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Israël, refuser la guerre

Dans un pays dirigé par l’extrême droite et imprégné de cul­ture mil­i­tariste, les objecteur·ices de con­science, relégué·es à la marge de la société, ten­tent d’incarner une solu­tion de sor­tie à la guerre con­tre les Palestinien·nes.
Publié le 28/07/2023

Modifié le 16/01/2025

Sofia Orr et ses parents, chez eux, à Pardes Hanna. Sofia s’apprête à refuser en août 2023 de faire le service militaire. Elle a la chance – le « privilège », dit-elle – de bénéficier du soutien de ses parents. Sur la pancarte, en hébreu : « Il n’y a pas de démocratie sous occupation », et en arabe (ligne du dessous) : « Assez avec l’occupation ». Photo : Haidi Motola pour La Déferlante
Sofia Orr et ses par­ents, chez eux, à Pardes Han­na. Sofia s’apprête à refuser en août 2023 de faire le ser­vice mil­i­taire. Elle a la chance – le « priv­ilège », dit-elle – de béné­fici­er du sou­tien de ses par­ents. Sur la pan­car­te, en hébreu : « Il n’y a pas de démoc­ra­tie sous occu­pa­tion », et en arabe (ligne du dessous) : « Assez avec l’occupation ». Pho­to : Hai­di Moto­la pour La Défer­lante

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°11 Habiter, en août 2023. Con­sul­tez le som­maire

Quand j’étais petite, je me rêvais pilote dans l’armée », s’amuse Raz Bar-David Varon. À 18 ans, dev­enue adulte, elle passe plusieurs mois en prison pour avoir refusé de faire son ser­vice mil­i­taire.

Depuis, elle évolue dans les milieux fémin­istes, queer et anti­colo­nial­istes de son pays. Savourant un thé sous le soleil d’hiver de Tel Aviv, la jeune doc­u­men­tariste de 32 ans tente de résumer quinze années de mil­i­tan­tisme au sein de la gauche rad­i­cale israéli­enne. Son moral va et vient depuis longtemps. « Sou­vent, je me demande si ça a véri­ta­ble­ment servi à quelque chose », con­fie-t-elle. Jamais pour­tant elle n’a regret­té.

Comme elle, une poignée de jeunes Juifs et Juives israélien·nes refuse chaque année de se soumet­tre à la con­scrip­tion oblig­a­toire. Au-delà des mois passés der­rière les bar­reaux, celles et ceux qui désobéis­sent paient les con­séquences de leur déci­sion tout au long de leur vie. Bien qu’elle se sente usée par toutes ces années passées « à la marge », Raz Bar-David Varon reste une mem­bre active du réseau de sol­i­dar­ité des objecteur·ices de con­science. Chaque fois qu’elle est sol­lic­itée pour expli­quer son choix, elle se débrouille pour se ren­dre disponible.

Raz Bar-David Varon, documentariste de 32 ans, chez elle à Tel Aviv. Elle est une membre active du réseau de solidarité des objecteur·ices de conscience israélien·nes. Photo : Haidi Motola pour La Déferlante

Raz Bar-David Varon, doc­u­men­tariste de 32 ans, chez elle à Tel Aviv. Elle est une mem­bre active du réseau de sol­i­dar­ité des objecteur·ices de con­science israélien·nes. Pho­to : Hai­di Moto­la pour La Défer­lante

En Israël, tourn­er le dos à « l’armée du peu­ple », telle qu’on la surnomme, con­stitue un blas­phème poli­tique au coût social impor­tant. « L’immense majorité des citoyens juifs d’Israël con­sid­ère que l’armée est indis­pens­able pour assur­er la sécu­rité du pays », analyse la soci­o­logue française Karine Lamarche, qui a con­sacré plusieurs ouvrages aux Israélien·nes paci­fistes qui mili­tent con­tre leur camp. « Si on ne par­ticipe pas à cet effort, on est con­sid­éré non seule­ment comme égoïste, mais aus­si comme un prof­i­teur, voire un traître. »

Occu­per, expulser, annex­er des ter­ri­toires : depuis le plan de partage de la Pales­tine en 1947, Israël ne cesse de redéfinir ses fron­tières par les armes. Et chacun·e est tenu·e de par­ticiper à l’effort nation­al. En plus du ser­vice mil­i­taire, une part impor­tante des citoyen·nes sert en tant que réserviste : jusqu’à 40 ans, par­fois 50, ils et elles ont l’obligation de rejoin­dre leur base mil­i­taire plusieurs jours par mois. Dev­enue banale, la guerre est ancrée dans le quo­ti­di­en des familles.

