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L’invention du « summer body » : un siècle d’injonctions sexistes à la plage

Publié le 22/07/2022

Modifié le 16/01/2025

L’invention du « summer body » : un siècle d’injonctions sexistes à la plage
L’été est bien plus qu’on ne le croit la saison des conventions sociales. Corps dénudés, jambes épilées, teint bronzé : les injonctions touchent en premier lieu les femmes. Loin d’avoir toujours existé, cette obsession du « corps d’été » est née au début du siècle dernier. Jusque fin août, la newsletter de La Déferlante vous propose de regarder vos vacances à travers des lunettes de genre.

Print­emps 2015. Dans le métro lon­donien, une pub­lic­ité pour des com­plé­ments ali­men­taires affiche le corps mince et gal­bé d’une jeune femme en mail­lot de bain et inter­roge : « Are you beach body ready? » (Votre corps est-il prêt pour la plage ?). La cam­pagne provoque aus­sitôt une lev­ée de boucliers sur les réseaux soci­aux et plus de 360 plaintes auprès de lautorité bri­tan­nique de régu­la­tion de la pub­lic­ité. Si la pub est finale­ment retirée, la for­mule employée reste, jusqu’à ce jour, une ren­gaine des mag­a­zines de mode, à l’approche de l’été.

«Nous vivons dans un monde où il faut se dis­tinguer des autres : réus­sir ou avoir plus dargent. Présen­ter un beach body” est une manière de dire “Regardez comme jai fait du sport, je suis un être méri­tant, digne d’être aimé” », analyse Solenne Carof, soci­o­logue et maîtresse de con­férences à la Sor­bonne. Et dans cette obses­sion du « beach body », la grosso­pho­bie joue à plein. «Il faut avoir un corps à la fois mince et tonique, avec cette idée que les gens qui sont gros ne savent pas se con­trôler et ne font pas assez de sport », détaille lautrice de l’essai Grosso­pho­bie. Soci­olo­gie d’une dis­crim­i­na­tion invis­i­ble.

Con­séquence de ce regard nor­matif sur nos sil­hou­ettes, cer­taines per­son­nes en vien­nent à s’autocensurer et à éviter plages et piscines par crainte des remar­ques stig­ma­ti­santes. « Il peut aus­si y avoir une intéri­or­i­sa­tion des normes qui nous fait con­sid­ér­er que notre corps nest pas assez beau pour être mon­tré. Cela vaut pour les per­son­nes gross­es mais aus­si pour les per­son­nes por­teuses de hand­i­cap ou âgées. »

Collage de la série « Duckface », Karin Crona

Col­lage de la série « Duck­face », Karin Crona

Il nen a pour­tant pas tou­jours été ain­si. Dans son ouvrage La Sai­son des apparences. Nais­sance des corps d’été, lhis­to­rien Christophe Granger racon­te com­ment est née la notion de « corps d’été ». Au début du XXe siè­cle, des médecins se met­tent à recom­man­der à leur patient·es de

sexpos­er au grand air et au soleil, comme une cure annuelle pour recharg­er les bat­ter­ies. Cela coïn­cide, pour les enfants, avec la nais­sance des « grandes vacances » qui durent désor­mais de mi-juil­let à fin août. L’été prend donc une place nou­velle dans les exis­tences.

