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« J’ai dû renoncer à une vie de couple pour ne pas perdre mon allocation »

Publié le 12/11/2021

Modifié le 26/03/2025

L’Assemblée nationale a finale­ment adop­té à la qua­si-una­nim­ité, dans la nuit du 21 au 22 juil­let 2022, l’indépendance finan­cière des per­son­nes hand­i­capées vis-à-vis de leur con­joint. A cette occa­sion, nous repub­lions cet entre­tien avec deux des mem­bres du Le prix de l’amour, col­lec­tif aux avant-postes de la mobil­i­sa­tion pour la décon­ju­gal­i­sa­tion de l’allocation aux adultes handicapé·es (AAH). Ses actions ont sen­si­bil­isé le grand pub­lic et les élu·es afin de dépous­siér­er cet arse­nal lég­is­latif enfer­mant l’amour dans des logiques de dépen­dance. Ren­con­tre avec : Anne-Cécile Mouget et Kévin Polisano.

Allo­ca­tion de sol­i­dar­ité d’un mon­tant max­i­mal de 903,60 euros, l’AAH, cen­sée assur­er aux per­son­nes hand­i­capées un min­i­mum de ressources, est cal­culée en prenant en compte les revenus du ou de la conjoint·e si la per­son­ne vit en cou­ple. Autrement dit, le con­trat amoureux sous le régime de l’AAH se sol­de par une poten­tielle perte d’autonomie finan­cière pour la per­son­ne hand­i­capée. Si son ou sa parte­naire gagne plus de 1 065,55 euros de salaire net par mois, la per­son­ne hand­i­capée ver­ra son allo­ca­tion dimin­uer – voire tomber à zéro si ce salaire dépasse 2 271,55 euros par mois.

Racontez-nous la naissance du collectif Le prix de l’amour.

Anne-Cécile Mouget : C’est récent, mais notre intérêt pour ce sujet est ancien ! Kévin et moi, tous·tes deux porteur·euses d’un hand­i­cap, nous sommes rencontré·es en mars 2021 sur le plateau de l’émission L’œil et la main sur France 5 afin de par­ler de l’AAH et de son mode de cal­cul injuste. En quit­tant le plateau, on s’est dit que c’était le moment de s’engager fer­me­ment. Le col­lec­tif est né dans la foulée. Nous sommes désor­mais cinq à en for­mer le noy­au dur et une dizaine de per­son­nes sont impliquées. Nous avons tous·tes une expéri­ence per­son­nelle et une exper­tise à faire val­oir. Je ter­mine actuelle­ment ma thèse sur la vie amoureuse et sex­uelle des hommes hand­i­capés. Ma recherche m’a ouvert les yeux sur l’impact délétère du mode de cal­cul de l’AAH. C’est un frein à la vie amoureuse : les hommes béné­fi­ci­aires de l’AAH sont déjà rel­a­tive­ment pau­vres, il leur est dif­fi­cile d’inviter quelqu’un au restau­rant, par exem­ple, et c’est presque impens­able de se retrou­ver dépen­dants de leur conjoint·e. J’ai moi-même vécu de l’AAH quand mon hand­i­cap m’affaiblissait trop pour tra­vailler, j’ai donc été directe­ment con­cernée et j’ai fait l’expérience de renon­cer à une vie de cou­ple pour ne pas per­dre mon allo­ca­tion.

Kévin Polisano : Je suis chercheur en maths appliquées, j’approche cette prob­lé­ma­tique avec ma sen­si­bil­ité et mon bagage sci­en­tifique. J’ai touché l’AAH quand j’étais étu­di­ant, alter­nant entre stage et for­ma­tion. Mon allo­ca­tion fluc­tu­ait en fonc­tion des salaires que je perce­vais sans que le mode de cal­cul ne soit clair ni acces­si­ble pour les non-initié·es. J’ai donc eu envie de com­pren­dre com­ment fonc­tion­nait la boîte noire des Caiss­es d’allocations famil­iales (CAF), c’est un vrai brouil­lard ! Je me suis ren­du compte qu’il y avait quan­tité de prob­lèmes : l’existence de seuils engen­drant des pertes finan­cières, les inco­hérences par­mi les sit­u­a­tions et excep­tions pro­posées, les erreurs com­mis­es par les CAF… Et surtout les injus­tices inhérentes au mode de cal­cul de l’AAH en cou­ple. À par­tir de 2013, j’ai écrit des bil­lets de blog décryptant ce sys­tème. J’ai reçu une avalanche de mails. Des gens me racon­tant qu’ils renonçaient à leur pro­jet de Pacs ou de mariage, qu’ils choi­sis­saient de divorcer pour retrou­ver une forme d’autonomie finan­cière… Tout ça m’a sidéré.

