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Féministes qui fait le ménage chez vous ?

Publié le 07/02/2022

Modifié le 14/02/2025

Pour lutter contre une répartition encore très inégalitaire des tâches à l’intérieur du foyer hétérosexuel, les femmes qui en ont les moyens font souvent appel à une femme de ménage, quitte à mettre de côté leurs principes féministes et leur idéal d’émancipation collective. Car cette profession est mal rémunérée et l’isolement des travailleuses qui la pratiquent rend difficiles les mobilisations sociales.

Ce soir-là, Maria Fer­reira (1) repasse les chemis­es de l’un·e de ses onze patron·nes, chez elle, en regar­dant une série en por­tu­gais sur une chaîne brésili­enne. Femme de ménage en région parisi­enne, elle a com­mencé sa journée de tra­vail à 8 h 30. Il est 22 heures et son fils Lucas, col­légien, l’écoute égren­er son emploi du temps, assis sur le canapé. Maria Fer­reira passe sou­vent dix heures par jour au domi­cile de ses employeur·euses. Lucas n’en revient pas : « Tu pass­es toute ta vie chez tes patrons en fait ! Com­ment tu fais ? Moi si j’ai cinq heures de cours, je suis crevé. »

En une journée, Maria Fer­reira a tra­vail­lé dans trois endroits dif­férents: qua­tre heures de ménage chez l’un·e, puis deux et qua­tre heures chez les deux autres. Hiv­er comme été, elle se rend en scoot­er à leurs domi­ciles respec­tifs, situés dans dif­férentes com­munes. Elle ne prend jamais le temps de faire un vrai repas le midi. Et, presque chaque jour, elle ren­tre chez elle avec un sac de linge à repass­er.

Maria Fer­reira, qui vit dans les Hauts-de- Seine, n’a pas eu de mal à trou­ver des heures de ménage par le bouche-à-oreille. Aujourd’hui, elle en refuse régulière­ment. Dans un départe­ment où les revenus sont par­mi les plus élevés en France, les employeur·euses potentiel·les sont nombreux·ses. Mais cette forte demande locale est égale­ment motivée par « des temps de trans­port domi­cile-tra­vail plus longs, et aus­si une fréquence plus impor­tante de cou­ples dans lesquels les deux par­ents tra­vail­lent », selon une étude pub­liée en 2019 par l’Insee.

LE STATUT DE MÉNAGÈRE RESTE À LA PORTE DE L’ENTREPRISE

De fait, les agences qui vendent à des particulier·es les fameux « ser­vices à la per­son­ne » (tels que le ménage, la garde d’enfants à domi­cile ou le jar­di­nage) insis­tent sur le temps qu’ils et elles vont ain­si gag­n­er. « Entre le tra­vail, les enfants et les cours­es, la femme mod­erne n’a plus vrai­ment le temps de s’occuper des tâch­es ménagères », con­state ain­si le site Top­is­si­mo, qui liste les cinq meilleurs sites sus­cep­ti­bles d’aider à « trou­ver une femme de ménage pour vous délester de ces charges ».

Le com­bat des fémin­istes dans les années 1980 et 1990 a notam­ment porté sur le tra­vail. Elles ont com­bat­tu les iné­gal­ités salar­i­ales et dénon­cé le pla­fond de verre (con­sul­tez notre glos­saire de con­cepts), cette com­bi­nai­son de freins invis­i­bles qui empêchent les femmes d’accéder aux plus hautes respon­s­abil­ités dans le monde économique. Mais en investis­sant le marché du tra­vail, la « femme mod­erne » a dû laiss­er à la porte de l’entreprise (ou fein­dre de laiss­er) tout ce qui pour­rait rap­pel­er son ancien statut de ménagère. Une pos­ture qu’incarne par­faite­ment Sheryl Sand­berg, numéro 2 de Face­book, dans son best-sell­er En avant toutes pub­lié en 2013. « D’après elle, il suf­fit d’être déter­minée et impas­si­ble face aux exi­gences du foy­er pour se faire une place dans les plus hautes sphères dirigeantes », résume la jour­nal­iste Jor­dan Kisner dans un arti­cle du New York Times paru en juil­let 2021.

