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« L’intersexuation est une variation du vivant »

Depuis 2016, le col­lec­tif Inter­sex­es et Allié.e.s — OII France milite pour une meilleure représen­ta­tion des per­son­nes inter­sex­es et pour la fin de pro­to­coles médi­caux qui jalon­nent leur vie.
Publié le 31/05/2023

Modifié le 16/01/2025

“L’intersexuation est une variation du vivant.” avec le collectif Intersexes et Allié·es OII France

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°1. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.

Les chiffres vari­ent selon les études, mais on estime com­muné­ment à 1,7 % la pro­portion des nais­sances de per­son­nes inter­sex­es¹, c’est-à-dire nées avec des car­ac­tères sex­uels ou repro­duc­tifs ne cor­re­spon­dant pas aux déf­i­ni­tions sociales et médi­cales car­ac­téris­tiques du « féminin » et du « mas­culin » et avec des vari­a­tions pou­vant être chromosomiques, anatomiques, gonadiques ou hor­monales. Ces vari­a­tions naturelles n’ont pas d’incidence sur leur san­té. Pour­tant, l’immense majorité des inter­sex­es subis­sent des pro­to­coles médi­caux lourds et non vitaux (traite­ment hor­mon­al, gonadec­tomie²) qui ont pour but de con­firmer un genre qu’on leur assigne à la nais­sance, un genre qui peut ne pas cor­re­spon­dre à celui auquel se serait iden­ti­fiée la per­son­ne si elle avait pu le choisir. Selon un doc­u­ment du Com­mis­saire aux droits de l’homme du Con­seil de l’Europe³, on estime que l’erreur d’assignation de sexe varie entre 8,5 et 40 % ; ces enfants finis­sent par rejeter le sexe qui leur a été assigné à la nais­sance. Depuis 2016, le collec­tif Inter­sex­es et Allié.e.s — OII France, la seule asso­ci­a­tion en France créée par des personnes inter­sex­es, lutte pour une meilleure vis­i­bil­ité des vécus inter­sex­es et apporte un sou­tien aux concerné·es. Gabrielle (dont le prénom a été changé à sa demande), mem­bre de ce col­lec­tif, a accep­té de nous expli­quer pourquoi ils, elles, iels lut­tent.

Pourquoi avoir con­sti­tué le col­lec­tif Inter­sex­es et Allié.e.s — OII France  ?

Le mou­ve­ment inter­sexe est rel­a­tive­ment récent dans le monde des luttes sociales. Notre col­lec­tif, d’une ving­taine de mem­bres actif·ves, s’attèle à accueil­lir les per­son­nes con­cernées et leur entourage à tra­vers des ate­liers, des groupes de parole, des per­ma­nences, etc. Nous menons égale­ment un tra­vail de sen­si­bil­i­sa­tion au tra­vers de cam­pagnes con­tre les traite­ments médi­caux ou chirurgicaux pré­co­ces non con­sen­tis réal­isés sur les per­son­nes inter­sex­es. C’est une mis­sion impor­tante car l’intersexuation n’existe pas dans les représen­ta­tions com­munes. Dans la ter­mi­nolo­gie médi­cale on par­le de « désor­dre », « anom­alie », « trou­ble du développe­ment », « syn­drome », alors que ce ne sont que des vari­a­tions du vivant qui n’ont rien à voir avec la san­té de l’enfant.

De votre point de vue, com­ment est accueilli·e un·e enfant inter­sexe aujourd’hui en France ?

L’intersexuation n’est pas for­cé­ment vis­i­ble à la nais­sance, elle peut être décou­verte bien plus tard : dans l’enfance ou au moment de la puberté. Certain·es appren­nent leur inter­sex­u­a­tion quand ils ou elles veu­lent être par­ents. Dans le cas du diag­nos­tic à la nais­sance, se pose la question de l’assignation de genre à l’état civ­il. On observe soit une mécon­nais­sance totale de la part du corps médical, soit une redi­rec­tion automa­tique des bébés vers les cen­tres spé­cial­isés⁴.


