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« Les grèves de femmes font l’objet d’un oubli collectif »

Mar­di 6 juin, les ouvrières de l’usine Vert­baudet de Mar­quette-lez-Lille (Nord), ont repris le tra­vail après une grève de 75 jours et l’obtention d’augmentations de salaire. À l’instar de la mobil­i­sa­tion des femmes de cham­bre de l’hôtel Ibis Batig­nolles (Paris, 2019 à 2021), ce mou­ve­ment s’inscrit dans une tra­di­tion de grèves de longue haleine menées par des femmes, que retrace ici l’historienne Fan­ny Gal­lot.
Publié le 09/06/2023

Modifié le 16/01/2025

Com­man­dez le dernier numéro de La Défer­lante : Danser, de mai 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
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Quel est le pro­fil des grévistes de Vert­baudet ?

On retrou­ve dans cette mobil­i­sa­tion de femmes des Gilets jaunes mais aus­si des man­i­fes­tantes con­tre la réforme des retraites. Elles sont issues des class­es pop­u­laires et le plus sou­vent reléguées à des postes déqual­i­fiés. Leurs car­rières sont sou­vent longues et hachées avec des petits salaires, ce qui aura des con­séquences sur leurs retraites.
Depuis le début du XXe siè­cle, leurs sup­posées minu­tie et dex­térité ont assigné les femmes ouvrières à cer­tains secteurs de l’industrie comme le tex­tile. En 1971, le CNPF – l’ancêtre du Medef – dis­ait même que les femmes étaient « adap­tées naturelle­ment aux tâch­es répéti­tives et sim­ples ». Or, cette qual­i­fi­ca­tion pro­fes­sion­nelle non recon­nue entraîne néces­saire­ment une paie inférieure. Ces femmes, qui élèvent sou­vent seules leurs enfants, sont oblig­ées de tra­vailler là où elles peu­vent pour join­dre les deux bouts à la fin du mois, mal­gré l’inflation.

 

Ces femmes ont-elles des reven­di­ca­tions spé­ci­fiques ?

Sou­vent à la tête de familles mono­parentales, elles font face à des dif­fi­cultés finan­cières par­ti­c­ulières. Elles ont du mal à obtenir des pen­sions ali­men­taires. La philosophe états-uni­enne Nan­cy Fras­er expli­quait que, dans les années 1970, les reven­di­ca­tions des femmes dans le monde du tra­vail tour­naient autour de trois enjeux pri­mor­diaux : la représen­ta­tion, la recon­nais­sance et la redis­tri­b­u­tion. Dans les années 1980–1990, les femmes des class­es moyenne et supérieure sont pro­gres­sive­ment entrées dans le monde du tra­vail mas­culin et se sont battues pour y être représen­tées. Aujourd’hui, sous l’influence des mou­ve­ments fémin­istes et des débats sur la retraite, le sujet de la redis­tri­b­u­tion revient en force. Cela pour­rait se traduire par une prise en charge par l’État et les entre­pris­es de cer­tains frais liés au tra­vail domes­tique famil­ial : le paiement de la can­tine et la mise en place d’un sys­tème de garde fonc­tion­nel et abor­d­able. Elles se bat­tent à la fois con­tre un patron et con­tre l’ensemble de la société.

Ce genre de mobil­i­sa­tion est-il fréquent dans un monde ouvri­er à pré­dom­i­nance mas­cu­line ?

On con­sid­ère tou­jours que les mobil­i­sa­tions de femmes sont rares. C’est faux. Elles sont présentes depuis le début des con­tes­ta­tions. Les oval­istes, ouvrières de la soie, fai­saient déjà grève à Lyon en 1869, qua­tre ans après l’obtention du droit de grève. Leurs luttes sont invis­i­bil­isées rétro­spec­tive­ment. Para­doxale­ment, cet oubli col­lec­tif sert aus­si leur cause. L’idée reçue selon laque­lle les femmes ne font habituelle­ment pas grève entraîne une sorte de sou­tien pater­nal­iste de l’ensemble de la société.

Dans l’histoire des luttes sociales, les femmes lut­tent-elles dif­férem­ment des hommes ?

Les ouvrières ont adop­té le réper­toire d’actions tra­di­tion­nelles : grèves, occu­pa­tions, man­i­fes­ta­tions et séques­tra­tions. La grève se déroule néan­moins de manière dif­férente en fonc­tion de la mix­ité, ou non, du site.

