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Inceste commis par des mineurs, qui sont les « gentils monstres ordinaires » ?

Qui sont ces cousins, ces frères qui agressent leurs sœurs, frères et cousin·es ? Com­ment la police et la jus­tice trait­ent-elles ces vio­lences spé­ci­fiques ? Qu’en dit la lit­téra­ture sci­en­tifique ? Rien ou presque, comme si ces crimes n’existaient pas. Dans ce troisième volet de notre enquête, la jour­nal­iste Sarah Bou­cault, ayant elle-même subi ces vio­lences, met en lumière le manque cri­ant de prise en charge des auteurs.
Publié le 12/04/2023

Modifié le 16/01/2025

Illustration : Léa Djeziri
Illus­tra­tion : Léa Djeziri pour La Défer­lante

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°10 Danser, de mai 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
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Les mineurs auteurs de vio­lences sex­uelles inces­tueuses étant très majori­taire­ment des garçons (92 % d’après l’enquête de la soci­o­logue Marie Romero), nous util­isons exclu­sive­ment le mas­culin pour les désign­er dans cet arti­cle.

Qui sont ces «gen­tils mon­stres ordi­naires (1)», qui agressent leur sœur, frère, cou­sine, cousin, nièce ou neveu ?

Des garçons, dans leur immense majorité : 92 % des mineurs auteurs pour­suiv­is en jus­tice, d’après le rap­port de Marie Romero, qui note aus­si qu’ils sont plus jeunes que les autres mineurs auteurs d’infractions sex­uelles puisque «la caté­gorie des mineurs de moins de 13 ans est sur­représen­tée dans les vio­ls et agres­sions sex­uelles à car­ac­tère inces­tueux». La soci­o­logue des­sine par ailleurs le pro­fil de jeunes garçons «assez inhibés, plutôt bien insérés sco­laire­ment mais en dif­fi­culté dans les rela­tions duelles». L’inceste dans la fratrie s’inscrit sou­vent sur le temps long, pointent les pédopsy­chi­a­tres Bar­bara Thomazeau et San­drine Bon­neton. Il reflète «une volon­té de dom­i­na­tion et d’écrasement de l’autre» ou une «ten­ta­tive d’apaiser une ten­sion psy­chique sec­ondaire liée à un état d’angoisse et d’insécurité face à des phénomènes vio­lents parentaux. […] Plus rarement, le lien inces­tueux vient dévoil­er la con­struc­tion d’une sex­u­al­ité pédophile (2)».

Les enjeux de la détec­tion et des soins sont essen­tiels mais les dis­posi­tifs de prise en charge, large­ment insuff­isants. Les Cen­tres ressources pour intervenant·es auprès des auteurs de vio­lences sex­uelles (Cri­avs), sou­vent mécon­nus, ont récem­ment con­staté une aug­men­ta­tion sig­ni­fica­tive de la pro­por­tion des auteurs de vio­lences sex­uelles n’ayant pas encore atteint la majorité. «Depuis quelques années, la moitié des sol­lic­i­ta­tions con­cerne des mineurs auteurs de vio­lences sex­uelles, remar­que ain­si Anne-Hélène Mon­cany, prési­dente de la Fédéra­tion française des Cri­avs. Il est peu prob­a­ble que ces vio­lences n’existaient pas aupar­a­vant. Mon hypothèse est plutôt que le tra­vail socié­tal autour de ces ques­tions porte ses fruits.» La psy­chi­a­tre milite pour davan­tage de préven­tion adressée aux poten­tiels auteurs, et pas unique­ment aux vic­times : «Cer­tains ados devien­dront des auteurs de vio­lences sex­uelles, sta­tis­tique­ment c’est une cer­ti­tude. La préven­tion doit donc aussi, et même surtout, s’adresser à eux, car c’est com­pliqué de faire porter la respon­s­abil­ité et la préven­tion sur les vic­times poten­tielles. C’est comme si, en sécu­rité routière, on dis­ait aux pié­tons de faire atten­tion à tous les chauf­feurs qui passent.»