Petite fille, Raz Bar-David Varon enfi­lait l’uniforme trop grand de son père pour se déguis­er lors de la fête religieuse de Pourim. Comme tant d’autres enfants juifs et juives israélien·nes, elle a été élevée dans un envi­ron­nement où l’armée est syn­onyme de fierté, de joie et de célébra­tion des liens. Elle avait 15 ans lorsqu’elle a décou­vert le mur, en con­struc­tion à l’époque, qui s’érige entre Israël et la Cisjor­danie. Les vil­lages et les camps de réfugié·es aperçus ce jour-là à tra­vers les blocs encore dis­con­ti­nus du mur sont gravés dans sa mémoire. «J’ai com­pris que cette armée que je croy­ais de défense, comme son nom l’indique, était en réal­ité une armée d’occupation. En quelques min­utes, mon monde s’est effon­dré : tous mes repères ont dis­paru», se remé­more-t-elle.

Regarder en face l’apartheid

32 mois pour les garçons. 24 pour les filles. Le ser­vice mil­i­taire est oblig­a­toire pour tous les Juifs et les Juives israélien·nes depuis la créa­tion de l’État en 1948, mais les « ultra­orthodoxes » peu­vent béné­fici­er d’une exemp­tion (1). Les Palestinien·nes de nation­al­ité israéli­enne, pour leur part, ne reçoivent pas d’ordre de con­scrip­tion. En 2020, 8 % des garçons et 4 % des filles soumis·es à con­scrip­tion ont été réformé·es pour indis­po­si­tions médi­cales ou psy­chologiques. Quelques autres enfin l’ont été durant leurs class­es pour « mau­vais com­porte­ment ».

En 2020, sur près de 75 000 Israélien·nes mobil­is­ables qui avaient atteint l’âge de 18 ans, qua­tre ont refusé publique­ment d’obéir à leur ordre de con­scrip­tion, sans pour autant sol­liciter d’exemption médi­cale, religieuse ou psy­chologique. Einat Ger­litz est l’une de ces objecteur·ices. À 19 ans, elle a été incar­cérée 87 jours dans une cel­lule du quarti­er des femmes de la prison mil­i­taire de Neve Tzedek, au nord de Tel Aviv, entre les mois d’août et de décem­bre 2022.

« J’ai d’abord envis­agé de rejoin­dre une unité de com­bat pour éviter que cette place soit occupée par un ou une jeune raciste », racon­te la jeune femme, cheveux châ­tains coupés court et lunettes cer­clées de plas­tique bleu lui mangeant la moitié du vis­age. Mais Einat Ger­litz a finale­ment con­sid­éré que le prob­lème ne venait pas des indi­vidus, mais d’un sys­tème. « Que l’on soit envoyé au com­bat ou affec­té à un poste de secré­taire ou d’infirmière, tous ces secteurs font fonc­tion­ner l’armée, qui est l’outil prin­ci­pal du sys­tème d’oppression des Pales­tiniens », tranche-t-elle.

Einat Gerlitz fait partie des quatre Israélien·nes mobilisables qui, en 2020, ont refusé publiquement d’obéir à leur ordre de conscription, sans solliciter d’exemption médicale, religieuse, ou politique. Photo prise au printemps 2023, à Jaffa. Photo : Haidi Motola pour La Déferlante

Einat Ger­litz fait par­tie des qua­tre Israélien·nes mobil­is­ables qui, en 2020, ont refusé publique­ment d’obéir à leur ordre de con­scrip­tion, sans sol­liciter d’exemption médi­cale, religieuse, ou poli­tique. Pho­to prise au print­emps 2023, à Jaf­fa. Pho­to : Hai­di Moto­la pour La Défer­lante