Une saison pour les corps et des corps de saison

Mais cest vrai­ment à par­tir de lentre-deux-guer­res que la sai­son esti­vale telle quon la con­naît aujourdhui sinvente, portée par une bour­geoisie cul­tivée. « Ces jeunes gens, qui ont fait des études et se retrou­vent dans des posi­tions sociales avan­tageuses, sinvestis­sent dans un rap­port nou­veau au corps, qui leur per­met de se dis­tinguer du com­mun des mor­tels », détaille Christophe Granger. « On va alors se met­tre à vivre la sai­son sur le mode des apparences, de la beauté, et donc de la pré­pa­ra­tion de son corps pour quil cor­re­sponde aux nou­velles normes esthétiques. » Comme le résume ce maître de con­férences à luni­ver­sité de Paris-Saclay, « On invente une sai­son pour les corps et donc des corps de sai­son ». Le mail­lot deux-pièces appa­raît ain­si à l’été 1929, et les mag­a­zines féminins se met­tent alors à prodiguer des con­seils pour la belle sai­son : com­ment bien bronz­er, com­ment affin­er sa taille, com­ment se tenir sur la plage. Cest aus­si à ce moment-là que, aidés par les insti­tuts de beauté, ils com­men­cent à stig­ma­tis­er la cel­lulite.

« LES CORPS DÉNUDÉS TELS QU’ILS S’AFFICHENT À LA PLAGE, ONT LARGEMENT ÉTÉ FAÇONNÉS PAR LE REGARD MASCULIN. »

Dans les années , 1950, on se met à par­ler du « com­plexe du mail­lot de bain ». Les femmes souf­frent et en témoignent dans les mag­a­zines qui leur sont des­tinés. Car, bien évidem­ment, l’injonction à tra­vailler son corps les cible plus par­ti­c­ulière­ment. « La notion de corps d’été pousse à son parox­ysme la déf­i­ni­tion du corps féminin comme étant fait pour être vu, com­mente Christophe Granger. Cest un corps aliéné par le regard de lautre, car sa déf­i­ni­tion est avant tout mas­cu­line. » Ain­si, en juil­let 1975, à La Cio­tat, une cité bal­néaire près de Mar­seille, le maire inter­viewé par Paris Match au sujet de la pra­tique des seins nus, com­mente très tran­quille­ment : « Si une femme est belle, ce nest pas indé­cent ; si elle a une poitrine tombant jusquaux genoux, ce nest pas très recom­mand­able. »

« Faire peser autant d’injonctions sur le corps, cest complètement idiot ! »

Aujourdhui, lhabi­tude de se met­tre en mail­lot en bord de mer est si banale quil en devient presque sus­pect d’y porter une tenue cou­vrante. Ain­si, en 2016, plusieurs mairies français­es ont pris des arrêtés pour inter­dire aux femmes de rester cou­vertes avec un voile ou un burki­ni. Ces dis­po­si­tions, qui visaient exclu­sive­ment des femmes musul­manes, ont été rejetées par le Con­seil dÉtat avec largu­ment que rester habillé·e ne peut con­stituer un trou­ble à lordre pub­lic et que le principe de laïc­ité per­met à chacun·e de man­i­fester ses con­vic­tions religieuses dans lespace pub­lic. En reprochant à cette tenue de sym­bol­is­er la soumis­sion aux hommes, les détracteur·ices du burki­ni ont, en out­re, un peu trop rapi­de­ment oublié que les corps dénudés, tels qu’ils s’affichent à la plage, ont large­ment été façon­nés par le regard mas­culin.

« Jai limpres­sion que, depuis quelques années, le souci de la grosso­pho­bie est un peu plus présent dans les médias et que les mag­a­zines féminins se ren­dent compte que cette cul­ture des régimes nest pas une bonne chose, analyse Solenne Carof. Faire peser autant d’injonctions sur le corps pour le mon­tr­er 15 jours dans lannée, cest quand même com­plètement idiot ! » En 2015, en réac­tion à la pub­lic­ité pour les pro­téines en poudre du métro lon­donien, des inter­nautes avaient réa­gi avec humour sur les réseaux soci­aux : « Com­ment avoir un corps de plage ? Amenez votre corps à la plage ». On n’aurait pas dit mieux.

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Marie Kirschen

Marie Kirschen est journaliste, spécialiste des questions féministes et LGBT+. En 2021, elle a publié Herstory, Histoire(s) des féminismes chez La Ville brûle. Voir tous ses articles


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