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Emma Goldman, la radicalité joyeuse

Elle ne ces­sa de se bat­tre : con­tre la guerre, l’exploitation des pro­lé­taires, le mariage et toute forme d’aliénation. Surnom­mée « la Reine rouge », Emma Gold­man (1869–1940) a longtemps été réduite à sa légende de dan­gereuse anar­chiste, pour­tant son apport pour les droits des femmes a été con­sid­érable. Elle défendait une idée sub­ver­sive : il n’y aura pas de révo­lu­tion poli­tique sans révo­lu­tion sex­uelle.
Publié le 06/10/2022

Modifié le 24/03/2025

Portrait Emma Goldman La Déferlante 8

Retrou­vez cet arti­cle dans le n°8 Jouer de La Défer­lante

« On a col­porté à mon sujet tant d’histoires à glac­er le sang et à dormir debout qu’il n’est pas sur­prenant que l’être humain moyen ait des pal­pi­ta­tions car­diaques à la seule men­tion de mon nom 1Emma Gold­man, La Lib­erté ou rien.

Con­tre l’État, le cap­i­tal­isme et le patri­ar­cat, textes réu­nis et présen­tés par Fran­cis Depuis-Déri, et traduits de l’anglais par Thomas Déri, Lux Édi­teur, 2021. Toutes les cita­tions de Gold­man sont tirées de cet ouvrage.. »

Incar­na­tion d’une mar­gin­al­ité assumée, d’une cri­tique féroce de la norme et de l’aliénation qu’elle pro­duit, Emma Gold­man aimait se moquer des jour­naux améri­cains qui la car­i­cat­u­raient à longueur d’articles. Elle était de tous les com­bats – cer­tains lui ont valu d’être plusieurs fois arrêtée et empris­on­née : ses posi­tions anar­chistes, sa défense des ouvrières et des ouvri­ers, son mil­i­tan­tisme en faveur du droit à la con­tra­cep­tion, son oppo­si­tion à la Pre­mière Guerre mon­di­ale, sa con­damna­tion du mariage et sa défense de l’homosexualité… Sa vie, qu’elle a retracée dans une auto­bi­ogra­phie mon­u­men­tale 2Emma Gold­man, Vivre ma vie. Une anar­chiste au temps des révo­lu­tions, traduit de l’anglais par Lau­re Bati­er et Jacque­line Reuss, édi­tions L’Échappée, 2018., fut un tour­bil­lon de luttes et de ren­con­tres, au car­refour de l’Europe et des États-Unis.

Née dans l’Empire russe, d’une famille juive, Emma Gold­man émi­gre aux États-Unis en 1885, alors qu’elle n’a que 16 ans. Elle vit à New York quand éclate l’affaire des « mar­tyrs de Hay­mar­ket ». Le 4 mai 1886, à Chica­go, une bombe explose lors d’une man­i­fes­ta­tion paci­fique en faveur de la journée de huit heures et con­tre la répres­sion poli­cière des mobil­i­sa­tions ouvrières 3Quelques jours plus tôt, le 1er mai 1886, une grève générale à l’usine McCormick de Chica­go avait été vio­lem­ment réprimée par la police, faisant un mort et une dizaine de blessés.. Huit anar­chistes sont arrêtés et accusés de con­spir­a­tion. Sept d’entre eux sont con­damnés à mort l’année suiv­ante, et qua­tre sont pen­dus le 11 novem­bre 1887, mal­gré un mou­ve­ment de protes­ta­tion dans le monde entier.

C’est à ce moment-là qu’Emma Gold­man embrasse la cause anar­chiste défendue alors par un grand nom­bre d’immigré·es européen·nes qui voient dans les États-Unis l’incarnation de la vio­lence du cap­i­tal et de l’État. Aux côtés de Johann Most, fig­ure impor­tante du mou­ve­ment anar­chiste, et d’Alexandre Berk­man, qui restera toute sa vie un cama­rade, un amant et un ami proche (elle le sou­tien­dra active­ment lorsqu’il sera con­damné à vingt-deux ans de prison pour avoir ten­té d’assassiner l’industriel Hen­ry Clay Frick en 1892), elle devient une ora­trice très écoutée.