Quand elle a lieu, la prise en charge par la pro­tec­tion de l’enfance des mineurs auteurs est com­plexe. Les professionnel·les tra­vail­lent sur deux reg­istres d’intervention à la fois, jonglant entre la sanc­tion et l’exigence de la pro­tec­tion d’un enfant. En France, une trentaine de dis­posi­tifs de prise en charge des mineurs auteurs exis­tent. «Dans la plu­part des ter­ri­toires, on s’appuie sur le réseau de pédopsy­chi­a­trie exis­tant [non spé­cial­isé, ni dans le traite­ment des vio­lences sex­uelles, ni dans celui de l’inceste], déjà par­ti­c­ulière­ment sin­istré, donc ce n’est pas sim­ple», pointe Anne-Hélène Mon­cany.

En France, seules cinq struc­tures d’Action éduca­tive en milieu ouvert (AEMO) sont spé­cial­isées dans l’accompagnement des vic­times d’inceste et de leur famille. Un seul pro­gramme d’accompagnement spé­ci­fique pour mineurs auteurs d’inceste existe. Il a été mis en place dans deux cen­tres : à Bor­deaux (Gironde) et à Auril­lac (Can­tal). Dans le pre­mier cen­tre, 33 mineurs auteurs d’inceste ont été suiv­is par l’Association giron­dine d’éducation spé­cial­isée et de préven­tion sociale (Agep) entre 2016 et 2021. À Auril­lac, ils sont 49 à avoir béné­fi­cié entre 2018 et 2021 de l’accompagnement de l’association Accent Jeunes. Ce sont donc 82 enfants auteurs de vio­lences inces­tueuses qui ont été accom­pa­g­nés en cinq ans. Une goutte d’eau en com­para­i­son du nom­bre de sit­u­a­tions, déjà large­ment sous-révélées.

«Nous sommes le fil rouge, souligne Nathalie Puech Gimenez, direc­trice de l’association Accent Jeunes, à Auril­lac. Un mineur auteur est aus­si un mineur en dan­ger, ce qui n’enlève en rien sa respon­s­abilité. Dans les sit­u­a­tions ren­con­trées, il y a tou­jours de l’inceste au-dessus, des secrets, une his­toire trau­ma­tique. L’accompagnement et le soin évi­tent la récidive, nous sommes là pour leur don­ner des out­ils pour qu’ils devi­en­nent des adultes équili­brés.»

Vide juridique et lenteur de la Justice

La loi ne dit rien, ou presque, des agres­sions sex­uelles com­mis­es par des mineur·es, encore moins lorsqu’elles sont intrafa­mil­iales. Il y a un vide juridique. Un agresseur est jugé selon son âge au moment des faits : devant le tri­bunal des mineur·es s’il avait moins de 16 ans ; devant la cour d’assises des mineurs s’il avait entre 16 et 18 ans. Depuis l’entrée en vigueur du Code de jus­tice pénale des mineurs en sep­tem­bre 2021, un mineur de moins de 13 ans est pré­sumé irre­spon­s­able pénale­ment. De 13 à 18 ans, le principe d’excuse de minorité divise toutes les peines du Code pénal par deux (soit 10 ans au lieu de 20 pour viol, et 5 ans au lieu de 10 pour agres­sion sex­uelle). «L’éducatif prime sur le répres­sif», explique Marie Romero. En général, il y a autant de peines (sou­vent des sur­sis pro­ba­toires) que de mesures éduca­tives. «Ce qui compte dans les déci­sions judi­ci­aires, c’est l’âge du mineur auteur (s’il avait plus ou moins de 16 ans), ain­si que l’écart d’âge entre les deux mineurs, pour­suit la soci­o­logue. Plus les vic­times sont petites, les faits répétés et les agres­sions vio­lentes, plus les peines seront sévères.»

En cas d’inceste d’un frère sur sa sœur, le juge pour enfants peut ordon­ner le place­ment de l’agresseur (en étab­lisse­ment édu­catif pénal ou en foy­er s’il est devenu majeur), et / ou de la vic­time (en mai­son d’enfants, lieux de vie et d’accueil ou famille d’accueil). Il peut aus­si ne plac­er per­son­ne. «Le risque est très grand que l’enfant vic­time soit mis à l’écart de la famille, observe Édouard Durand. Pour le pro­téger ou parce qu’il devient bouc émis­saire d’un sys­tème qui a dys­fonc­tion­né.» Le juge pour enfants se sou­vient d’un frère de 17 ans, ayant vio­lé sa sœur de 13 ans : «Il a été mis en exa­m­en et placé sous con­trôle judi­ci­aire avec une mesure d’investigation éduca­tive con­fiée à la PJJ [Pro­tec­tion judi­ci­aire de la jeunesse]. Mais il est resté à la mai­son. J’ai été saisi pour pren­dre des mesures de pro­tec­tion: j’ai extrait la jeune fille de sa famille pour qu’elle ne soit pas con­fron­tée quo­ti­di­en­nement à son agresseur. Mais au bout de quelques semaines, elle ne com­pre­nait plus pourquoi elle était mise à l’écart. Il a fal­lu tra­vailler avec les parents et la jus­tice pénale sur la sit­u­a­tion du mineur devenu majeur, pour le plac­er dans un foy­er de jeunes tra­vailleurs. Mais tout cela a pris du temps. En atten­dant, le cli­mat inces­tuel et la tolérance face au fils vio­leur ont con­tin­ué. Ces par­ents dis­aient: “On ne peut pas le met­tre à la porte” et ne com­pre­naient pas que la loi com­mune s’impose aus­si dans leur mai­son.»