QUAND LES FÉMINISTES DEVIENNENT PATRONNES

Pour autant, la par­tic­i­pa­tion désor­mais mas­sive des femmes au marché du tra­vail ne s’est pas accom­pa­g­née d’une redéf­i­ni­tion des rôles au sein du cou­ple. Aujourd’hui, en France, les hommes vivant en cou­ple effectuent en moyenne 1 heure 17 de tra­vail domes­tique par jour con­tre 2 heures 59 pour les femmes, et l’arrivée des enfants vient encore creuser cet écart. C’est le con­stat établi en 2010 par la dernière enquête de l’Insee sur ce sujet (2) : « Le taux de recours à une aide ménagère rémunérée a aug­men­té de 2,5 points [entre 1999 et 2010] pour s’établir à 12 % de la pop­u­la­tion. » Quand l’inégale répar­ti­tion du tra­vail domes­tique (con­sul­tez notre glos­saire de con­cepts) fait l’objet de con­flits, il arrive que cela se sol­de, chez celles et ceux qui en ont les moyens, par le recours à une femme de ménage.

Que se passe-t-il alors si la patronne est fémin­iste et soucieuse d’améliorer la sit­u­a­tion des femmes au sein de la société ? Com­ment appréhende-t-elle le fait de con­fi­er des tâch­es peu val­orisées à une femme en moins bonne pos­ture sociale qu’elle ? Maîtresse de con­férences en psy­cholo­gie, Pas­cale Molin­ier a recueil­li en 2009 les témoignages de femmes fémin­istes employ­ant des femmes de ménage. Leur idéal serait de ne pas exploiter le tra­vail d’une autre, mais elles se retrou­vent employeuses de femmes venant de pays plus pau­vres que la France. Si elles ont le souhait de créer un lien avec ces femmes dont elles recon­nais­sent le tra­vail, elles voudraient dans le même temps que le ménage soit fait de la manière la plus dis­crète pos­si­ble : en leur absence, sans chang­er la place des choses et de préférence sans qu’elles aient à faire la liste les tâch­es à effectuer. « Le recours à une femme de ménage afin d’éviter la scène de ménage par­ticipe d’un déplace­ment qui per­met de tenir la pos­ture fémin­iste dans un fémin­isme indi­vid­u­al­iste, mais sans change­ment social, en main­tenant une cul­ture qui con­tin­ue de favoris­er les hommes et implique une réserve de main- d’œuvre fémi­nine non qual­i­fié (3) », observe Pas­cale Molin­ier. En bref : des femmes de ménage se retrou­vent à faire du tra­vail domes­tique à longueur de journée sans que cela règle véri­ta­ble­ment le prob­lème de la répar­ti­tion gen­rée des charges au sein du foy­er.

UN TRAVAIL NON RECONNU À SA JUSTE VALEUR

Ce con­stat n’est pas nou­veau. Depuis les années 1970, Sil­via Fed­eri­ci, philosophe et mil­i­tante fémin­iste, dénonce la déval­ori­sa­tion du tra­vail domes­tique, aus­si défi­ni comme « tra­vail repro­duc­tif » (con­sul­tez notre glos­saire de con­cepts). Majori­taire­ment effec­tué par les femmes, il com­prend toutes les tâch­es qui per­me­t­tent de créer et de main­tenir la vie. Chang­er la couche d’un bébé, accom­pa­g­n­er une per­son­ne âgée à un ren­dez-vous médi­cal, met­tre un goûter dans le cartable, faire des lessives… Tout ce tra­vail invis­i­ble con­stitue le « pili­er de toutes les activ­ités économiques, car il pro­duit de la force de tra­vail, la capac­ité des gens à tra­vailler ; en bref, il pro­duit des travailleurs/ses (4) ». Notre société ne recon­naît pas ce tra­vail à sa juste valeur, qu’il soit effec­tué de manière rémunérée (par des femmes de ménage) ou pas (5).