« En France, l’excision est formelle­ment inter­dite et con­sid­érée comme “bar­bare”… mais cer­tains médecins pre­scrivent encore des procé­dures de réduc­tion du cli­toris sur des per­son­nes inter­sex­es sans leur con­sen­te­ment ! »


En France, la stratégie est de sys­té­ma­tis­er la prise en charge des enfants concerné·es en pre­scrivant des traitements non con­sen­tis, des pro­to­coles adoubés par la Haute Autorité de san­té. Le con­sen­sus revient à dire qu’il est impos­si­ble de grandir avec un corps qui a des vari­a­tions de car­ac­téris­tiques sex­uelles et que les corps doivent se con­former à l’archétype du genre féminin et mas­culin. Mais à cause de l’hétéronormativité médi­cale et socié­tale, cela peut aller très loin : on con­sid­ère qu’une femme doit être pénétrée et qu’un homme doit pénétr­er, il y a donc une exper­tise sur la rec­ti­tude du pénis (il faut ban­der droit) et sur la pro­fondeur du vagin.

Et si l’intersexuation est décou­verte longtemps après la nais­sance ?

La per­son­ne a alors déjà gran­di avec une assig­na­tion sociale déter­minée pour elle, mais elle va faire l’objet d’une très forte pathol­o­gi­sa­tion [la sit­u­a­tion de la personne sera présen­tée comme une mal­adie grave nécessitant une inter­ven­tion]. En général, le pro­to­cole mis en place suit le genre don­né à la nais­sance, sauf si la famille est très ouverte. J’ai récem­ment par­lé avec la mère d’une ado­les­cente dont une équipe médi­cale allait arti­fi­ciellement provo­quer la puberté : elle était en mesure de décon­stru­ire le dis­cours médi­cal et d’écouter le choix de sa fille qui avait refusé le traite­ment. Nous accom­pagnons les par­ents parce qu’ils et elles ont besoin d’être rassuré·es, de ren­con­tr­er d’autres par­ents.

Pourquoi la France sem­ble ne rien faire pour met­tre fin à ces pris­es en charge con­sid­érées comme abu­sives par l’ONU ?

Dans les sociétés occi­den­tales, décon­stru­ire cul­turellement l’approche médi­cale du soin est com­pliqué. Par exem­ple, en France, l’excision est formelle­ment interdite et con­sid­érée comme « bar­bare »… mais cer­tains médecins pre­scrivent encore des procé­dures de réduction du cli­toris sur des per­son­nes inter­sex­es sans leur con­sen­te­ment ! On pour­rait croire que légifér­er con­tre les muti­la­tions non con­sen­ties est la solu­tion, mais si l’on prend l’exemple de Malte, on peut en douter. Ce fut le pre­mier pays en Europe à inter­dire ces pra­tiques en 2015, mais la loi n’est tou­jours pas mise en appli­ca­tion.

Par­venez-vous à faire chang­er les choses dans l’appréhension de l’intersexuation chez les professionnel·les de san­té ?

Certain·es médecins adoptent le principe du « patient sachant », esti­mant que l’opinion de celles et ceux qui pren­nent fait et cause pour les per­son­nes inter­sex­es sont qua­si inex­is­tantes dans les cen­tres de référence. Les spé­cial­istes exis­tent mais ils ou elles sont encore pathologisant·es et jouis­sent d’une légitim­ité très forte. C’est très com­pliqué à décon­stru­ire.

Les débats sur la réforme de la loi bioéthique (pro­jet de loi adop­té à l’Assemblée nationale en août 2020) n’auront finale­ment pas per­mis de repenser col­lec­tive­ment le traite­ment des per­son­nes inter­sex­es. Qu’en pensez-vous ?

