« En tant que personnes racisées, on est vite accusé·es de réécrire l’histoire »

Le 3 septembre paraîtra le numéro 19 de La Déferlante intitulé « S’informer en fémi­nistes ». Pendant tout le mois d’août, nous donnons la parole à des personnes qui s’engagent pour une infor­ma­tion fiable et indé­pen­dante. Dernier d’une série de quatre : le témoi­gnage de Seumboy, créateur d’Histoires Crépues, un projet qui vulgarise l’histoire coloniale en vidéo, en podcast et sur les réseaux sociaux. 

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Publié le 29/08/2025

Sous le pseudo de Seumboy, Emmanuel Anthony anime le projet vidéo Histoires Crépues depuis 2020. Crédit photo : Jozue Anthony
Sous le pseudo de Seumboy, Emmanuel Anthony anime le projet vidéo Histoires Crépues depuis 2020. Crédit photo : Jozue Anthony

Découvrez la revue La Déferlante n°19 « S’informer en fémi­nistes », parue en septembre 2025. Consultez le sommaire.

« À l’origine, je suis artiste vidéaste, formé aux Beaux-Arts d’Angoulême.

Quand j’étais étudiant, j’étais très investi dans des milieux militants et actif dans des asso­cia­tions comme Extinction Rebellion ou Décoloniser les arts [une asso­cia­tion née en 2015 pour dénoncer un racisme struc­tu­rel dans les arts et la culture]. J’y ai entendu des discours très forts, mais souvent cantonnés à des petits cercles déjà convain­cus et assez experts. Je me suis demandé comment faire pour toucher plus de gens. La vul­ga­ri­sa­tion m’a semblé être la bonne porte d’entrée.

C’est comme ça qu’est né le projet Histoires Crépues : pour vul­ga­ri­ser l’histoire coloniale, la décom­plexi­fier, la rendre plus acces­sible. Le but, c’est que le public puisse appré­hen­der ce passé et com­prendre comment l’histoire coloniale continue d’avoir un impact sur la société aujourd’hui.

J’ai lancé la chaîne YouTube en avril 2020, pendant le confi­ne­ment. À l’époque, il existait des comptes militants inté­res­sants et très influents, mais peu de formats péda­go­giques. En mai de la même année, George Floyd a été tué aux États-unis, ce qui a contribué à visi­bi­li­ser les questions de dis­cri­mi­na­tion. C’est sur Instagram que ça a pris le plus vite : en quelques semaines, le compte d’Histoires Crépues est passé de 4 000 à 30 000 abonné.es. Très vite, Reha Simon [pro­duc­teur, monteur et réa­li­sa­teur] m’a rejoint pour déve­lop­per le projet. Aujourd’hui, on est quatre permanent·es et une quinzaine de free­lances, pour une com­mu­nau­té de 850 000 abonné·es.

On est présent·es sur Instagram, YouTube, TikTok et même X. C’est un choix stra­té­gique : on doit exister partout, même si on évite de s’investir émo­tion­nel­le­ment et qu’on refuse de nourrir des algo­rithmes délétères – on poste peu sur X, on n’alimente pas les polé­miques… En revanche, je crois beaucoup en TikTok. C’est là que se passent les chan­ge­ments poli­tiques de demain.

Devenir un média indépendant

Nos contenus sont toujours très rigoureux. On se base sur des thèses, des articles scien­ti­fiques et des livres qu’on reformule pour les rendre acces­sibles. On cite nos sources et on fait relire nos textes par des chercheur·euses, des com­mis­saires d’exposition ou par les invité·es des vidéos. C’est une nécessité : en tant que personnes racisées traitant d’histoire coloniale, on est très vite accusé·es de réécrire l’histoire ou d’être dans l’idéologie. Mais le devoir qu’on s’est imposé d’être irré­pro­chables nous a permis de nous démarquer de certains contenus militants qui, bien que puissants, ne mettent pas toujours en avant leur méthodologie.


« On cherche à créer un espace d’autonomie, depuis lequel on peut s’exprimer à égalité avec les autres médias. »


À partir de septembre 2025, on veut que Histoires Crépues soit clai­re­ment identifié comme un média anti­ra­ciste indé­pen­dant. Pas juste une chaîne YouTube que j’incarne, mais un espace éditorial collectif, porté à tous les niveaux par des personnes concer­nées : rédaction, pro­duc­tion, montage, cadrage… L’objectif, c’est de pro­fes­sion­na­li­ser des membres de nos com­mu­nau­tés, pour que les sociétés de pro­duc­tion ne nous disent plus : “Sur ce sujet, il n’y a pas de producteur·ice ou de monteur·euse racisé·e.” On veut pouvoir produire nous-mêmes, avec nos codes, nos formats et ne pas être assigné·es à des positions marginales.

On entend aussi servir de tremplin. Si une personne est repérée grâce à une émission sur Histoires Crépues et embauchée à « Quotidien » ou ailleurs, c’est gagné ! Pour autant, on ne cherche pas à intégrer les médias mains­tream, mais à créer un espace d’autonomie, depuis lequel on peut s’exprimer à égalité [avec les autres médias, où les personnes blanches sont majo­ri­taires]. Dans le monde de l’art contem­po­rain, on a vu que les personnes racisées peuvent être mises en avant tem­po­rai­re­ment, puis rapi­de­ment évacuées dès que la tendance passe. D’où l’idée de construire un pôle solide dans l’écosystème média­tique actuel.

Quant à la montée de l’extrême droite, elle ne change pas grand-chose à notre posture. Oui, elle complique l’accès aux finan­ce­ments, notamment aux aides publiques, mais on a grandi avec, ce n’est pas une nouveauté pour nous. Au contraire, ce contexte renforce notre volonté de construire un modèle éco­no­mique autonome, même si c’est difficile, notamment parce que nos com­mu­nau­tés, souvent précaires, ne peuvent pas forcément soutenir finan­ciè­re­ment un média. Mais ça aussi, ça renforce notre déter­mi­na­tion : il faut des voix anti­ra­cistes qui ne dépendent de personne, cer­tai­ne­ment pas du bon vouloir d’une gauche blanche qui, pour l’instant, n’a pas montré de réelle volonté politique de porter nos luttes. »

Ces propos ont été recueillis par téléphone le 15 juillet 2025.

S’informer en féministes : face à l’offensive, la contre-attaque

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