Pour amorcer un réel change­ment, il faudrait que toutes les femmes admet­tent que ce sont elles qui pren­nent en charge l’essentiel du tra­vail domes­tique : « Mal­heureuse­ment, explique Fed­eri­ci, beau­coup de femmes ne veu­lent pas se ren­dre compte qu’elles sont aus­si des ménagères […]. Tant que nous penserons que nous sommes un peu mieux que des ménagères, un peu dif­férentes d’elles, nous accepterons la logique du maître, qui est une logique de divi­sion (6). » Fémin­istes, femmes et femmes de ménage : même com­bat.

Maria Fer­reira préfère ce tra­vail à d’autres. Quand elle est arrivée en France il y a 13 ans, elle a d’abord été employée comme gar­di­enne d’im­meu­ble, puis par une entre­prise de net­toy­age, et enfin par une asso­ci­a­tion de ser­vices à domi­cile. Elle a finale­ment décidé de se met­tre à son compte comme femme de ménage, en deman- dant à être payée 12 euros de l’heure en chèques emploi ser­vice uni­versels (CESU). Ce dis­posi­tif per­met à ses employeur·euses de béné­fici­er d’un crédit d’impôt qui s’élève à 50 % du salaire net et des coti­sa­tions sociales payées dans l’année, une mesure gou­verne­men­tale qui favorise le développe­ment des ser­vices à la per­son­ne et vise à lut­ter con­tre le tra­vail au noir (7).

Vivant seule avec ses enfants, Maria Fer­reira a gag­né son autonomie finan­cière. Sans ce tra­vail, aurait-elle pu se sépar­er de son mari ? Son activ­ité « est très dure physique­ment » mais elle est utile. Maria Fer­reira se dit fière de bien le faire et tire une cer­taine sat­is­fac­tion de toutes les deman­des d’emploi aux­quelles elle ne peut pas tou­jours répon­dre. Elle entre­tient de bons rap­ports avec ses patron·nes, con­sid­ère certain·es « comme sa famille ». Chez la plu­part, elle dis­pose d’une autonomie impor­tante, elle « fait ce qu’il y a à faire » sans qu’ils et elles lui don­nent une liste de tâch­es à effectuer.

L’une de ses employeuses la surnomme sou­vent « l’ouragan» pour van­ter son effi­cac­ité, répé­tant volon­tiers ce com­pli­ment ambigu : « Je ne sais pas com­ment vous faites ! » La réponse de Maria « Moi non plus ! » tient dans le sac de phar­ma­cie sur la table de sa salle à manger : « Je prends trois Doliprane par jour sinon je ne tiens pas. » La veille, elle n’en avait pas pris et elle avait des ver­tiges, voy­ait des points lumineux.

Com­ment le quo­ti­di­en de Maria Fer­reira pour­rait-il s’améliorer ? Il faudrait déjà qu’elle puisse tra­vailler moins, sans que son salaire dimin­ue. Pour qu’elle y parvi­enne, l’un de ses fils est en train de mon­ter une entre­prise de ser­vices à la per­son­ne (avec l’aide bénév­ole d’un des patrons de sa mère). Pour l’instant, il réalise lui-même trente heures de ménage qu’il fera faire à terme à un·e employé·e qu’il espère recruter rapi­de­ment. « Ma mère n’aura plus qu’à le ou la for­mer et à véri­fi­er si c’est bien fait », explique-t-il.

