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L’affaire des époux Bac, à l’origine du planning familial

En juil­let 1955, Ginette et Claude Bac sont condamné·es à deux ans de prison pour avoir lais­sé mourir, faute de soins, leur qua­trième enfant, Danielle, âgée de huit mois. Tour­nant dans la lutte pour la légal­i­sa­tion de la con­tra­cep­tion en France, cette affaire judi­ci­aire sera à l’origine de la créa­tion de la Mater­nité heureuse, puis du Mou­ve­ment français pour le plan­ning famil­ial.
Publié le 17/01/2023

Modifié le 16/01/2025

mock-up article La Déferlante 9 - Retour sur L'affaire des époux Bac à l'origine du planning familial

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°9 Bais­er (févri­er 2023)

Saint-Ouen, 1952. Dans son apparte­ment exigu, Ginette Bac, mar­iée depuis qua­tre ans à Claude Bac et déjà mère de trois enfants en bas âge, est sub­mergée par les tâch­es domes­tiques.

Alors qu’elle peine à pré­par­er les repas, faire le ménage, laver les couch­es et les vête­ments sales à la main – elle a une paralysie du bras droit depuis sa nais­sance –, la jeune femme décou­vre qu’elle est enceinte pour la qua­trième fois. Mal­gré le sou­tien logis­tique de sa belle-mère, Léonie, elle perd pied. À la nais­sance de Danielle, elle som­bre dans ce que l’on diag­nos­ti­querait aujourd’hui comme une dépres­sion post-par­tum, tan­dis que Claude, ouvri­er dans la maçon­ner­ie, mul­ti­plie les heures sup­plé­men­taires et s’absente de plus en plus du foyer.Quand Danielle a six mois, en jan­vi­er 1953, Ginette s’aperçoit, acca­blée, qu’elle est enceinte pour la cinquième fois. Elle s’enferme der­rière ses volets, nour­ris­sant peu ses enfants et ne les lavant qua­si­ment plus. L’appartement « se trans­forme peu à peu en taud­is infect », écrivent les his­to­ri­ennes Danièle Vold­man et Annette Wiev­ior­ka, dans Tristes Grossess­es (1), la pas­sion­nante enquête qu’elles ont con­sacrée à cette affaire. Une assis­tante sociale et une assis­tante de police passent épisodique­ment, alertées par Léonie, qui vient plus rarement depuis que le cou­ple s’est dis­puté avec elle. En févri­er 1953, Danielle finit par décéder de mal­nu­tri­tion et de manque de soins à l’âge de huit mois.

Ginette et Claude Bac sont incarcéré·es le temps de l’enquête judi­ci­aire qui, fait rare à l’époque dans ce type d’affaires, n’épargne pas l’époux. « Vous ne sem­blez pas avoir songé, en ren­dant Ginette mère d’une famille si nom­breuse, à la tâche psy­chique et morale que vous imposiez à une jeune femme de 22 ans, lui indique le juge d’instruction. Votre respon­s­abil­ité morale com­mence là*. » Le mag­is­trat souligne aus­si l’affection que porte Ginette, délestée du tra­vail domes­tique sans fin, à son cinquième bébé né en déten­tion. À l’issue de leur procès, qui se tient en juin 1954, le jury pop­u­laire, com­posé de sept hommes, les déclare « coupables avec cir­con­stances atténu­antes » – sen­si­bles sans doute à la plaidoirie de l’avocate de Ginette, qui avait mis en avant son hand­i­cap, les souf­frances liées aux grossess­es trop rap­prochées et la sit­u­a­tion pré­caire du cou­ple. Les époux Bac sont condamné·es à sept ans de prison, Claude est déchu de sa « puis­sance pater­nelle » et les enfants placé·es sous tutelle. L’affaire est men­tion­née dans les jour­naux comme un fait divers par­mi d’autres. Mais quand, un an plus tard, elle sera rejugée, elle jouera un rôle essen­tiel dans l’émergence du com­bat pour la légal­i­sa­tion de la con­tra­cep­tion.


Dans les années 1950, mal­gré la répres­sion, les femmes avor­tent. Il y aurait alors 800 000 avorte­ments par an, soit autant
que de grossess­es menées à terme.


