans cette chronique com­ment iel a passé sa vie à ten­ter de se dépar­tir d’un imag­i­naire cis-hétéro­cen­tré pour se créer une mytholo­gie qui lui soit pro­pre.

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Publié le 02/02/2024

Modifié le 16/01/2025

famille choisie
La Défer­lante
Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Con­sul­tez le som­maire.

Lorsqu’on me demande mes orig­ines (ques­tion que toute per­son­ne racisée entend au moins une fois par mois), j’ai sou­vent envie de répon­dre : « Je suis d’origine les­bi­enne. » Revê­tant les atours d’une blague, cette phrase dit pour­tant quelque chose d’essentiel : c’est du les­bian­isme que je viens. C’est en lui que je me suis forgéx (1). Les années pas­sant, j’ai exploré les divers­es topogra­phies du genre et j’ai peu à peu déserté les con­trées du « elle ». Main­tenant, je me défi­nis comme gouinx, mot au relief plus poli­tique qui des­sine les con­tours rouges des années 1970 (2), vio­lence réap­pro­priée. Un mot dont la ter­mi­nai­son fait une croix sur toutes les mar­ques du genre.

Si je devais retenir un seul élé­ment qui m’a accom­pa­g­néx durant tout ce par­cours, ce serait sûre­ment le débardeur que porte le per­son­nage d’Ellen Rip­ley (aka Sigour­ney Weaver) dans Alien. Depuis mon pre­mier vision­nage à l’âge de 17 ans du film de James Cameron, ce petit bout de tis­su gris tient une place à part dans mon cœur : objet de tous mes fan­tasmes, moyen d’identification à une féminité alter­na­tive, mais aus­si signe de recon­nais­sance et de ral­liement. Que de soirées passées à l’évoquer avec des ami·es et amix se définis­sant comme lesbien·nes ou les­bi­enx, gouin·es ou gouinx, queer. Ce débardeur peu­ple nos imag­i­naires, au même titre que la gouine à camion de Bet­ter Than Choco­late, ou l’intense ­« I love you » que prononce Cate Blanchett à la fin du film Car­ol. Nous savons ce que représen­tent ces îlots de les­bian­isme dans l’océan de l’hétérosexualité ciné­matographique, la com­plic­ité que ces images créent entre celleux chez qui elles réson­nent, la joie de saisir instan­ta­né­ment telle référence ou tel trait d’humour, l’élan de se sen­tir appartenir à une cul­ture com­mune, de par­ler un même lan­gage.

Une autre mythologie

Pour moi, être gouinx, être queer, c’est être bilingue. J’ai par­lé un pre­mier lan­gage, celui de la cis-hétéro­sex­u­al­ité, qui tient à la fois du « tou­jours déjà là » et de l’habitude inculquée mécanique­ment. Fut un temps où ses mots, ses images et ses gra­phies me sem­blaient les seules val­ables.

Pen­dant l’adolescence, j’ai com­mencé à me forg­er un par­ler dif­férent, à me con­stru­ire pierre après pierre une autre mytholo­gie. Dans une quête d’abord soli­taire et insa­tiable de ce qui était caché, j’écumais Inter­net à la recherche d’histoires qui ressem­blaient à la mienne. J’ai exploré les rivages de Mytilène, cap­i­tale de l’île de Les­bos, j’ai déter­ré l’écrivaine Renée Vivien, j’ai voulu tout con­naître de la rela­tion entre George Sand et l’actrice Marie Dor­val. Pen­dant de longs après-midi où je n’avais pas cours, je m’efforçais de façon­ner mon pan­théon, me sen­tant exis­ter un peu plus à chaque his­toire que je décou­vrais. Peu à peu, ces fig­ures ont con­sti­tué un imag­i­naire qui, par la suite, s’est enrichi au fil de dis­cus­sions menées à plusieurs, en ter­rasse des cafés ou pen­dant des soirées où on évo­quait Monique Wit­tig et où on regar­dait The Rocky Hor­ror Pic­ture Show.