Dans les sociétés mixtes, les maris et les syn­di­cal­istes con­sid­èrent sou­vent qu’une occu­pa­tion de nuit c’est immoral pour une femme. Pen­dant les grèves de Lip, il y a cinquante ans, la gréviste Monique Piton expli­quait déjà à quel point ce qu’on appelle aujourd’hui la divi­sion sex­uée du tra­vail mil­i­tant reléguait les femmes au sec­ond plan. Les hommes pren­nent la parole en AG et occu­pent l’espace médi­a­tique pour défendre leur stratégie quand les femmes sont inter­rogées comme témoins.


« C’est en vis­i­bil­isant leurs expéri­ences quo­ti­di­ennes qu’elles ont fait avancer les choses. »


Mais dans les con­fig­u­ra­tions non mixtes, c’est très dif­férent. Au début des années 1980, par exem­ple, les ouvrières occu­paient l’usine la nuit, ren­traient chez elles pour pré­par­er la gamelle du mari, puis elles retour­naient à l’usine occupée avec leurs enfants qui étaient alors gardés par d’autres grévistes. Le fait que le col­lec­tif prenne en charge une par­tie du tra­vail domes­tique quo­ti­di­en per­me­t­tait aux femmes de faire grève plus longtemps. La plu­part de ces femmes ne se dis­ent pas fémin­istes mais s’inscrivent dans un mou­ve­ment qui leur donne con­fi­ance en elles. La grève les change : il est même fréquent que des cou­ples rompent.

Quel impact la sous-représen­ta­tion des femmes dans le monde ouvri­er a‑t-elle sur leur présence dans les syn­di­cats, et notam­ment dans les instances dirigeantes ?

Les femmes ont longtemps été reléguées hors des syn­di­cats. Il faut dire que la triple journée de l’ouvrière, mère et mil­i­tante ne per­met pas de gravir facile­ment les éch­e­lons syn­di­caux. Dans les années 1960, elles préféraient être représen­tantes à l’usine, car c’était des fonc­tions qu’elles occu­paient sur leur temps de tra­vail, con­traire­ment à celles qui pre­naient des respon­s­abil­ités dans les syn­di­cats et deve­naient sus­cep­ti­bles d’être mobil­isées à tout moment. C’est pour cela qu’à la CFDT, celles qui pre­naient des respon­s­abil­ités nationales étaient céli­bataires et sans enfants – elles ont d’ailleurs été surnom­mées les « vierges rouges ».
La tonal­ité des dis­cus­sions n’aide pas non plus. Quand on se retrou­ve avec des hommes syn­di­cal­istes qui dis­cu­tent de Marx, on se dit que ce qui nous importe, c’est pas très poli­tique et on se sent nulle. Alors même que c’est en vis­i­bil­isant leurs expéri­ences quo­ti­di­ennes qu’elles ont fait avancer les choses. À la fin des années 1960, les femmes étaient exténuées nerveuse­ment après de longues journées à effectuer des tâch­es répéti­tives à la chaîne sans que les syn­di­cats com­pren­nent pourquoi. Pour eux, seule la manip­u­la­tion de charges lour­des pou­vait entraîn­er des douleurs. Parce qu’elles ont fait pres­sion, l’idée de charge men­tale a émergé. Petit à petit, l’organisation du tra­vail a été mod­i­fiée en favorisant la poly­va­lence et l’enrichissement des tâch­es.
Ces dernières années la sit­u­a­tion a changé. À la tête des syn­di­cats, ce sont désor­mais des femmes qui diri­gent : Sophie Binet à la CGT, Marylise Léon à la CFDT et Murielle Guil­bert à Sol­idaires. Pen­dant le mou­ve­ment des Gilets jaunes ou avec l’élection de Rachel Keke aux dernières lég­isla­tives, de nou­velles fig­ures mil­i­tantes émer­gent. Cette mul­ti­pli­ca­tion de luttes de femmes pop­u­laires et racisées donne con­fi­ance à des femmes qui ne se sen­taient pas légitimes pour se mobilis­er.

Pour aller plus loin : 

Pre­mier film réal­isé par des ouvrier·es, Classe de lutte suit Suzanne Zedet dans la créa­tion de la sec­tion CGT d’une usine d’horlogerie en 1968. Le doc­u­men­taire mil­i­tant filme la mobil­i­sa­tion de ces 32 % de femmes ouvrières décidées à ne plus seule­ment être une main‑d’œuvre habile et docile. Par ses pris­es de parole, Suzanne tente de con­va­in­cre ses cama­rades de rejoin­dre la lutte syn­di­cale et de lut­ter à ses côtés.

🎬 ⟶ « Classe de lutte », du groupe Medved­kine de Besançon, 40 min­utes, 1969. Disponible sur la plate­forme Tënk.

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Marie-Agnès Laffougère

Journaliste indépendante, elle travaille pour Têtu, Livres Hebdo et Radio France sur des sujets liés au genre et aux questions LGBT+. Voir tous ses articles

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