Des médecins leur imposent des curetages sans anesthésie

À l’époque où Ginette Bac subit cinq grossess­es en cinq ans, la con­tra­cep­tion et l’avortement sont stricte­ment pro­hibés en France hexag­o­nale, en ver­tu de la loi du 31 juil­let 1920, alors même que dans les out­re-mer (Réu­nion, Guade­loupe, Mar­tinique…), l’État français mène une poli­tique de lim­i­ta­tion des nais­sances qui passe non seule­ment par la dif­fu­sion de savoirs con­tra­cep­tifs, mais aus­si par des avorte­ments et des stéril­i­sa­tions for­cées. Dans l’Hexagone, si l’interdiction de l’avortement remonte au Code pénal de 1791, la pro­hi­bi­tion de la « pro­pa­gande anti­con­cep­tion­nelle » – pas­si­ble d’un empris­on­nement de quelques mois – est une nou­veauté de 1920 qui s’explique par le fort déclin démo­graphique causé par la Pre­mière Guerre mon­di­ale. Face au mil­lion et demi de morts, à l’Assemblée nationale, « empêch­er un enfant de naître après l’hécatombe sem­blait à beau­coup un crime con­tre la nation* ».

Cepen­dant dans les années 1950, mal­gré la répres­sion (2), les femmes avor­tent. C’est même « un phénomène soci­ologique, une habi­tude con­trac­tée par toutes les couch­es de la pop­u­la­tion, une sorte de mal néces­saire » en l’absence de con­tra­cep­tifs autorisés, écrit le jour­nal­iste Jacques Der­o­gy dans une enquête inédite sur le sujet pub­liée d’abord sous forme d’articles dans la presse en 1955, puis en 1956 aux Édi­tions de minu­it sous le titre Des enfants mal­gré nous : le drame intime des cou­ples. Selon les études démo­graphiques et médi­cales sur lesquelles il s’appuie, il y aurait alors 800 000 avorte­ments par an, c’est-à-dire autant que de grossess­es menées à terme. La plu­part des femmes avor­tent seules, ou avec l’aide d’une amie, d’une voi­sine, d’une sœur, et, au-delà des clas­siques son­des, l’omniprésence (et la var­iété) des objets domes­tiques est frap­pante. Der­o­gy fait ain­si état d’un « effarant bric-à-brac d’épingles à cheveux, d’aiguilles à tri­cot­er, de cure-dents, de porteplumes, de baleines de para­pluie, […] de racines, d’os de poulet, […] d’injections d’eau savon­neuse, de tein­ture d’iode, d’esprit de sel, d’extrait d’ergot de sei­gle, […] d’éther, d’alcool ou de gly­cérine, […] fers à fris­er, com­pas, […] morceaux de cire à cacheter ! »

Pris­es en étau entre la loi et leur refus d’une grossesse, les femmes subis­sent : quand elles se ren­dent aux urgences suite à un avorte­ment qui tourne mal, « la société se venge comme elle peut », avec des médecins qui leur imposent par exem­ple des cure­tages sans anesthésie. Dix à 60 000 d’entre elles décè­dent chaque année de pra­tiques abortives et des dizaines de mil­liers d’autres devi­en­nent stériles. De toute évi­dence, hier comme aujourd’hui, inter­dire l’avortement « ne le sup­prime pas, il le rend mor­tel », comme le rap­pel­lent les pan­car­tes des mobil­i­sa­tions actuelles face au recul du droit à l’IVG dans le monde.

Dans ce con­texte émerge la mobil­i­sa­tion en faveur de la con­tra­cep­tion comme « remède » à l’avortement, sous l’impulsion d’une gyné­co­logue d’une quar­an­taine d’années, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hal­lé. Catholique de gauche, elle tire son engage­ment de la fin des années 1930 où, lors d’un stage en chirurgie à l’hôpital, elle est témoin des mau­vais traite­ments infligés par de jeunes médecins aux femmes ayant avorté. En 1947, lors d’un séjour à New York, elle ren­con­tre des militant·es du birth con­trol (« con­trôle des nais­sances »), comme la fémin­iste anar­chiste Mar­garet Sanger, fon­da­trice de l’American Birth Con­trol League. Elle vis­ite une des clin­iques du mou­ve­ment où les cou­ples peu­vent trou­ver des ressources « pour espac­er les nais­sances “en fonc­tion de leurs capac­ités économiques, physiques et morales” », au nom de la « famille heureuse » plutôt que nom­breuse*.
En mars 1953, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hal­lé pub­lie dans une revue hos­pi­tal­ière un pre­mier arti­cle qui n’a aucun écho. Elle change alors de stratégie. « Pour émou­voir, sus­citer une adhé­sion, faire com­pren­dre, il faut une his­toire trag­ique capa­ble de boule­vers­er l’opinion et la ren­dre ain­si acces­si­ble à l’enjeu qu’est le con­trôle des nais­sances. Ce sera l’affaire Bac », expliquent Vold­man et Wiev­ior­ka dans Tristes Grossess­es.

