« À l’origine, je suis artiste vidéaste, formé aux Beaux-Arts d’Angoulême.
C’est comme ça qu’est né le projet Histoires Crépues : pour vulgariser l’histoire coloniale, la décomplexifier, la rendre plus accessible. Le but, c’est que le public puisse appréhender ce passé et comprendre comment l’histoire coloniale continue d’avoir un impact sur la société aujourd’hui.
J’ai lancé la chaîne YouTube en avril 2020, pendant le confinement. À l’époque, il existait des comptes militants intéressants et très influents, mais peu de formats pédagogiques. En mai de la même année, George Floyd a été tué aux États-unis, ce qui a contribué à visibiliser les questions de discrimination. C’est sur Instagram que ça a pris le plus vite : en quelques semaines, le compte d’Histoires Crépues est passé de 4 000 à 30 000 abonné.es. Très vite, Reha Simon [producteur, monteur et réalisateur] m’a rejoint pour développer le projet. Aujourd’hui, on est quatre permanent·es et une quinzaine de freelances, pour une communauté de 850 000 abonné·es.
On est présent·es sur Instagram, YouTube, TikTok et même X. C’est un choix stratégique : on doit exister partout, même si on évite de s’investir émotionnellement et qu’on refuse de nourrir des algorithmes délétères – on poste peu sur X, on n’alimente pas les polémiques… En revanche, je crois beaucoup en TikTok. C’est là que se passent les changements politiques de demain.
Devenir un média indépendant
Nos contenus sont toujours très rigoureux. On se base sur des thèses, des articles scientifiques et des livres qu’on reformule pour les rendre accessibles. On cite nos sources et on fait relire nos textes par des chercheur·euses, des commissaires d’exposition ou par les invité·es des vidéos. C’est une nécessité : en tant que personnes racisées traitant d’histoire coloniale, on est très vite accusé·es de réécrire l’histoire ou d’être dans l’idéologie. Mais le devoir qu’on s’est imposé d’être irréprochables nous a permis de nous démarquer de certains contenus militants qui, bien que puissants, ne mettent pas toujours en avant leur méthodologie.
« On cherche à créer un espace d’autonomie, depuis lequel on peut s’exprimer à égalité avec les autres médias. »
À partir de septembre 2025, on veut que Histoires Crépues soit clairement identifié comme un média antiraciste indépendant. Pas juste une chaîne YouTube que j’incarne, mais un espace éditorial collectif, porté à tous les niveaux par des personnes concernées : rédaction, production, montage, cadrage… L’objectif, c’est de professionnaliser des membres de nos communautés, pour que les sociétés de production ne nous disent plus : “Sur ce sujet, il n’y a pas de producteur·ice ou de monteur·euse racisé·e.” On veut pouvoir produire nous-mêmes, avec nos codes, nos formats et ne pas être assigné·es à des positions marginales.
On entend aussi servir de tremplin. Si une personne est repérée grâce à une émission sur Histoires Crépues et embauchée à « Quotidien » ou ailleurs, c’est gagné ! Pour autant, on ne cherche pas à intégrer les médias mainstream, mais à créer un espace d’autonomie, depuis lequel on peut s’exprimer à égalité [avec les autres médias, où les personnes blanches sont majoritaires]. Dans le monde de l’art contemporain, on a vu que les personnes racisées peuvent être mises en avant temporairement, puis rapidement évacuées dès que la tendance passe. D’où l’idée de construire un pôle solide dans l’écosystème médiatique actuel.
Quant à la montée de l’extrême droite, elle ne change pas grand-chose à notre posture. Oui, elle complique l’accès aux financements, notamment aux aides publiques, mais on a grandi avec, ce n’est pas une nouveauté pour nous. Au contraire, ce contexte renforce notre volonté de construire un modèle économique autonome, même si c’est difficile, notamment parce que nos communautés, souvent précaires, ne peuvent pas forcément soutenir financièrement un média. Mais ça aussi, ça renforce notre détermination : il faut des voix antiracistes qui ne dépendent de personne, certainement pas du bon vouloir d’une gauche blanche qui, pour l’instant, n’a pas montré de réelle volonté politique de porter nos luttes. »
Ces propos ont été recueillis par téléphone le 15 juillet 2025.






