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« Je n’appartiens ni aux hommes ni à l’espace public »

Lisa se sou­vient de ses 17 ans : tous les mardis après-midi son petit ami de l’époque et elle se ren­dent dans un parc, une aire de jeux ou sur un banc isolé. Chaque fois, il donne libre cours à sa libido. Aujourd’hui, la jeune fille a honte et elle s’interroge : ses désirs à elle, ont-ils été écoutés ?
Publié le 08/08/2022

Modifié le 16/01/2025

Chronique Lisa Clément Labo 148 La Déferlante 7

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°7 Réin­ven­ter la famille. (sep­tem­bre 2022)

Un mer­cre­di sur deux, jusqu’à mes 8 ans, je rends vis­ite à ma grand-mère. L’Ehpad est situé à 22 km de mon vil­lage, dans une petite ville de 7 000 habitant·es.

Après sa mort, j’ai rarement remis les pieds dans cette ville. Jusqu’à mon entrée au lycée, sept ans plus tard. L’environnement de ma grand-mère est désor­mais le mien. Je vis à quelques cen­taines de mètres de l’Ehpad. Je suis à l’internat avec toutes les filles de mon niveau. J’ai désor­mais 17 ans et je sors avec un garçon du même âge, Luc.

Luc est mon pre­mier petit ami. En tant que sportif de haut niveau, Luc con­sacre la plu­part de son temps au cyclisme. Il est exigeant avec lui-même, il ne grig­note jamais, il fait peu la fête, et se rase les jambes tous les deux jours. Il est aus­si exigeant avec moi, il me reproche de ne pas être assez fémi­nine. Depuis que je suis avec lui, je porte des talons, je me maquille, je fais atten­tion à ce que je mange et je me rase le mail­lot. Sinon je le dégoûte.


Ses envies sont claires : il lui faut un banc libre dans un parc isolé

Je suis dans la même classe que Luc, en pre­mière sci­en­tifique. L’emploi du temps est fixe. Nous avons une heure de pause tous les mardis entre mon cours de sci­ences physiques et mon cours d’anglais. Inévitable­ment, nous pas­sons cette heure ensem­ble. Nous avons pris pour habi­tude de nous retrou­ver dans un parc. Chaque semaine, nous essayons de vari­er le lieu de notre ren­dez-vous en fonc­tion de la météo. Ou plutôt en fonc­tion de ses envies. Elles sont très claires. Peu importe l’endroit, il lui faut un banc libre dans un parc isolé. Pour­tant, mes envies à moi sont dif­férentes. J’aime bien l’aire de jeux où je peux me sus­pendre à la tyroli­enne, elle me rap­pelle mon enfance, même si elle est à côté du cimetière où est enter­rée ma grand-mère.

J’adore aus­si le parc qui longe la riv­ière, où des familles de canards m’amusent, mais il est assez fréquen­té et un peu loin. Nous nous ren­dons alors le plus sou­vent dans une petite aire de jeux, au plus près du lycée. Il n’y a jamais per­son­ne à cet endroit, et l’unique banc est tou­jours libre. Par­fait pour l’envie d’isolement de Luc. Tant pis pour les canards.

II n’y a jamais per­son­ne, certes, mais l’aire fait face à deux bar­res HLM où logent des cen­taines d’habitant·es. Les fenêtres sont tou­jours fer­mées. Il n’y a aucun bruit. Entre 15 et 16 heures le mar­di, les adultes tra­vail­lent et les enfants sont à l’école.

Pour nous, le mar­di, entre lui et moi, c’est le même rit­uel. Assis sur ce banc, il m’embrasse, me caresse et me désire. Le mar­di, allongé sur moi, il passe ses mains sous mon man­teau, sous mon pull, puis sur mes seins, mon ven­tre, mes fess­es. Il n’y a jamais per­son­ne. Mais un après-midi, un enfant du quarti­er, assis sur son vélo, nous inter­rompt. Il s’arrête à quelques mètres du banc, nous observe et lance : « Vous n’avez pas de mai­son ou quoi ? »

Luc se redresse, un peu sur­pris. Il ôte ses mains. Je me relève à mon tour, un peu étour­die. Je sens mes joues brûlantes. Un mélange entre la chaleur de son désir et la gêne ressen­tie devant cet enfant. Désarmé·es, aucun·e de nous ne lui répond. L’enfant rebrousse chemin.

Honte de passer une heure de pause à être l’objet d’un désir masculin

Pour­tant, j’aurais aimé lui par­ler à ce gamin. J’aurais aimé le ras­sur­er. Chaque mar­di, à cette heure, le scé­nario est le même. J’aurais aimé lui expli­quer. Pour Luc, entre 15 et 16 heures le mar­di, les HLM, les parcs et ce banc libre, c’est sa mai­son, sa cham­bre, son lit. J’aurais aimé m’excuser aus­si. De vol­er le seul espace vert de son immeu­ble de cette manière. Mais surtout, j’aurais aimé crier. J’ai honte. Honte de Luc. Honte de moi. Honte de me laiss­er touch­er sur un banc pub­lic. Honte de pass­er une heure de pause à être l’objet d’un désir mas­culin. Honte de ne rien con­trôler. Honte de ce déplaisant rit­uel.

À cette époque, ce rit­uel était une activ­ité ordi­naire, un passe-temps, une habi­tude, j’étais con­va­in­cue que c’était nor­mal. Le temps d’une pause il jouait avec sa libido tan­dis que nos cama­rades de classe jouaient aux cartes. Peut-être que pour Luc, cet enfant n’était pas au bon endroit au bon moment. Pour moi, c’est plutôt ses mains qui étaient à la mau­vaise place. Ce jour-là je n’ai pas con­testé. Les autres fois non plus.

Chaque mar­di pen­dant un an, pour Luc, mon corps entier est une aire de jeu. Si cet enfant nous a sur­pris une fois, d’autres passant·es nous sur­pren­dront d’autres fois. On dit que les amoureux·ses se béco­tent sur les bancs publics. Non, les mineur·es baisent sur les bancs publics.

Dans la ville, rien n’a changé depuis mes 8 ans. Les parcs sont les mêmes, l’Ehpad est tou­jours plein de vieux, et le tobog­gan de la piscine est tou­jours aus­si géant. Mais la tyroli­enne fait désor­mais par­tie du décor, et mon corps est devenu la prin­ci­pale attrac­tion. J’ai 17 ans et, aux yeux de Luc, aux yeux des autres, je suis une femme.

J’écris ce témoignage cinq ans plus tard. Après cette péri­ode je me suis sen­tie dégoû­tante pen­dant un long moment. Je ne me sen­tais ni femme ni désir­able. Depuis peu, j’ai pris con­science que je n’appartenais ni aux hommes ni à l’espace pub­lic. Si à l’époque les notions de con­sen­te­ment et de respect étaient encore floues, elles sont désor­mais com­pris­es et ancrées. J’impose aujourd’hui mes pro­pres désirs. J’ai appris à dire non, à pleur­er ou à dire stop quand mes lim­ites sont franchies et salies. Aujourd’hui, je renoue avec ce corps, que je décou­vre encore, et je n’ai plus honte de cette ado­les­cente, main­tenant adulte et femme en (re)construction.

 

Réinventer la familler : en finir avec le modèle patriarcal

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