Du procès d’un fait divers, à celui d’un fait de société

En juil­let 1955, après que le pre­mier juge­ment a été cassé pour vice de forme, le sec­ond procès Bac s’ouvre devant la cour d’assises de Ver­sailles. Marie-Andrée Lagroua Weill-Hal­lé, citée comme « témoin sur le fond », s’en saisit pour élargir son audi­ence. Cette audi­tion impres­sionne la cour mais aus­si les jour­nal­istes présent·es en nom­bre. Ce nou­veau procès n’est plus celui d’un fait divers mais d’un fait de société et de la loi de 1920. Le 7 juil­let 1955, le jury, com­posé d’une femme et de cinq hommes, prononce un ver­dict beau­coup plus clé­ment qu’en pre­mière instance : Claude et Ginette Bac, « coupables d’avoir […] par mal­adresse, impru­dence, inat­ten­tions et nég­li­gences, été involon­taire­ment la cause de la mort de leur fille Danielle », sont condamné·es à deux ans de prison, une peine qui cou­vre la durée de déten­tion déjà effec­tuée.

Si les époux Bac sor­tent libres du palais de jus­tice et sont vite oublié·es par l’Histoire, leur affaire aura été à l’origine de la créa­tion de l’une des plus gross­es asso­ci­a­tions fémin­istes de ces dernières décen­nies : le Plan­ning famil­ial. Quelques mois après le ver­dict, Éve­lyne Sullerot, alors femme au foy­er et mère de qua­tre enfants, écrit à Marie-Andrée Lagroua Weill-Hal­lé pour lui pro­pos­er de créer une asso­ci­a­tion de femmes pour la maîtrise des nais­sances. « Qui aura le courage de met­tre en bran­le le chœur des femmes qui depuis des mil­lé­naires chu­chotent dans le privé ? », écrit Éve­lyne Sullerot. La gyné­co­logue est embal­lée par la propo­si­tion, l’aventure est lancée. Pour ne pas attir­er la sus­pi­cion des autorités, elles choi­sis­sent un nom bien sous tous rap­ports : la Mater­nité heureuse. Épaulées par l’époux de la gyné­co­logue Ben­jamin Weill-Hal­lé, émi­nent médecin qui dis­pose d’un vaste réseau, elles con­va­in­quent intel­lectuelles, avo­cates, médecins et épous­es d’hommes influ­ents de les rejoin­dre.

Les statuts déposés avec un bébé sur les genoux

La plu­part d’entre elles ont plusieurs enfants, car­ac­téris­tique qui va être au cœur de leur stratégie de légiti­ma­tion. En cou­ver­ture de son livre   (Librairie Mal­oine, 1959), Marie-Andrée Lagroua Weill-Hal­lé met ain­si une pho­to de qua­tre bam­bins à l’air épanoui, dont l’un porte une croix autour du cou – un clin d’œil appuyé à ses détracteurs catholiques. Quant à Éve­lyne Sullerot, elle utilise « les normes de genre comme arme* » et dépose les statuts de l’association en pré­fec­ture avec son bébé sur les genoux, provo­quant une réac­tion ent­hou­si­aste de l’agente d’enregistrement : « La Mater­nité heureuse ? Ah ! Je vois ! » « Elle ne se doutait nulle­ment que nous allions chang­er la société », écrira plus tard la mil­i­tante*.