« VOS REVENDICATIONS SONT JUSTES, D’INTÉRÊT GÉNÉRAL »

Au-delà de cette solu­tion indi­vidu­elle qui con­siste aus­si à reporter les tâch­es sur une autre per­son­ne, quels change­ments col­lec­tifs envis­ager ? La mobil­i­sa­tion est com­pliquée pour les femmes de ménage. Maria Fer­reira par exem­ple n’a pas de col­lègues. Trai­tant directe­ment avec chacun·e de ses employeur·euses, elle ne sait même pas à quelle autre femme de ménage « don­ner » les heures de tra­vail qu’on lui pro­pose qu’elle est dans l’impossibilité d’effectuer.

Mal­gré tout, depuis plusieurs années, en Île-de-France et en Provence-Alpes-Côte d’Azur, des femmes de ménage qui tra­vail­lent dans des hôtels mènent des grèves longues mais vic­to- rieuses, sou­vent accom­pa­g­nées par deux syn- dicats: la CGT-HPE et la CNT-SO (8). En juin 2021, après 22 mois de grève, les femmes de cham­bre de l’hôtel Ibis Batig­nolles à Paris ont obtenu la reval­ori­sa­tion de leur salaire et de meilleures con­di­tions de tra­vail (9). Dans les hôtels mar­seil­lais Appart City Euromed et Vil­la Mas­salia, les femmes de ménage employées par une société sous-trai­tante ont fini par être embauchées directe­ment par l’hôtel, ce qui leur per­met désor­mais de tra­vailler dans un cadre col­lec­tif. Chez les aides à domi­cile, qui tra­vail­lent auprès de per­son­nes âgées en perte d’autonomie, la colère gronde égale­ment, ravivée par la crise san­i­taire. Si leur activ­ité peut com­pren­dre une part de ménage, elles pré­cisent sou­vent : « On n’est pas des femmes de ménage.» Le point com­mun entre ces deux métiers est qu’ils entrent dans le lot de ces emplois fémin­isés déval­orisés parce qu’on con­sid­ère qu’ils feraient appel à des com­pé­tences « naturelles » et non à de véri­ta­bles qual­i­fi­ca­tions. 

Le 23 sep­tem­bre 2021, elles sont une quar­an­taine d’aides à domi­cile à se rassem­bler place Jean-Jau­rès à Saint-Éti­enne à l’appel de la CGT. Sylvie, 58 ans, décrit des journées de tra­vail « inter­minables ». Une aide à domi­cile est en moyenne présente cinq heures par jour auprès de per­son­nes âgées. Mais cette durée s’étale sur une ampli­tude horaire con­sacrée au tra­vail de 7 heures et 15 min­utes en moyenne. Sachant que les tra­jets et temps morts entre les inter­ven­tions ne sont pas payés, à la fin du mois, le salaire moyen dépasse à peine 900 euros.

Au milieu des dra­peaux syn­di­caux et des auto­col­lants rouges « Aides à domi­cile révoltées » col­lés sur les man­teaux ou sur les sacs à main, Mireille Car­rot prend le micro. Soignante en Ehpad et pilote du col­lec­tif Aides à domi­cile de la CGT, elle encour­age les man­i­fes­tantes : « Votre mobil­i­sa­tion est essen­tielle, comme vous. Vos reven­di­ca­tions sont justes, elles sont d’intérêt général. Elles vous con­cer­nent vous et la qual­ité des soins que vous délivrez. » Elle rap­pelle les reven­di­ca­tions : reval­ori­sa­tion immé­di­ate des car­rières et des salaires « à hau­teur de l’utilité publique de vos métiers », meilleures con­di­tions de tra­vail, recrute­ment mas­sif, amélio­ra­tion de toutes les garanties col­lec­tives et créa­tion d’un grand ser­vice d’aide publique à la per­son­ne.