Le sort des inces­teurs est un sujet peu abor­dé : les médias se con­tentent, la plu­part du temps, de livr­er des témoignages sor­dides quand les professionnel·les de la san­té men­tale pointent surtout les dégâts trau­ma­tiques chez les vic­times. Cer­taines d’entre elles peinent à le sup­port­er. «Panser les vic­times est essen­tiel mais ne résout pas le prob­lème, pointe @carabine à cit­ron. Il y aura un vrai effet quand la répres­sion cessera et qu’il y aura une véri­ta­ble prise en charge psy­choso­ciale des inces­teurs.» Inès, mil­i­tante décolo­niale et abo­li­tion­niste du sys­tème pénal, est, elle aus­si, en colère con­tre le manque de moyens poli­tiques mis en œuvre : «#MeToo, puis #MeTooInces­te ont entraîné des avalanch­es de témoignages, mais tourn­er autour de l’émotivité et pro­pos­er de faire des lois pour ce qui est déjà qual­i­fié de crime avec cir­con­stance aggra­vante, c’est faire du pop­ulisme pénal. Ce n’est pas se con­cen­tr­er sur les caus­es struc­turelles. Et de toute façon, le pénal inter­vient après, quand c’est trop tard.» Depuis la vague #MeToo, les cam­pagnes de préven­tion (Appren­dre à dire non, Mon corps est mon corps) se con­cen­trent sur la détec­tion et la prise en charge des vic­times. La Ciivise jusqu’à présent aus­si, même si son rap­port final atten­du pour novem­bre 2023 prévoit des sta­tis­tiques sur les agresseurs mineurs.

L’enjeu majeur de l’inceste d’un enfant sur un autre, comme pour toutes les vio­lences sex­uelles, est pour­tant la préven­tion et la prise en charge des futurs agresseurs, aus­si jeunes soient-ils. «Il faut un sou­tien col­lec­tif sur ce tra­vail socié­tal, car aujourd’hui très peu de choses sont mis­es en place et il y a un enjeu de pronos­tic majeur sur la prise en charge de ces jeunes», pointe Anne-Hélène Mon­cany, la prési­dente de la Fédéra­tion française des Cen­tres ressources pour intervenant·es auprès des auteurs de vio­lences sex­uelles, qui regrette le manque de moyens octroyés à cha­cun des 27 Cri­avs : 320 000 euros annuels, un mon­tant inchangé depuis 2008. La psy­chi­a­tre souhaite men­er une audi­tion publique sur la ques­tion spé­ci­fique des mineurs auteurs de vio­lences sex­uelles, financée en par­tie par le min­istère de la San­té et la Pro­tec­tion judi­ci­aire de la jeunesse, et dont l’un des volets sera l’inceste, avec une syn­thèse sci­en­tifique prévue pour 2024.

Apprendre le respect et l’intimité de l’autre

Le dis­posi­tif Stop (Ser­vice télé­phonique d’orientation et de préven­tion : 0 806 23 10 63) per­me­t­tant d’évaluer et d’orienter les per­son­nes attirées sex­uelle­ment par des enfants existe depuis 2019 en France – alors que des dis­posi­tifs sim­i­laires sont en ser­vice en Alle­magne et en Angleterre depuis plus de quinze ans. Le numéro sera prochaine­ment ouvert aux mineurs. «Si on ne les prend pas en charge [les agresseurs mineurs], on passe à côté d’une par­tie très impor­tante du prob­lème et on n’est pas effi­cace. Les out­ils de préven­tion que l’on développe tra­vail­lent sur les com­pé­tences psy­choso­ciales des enfants et des jeunes, qui appren­nent le respect et l’intimité de l’autre», con­clut Anne-Hélène Mon­cany, qui con­state une petite pro­gres­sion dans ce domaine, encore très large­ment insuff­isante.