Le problème de l’AAH est ancien. Pourquoi la lutte est-elle si récente ?

Anne-Cécile Mouget : L’histoire com­mence en 1975, année de créa­tion de l’AAH. Fondée sur le principe de la « sol­i­dar­ité famil­iale », son mon­tant est cal­culé en fonc­tion des revenus du ou de la conjoint·e, à l’époque unique­ment marié·e. Sauf que la sol­i­dar­ité devrait marcher dans les deux sens ! Les gens n’osaient pas en par­ler tant la honte du hand­i­cap et de la dépen­dance finan­cière est pro­fondé­ment ancrée dans nos sociétés. Elle est peut-être encore plus pronon­cée chez les femmes, qui vont com­penser en sur­in­vestis­sant l’espace domes­tique… Notre col­lec­tif a recueil­li des témoignages de femmes extrême­ment fati­ga­bles qui se tuent à la tâche chez elles pour « pay­er » ce statut de con­jointe dépen­dante. La sit­u­a­tion de dépen­dance finan­cière est le ter­reau fer­tile de l’emprise et des vio­lences con­ju­gales. Sans revenu pro­pre, les femmes n’ont aucune pos­si­bil­ité de par­tir pour se pro­téger. Mais jusqu’à aujourd’hui, ce sujet a été peu investi par le tis­su asso­ci­atif français sur le hand­i­cap. Je pense que c’est lié à la forme des asso­ci­a­tions. Ce sont de grandes struc­tures ges­tion­naires sub­ven­tion­nées par l’État, sou­vent ani­mées par des par­ents de per­son­nes hand­i­capées qui cherchent d’abord à dévelop­per des solu­tions de prise en charge de leurs enfants. Cer­taines, ayant une base religieuse ou char­i­ta­ble, met­tent des freins à la con­ju­gal­ité et la sex­u­al­ité de leurs enfants qu’elles aimeraient main­tenir comme des mineur·es à vie. Le cal­cul de l’AAH les con­cerne peu.

Kévin Polisano : Il y a eu des péri­odes avec des col­lec­tifs plus mil­i­tants, dans la fil­i­a­tion par exem­ple des Hand­i­capés méchants des années 1970. On retrou­ve cette énergie aujourd’hui avec une nou­velle vague de col­lec­tifs plus mor­dants comme les Dévalideuses ou le Col­lec­tif lutte et hand­i­caps pour l’égalité et l’émancipation (CLHEE). Plusieurs de ces col­lec­tifs – dont le nôtre – se sont asso­ciés pour faire plus de bruit autour du com­bat pour la décon­ju­gal­i­sa­tion de l’AAH.

Anne-Cécile Mouget : Comme pour #MeToo, le moment de bas­cule date de l’avènement des réseaux soci­aux. Ces espaces de parole ont per­mis aux per­son­nes con­cernées de réalis­er qu’elles étaient des mil­liers à vivre cette sit­u­a­tion injuste et qu’elles étaient légitimes pour en par­ler ! En par­al­lèle, depuis cinq ans, des par­lemen­taires conscient·es du prob­lème l’ont mis à l’agenda poli­tique.

Kévin Polisano : Et certain·es n’ont pas lâché ! C’est le cas notam­ment de Marie-George Buf­fet (PCF), de Jea­nine Dubié (PRG) ou encore de Philippe Mouiller (LR) pour n’en citer que quelques-un·es. La pre­mière fut à l’initiative d’un texte de propo­si­tion de loi en 2017 qui a mar­qué un tour­nant. Même s’il a été rejeté, dif­férents groupes poli­tiques ont ensuite reten­té des propo­si­tions sim­i­laires, prô­nant la sup­pres­sion de la prise en compte des revenus du ou de la conjoint·e.