LES DOMICILES, DES ESPACES NON RÉGLEMENTÉS

La crise san­i­taire a fait pren­dre con­science de l’importance de ces pro­fes­sions placées « en pre­mière ligne » et du peu de con­sid­éra­tion des pou­voirs publics à leur égard. De nom­breuses voix se sont aus­si élevées pen­dant les péri­odes de con­fine­ment pour soulign­er l’inégale répar­ti­tion du tra­vail domes­tique au sein des cou­ples hétéro­sex­uels et appel­er à recon­naître qu’il con­stitue un tra­vail en soi. De fait, les femmes cadres tâton­nent pour savoir com­ment lim­iter leur « charge men­tale »… sans pour autant soutenir les reven­di­ca­tions de « leur » femme de ménage. Faut-il, comme le font cer­taines fémin­istes, prôn­er la sup­pres­sion des métiers de ser­vices à la per­son­ne en pré­con­isant la prise en charge de ces tâch­es par les ménages eux-mêmes (10). Mais quel est le périmètre des tâch­es en ques­tion ? Est-ce pro­duire sa nour­ri­t­ure (et éviter aux salariés des abat­toirs de devoir tuer des ani­maux à longueur de journée) ? Coudre ses habits (et sol­der ain­si le prob­lème des con­di­tions de tra­vail des ouvrier·es du tex­tile au Bangladesh) ? S’occuper de ses enfants jusqu’au CP (et soulager ain­si le bud­get de l’Éducation nationale) ? Si tous ces emplois dis­parais­saient du champ du tra­vail rémunéré, gageons que ce serait essen­tielle­ment des femmes qui en assur­eraient la charge bénév­ole­ment.

Mais surtout, cette propo­si­tion paraît décon­nec­tée de la réal­ité des pre­mières con­cernées, explique la soci­o­logue Chris­telle Avril, autrice de Les aides à domi­cile: un autre monde pop­u­laire (La Dis­pute, 2014). Femmes de ménage et aides à domi­cile « se sont éman­cipées par le tra­vail et elles y tien­nent beau­coup. De leur point de vue, par­ler de sup­primer leur tra­vail, c’est assez choquant. » Pour que la vie des femmes de ménage s’améliore, mieux vaut par­tir de leur sit­u­a­tion actuelle. Le secteur est encore régi par un « sous-droit du tra­vail », pointe la chercheuse. « Les domi­ciles de par­ti­c­uliers ne con­stituent pas des lieux de tra­vail au sens habituel du terme. Ils ne sont donc soumis à aucune régle­men­ta­tion et ne peu­vent faire l’objet d’une inspec­tion. »

Une solu­tion pour que les femmes de ménage et aides à domi­cile puis­sent se faire enten­dre serait qu’elles nouent des alliances inter­pro­fes­sion­nelles. Entre 2008 et 2011, afin d’obtenir leur régu­lar­i­sa­tion, des mil­liers de tra­vailleurs sans-papiers – des hommes – ont fait grève en  occu­pant leur lieu de tra­vail : les ouvri­ers du bâti­ment ont occupé leurs chantiers ; les cuisiniers, leur restau­rant ; les intéri­maires, leur agence de place­ment. Mais impos­si­ble pour les aides et gardes d’enfants à domi­cile ou les femmes de ménage de faire la même chose au domi­cile d’un·e particulier·e employeur·euse. Un accord avait alors été con­clu entre les grévistes et les femmes rassem­blées au sein de l’association Femmes Égal­ité. Tan­dis qu’ils fai­saient pres­sion en blo­quant des lieux, elles con­tin­u­aient à tra­vailler et leur don­naient une par­tie de leur salaire. Après des mois de luttes, les un·es et les autres avaient pu obtenir leur régu­lar­i­sa­tion.