Comme les autres objec­tri­ces de con­science ren­con­trées pour ce reportage, elle souligne le rôle décisif qu’a joué sa ren­con­tre avec les Palestinien·nes. « La sépa­ra­tion entre les Juifs et les Pales­tiniens est très forte ici. Dans mon lycée, nous n’étions que des Juifs. C’est pen­dant les man­i­fes­ta­tions pour le cli­mat en 2018 que je me suis fait des amies pales­tini­ennes. Au cours de nos dis­cus­sions, j’ai pris con­science que mon expéri­ence était totale­ment dif­férente de la leur, alors que nous vivons dans la même ville et qu’elles dis­posent de la citoyen­neté israéli­enne comme moi. » Pour l’adolescente, c’est le déclic. Elle s’informe via les réseaux soci­aux et dis­cute avec ses par­ents, uni­ver­si­taires, proches de la gauche libérale, « mais très éloignés du mil­i­tan­tisme », pré­cise Einat Ger­litz. Pour pren­dre le temps de la réflex­ion, à la sor­tie du lycée, elle s’engage comme bénév­ole dans un kib­boutz (2) : cela repousse d’un an son appel sous les dra­peaux et lui per­met d’expérimenter son attrait pour le tra­vail de la terre. À son retour, sa déci­sion est prise.

Einat Ger­litz veut inter­peller les jeunes Israélien·nes, les pouss­er à regarder en face « la coloni­sa­tion, mais aus­si l’apartheid qu’Israël fait subir aux Pales­tiniens ». Au fil des entre­tiens, la jeune femme insiste et répète : « Oui, on fait de la prison, mais c’est incom­pa­ra­ble avec la répres­sion que subis­sent les Pales­tiniens et Pales­tini­ennes, y com­pris les enfants : nous avons le choix de soutenir ou de dénon­cer l’armée et les crimes que com­met notre État. »

Une armée glorifiée en Israël

À la gare de Jérusalem, chaque jeu­di à par­tir du milieu d’après-midi, le regard étranger est frap­pé par la rou­tine qui ouvre le week-end. À mesure que le soleil décline appa­rais­sent des groupes d’adolescent·es en uni­forme, sacs au dos et, par­fois, arme automa­tique en ban­doulière. Les tout·es jeunes soldat·es ren­trent dans leur famille. Cette vis­i­bil­ité de l’armée dans l’espace pub­lic n’est pas acci­den­telle, elle est même encour­agée : cer­tains musées nationaux offrent l’entrée aux sol­dats qui se présen­tent en uni­forme.

En pri­maire, les écoles organ­isent des col­lectes de dessins à des­ti­na­tion des sol­dats. Puis dès le col­lège, les enfants se ques­tion­nent sur l’unité mil­i­taire qu’ils souhait­ent rejoin­dre. Des cours par­ti­c­uliers pré­par­ent celles et ceux qui le souhait­ent – et qui en ont les moyens –, aux tests physiques et théoriques pour inté­gr­er les secteurs d’élite. En Israël, la ques­tion : « Et toi, où as-tu servi dans l’armée ? » est la pre­mière que l’on pose à chaque nou­velle ren­con­tre, tout au long de la vie.

S’il n’est pas sim­ple de rompre avec le statu quo mil­i­tariste, le mou­ve­ment des objecteur·ices de con­science se main­tient dans le paysage poli­tique depuis près de quar­ante ans. Partagée sur les réseaux soci­aux, l’expérience de Raz Bar-David Varon a nour­ri l’engagement d’Einat Ger­litz, qui à son tour a inspiré Sofia Orr, 17 ans. « Je sais que cela va influ­encer toute ma vie, mais je préfère aller en prison plutôt que servir dans cette armée raciste et colo­niale », déclare l’adolescente aux grands yeux verts. Fille d’une enseignante et d’un artiste, elle veut rompre avec le sen­ti­ment d’impuissance qui l’habite. « Refuser de faire son ser­vice, c’est l’opportunité de faire enten­dre une voix opposée à ce que l’on apprend à l’école qui, au pire, nie l’existence des Pales­tiniens, et au mieux par­le de “con­flit”. Comme si Juifs et Pales­tiniens se trou­vaient à égal­ité ! », s’indigne la jeune fille. Plutôt qu’un sac­ri­fice, Sofia Orr envis­age l’insoumission mil­i­taire comme une oppor­tu­nité. « Je ne pour­rai avoir cet impact qu’une seule fois dans ma vie, et je con­sid­ère que c’est le min­i­mum que je puisse faire. »

