Depuis l’automne 2022 et l’émergence du mouvement Femmes, vie, liberté, le pouvoir iranien n’a eu de cesse d’intimider, violenter, enfermer ou tuer toutes celles et ceux qui réclamaient la fin de l’apartheid de genre et la chute du régime religieux.
En tant que militante féministe, que vous inspirent les bombardements israéliens puis étasuniens sur l’Iran ?
La guerre est toujours une infamie, d’autant plus quand elle est illégale – et ces bombardements qui ne relèvent pas d’une situation de légitime défense contreviennent à [l’article 33 de] la charte des Nations unies adoptée en 1945.
De la mort de civil·es ne peut rien jaillir de souhaitable pour un pays, contrairement à ce que semble penser Donald Trump. Faire la guerre, c’est renoncer à l’idée selon laquelle les rapports entre les sociétés peuvent se résoudre par la loi et par le droit.
La guerre crée une situation de chaos dans laquelle s’engouffrent des régimes répressifs comme la République islamique d’Iran. Au nom du combat contre un ennemi extérieur, les dictatures traquent un prétendu « ennemi intérieur », confisquant chaque jour des libertés et criminalisant les voix contestataires. Dans les semaines qui ont suivi les bombardements de juin dernier, par exemple, un très grand nombre de réfugié⋅es afghan⋅es [plus de 500 000] ont été expulsé⋅es d’Iran après avoir été accusé⋅es de collaboration avec l’ennemi.
Le régime s’en est aussi pris doublement aux militantes féministes qui luttent contre la ségrégation de genre en Iran. Lorsque la prison d’Evin à Téhéran – où elles étaient détenues pour avoir participé au mouvement social et culturel Femme, vie, liberté – a été bombardée par l’armée israélienne, elles ont été transférées vers la prison politique de Qarchak (à 50 kilomètres au sud de Téhéran), où les conditions de vie sont encore plus dures. Je pense particulièrement à l’écrivaine Golkhoo Irae, emprisonnée pour avoir écrit sur la lapidation, et à deux militantes kurdes pour les droits des femmes et des enfants, Pakhshan Azizi et Varisheh Moradi, toutes deux condamnées à mort.
« La société iranienne n’a besoin ni de maître religieux ni de libérateurs. Elle a besoin d’alliés sincères. »
En France, le président Emmanuel Macron défend « le droit d’Israël à se protéger » face à la « menace » que représente le nucléaire iranien, tandis qu’en Allemagne le chancelier Friedrich Merz a déclaré à propos des frappes : « C’est le sale boulot qu’Israël fait pour nous tous. » Que vous inspirent les réactions des diplomaties européennes ?
Les frappes israéliennes et américaines n’ont pas eu d’effet réel sur le programme nucléaire iranien : les installations ne sont pas anéanties. En revanche, le fait de les cibler a fait courir aux populations et à l’environnement un risque de pollution très important. C’est normalement interdit par les traités de non-prolifération.
Les dirigeant⋅es européen⋅nes ont accepté le principe de cette guerre en exprimant leur solidarité avec les États agresseurs. Les États-Unis et Israël sont allés jusqu’à dire que les bombes permettaient au peuple iranien de s’émanciper. Cela revient à cracher sur Femmes, vie, liberté, le mouvement le plus fédérateur que le pays ait connu dans son histoire. Le peuple iranien demande non pas qu’on le bombarde, mais qu’on soutienne le projet politique pensé depuis la rue et les prisons de tout le pays : la liberté, l’égalité entre les citoyen·nes, la fin de l’apartheid de genre, le droit de vivre dignement de son travail, d’accéder à la liberté. La société iranienne n’a besoin ni de maîtres religieux ni de libérateurs : elle a besoin d’alliés sincères.
Que peuvent les mouvements féministes face à ces événements ?
La guerre et, dans son sillage, la militarisation de la société renforcent le pouvoir masculin : les forces de sécurité fidèles au régime islamique multiplient les contrôles sur la voie publique. Le risque d’arrestation ou de violences est particulièrement important pour les femmes qui mènent des actions de désobéissance civile contre le voile obligatoire. La guerre s’accompagne aussi d’une glorification de la violence et de la destruction. Or, le féminisme, c’est précisément le refus que la violence régule les rapports sociaux. Les féministes iraniennes ont toujours dénoncé les lois patriarcales qui placent leur corps sous contrôle. Qu’il s’agisse de l’obligation de porter le voile, de voir des petites filles mariées de force ou encore de faire des enfants.
En tant que féministes et défenseur⋅euses des droits humains, il nous faut continuer à nous battre contre l’apartheid de genre, tel qu’il se pratique en Iran, afin qu’il apparaisse comme un crime dans les traités internationaux. Nous devons lutter pour que les criminels de guerre soient jugés devant des juridictions internationales, et continuer à plaider la force du droit, plutôt que la loi du plus fort.