En tant qu’anarchiste, elle s’engage aux côtés des ouvrières du tex­tile, sou­tient les révo­lu­tion­naires russ­es en 1905, mul­ti­plie les con­férences et les arti­cles, jusqu’à fonder sa pro­pre revue en 1906, Moth­er Earth (Mère nourri­cière). Qu’elle milite pour le droit à la con­tra­cep­tion ou con­tre la guerre et la con­scrip­tion, elle artic­ule tou­jours ses pris­es de posi­tion à une vision utopique plus large d’une société sans État, où cha­cune et cha­cun serait libre de trou­ver sa pro­pre voie. Elle défend l’amour libre et le pra­tique, refuse de se mari­er et d’avoir des enfants, change de parte­naire sans s’en cacher et fustige le mariage comme une forme de pros­ti­tu­tion légale.

En 1917, avec Berk­man, elle est arrêtée pour son oppo­si­tion à la Pre­mière Guerre mon­di­ale et, en 1919, déportée en Russie avec près de 250 autres « rouges ». Bien vite, elle prend ses dis­tances avec le régime bolchevique. La répres­sion de la révolte des marins de Kro­n­stadt en 1921 achève de la con­va­in­cre que la Russie n’est qu’une dic­tature de plus, vouée à sa pro­pre per­pé­tu­a­tion plutôt qu’aux intérêts du pro­lé­tari­at.

Tou­jours avec Berk­man, elle quitte la Russie sovié­tique cette même année. Le duo entame une errance européenne qui le ver­ra finale­ment s’établir dans le sud de la France – Alexan­dre Berk­man mour­ra à Nice en 1936. Gold­man, isolée de ses cama­rades d’outre-Atlantique, retrou­ve l’intensité de la lutte dans la guerre d’Espagne. Elle ne peut effectuer qu’un bref séjour aux États-Unis, en 1934, pour présen­ter son auto­bi­ogra­phie. Jusqu’à sa dis­pari­tion, à Toron­to, en 1940, elle défendra l’anarchisme. Après sa mort, le rap­a­triement de son corps est autorisé ; elle sera enter­rée à Chica­go, aux côtés des mar­tyrs de Hay­mar­ket, qui ont inspiré son engage­ment.

Sous le grand chapeau mou, une femme libre

Pen­dant longtemps, son image a été liée à cette vie d’aventure au par­fum de scan­dale. Ce fut le cas de son vivant, puis lorsque ses œuvres, en par­ti­c­uli­er son auto­bi­ogra­phie, furent redé­cou­vertes par des fémin­istes des années 1960 et 1970.

Der­rière la dan­gereuse anar­chiste poseuse de bombes dont le vis­age sur­mon­té d’un grand cha­peau mou ornait les T‑shirts, on dis­tingue enfin la femme libre qui avait su avant bien d’autres percevoir l’importance des ques­tions liées au sexe et aux droits repro­duc­tifs. Le développe­ment des études de genre et de l’histoire des femmes a entraîné la paru­tion de plusieurs biogra­phies aux États-Unis qui met­tent l’accent sur sa vie privée : les uni­ver­si­taires fémin­istes parta­gent bien sou­vent une fas­ci­na­tion dif­fuse pour le per­son­nage. La majorité des études ne la con­sid­èrent pas comme une penseuse orig­i­nale. Mil­i­tante, oui, ora­trice, oui, fémin­iste, certes. Mais philosophe ? Théorici­enne poli­tique ? Là, on est moins convaincu·e. On relève le manque d’originalité de ses idées, sa for­mi­da­ble capac­ité de syn­thèse qui lui aurait per­mis de traduire l’anarchisme pour un large pub­lic sans pour autant laiss­er de trace mar­quante dans l’histoire de la pen­sée du mou­ve­ment. Il serait dif­fi­cile de saisir sa réflex­ion comme un tout à cause de la diver­sité des sujets qu’elle a abor­dés. Si l’oubli de ses idées tient à la longue exclu­sion des femmes des his­toires de la pen­sée et de la philoso­phie, son œuvre inter­roge la notion même de « théorie poli­tique » et la con­struc­tion de la dichotomie entre théorie et pra­tique.

Une pensée politique en mouvement

Cette œuvre n’est pas une suc­ces­sion de livres qui con­stru­iraient un sys­tème de pen­sée ou une vision de la société anar­chiste. Gold­man est avant tout l’autrice d’articles, d’essais, pour la plu­part tirés des con­férences qu’elle a don­nées tout au long de sa vie ou bien écrits pour Moth­er Earth. Le tra­vail mené par l’historienne Can­dace Falk et l’éditeur Bar­ry Pate­man sur les archives d’Emma Gold­man a mon­tré que son immense activ­ité épis­to­laire devait être con­sid­érée comme par­tie inté­grante de son œuvre. Avec les let­tres qu’elle envoie et reçoit, elle main­tient des liens avec des penseur·euses et militant·es anar­chistes européen·nes, japonais·es, mexicain·es, échange, affûte ses argu­ments et appro­fon­dit ses analy­ses (lire par exem­ple ses échanges soutenus avec Alexan­dre Berk­man ou Pierre Kropotkine). Le fait que ses textes soient syn­thé­tiques, acces­si­bles, qu’elle n’ait pas lais­sé de grand livre théorique ne devrait pas dis­qual­i­fi­er ses idées, mais au con­traire nous amen­er à nous inter­roger sur ce qui fait une pen­sée poli­tique. Celle de Gold­man était en mou­ve­ment, liée à ses com­bats autant qu’à ses lec­tures et à ses réflex­ions.

