Iran : « Plaider la force du droit, plutôt que la loi du plus fort »

Alors qu’en 2022, ils avaient apporté leur soutien au sou­lè­ve­ment populaire en Iran, les gou­ver­ne­ments occi­den­taux sont restés passifs face aux bombes lancées sur l’Iran par Israël et les États-Unis, fin juin 2025. Dans un entretien accordé à La Déferlante, l’avocate franco-iranienne Chirinne Ardakani exprime sa colère et son inquié­tude, et rappelle la puissance trans­for­ma­trice du mouvement féministe iranien. 

par

Publié le 17/07/2025

e 19 juin 2025 à Paris, Chirinne Ardakani orga­ni­sait une mani­fes­ta­tion pour protester contre les bom­bar­de­ments en Iran. Crédit photo : Martin Lelièvre / AFP

Découvrez la revue La Déferlante n°18, « Pour une éducation qui libère », parue en mai 2025. Consultez le sommaire.

Depuis l’automne 2022 et l’émergence du mouvement Femmes, vie, liberté, le pouvoir iranien n’a eu de cesse d’intimider, violenter, enfermer ou tuer toutes celles et ceux qui récla­maient la fin de l’apartheid de genre et la chute du régime religieux. 

Un argument qui, combiné au risque d’escalade nucléaire, vient justifier, selon les puis­sances occi­den­tales, les récents bom­bar­de­ments sur l’Iran. Avocate féministe et militante pour les droits humains, Chirinne Ardakani n’a cessé de docu­men­ter et de dénoncer les exactions du régime de Téhéran. Mais elle s’inquiète tout autant de la passivité des opinions euro­péennes face aux attaques israé­liennes et éta­su­niennes, qui ont tué plus de 400 civil·es en Iran, tandis que 24 civil·es israélien·nes étaient tué·es par des frappes ira­niennes, entre le 13 et le 22 juin 2025.

En tant que militante féministe, que vous inspirent les bom­bar­de­ments israé­liens puis éta­su­niens sur l’Iran ?

La guerre est toujours une infamie, d’autant plus quand elle est illégale – et ces bom­bar­de­ments qui ne relèvent pas d’une situation de légitime défense contre­viennent à [l’article 33 de] la charte des Nations unies adoptée en 1945.

De la mort de civil·es ne peut rien jaillir de sou­hai­table pour un pays, contrai­re­ment à ce que semble penser Donald Trump. Faire la guerre, c’est renoncer à l’idée selon laquelle les rapports entre les sociétés peuvent se résoudre par la loi et par le droit.

La guerre crée une situation de chaos dans laquelle s’engouffrent des régimes répres­sifs comme la République islamique d’Iran. Au nom du combat contre un ennemi extérieur, les dic­ta­tures traquent un prétendu « ennemi intérieur », confis­quant chaque jour des libertés et cri­mi­na­li­sant les voix contes­ta­taires. Dans les semaines qui ont suivi les bom­bar­de­ments de juin dernier, par exemple, un très grand nombre de réfugié⋅es afghan⋅es [plus de 500 000] ont été expulsé⋅es d’Iran après avoir été accusé⋅es de col­la­bo­ra­tion avec l’ennemi.

Le régime s’en est aussi pris dou­ble­ment aux mili­tantes fémi­nistes qui luttent contre la ségré­ga­tion de genre en Iran. Lorsque la prison d’Evin à Téhéran – où elles étaient détenues pour avoir participé au mouvement social et culturel Femme, vie, liberté – a été bombardée par l’armée israé­lienne, elles ont été trans­fé­rées vers la prison politique de Qarchak (à 50 kilo­mètres au sud de Téhéran), où les condi­tions de vie sont encore plus dures. Je pense par­ti­cu­liè­re­ment à l’écrivaine Golkhoo Irae, empri­son­née pour avoir écrit sur la lapi­da­tion, et à deux mili­tantes kurdes pour les droits des femmes et des enfants, Pakhshan Azizi et Varisheh Moradi, toutes deux condam­nées à mort.


« La société iranienne n’a besoin ni de maître religieux ni de libé­ra­teurs. Elle a besoin d’alliés sincères. »


En France, le président Emmanuel Macron défend « le droit d’Israël à se protéger » face à la « menace » que repré­sente le nucléaire iranien, tandis qu’en Allemagne le chan­ce­lier Friedrich Merz a déclaré à propos des frappes : « C’est le sale boulot qu’Israël fait pour nous tous. » Que vous inspirent les réactions des diplo­ma­ties européennes ?

Les frappes israé­liennes et amé­ri­caines n’ont pas eu d’effet réel sur le programme nucléaire iranien : les ins­tal­la­tions ne sont pas anéanties. En revanche, le fait de les cibler a fait courir aux popu­la­tions et à l’environnement un risque de pollution très important. C’est nor­ma­le­ment interdit par les traités de non-prolifération.

Les dirigeant⋅es européen⋅nes ont accepté le principe de cette guerre en exprimant leur soli­da­ri­té avec les États agres­seurs. Les États-Unis et Israël sont allés jusqu’à dire que les bombes per­met­taient au peuple iranien de s’émanciper. Cela revient à cracher sur Femmes, vie, liberté, le mouvement le plus fédé­ra­teur que le pays ait connu dans son histoire. Le peuple iranien demande non pas qu’on le bombarde, mais qu’on soutienne le projet politique pensé depuis la rue et les prisons de tout le pays : la liberté, l’égalité entre les citoyen·nes, la fin de l’apartheid de genre, le droit de vivre dignement de son travail, d’accéder à la liberté. La société iranienne n’a besoin ni de maîtres religieux ni de libé­ra­teurs : elle a besoin d’alliés sincères.

Que peuvent les mou­ve­ments fémi­nistes face à ces événements ?

La guerre et, dans son sillage, la mili­ta­ri­sa­tion de la société ren­forcent le pouvoir masculin : les forces de sécurité fidèles au régime islamique mul­ti­plient les contrôles sur la voie publique. Le risque d’arrestation ou de violences est par­ti­cu­liè­re­ment important pour les femmes qui mènent des actions de déso­béis­sance civile contre le voile obli­ga­toire. La guerre s’accompagne aussi d’une glo­ri­fi­ca­tion de la violence et de la des­truc­tion. Or, le féminisme, c’est pré­ci­sé­ment le refus que la violence régule les rapports sociaux. Les fémi­nistes ira­niennes ont toujours dénoncé les lois patriar­cales qui placent leur corps sous contrôle. Qu’il s’agisse de l’obligation de porter le voile, de voir des petites filles mariées de force ou encore de faire des enfants.

En tant que fémi­nistes et défenseur⋅euses des droits humains, il nous faut continuer à nous battre contre l’apartheid de genre, tel qu’il se pratique en Iran, afin qu’il appa­raisse comme un crime dans les traités inter­na­tio­naux. Nous devons lutter pour que les criminels de guerre soient jugés devant des juri­dic­tions inter­na­tio­nales, et continuer à plaider la force du droit, plutôt que la loi du plus fort.

Pour une éducation qui libère !

Découvrez la revue La Déferlante n°18, « Pour une éducation qui libère », parue en mai 2025. Consultez le sommaire.