Pour toutes les vic­times de cette enquête, dont moi-même, l’enjeu actuel se can­tonne à la recon­struc­tion post-agres­sions. Mais pour ma filleule de 4 ans, la fille de Mau­rice*, le cousin qui m’a agressée enfant (ren­voy­er au pre­mier volet de l’enquête), et pour l’ensemble des enfants né·es dans une famille inces­tueuse, les adultes et les insti­tu­tions ont un devoir : se regarder en face en prenant la mesure des faits, appren­dre la notion d’intégrité aux frères et aux cousins, poten­tiels inces­teurs, et ne jamais tourn­er le dos à la parole d’un·e enfant vic­time.

Une justice muette

Les vio­lences sex­uelles com­mis­es par per­son­nes ayant autorité sont une cir­con­stance aggra­vante dans le Code pénal depuis 1832. Mais le terme « inces­te » n’entre dans la loi qu’en 2010.

Selon l’article 222.22.3 : « Les vio­ls et les agres­sions sex­uelles sont qual­i­fiés d’incestueux lorsqu’ils sont com­mis par : 1° Un ascen­dant ; 2° Un frère, une sœur, un oncle, une tante, un grand-oncle, une grand-tante, un neveu ou une nièce ; 3° Le con­joint, le con­cu­bin d’une des per­son­nes men­tion­nées aux 1° et 2° ou le parte­naire lié par un pacte civ­il de sol­i­dar­ité à l’une des per­son­nes men­tion­nées aux mêmes 1° et 2°, s’il a sur la vic­time une autorité de droit ou de fait. »

Mais les auteurs mineurs n’y fig­urent pas. Seul·es les majeur·es sont concerné·es et les cousin·es ne sont pas mentionné·es : la loi suit les inter­dits du Code civ­il, qui autorise les mariages entre cousin·es germain·es. Nous avons pris le par­ti, dans cette enquête, de con­sid­ér­er les vio­lences sex­uelles entre cousin·es comme rel­e­vant bien de vio­lences inces­tueuses.

Nou­velle loi en 2021 et même principe : la pré­somp­tion de non-con­sen­te­ment (il n’est plus néces­saire de prou­ver que l’acte sex­uel a été obtenu par vio­lence, con­trainte, men­ace ou sur­prise pour les vic­times d’inceste de moins
de 18 ans) ne con­cerne pas les vio­ls ou agres­sions sex­uelles com­mis par un mineur. Autrement dit, un·e mineur·e violé·e par son frère de 18 ans est automa­tique­ment considéré·e comme non consentant·e, en revanche, si le frère a 17 ans, il fau­dra prou­ver l’absence de con­sen­te­ment.

En France, il n’existe pas de règles d’écarts d’âge pro­tégeant les mineur·es inscrites dans le Code pénal, con­traire­ment à d’autres pays comme le Cana­da et la Bel­gique.

Sarah BoucaultSarah Bou­cault est jour­nal­iste à Lori­ent. Elle s’intéresse aux sujets en lien avec la mort : de la fin de vie au deuil en pas­sant par le domaine funéraire. Tit­u­laire d’un mas­ter d’études sur le genre, les sujets fémin­istes sont au coeur de ses préoc­cu­pa­tions. Pour La Défer­lante, elle a enquêté sur l’inceste com­mis par des mineurs.

(1) Alain Har­raud et Claude Sav­in­aud, « Les Vio­lences sex­uelles d’adolescents. Fait de société ou his­toire de famille ? », Érès, 2015.

(2) « L’Inceste dans la fratrie », de Bar­bara Thomazeau et San­drine Bon­neton, San­té men­tale n° 271, octo­bre 2022.

* Le prénom a été mod­i­fié.

Sarah Boucault

Journaliste basée à Lorient, elle s’intéresse aux sujets en lien avec la mort : de la fin de vie au deuil en passant par le domaine funéraire. Titulaire d’un master de Genre, les sujets féministes sont au cœur de ses préoccupations. Voir tous ses articles

Danser : l’émancipation en mouvement

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