Depuis 2014, l’ONG Mesar­vot – qui sig­ni­fie « celles qui refusent » en hébreu – coor­donne les objecteur·ices de con­science et tente de médi­a­tis­er leur cause. La loi inter­dis­ant l’appel à l’insoumission mil­i­taire et la dif­fu­sion des témoignages la con­traint à avancer prudem­ment. Pour éviter les pour­suites et la fer­me­ture admin­is­tra­tive, l’association se présente comme un réseau de « désobéis­sance civile con­tre la coloni­sa­tion et l’apartheid », sans plus de détails. Elle met des ressources juridiques et humaines à la dis­po­si­tion de quiconque souhaite se sous­traire à l’appel. Et surtout, elle joue les porte-voix des jeunes qui exposent leurs moti­va­tions – per­son­nelles et poli­tiques – sous la forme de let­tres ouvertes rédigées à la pre­mière per­son­ne. Pour Sha­har Perets, 20 ans, s’exprimer au « je » a été l’occasion de dépass­er sa timid­ité, qu’elle attribue en par­tie au fait d’être une femme. Après avoir désobéi en 2021, elle a effec­tué plusieurs séjours en prison mil­i­taire avant d’obtenir son exemp­tion. « Non seule­ment j’ai appris à don­ner mon avis et à m’exposer, mais j’ai aus­si appris à faire respecter ce “non”. Mal­gré les nom­breuses cri­tiques, je me sens bien plus forte aujourd’hui, capa­ble de diriger ma vie, de faire mes pro­pres choix. »

Féminisme et « pink washing »

Un moment de prise de con­science fémin­iste qui ne doit rien au hasard, si l’on en croit les ani­ma­tri­ces de Mesar­vot. « Je suis très con­tente que notre struc­ture porte ce nom “celles qui refusent” au féminin pluriel, alors qu’il n’y a pas que des femmes dans notre organ­i­sa­tion ! se réjouit Einat Ger­litz, la jeune femme aux lunettes bleues. Pour une fois, ce sont les hommes qui sont invis­i­bil­isés au nom d’une démarche col­lec­tive. » Le nom de l’organisation n’est pas un sim­ple sup­port de com­mu­ni­ca­tion, mais une manière d’imposer une rup­ture avec la con­cep­tion majori­taire du fémin­isme en Israël. « L’armée est telle­ment cen­trale que la fig­ure fémin­iste recon­nue ici, c’est Alice Miller (3), qui s’est battue en 1995 pour que les femmes puis­sent devenir pilotes dans l’armée », s’agace Yas­min Ritchie-Yahav, coor­di­na­trice de l’ONG.

Le fait que garçons et filles soient soumis·es aux oblig­a­tions mil­i­taires est con­tin­uelle­ment présen­té comme une preuve de l’ouverture d’esprit de l’armée israéli­enne. « Je ne vois rien de fémin­iste dans le fait qu’une femme gagne le droit d’aller bom­barder Gaza, donc de bom­barder aus­si des femmes et des enfants », souf­fle Sofia Orr, la jeune femme qui s’apprête à refuser son appel. « Le fémin­isme, ce n’est pas l’égalité dans l’exercice de la dom­i­na­tion, c’est l’émancipation de toutes, y com­pris des femmes pales­tini­ennes », syn­thé­tise Einat Ger­litz, qui dénonce le « pink wash­ing » israélien, soit le déploiement d’un dis­cours pub­lic en faveur des droits des femmes et des per­son­nes LGBT+, alors que la réal­ité se situe à l’opposé. « Les ser­vices de ren­seigne­ment israéliens font régulière­ment chanter les Pales­tini­ennes ou Pales­tiniens non hétéro­sex­uels, les menaçant de dévoil­er leur ori­en­ta­tion sex­uelle pour les con­train­dre à devenir des infor­ma­teurs », affirme la jeune femme.


« Le fémin­isme, ce n’est pas l’égalité dans l’exercice de la dom­i­na­tion, c’est l’émancipation de toutes, y com­pris des femmes pales­tini­ennes »

Einat Ger­lit


Pour la théorici­enne fémin­iste israéli­enne Rela Maza­li, il est clair que mas­culin­isme et mil­i­tarisme s’alimentent mutuelle­ment. « En Israël, on attaque un politi­cien en le trai­tant de “faible”, souligne la mil­i­tante. On assoit une car­rière sur un par­cours mil­i­taire “exem­plaire”, c’est-à-dire meur­tri­er vis-à-vis des Pales­tiniens. » La société israéli­enne est telle­ment imbibée de cul­ture mil­i­tariste que « la guerre et la pré­pa­ra­tion de la guerre sont envis­agées comme du soin porté aux siens », explique la mil­i­tante. Elle pour­suit : « Les Juifs et Juives israéli­ennes vivent dans un état de peur ali­men­tée par les autorités poli­tiques, qui s’indignent d’un atten­tat pales­tinien tout en évi­tant sys­té­ma­tique­ment de nom­mer les vio­lences exer­cées par l’État d’Israël. » Cette peur jus­ti­fie la mul­ti­pli­ca­tion des per­mis de port d’armes indi­vidu­els, ce qui expose les femmes juives à plus de risques de décès au sein de leur foy­er. Lesquelles sont sys­té­ma­tique­ment encour­agées à devenir mères pour soutenir l’effort démo­graphique et entretenir une majorité juive. « Ce faisant, elles acceptent aus­si d’élever de futurs sol­dats et sol­dates », con­clut Rela Maza­li.