Une autre rai­son de la rel­a­tive mar­gin­al­i­sa­tion des idées de Gold­man au prof­it de la fas­ci­na­tion du biographique est, para­doxale­ment sans doute, sa redé­cou­verte par les fémin­istes des années 1960 et 1970, qui a en par­tie obscur­ci son anar­chisme. De manière générale, c’est l’articulation entre ces deux aspects de sa vie et de son œuvre qui a pu con­duire à son rejet des deux champs : « Sou­vent, elle est exclue des dis­cus­sions sur la théorie anar­chiste (parce qu’elle est fémin­iste) et sur le fémin­isme (parce qu’elle est anar­chiste) 4Pen­ny A. Weiss et Loret­ta Kensinger, Fem­i­nist Inter­pre­ta­tions of Emma Gold­man, Penn­syl­va­nia State Uni­ver­si­ty Press, 2007. ! » Pen­dant sa vie même, Gold­man s’est trou­vée prise dans cet étau, cri­tiquée par ses cama­rades anar­chistes parce qu’elle accor­dait trop d’importance à la ques­tion de l’émancipation des femmes, et cri­ti­quant les suf­frag­istes dont elle ne partageait pas la vision selon laque­lle le vote était le meilleur moyen de l’atteindre.

Pour­tant, le fémin­isme de Gold­man était insé­para­ble de son analyse anar­chiste de la société, ce qui explique égale­ment sa posi­tion par­ti­c­ulière au sein du mou­ve­ment de défense des droits des femmes aux États-Unis au début du xxe siè­cle. De puis­santes organ­i­sa­tions comme la Women’s Chris­t­ian Tem­per­ance Union (WCTU, Union chré­ti­enne des femmes pour la tem­pérance) mil­i­taient pour la pro­hi­bi­tion de l’alcool et la moral­i­sa­tion de la vie publique ; des syn­di­cats tels que l’International Ladies’ Gar­ment Work­ers’ Union (ILGWU, Union des ouvri­ers des vête­ments pour dames) organ­i­saient et soute­naient les grèves des ouvrières du tex­tile dans les usines de l’Est des États-Unis ; des mil­i­tantes comme Mar­garet Sanger prô­naient le droit à la con­tra­cep­tion. Cepen­dant, la lutte prin­ci­pale était pour le droit de vote des femmes. L’anarchisme de Gold­man, pour qui le suf­frage n’était qu’un leurre, la met­tait donc en porte à faux d’une large part du mou­ve­ment fémin­iste. Mais c’est aus­si ce qui lui a per­mis de dévelop­per des argu­ments dif­férents en faveur de la libéra­tion des femmes, qu’elle défendit dans deux textes impor­tants pub­liés en 1906 et 1910 : La Tragédie de l’émancipation fémi­nine et Le Droit de vote des femmes, où elle développe une analyse qui asso­cie étroite­ment les ques­tions de classe et de sex­u­al­ité.