Anne-Cécile Mouget : Cet élan a abouti en 2020 au vote de celle déposée par Jea­nine Dubié à l’Assemblée. Elle est passée en pre­mière lec­ture con­tre l’avis du gou­verne­ment et de la majorité, puis le Sénat l’a adop­tée en mars dernier avant de la ren­voy­er à l’Assemblée pour une sec­onde lec­ture. On a été sollicité·es pour une audi­tion et écouté·es. La propo­si­tion de loi n’a finale­ment pas été votée à cause du blocage par le gou­verne­ment qui n’en voulait pas… Mais sept groupes par­lemen­taires sur neuf étaient pour ! On avance.

Quels sont les arguments de celles et ceux qui s’opposent à la déconjugalisation de l’AAH ?

Kévin Polisano : Le gou­verne­ment craint qu’elle n’ouvre une brèche pour tous les min­i­ma soci­aux. Autrement dit, qu’on se mette aus­si à deman­der une indi­vid­u­al­i­sa­tion du Revenu de sol­i­dar­ité active (RSA), par exem­ple, égale­ment cal­culé en prenant en compte les revenus du foy­er. Cela aurait selon eux un coût exor­bi­tant. On a aus­si eu droit à des avis assez saugrenus, voire pétris de con­ser­vatisme. Sophie Cluzel, secré­taire d’État aux per­son­nes hand­i­capées, a estimé, par exem­ple, que la réforme « menaçait le mod­èle du cou­ple »… C’est absurde !

Anne-Cécile Mouget : Les débats ont été intens­es. Ce n’était pas une ques­tion de majorité ou d’opposition, mais de poli­tique avec un grand P. Qu’est-ce qu’on veut pour notre société ? Veut-on que les conjoint·es soient dépendant·es l’un·e de l’autre ou qu’ils et elles choi­sis­sent le meilleur con­trat pos­si­ble pour être ensem­ble sans moyen de pres­sion de l’un·e sur l’autre ?

Qu’est-ce que cela provoque, chez vous, cette entrée en lutte  ?

Anne-Cécile Mouget : Quand on vit avec un hand­i­cap, des moments de la vie peu­vent être très durs. Bon. Je vais faire référence aux travaux de Vik­tor Fran­kl, psy­chi­a­tre juif rescapé des camps de con­cen­tra­tion. À ses inter­ro­ga­tions sur com­ment sur­vivre face à l’horreur, com­ment trou­ver le courage de con­tin­uer, il trou­vait des répons­es dans le sens qu’on donne à sa vie. Eh bien, j’ai choisi un sens à ma vie : la con­nais­sance et l’amour. Toute ma vie est ori­en­tée dans cette direc­tion. J’essaie d’aider d’autres per­son­nes en générant de la con­nais­sance. Je suis pleine­ment à ma place en faisant bouger une loi pour aider des mil­liers de per­son­nes à vivre libre­ment leur vie amoureuse.

Kévin Polisano : Que rajouter après cela ?… Je partage le choix d’Anne-Cécile, la con­nais­sance et l’amour. Je crois que je me sen­tais redev­able aus­si. On est un peu des anom­alies sta­tis­tiques, car les per­son­nes hand­i­capées sont trop peu nom­breuses à accéder aux études supérieures. Elles ne sont pas bien sco­lar­isées, elles sont bridées. J’ai besoin d’aider celles et ceux qui n’ont pas eu cette chance-là. Qu’elles et ils puis­sent enfin vivre digne­ment. •

Entre­tien réal­isé le 21 juil­let 2021, par Iris Deroeux

Iris Deroeux

Reporter basée à Paris après avoir vécu en Inde et aux Etats-Unis pendant dix ans, comme correspondante pour Libération puis Médiapart. Elle collabore au journal Le Monde sur des questions sociales et de jeunesse et enseigne le journalisme en tant que maîtresse de conférences associée à l'université de Strasbourg. Pour ce numéro de La Déferlante, elle interviewé Mélissa Laveaux et Jeanne Added. Voir tous ses articles


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