Le « privilège » de refuser la conscription

Forte d’une autonomie forgée dans son choix d’insoumission, Sharar Perets est par­tie plusieurs mois en Amérique du Sud. À son retour, elle a posé ses valis­es à Haï­fa, « une ville où Juifs et Pales­tiniens se croisent, voire se ren­con­trent ». Elle partage un petit apparte­ment accroché aux pentes de la ville por­tu­aire avec son com­pagnon. Lui exé­cute son ser­vice. « Tout le monde ne peut pas se per­me­t­tre de refuser », regrette la jeune femme. Comme toutes celles que nous avons ren­con­trées, Sha­har Perets tient à soulign­er que son choix a été ren­du pos­si­ble par sa posi­tion sociale priv­ilégiée.

Shahar Perets, 20 ans, souligne que son choix a été rendu possible par sa position sociale privilégiée. Elle est photographiée à Haïfa. Photo : Haidi Motola pour La Déferlante

Sha­har Perets, 20 ans, souligne que son choix a été ren­du pos­si­ble par sa posi­tion sociale priv­ilégiée. Elle est pho­tographiée à Haï­fa. Pho­to : Hai­di Moto­la pour La Défer­lante

Mina*, la trentaine, est thérapeute et bénév­ole au sein de l’ONG fémin­iste et anti­mil­i­tariste israéli­enne New Pro­file. Elle a refusé de rejoin­dre l’armée la même année que Raz Bar-David Varon. Elle sait que pour certain·es, la désobéis­sance n’est pas une option : « Pour les Juifs et juives issues des caté­gories les plus pau­vres et dis­crim­inées en Israël, l’armée est l’unique levi­er de pro­gres­sion sociale. » Les Juif et Juives éthiopien·nes ou arabes (4) mais aus­si les per­son­nes LGBT+ sont nom­breuses à espér­er gag­n­er du respect – et faire sauter le pla­fond de verre – en répon­dant à l’appel mil­i­taire. Dans les faits, toutes ces minorités subis­sent des vio­lences racistes, homo­phobes, trans­pho­bes ou sex­istes dans leurs unités qui les poussent sou­vent vers la sor­tie. D’autres, au con­traire, espèrent être exempté·es, non pour des raisons poli­tiques, mais pour con­tin­uer à tra­vailler et soutenir leur famille finan­cière­ment. Loin d’être engageantes, les sol­des s’élèvent à un tiers du salaire min­i­mum israélien. La sit­u­a­tion économique : voilà l’autre grand motif d’inégalité entre les appelé·es. « Pour refuser publique­ment de servir, il faut être sûr que sa famille peut financer ses études, car cer­taines bours­es uni­ver­si­taires ne s’obtiennent qu’à tra­vers l’armée, rap­pelle Mina. Il faut dis­pos­er d’un cap­i­tal social sécurisant et pou­voir se per­me­t­tre de ne pas tra­vailler durant les mois passés en prison. »

Yas­min Ritchie-Yahav, la coor­di­na­trice de Mesar­vot, s’est sous­traite au ser­vice mil­i­taire en 2019. Elle affirme aujourd’hui vouloir « met­tre son priv­ilège au ser­vice des luttes aux côtés des Palestinien·nes ». À 22 ans, elle suit déjà les pas de sa mère, salariée d’une ONG israéli­enne de défense des droits humains, et s’accommode de l’idée qu’elle « sera mil­i­tante toute [sa] vie ». Parce qu’elle veut « pren­dre soin du vivant », Einat Ger­litz se voit éco­logue ou agricul­trice. Sha­har Perets, elle, voudrait devenir « tra­vailleuse sociale dans une struc­ture où le respect des droits des Palestinien·nes tient une place impor­tante ». Après quinze ans de vie mil­i­tante, Raz Bar-David Varon est quant à elle gag­née par un fort sen­ti­ment d’échec face à une société israéli­enne qui, selon elle, s’enfonce dans ses obses­sions iden­ti­taires. Elle s’en désole, car « les rangs des anti­colo­nial­istes se renou­vel­lent sans jamais, pour autant, s’étoffer ».