Gold­man y dénonce la « nou­velle idole » qu’est devenu le droit de vote, et fustige la manière dont il est défendu. Elle rend hom­mage aux orig­ines du mou­ve­ment, à Eliz­a­beth Cady Stan­ton, qui, dans la Déc­la­ra­tion des sen­ti­ments de Seneca Falls 5La pre­mière con­ven­tion des droits des femmes aux États-Unis s’est tenue les 19 et 20 juil­let 1848 à Seneca Falls (État de New York). Elle s’acheva par la sig­na­ture de la Déc­la­ra­tion de sen­ti­ments, qu’on con­sid­ère comme l’acte fon­da­teur du mou­ve­ment fémin­iste états-unien., décrivait les innom­brables alié­na­tions et con­traintes dont les femmes étaient vic­times et qui les main­te­naient dans une per­pétuelle enfance légale et poli­tique. La Déc­la­ra­tion défend le droit de vote comme droit inal­ién­able, mais en défend d’autres. Cepen­dant, au début du xxe siè­cle, le mou­ve­ment pour le droit de vote s’étend à des organ­i­sa­tions plus con­ser­va­tri­ces telles que la WCTU, qui s’est ral­liée au suf­frage féminin au nom de la moral­ité supérieure des femmes et de leur capac­ité, par leur par­tic­i­pa­tion à la vie publique, à lut­ter con­tre la cor­rup­tion des mœurs. C’est cette posi­tion, qu’elle qual­i­fie de puri­taine, que Gold­man con­damne. En tant qu’anarchiste, elle ne voit dans le droit de vote qu’un hochet agité par la classe poli­tique pour don­ner au peu­ple l’illusion qu’il par­ticipe aux déci­sions col­lec­tives. Dans Le Droit de vote des femmes, elle cite en exem­ple des pays, tels que la Nou­velle-Zélande ou des États améri­cains, comme le Col­orado, où les femmes dis­posent déjà de ce droit, où les con­di­tions de vie des tra­vailleuses n’ont pas été améliorées, où la mis­ère sociale demeure, tout comme les normes morales qui enchaî­nent les femmes. L’accès au suf­frage n’a aucun impact poli­tique ; il est devenu « une affaire de salon » qui occupe les femmes des class­es moyennes et supérieures, sans que les class­es pop­u­laires y trou­vent de béné­fices ni d’intérêt.

Pas de révolution politique sans révolution sexuelle

Au-delà même de son inutil­ité, la trans­for­ma­tion du droit de vote en « fétiche mod­erne » main­tient les femmes dans les car­cans de la société cap­i­tal­iste et puri­taine. L’adhésion au vote est pour Gold­man une légiti­ma­tion des insti­tu­tions – l’État, la reli­gion, le mariage – qui leur inter­dis­ent tout épanouisse­ment, un acqui­esce­ment à la morale qui érige en loi la norme bour­geoise. « La véri­ta­ble éman­ci­pa­tion ne com­mence ni aux urnes ni au tri­bunal, écrit-elle, elle com­mence dans l’âme de la femme. » Celle-ci n’est pas douée, comme le pré­ten­dent certain·es, d’une moral­ité supérieure, elle est enfer­mée dans une ver­tu qu’on lui impose, et dont elle ne peut sor­tir qu’au prix de la relé­ga­tion sociale. Ce sont avant tout les « tyrans intérieurs » dont elle doit se libér­er ; elle doit pou­voir choisir non seule­ment son méti­er, mais sa vie, ses parte­naires amoureux, si elle veut ou non des enfants. Encore une fois, anar­chisme et fémin­isme sont intrin­sèque­ment liés ; la révo­lu­tion poli­tique ne peut advenir que si elle s’accompagne d’une révo­lu­tion sex­uelle. Gold­man con­sid­ère le mariage et la pros­ti­tu­tion – elle défend les pros­ti­tuées comme vic­times du cap­i­tal­isme – comme les deux faces d’une même pièce, vouées à priv­er les femmes de l’épanouissement sex­uel et amoureux.


« La mesquiner­ie divise, la générosité réu­nit. Soyons grandes et fortes. Ne lais­sons pas l’essentiel dis­paraître sous la masse des choses insignifi­antes aux­quelles nous sommes con­fron­tées. »

Emma Gold­man

Dans ses textes, Gold­man par­le de la « nature » de la femme, de son « instinct mater­nel », du « plus grand tré­sor de la vie qui est l’amour pour un homme », du « priv­ilège extra­or­di­naire de don­ner nais­sance à un enfant », sem­blant ain­si souscrire à un essen­tial­isme qu’elle com­bat par ailleurs. Ce para­doxe est lié d’une part aux normes de genre de l’époque, qu’elle a en par­tie intéri­or­isées, et d’autre part, et peut-être surtout, au fait que cette invo­ca­tion d’une pré­ten­due « nature » fémi­nine n’est en rien cor­rélée à une quel­conque sub­or­di­na­tion. Elle est un moyen de cri­ti­quer la vision dom­i­nante de « l’ange du foy­er », parangon de ver­tu et de chasteté, à la fois morale­ment supérieure et intel­lectuelle­ment inférieure à l’homme, auquel elle se soumet. Dans d’autres textes, Gold­man défend l’homosexualité : elle n’a pas une vision exclu­sive­ment hétéro­sex­uelle des rela­tions amoureuses. Elle traduit par cette notion de « nature » l’attention portée au désir et à son accom­plisse­ment. L’amour, pour elle, est libéra­teur, s’il est fondé sur l’égalité : « La mesquiner­ie divise, la générosité réu­nit. Soyons grandes et fortes. Ne lais­sons pas l’essentiel dis­paraître sous la masse des choses insignifi­antes aux­quelles nous sommes con­fron­tées. Une véri­ta­ble con­cep­tion des rela­tions entre les sex­es ne sup­pose ni con­quérant ni con­quise », écrit-elle.