Il s’agit d’une injus­tice tes­ti­mo­ni­ale : la parole publique des médecins a tou­jours plus de pou­voir. En amont du vote de la loi bioéthique, nous avons ten­té de faire enten­dre notre voix pour que l’interdiction des muti­lations géni­tales soit inscrite dans la loi. Sans réponse de la part des min­istères de la San­té et de la Jus­tice, nous avons dû pass­er par les asso­ci­a­tions, par la Délé­ga­tion inter­ministérielle à la lutte con­tre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (DILCRAH), par le Défenseur des droits et en inter­pel­lant plusieurs député·es qui soute­naient le col­lec­tif. Nous avions un argu­ment de poids pour les con­va­in­cre : la France a quand même été con­damnée trois fois pour actes de tor­ture par trois instances dif­férentes de l’ONU entre jan­vi­er et juil­let 2016 ! Mais il y a eu volte-face, certain·es par­lemen­taires de la majorité, très couard·es, ont préféré écouter les chirurgien·nes de cen­tres de référence qui étaient venu·es don­ner leur point de vue lors des audi­tions à la com­mis­sion spé­ciale chargée d’examiner le pro­jet de loi bioéthique. La min­istre de la San­té d’alors, Agnès Buzyn [elle a démis­sion­né de son poste le 16 avril 2020], ne voulait pas per­dre la face vis-à-vis de ses col­lègues médecins. Des député·es souhaitaient quand même « faire quelque chose » : au lieu de met­tre fin aux muti­la­tions, on a donc abouti à une sim­ple loi d’organisation de la fil­ière de prise en charge par les cen­tres où sont pre­scrits les actes muti­lants sur les enfants inter­sex­es.

Votre dernière cam­pagne de sen­si­bil­i­sa­tion aux droits des per­son­nes inter­sex­es « Jus­tice main­tenant » a été lancée en novem­bre 2020. Quel est son objec­tif ?

D’abord, le droit à la vérité médi­cale : nous aidons les personnes inter­sex­es à faire une sai­sine auprès du Défenseur des droits en cas de refus d’accès à leur dossier médi­cal par les per­son­nels de san­té et nous les accom­pa­gnons dans la lec­ture du dossier, une étape qui peut être très dif­fi­cile à vivre. Ensuite, le droit à la répa­ra­tion : aider les per­son­nes à faire con­stater un préju­dice, à porter plainte avec con­sti­tu­tion de par­tie civile, à faire pré­val­oir le dom­mage cor­porel. Enfin, nous nous bat­tons pour le droit à obtenir des con­damna­tions des insti­tu­tions hos­pi­tal­ières ou des professionnel·les qui ont pre­scrit et réal­isé des traite­ments de con­for­ma­tion des corps des enfants et adolescent·es inter­sex­es sans leur con­sentement éclairé.

 

Entre­tien réal­isé le 10 décem­bre 2020 par Anne-Lau­re Pineau.

Jour­nal­iste pigiste indépen­dante, mem­bre du col­lec­tif You­press et de l’Association des jour­nal­istes les­bi­ennes, gay, bi·e·s, trans et inter­sex­es (AJLGBTI).


1. « How sex­u­al­ly dimor­phic are we? Review and syn­the­sis » (arti­cle col­lec­tif), Amer­i­can Jour­nal of Human Biol­o­gy, 2000.
2. Gonadec­tomie : inter­ven­tion chirur­gi­cale con­sis­tant à retir­er les ovaires ou les tes­tic­ules (les gonades).
3. « Droits de l’homme et per­son­nes inter­sex­es », doc­u­ment thé­ma­tique (dernière réim­pres­sion, juin 2017).
4. Chaque année, à Paris, l’hôpital Neck­er prend en charge env­i­ron 2 000 pri­mo-inter­ven­tions : des pro­to­coles chirur­gi­caux exer­cés dès les pre­miers jours après la nais­sance.
5. En 2016, trois organes de l’ONU (Comité des droits de l’Enfant, Comité con­tre la tor­ture et Comité pour l’élimination de la dis­crim­i­na­tion à l’égard des femmes) ont appelé la France à pro­téger les enfants inter­sex­es et cess­er les muti­la­tions géni­tales.
6. La loi Gen­der Iden­ti­ty, Gen­der Expres­sion and Sex Char­ac­ter­is­tics, adop­tée à Malte en avril 2015 « inter­dit explicite­ment les traite­ments et/ou inter­ven­tions chirur­gi­cales d’attribution de sexe qui peu­vent être réal­isés plus tard, au moment où la per­son­ne peut don­ner son con­sen­te­ment éclairé, sauf cir­con­stances excep­tion­nelles »

Anne-Laure Pineau

Journaliste pigiste indépendante, membre du collectif Youpress et de l’AJL (Association des journalistes lesbiennes, gay, bi·es, trans et intersexes). Pour ce numéro, elle a écrit le scénario de la BD sur Diana Sacayan. Voir tous ses articles

Naître : aux origines du genre

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