Afin d’accéder à des ressources inex­is­tantes en France, ces pio­nnières se rap­prochent d’organisations d’autres pays où la con­tra­cep­tion est autorisée (États-Unis, Roy­aume-Uni, Suède, Bel­gique…). L’historienne Bib­ia Pavard, spé­cial­iste des luttes pour la con­tra­cep­tion et l’avortement, par­le de « trans­fert mil­i­tant (3) » pour évo­quer ce qui se passe dans les rassem­ble­ments de l’International Planned Par­ent­hood Fed­er­a­tion (IPPF), dont la Mater­nité heureuse devient mem­bre en 1959. Médecins et infirmier·es français·es s’y for­ment aux méth­odes de con­tra­cep­tion, vis­i­tent des clin­iques, et se pro­curent, entre autres, des pilules et des diaphragmes. Les mil­i­tantes de la Mater­nité heureuse y ren­for­cent leur argu­men­taire, adap­té ensuite au con­texte français, qui leur est par­ti­c­ulière­ment hos­tile. Ain­si, plutôt que de par­ler de « plan­i­fi­ca­tion famil­iale » (tra­duc­tion lit­térale de fam­i­ly plan­ning) ou de « con­trôle des nais­sances » (birth con­trol), qui peu­vent insin­uer une poli­tique imposée par l’État ou même rap­pel­er l’eugénisme nazi, Marie-Andrée Lagroua Weill-Hal­lé forge le terme de « plan­ning famil­ial » qu’elle définit comme l’« ensem­ble des mesures visant à favoris­er la natal­ité lorsque les con­di­tions sociales, matérielles et morales s’y prê­tent ». Forte de ce nou­veau terme, elle en fait, selon Bib­ia Pavard, « un instru­ment d’une natal­ité vigoureuse pour ral­li­er les natal­istes » qui s’opposent à son com­bat.

La Mater­nité heureuse doit égale­ment affron­ter un autre puis­sant adver­saire, le Par­ti com­mu­niste français (PCF). Si, comme Jacques Der­o­gy, nom­bre de défenseur·euses de la con­tra­cep­tion sont proches du par­ti, les dirigeant·es con­sid­èrent qu’il s’agit d’une lutte petite-bour­geoise et néo­ma­lthusi­enne émanant des États-Unis. « Depuis quand les femmes tra­vailleuses réclam­eraient le droit d’accéder aux vices de la bour­geoisie ? » raille, en mai 1956, Jean­nette Ver­meer­sch, fig­ure du par­ti et vice-prési­dente de l’Union des femmes français­es. Pour son mari Mau­rice Thorez, secré­taire général du PCF, « le chemin de la libéra­tion de la femme passe par les réformes sociales, par la révo­lu­tion sociale, et non par les clin­iques d’avortement* ». Ces pris­es de posi­tion à con­tre-courant de la société sèment le désar­roi et la colère par­mi les militant·es et les médecins com­mu­nistes. Pour Danièle Vold­man et Annette Wiev­ior­ka, l’alliance de cir­con­stance entre le PCF et les catholiques à l’Assemblée ont retardé « d’une douzaine d’années la pos­si­bil­ité pour les Français­es d’accéder libre­ment aux moyens con­tra­cep­tifs », occa­sion­nant de nom­breuses souf­frances et morts sup­plé­men­taires.

Du Planning familial à la loi Neuwirth

Au début des années 1960, la Mater­nité heureuse prend le nom de Mou­ve­ment français pour le plan­ning famil­ial (MFPF) et opère un change­ment d’échelle en ouvrant des cen­tres d’informations un peu partout sur le ter­ri­toire. Pour l’historienne Bib­ia Pavard, tout en pour­suiv­ant son « lob­by­ing pour un change­ment lég­is­latif », le mou­ve­ment cherche à dif­fuser auprès du plus grand nom­bre des savoirs sur le corps, la sex­u­al­ité et les pra­tiques con­tra­cep­tives dans l’espoir que la loi « fini­ra alors par tomber d’elle-même en désué­tude (4) ». Un pre­mier cen­tre ouvre à Greno­ble en 1961, rapi­de­ment suivi d’un autre à Paris. Ce sont des lieux où l’on con­tourne savam­ment la loi de 1920 en n’autorisant l’accès qu’aux adhérentes et en jouant sur la non-inter­dic­tion des con­tra­cep­tifs (que les médecins allié·es se pro­curent clan­des­tine­ment en Angleterre) puisque seule la pro­pa­gande anti­con­cep­tion­nelle est alors pro­hibée.