SORTIR CE TRAVAIL DE LA SPHÈRE MARCHANDE

Chris­telle Avril évoque égale­ment une autre piste de mobil­i­sa­tion: « Au milieu des années 1980, il y a eu des mobil­i­sa­tions con­jointes d’aides à domi­cile et de retraité·es. Les retraité·es ont un pou­voir économique et social qui pour­rait redonner du poids aux reven­di­ca­tions des aides à domi­cile et les aider à se faire enten­dre. » De son côté, Sil­via Fed­eri­ci prône une « poli­tique des com­muns ». Pour elle, nous devons sor­tir ce tra­vail, pan par pan, de la sphère marchande pour le met­tre en com­mun et enrichir les rap­ports entre nous. Elle cite en exem­ple les come­dores pop­u­lares (cuisines col­lec­tives) d’Amérique du Sud où hommes et femmes cuisi­nent ensem­ble des cen­taines de repas à tour de rôle. Pour Fed­eri­ci, cela per­met de faire en sorte que le tra­vail repro­duc­tif ne soit plus syn­onyme d’isolement, qu’il devi­enne agréable et con­vivial. La créa­tion de com­muns pro­duit « une expéri­ence rare et forte, celle d’appartenir à un ensem­ble qui dépasse notre indi­vid­u­al­ité, celle d’habiter le monde non pas comme un étranger ou un intrus – car c’est l’impression que veut nous impos­er le cap­i­tal­isme dans les espaces que nous occupons – mais comme notre foy­er », explique-t-elle dans une inter­view récente (11).

Cepen­dant, si nous con­tin­uons à tra­vailler 10 heures par jour (Maria Fer­reira comme ses patron·nes), nous n’avons pas le temps et la disponi­bil­ité d’esprit pour réfléchir à la réor­gan­i­sa­tion de nos vies. Finale­ment, la révo­lu­tion que pro­pose Sil­via Fed­eri­ci nous con­duit donc à repenser notre temps de tra­vail. Il est urgent de le réduire.

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(1) L’Insee ne four­nit pas de chiffres plus récents sur le sujet.
(2) L’Insee ne four­nit pas de chiffres plus récents sur le sujet.
(3) Pas­cale Molin­ier, « Des fémin­istes et de leurs femmes de ménage: entre réciproc­ité du care et souhait de déper­son­nal­i­sa­tion », Mul­ti­tudes, 2009.
(4) Sil­via Fed­eri­ci, « Du “salaire au tra­vail ménag­er” à la poli­tique des com­muns », Tra­vail, Genre et Sociétés, n° 46, 2021.
(5) Lire égale­ment le débat « Faut-il rémunér­er le tra­vail domes­tique ? » de La Défer­lante n° 2.
(6) Sil­via Fed­eri­ci, « Salaire con­tre tra­vail ménag­er », texte de 1975 paru en français dans le recueil Le Foy­er de l’insurrection édité par le col­lec­tif fémin­iste L’Insoumise à Genève en 1977.
(8) La CGT Hôtels de pres­tige et économiques défend les salarié·es des entre­pris­es sous-trai­tantes dans l’hôtellerie. La CNT Sol­i­dar­ité ouvrière est un syn­di­cat présent dans le secteur du net­toy­age.
(9) Lire aus­si l’interview de la chercheuse Saphia Doumenc dans la newslet­ter de La Défer­lante du 9 juil­let 2021 con­sultable sur notre site revueladeferlante.fr, ain­si que le por­trait de Rachel Keke dans le n° 3 de notre revue.
(10) Lire par exem­ple François-Xavier Devet­ter et San­drine Rousseau, Du bal­ai. Essai sur le ménage à domi­cile et le retour de la domes­tic­ité, Raisons d’agir, 2011.
(11) Arti­cle de Jor­dan Kisner pub­lié dans le New York Times Mag­a­zine en févri­er 2021, repris dans Cour­ri­er inter­na­tion­al en mars 2021 sous le titre « Sil­via Fed­eri­ci, le tra­vail ménag­er et le “cap­i­tal­isme patri­ar­cal”».

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Lucie Tourette

Journaliste, spécialiste des questions sociales, elle contribue notamment au Monde Diplomatique. Elle est co-autrice de Marchands de travail (Seuil, 2014). Membre du comité éditorial de La Déferlante. Voir tous ses articles


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