Face au gouvernement d’extrême droite, un bloc anti-apartheid

Rede­venu Pre­mier min­istre après les élec­tions lég­isla­tives de novem­bre 2022, Benyamin Nétanya­hou dirige aujourd’hui le gou­verne­ment le plus à droite de l’histoire d’Israël, avec, à la tête de min­istères clés, plusieurs fig­ures de l’extrême droite juive supré­maciste, actives dans le mou­ve­ment des colons.

Le résul­tat a été immé­di­at : 176 Pales­tiniens et Pales­tini­ennes ont été tué·es par l’armée ou des civils israéliens entre le 1er jan­vi­er et le 26 juin 2023 (con­tre 66 sur la même péri­ode en 2022) et presque 500 raids de colons recen­sés. Ces groupes armés de civils israéliens vivant dans les colonies de Cisjor­danie, partisan·es du « Grand Israël », souhait­ent, par la vio­lence, sup­primer toute présence pales­tini­enne en Cisjor­danie et en obtenir ain­si l’annexion. L’armée régulière les accom­pa­gne et les pro­tège. Benyamin Nétanya­hou qual­i­fie ces raids d’« actes d’autodéfense » et sem­ble même les encour­ager, en recon­nais­sant régulière­ment de nou­velles colonies.

Depuis début jan­vi­er 2023, le gou­verne­ment israélien est engagé dans un bras de fer avec l’opinion autour d’un impor­tant pro­jet de réforme du sys­tème judi­ci­aire ayant pour objec­tif de dimin­uer le pou­voir de la Cour suprême israéli­enne. Des cen­taines de mil­liers de per­son­nes se sont mobil­isées dans les grandes villes pour « défendre la démoc­ra­tie ».

Lorsque nous les avons ren­con­trées en jan­vi­er 2023 à Tel Aviv, Haï­fa et Jérusalem, les femmes qui témoignent dans cet arti­cle refu­saient de join­dre leurs voix à ces rassem­ble­ments ne remet­tant pas en cause la poli­tique israéli­enne d’occupation et d’apartheid. Au fil des semaines, cer­taines ont pour­tant rejoint le « Bloc anti-apartheid » du mou­ve­ment, qui regroupe un mil­li­er de per­son­nes ten­tant de rompre le statu quo colo­nial en exigeant « jus­tice et égal­ité pour tous·tes, de la mer au Jour­dain » et affir­mant qu’il n’existe « pas de démoc­ra­tie sous occu­pa­tion ». Ces slo­gans leur attirent les foudres et les coups de nom­breux groupes de manifestant·es.

Sarah Benichou

Sarah Beni­chou est his­to­ri­enne et poli­tiste de for­ma­tion, jour­nal­iste indépen­dante, mem­bre du col­lec­tif You­press. Elle s’intéresse à l’extrême droite, au colo­nial­isme, aux expéri­ences juives et aux liens qu’entretiennent les femmes avec les instances de pou­voir.

 


(1) La pra­tique religieuse des ultra-ortho­dox­es est incom­pat­i­ble avec la mix­ité de genre imposée par l’armée.

(2) Héri­tiers des colonies agri­coles col­lec­tivistes de la jeunesse sion­iste de gauche, au xixe siè­cle, les kib­boutz sont aujourd’hui des vil­lages organ­isés de manière col­lec­tive.

(3) Alice Miller, née en 1972, est une fig­ure de référence du fémin­isme en Israël. Exclue d’office, en tant que femme, du con­cours d’entrée de l’armée de l’air, elle avait obtenu en 1995 devant la Haute Cour de jus­tice, l’ouverture de ces unités d’élite aux femmes.

(4) Les Juifs et Juives arabes sont désigné·es par le terme « Mizrahim » en Israël, englobant les com­mu­nautés juives orig­i­naires du Moyen-Ori­ent, d’Afrique du Nord et d’Asie cen­trale.

* Le prénom a été mod­i­fié.

Sarah Benichou

Historienne et politiste de formation, Sarah Benichou se passionne pour l’enquête historique. En tant que journaliste indépendante, elle s’intéresse en particulier à l’extrême droite, au colonialisme, aux expériences juives et aux liens qu’entretiennent les femmes avec les instances de pouvoir. Elle est membre du collectif Youpress. Voir tous ses articles

Habiter : brisons les murs

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