S’appuyant sur les organ­i­sa­tions syn­di­cales, asso­cia­tives et par­ti­sanes locales (social­istes, laïques, franc-maçonnes…), le Plan­ning évolue dans sa soci­olo­gie, rejoint notam­ment par de nom­breuses enseignantes. C’est aus­si l’heure des pre­miers con­flits entre les « expert·es » et les « militant·es » fraîche­ment arrivé·es qui poli­tisent le mou­ve­ment. Marie-Andrée Lagroua Weill-Hal­lé reproche à ces nou­velles adhérentes leur « croisade pour la laïc­ité ».


Marie-Andrée Lagroua Weill-Hal­lé forge le terme de « plan­ning famil­ial » qu’elle définit comme l’« ensem­ble des mesures visant à favoris­er la natal­ité lorsque les con­di­tions sociales, matérielles et morales s’y prê­tent ».


En 1965, à tra­vers notam­ment la can­di­da­ture de François Mit­ter­rand à l’élection prési­den­tielle, la con­tra­cep­tion accède enfin au rang d’objet de poli­tique nationale. Elle est alors acca­parée par des hommes qui occu­pent des posi­tions dom­i­nantes (médecins et poli­tiques) et font par­tie des mêmes cer­cles où ils dis­cu­tent ensem­ble des con­tours à don­ner à un nou­veau cadre légal – l’Assemblée nationale ne compte alors que huit femmes. « À “la poli­tique de la salle à manger” entre femmes des débuts de la Mater­nité heureuse, se sub­stitue “la poli­tique des salons” feu­trés, où l’on fume le cig­a­re entre hommes », analyse Bib­ia Pavard dans Si je veux, quand je veux. Finale­ment, c’est une propo­si­tion de loi déposée par un député de droite, Lucien Neuwirth, qui est adop­tée le 19 décem­bre 1967, au terme de longs débats lég­is­lat­ifs qui ont eu pour effet de la restrein­dre (5). Quant à Marie-Andrée Lagroua Weill-Hal­lé, elle quitte le Plan­ning famil­ial avant même le vote de cette loi, con­sid­érant l’objectif atteint puisque la pop­u­la­tion sem­ble désor­mais acquise à la cause, mais aus­si par désac­cord avec la poli­ti­sa­tion du mou­ve­ment alors qu’elle aurait souhaité le voir se muer en une sorte de ser­vice pub­lic de la con­tra­cep­tion. Pour les militant·es fémin­istes, dont l’influence grandit au sein du Plan­ning, non sans ten­sions, la lutte ne fait que com­mencer : accès libre des mineures à la con­tra­cep­tion, rem­bourse­ment des con­tra­cep­tifs par la Sécu­rité sociale, déploiement de l’éducation à la sex­u­al­ité… mais aus­si ral­liement à un nou­veau com­bat d’avant-garde, celui du droit à l’avortement.


Il y a tou­jours des femmes qui, comme Ginette Bac, n’ont pas la pos­si­bil­ité de choisir leur grossesse.


L’accès à la contraception, un enjeu qui perdure

Des années 1960 à aujourd’hui, le Plan­ning famil­ial a con­nu de nom­breux change­ments mais ces com­bats fon­da­teurs sont restés au cœur de son action. Si, aujourd’hui, la con­tra­cep­tion ne fait plus les gros titres des jour­naux, les reven­di­ca­tions d’origine n’ont pas toutes été mis­es en œuvre, et il y a tou­jours des femmes qui, comme Ginette Bac, n’ont pas la pos­si­bil­ité de choisir leurs grossess­es.