Refus du puritanisme et de l’ascétisme militant

Les let­tres de Gold­man, notam­ment sa cor­re­spon­dance avec l’un de ses amants, Ben Reit­man, mon­trent l’importance qu’elle accor­dait aux rela­tions amoureuses et sex­uelles. Elle y par­le de ses désirs, de ses fan­tasmes, de sa jalousie aus­si. Elle regrette par­fois que son refus des con­ven­tions ne lui ait pas per­mis de trou­ver un com­pagnon qui soit à ses côtés tout au long de sa vie – bien qu’Alexandre Berk­man ait en quelque sorte rem­pli cette fonc­tion. Elle ne renie jamais sa sen­su­al­ité, accorde une place impor­tante aux plaisirs des sens, qu’il s’agisse de bien manger, de con­tem­pler des œuvres d’art, de vibr­er devant une pièce de théâtre. Et c’est aus­si cela, au fond, qui lui a valu par­fois les cri­tiques des anar­chistes comme des suf­frag­istes : le refus du puri­tanisme et de l’ascétisme mil­i­tant, une sen­su­al­ité affir­mée, fondée sur la croy­ance pro­fonde qu’une société idéale devrait per­me­t­tre à toutes et tous de prof­iter de la vie, que l’on veuille être médecin, mère, amante, cuisinière, rien de tout cela ou tout à la fois. L’importance de la joie, cette « joie incom­men­su­rable » qui ne peut naître que d’une société égal­i­taire, est peut-être ce qui l’a ren­due si chère aux fémin­istes des années 1960, et c’est ce qui nous offre encore aujourd’hui matière à penser des luttes à la fois rad­i­cales et joyeuses. •

1869

Nais­sance à Kowno (aujourd’hui Kau­nas, en Litu­anie), dans l’Empire russe.

1885

Emma Gold­man émi­gre aux États-Unis.

1906

Elle fonde la revue anar­chiste Moth­er Earth.

1919

Expul­sée des États-Unis vers la Russie.

1940

Elle meurt à Toron­to, au Cana­da.

  • 1
    Emma Gold­man, La Lib­erté ou rien.
    Con­tre l’État, le cap­i­tal­isme et le patri­ar­cat
    , textes réu­nis et présen­tés par Fran­cis Depuis-Déri, et traduits de l’anglais par Thomas Déri, Lux Édi­teur, 2021. Toutes les cita­tions de Gold­man sont tirées de cet ouvrage.
  • 2
    Emma Gold­man, Vivre ma vie. Une anar­chiste au temps des révo­lu­tions, traduit de l’anglais par Lau­re Bati­er et Jacque­line Reuss, édi­tions L’Échappée, 2018.
  • 3
    Quelques jours plus tôt, le 1er mai 1886, une grève générale à l’usine McCormick de Chica­go avait été vio­lem­ment réprimée par la police, faisant un mort et une dizaine de blessés.
  • 4
    Pen­ny A. Weiss et Loret­ta Kensinger, Fem­i­nist Inter­pre­ta­tions of Emma Gold­man, Penn­syl­va­nia State Uni­ver­si­ty Press, 2007.
  • 5
    La pre­mière con­ven­tion des droits des femmes aux États-Unis s’est tenue les 19 et 20 juil­let 1848 à Seneca Falls (État de New York). Elle s’acheva par la sig­na­ture de la Déc­la­ra­tion de sen­ti­ments, qu’on con­sid­ère comme l’acte fon­da­teur du mou­ve­ment fémin­iste états-unien.
Alice Béja

Maîtresse de conférences en études américaines à Sciences Po Lille et chercheuse au CERAPS-CNRS. Ses recherches portent notamment sur l’histoire intellectuelle et culturelle de la gauche aux États-Unis. Elle vient de publier Emma Goldman: la parole pour elle-même ? dans le livre Le porte-parole. Fondements et métamorphoses d'un rôle politique, (Presses Universitaires du Septentrion, 2022) et a produit en 2018 pour France Culture le documentaire « Emma Goldman, vivre la révolution (1869-1940) ». Voir tous ses articles

Jouer, quand les féministes bousculent les règles

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