Se dépar­tir d’un imag­i­naire cis-hétéro­cen­tré, c’est peut-être avant tout une ques­tion d’amour, mais d’un amour qui dépasse la sim­ple atti­rance roman­tique ou sex­uelle. C’est être liéx à des per­son­nes, faire famille avec elles, s’inscrire dans une lignée d’histoires et de noms qui ne repose pas tant sur des con­cep­tions biologiques ou légales que sur un lan­gage auquel on aurait choisi de pren­dre part. C’est un de ces amours qui installe une fierté com­plice entre celleux qui la parta­gent. C’est la joie de se recon­naître dans des images puis­santes et des mots rieurs, d’être recon­nux dans une com­mu­nauté.

Apprendre à être handicapéx

Être gouinx m’a sauvé la vie. Pour rien au monde je ne voudrais renon­cer à ce lan­gage et à ces images que j’ai choisies, à ces fig­ures aux­quelles je suis pro­fondé­ment attachéx parce qu’elles ne m’ont jamais été livrées sur un plateau : c’est moi qui ai dû aller les chercher par mes pro­pres moyens, ou avec des per­son­nes aimées. Cela fait longtemps que je ne suis plus une les­bi­enne orphe­line.

J’ai com­pris que la fierté pou­vait être le fruit d’un tra­vail et, peu à peu, les assig­na­tions ont été déjouées, les nar­ra­tions se sont recom­posées. Aujourd’hui, me penser comme gouinx m’apprend à me con­stru­ire en tant que hand­i­capéx. J’ai appris que mon corps n’était pas cir­con­scrit à ces pau­vres drames que des­sine le validisme (3) sur les peaux, ni à sa mytholo­gie trag­ique et sur­faite. Reprenant les jalons qu’unx ado, bébé gouinx, a posés, je trace un chemin vers d’autres lignées et d’autres nar­ra­tions, loin de Qua­si­mo­do et de tant d’autres fig­ures trop facile­ment mon­trées. À nou­veau, je fouille, je déterre, et ce sont les mil­i­tantes hand­ies Rosa May Billinghurst, Bar­bara Lisic­ki ou Judy Heumann que je décou­vre. Sur ce ter­reau com­mence à éclore une fierté hand­i­capée. Peu à peu, une famil­iar­ité se crée entre celleux qui expéri­mentent le validisme. Nous nous racon­tons sa vio­lence, nous nous com­prenons. Entre nous, nous pan­sons nos plaies et recon­stru­isons nos imag­i­naires. Pour ne plus être orphelin·es, pour nous être fam­i­lierx. •

Doc­teurx en sci­ence poli­tique, No Anger est artiste, mil­i­tan­tx queer et anti­va­lidiste. Iel s’intéresse aux mou­ve­ments soci­aux et aux ques­tions liées au genre, au corps et à la sex­u­al­ité. Iel livre ici sa dernière chronique d’une série de qua­tre.


(1) Pour exprimer son iden­tité non binaire, No Anger emploie une gra­phie répan­due dans les milieux mil­i­tants : la ter­mi­nai­son en x par laque­lle toute mar­que de genre est sup­primée. Dans l’usage, plus bas, du point médi­an («ami·es», «lesbien·nes»…), les mar­ques de genre sont en revanche cumulées : cette ter­mi­nai­son asso­cie alors femmes se définis­sant comme lesbiennes/gouines et hommes trans se définis­sant comme lesbiens/gouins.

(2) En 1971 est fondé en France le col­lec­tif des Gouines rouges, mou­ve­ment fémin­iste les­bi­en proche du Mou­ve­ment de libéra­tion des femmes.

(3) Le validisme, aus­si appelé capacitisme, est un sys­tème d’oppressions qui inféri­orise les per­son­nes hand­i­capées, en con­sid­érant les per­son­nes valides comme la norme sociale.

No Anger

(photo en attente ) Docteure en science politique, No Anger est une artiste et militante queer et antivalidiste. Elle s’intéresse aux mouvements sociaux et aux questions liées au genre, au corps et à la sexualité. Elle signe ici sa première chronique d’une série de quatre. Voir tous ses articles

Avorter : une lutte sans fin

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Con­sul­tez le som­maire.

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