« Rem­bourse­ment de la pilule con­tra­cep­tive pour les moins de 26 ans, pilule d’urgence gra­tu­ite pour tous·tes… : au niveau des droits, on avance », explique Claire Ric­cia­r­di, coprési­dente du Plan­ning des Bouch­es-du-Rhône après en avoir été salariée pen­dant vingt ans. « Mais il reste des enjeux de taille, à com­mencer par l’accès de tous·tes à une infor­ma­tion cor­recte et com­plète. » D’un côté, les fauss­es infor­ma­tions : « On a encore des pharmacien·nes qui dis­ent aux jeunes que la pilule du lende­main peut don­ner un can­cer ou ren­dre stérile si on la prend plusieurs fois, c’est effarant », regrette-t-elle. De l’autre, le manque de préven­tion, faute de moyens suff­isants alloués. Au col­lège et au lycée, les séances d’éducation à la vie affec­tive et sex­uelle restent rares mal­gré l’obligation, inscrite dans la loi de 2001, d’en organ­is­er trois par an durant la sco­lar­ité. « Dans nos inter­ven­tions sco­laires, on met l’accent en pri­or­ité sur les rela­tions filles-garçons, les vio­lences sex­istes et sex­uelles, les dif­férentes ori­en­ta­tions sex­uelles et au final on n’a plus le temps pour par­ler de con­tra­cep­tion, pour­suit Claire Ric­cia­r­di. C’est comme ça qu’on se retrou­ve avec des jeunes qui pensent que la pilule pro­tège des infec­tions sex­uelle­ment trans­mis­si­bles… »

Au-delà de l’information, l’accès à la con­tra­cep­tion reste aujourd’hui encore mar­qué sociale­ment. Cer­taines per­son­nes n’ont pas de carte Vitale, d’autres n’ont pas les moyens, et d’autres enfin sont dis­crim­inées par les soignant·es. Une par­tie des per­son­nes hand­i­capées sont con­fron­tées à une oblig­a­tion de con­tra­cep­tion (en insti­tu­tion, par exem­ple) voire de stéril­i­sa­tion et sont entravées dans leur volon­té de men­er une grossesse. À l’inverse, pour les valides, la con­tra­cep­tion défini­tive reste très com­pliquée à obtenir, même pour celles qui ont déjà plusieurs enfants. Les hommes trans et les per­son­nes non binaires trou­vent dif­fi­cile­ment des professionnel·les bienveillant·es et formé·es et la récente cam­pagne du Plan­ning famil­ial sur l’accueil d’hommes enceints a provo­qué une véri­ta­ble panique morale. « Notre fémin­isme, c’est “mon corps, mon choix”. Et c’est la loi », rap­pelait l’association en août 2022 dans une tri­bune parue dans Libéra­tion. Sur le droit à la san­té repro­duc­tive, que ce soit à l’époque de l’affaire Bac il y a 70 ans ou aujourd’hui – de la PMA pour tous·tes à l’IVG hors délai en pas­sant par la lig­a­ture des trompes – les posi­tions moral­istes se heur­tent à des faits de société bien réels et au vécu d’une par­tie de la pop­u­la­tion. Un demi-siè­cle après sa créa­tion, le Plan­ning famil­ial est tou­jours là pour le rap­pel­er. •


1. Danièle Vold­man et Annette Wiev­ior­ka, Tristes Grossess­es : l’affaire des époux Bac (1953–1956), Seuil, 2019. Toutes les références à cet ouvrage dans cet arti­cle seront sig­nalées par un astérisque.

2. En 1943, la « faiseuse d’ange » Marie-Louise Giraud et le médecin Désiré Pioge sont guillotiné·es pour avoir pra­tiqué des avorte­ments. Si le régime de Vichy a été par­ti­c­ulière­ment répres­sif, avec env­i­ron 3 800 con­damna­tions par an, des cen­taines furent aus­si pronon­cées dans les années 1950.

3. Bib­ia Pavard, « Du Birth con­trol au Plan­ning famil­ial (1955–1960) : un trans­fert mil­i­tant », Histoire@Politique, Poli­tique, cul­ture, société, no 18, 2012.

4. Bib­ia Pavard, Si je veux, quand je veux : con­tra­cep­tion et avorte­ment dans la société française (1956–1979), Press­es uni­ver­si­taires de Rennes, 2012.

5. La loi Neuwirth prévoit un con­sen­te­ment écrit des par­ents pour avoir accès à la pilule ou au stérilet avant 21 ans, âge de la majorité avant 1974 ; les con­tra­cep­tifs ne sont pas rem­boursés ; la pro­pa­gande et la pub­lic­ité restent inter­dites.

Mathilde Blézat

Journaliste indépendante basée à Marseille, elle est coautrice du manuel féministe Notre corps nous mêmes (Hors d’atteinte 2020) et cofondatrice de la revue Panthère première. En février 2022, elle a publié Pour l’autodéfense féministe (Editions de la dernière lettre). Voir tous ses articles

Baiser : pour une sexualité qui libère

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