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Comment filmer l’avortement ?

« L’Événement », réal­isé par Audrey Diwan, en 2021, une adap­ta­tion du livre éponyme d’Annie Ernaux, et « Por­trait de la jeune fille en feu », de Céline Sci­amma (2019) ont en com­mun de met­tre en scène un avorte­ment. Décryptage par Geneviève Sel­l­i­er, pro­fesseure émérite en études ciné­matographiques et ani­ma­trice du site col­lec­tif de cri­tique fémin­iste du ciné­ma et de la télévi­sion Le genre et l’écran.
Publié le 02/02/2024

Modifié le 16/01/2025

Dans Annie Colère, film de Blan­dine Lenoir sor­ti en 2022, l’actrice India Hair (au cen­tre) incar­ne Clau­dine, mil­i­tante du Mou­ve­ment pour la libéra­tion de l’avortement et de la con­tra­cep­tion (Mlac). Auro­ra Films / Local Films

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Con­sul­tez le som­maire.

L’Événement

« Éviter la victimisation grâce au regard de la personne concernée »

« Ce que je trou­ve remar­quable, c’est qu’Audrey Diwan donne à voir le point de vue de son héroïne. Anne n’est pas regardée de manière sur­plom­bante ni réduite à une vic­time. Le cadrage buste, en par­ti­c­uli­er, per­met d’insister sur ses expres­sions, mais aus­si sur le haut de son corps, dont on sait à quel point il est mal­mené, mais dont on voit la souf­france par métonymie. Ce côté act­if et agis­sant est tou­jours priv­ilégié par la mise en scène. Par exem­ple, c’est du point de vue d’Anne qu’on voit l’avorteuse, en amorce dans le plan, lorsque Anne se rend chez elle. Et lorsqu’on voit le bas de son corps, c’est aus­si à par­tir de son regard à elle.

D’autre part, si le film nous mon­tre le dan­ger d’avoir à faire à une avor­teuse clan­des­tine, la réal­isatrice ne rend pas cette ren­con­tre sor­dide, notam­ment en faisant jouer l’avorteuse par une actrice pres­tigieuse, Anna Mouglalis. C’est une “vraie” per­son­ne qui fait un boulot dif­fi­cile et dan­gereux pour elle aus­si, on com­prend donc pourquoi elle lui inter­dit froide­ment de crier. La scène est angois­sante, mais la mise en scène n’en rajoute pas.

Ensuite, lorsque Anne revient dans sa cham­bre en cité uni­ver­si­taire, la caméra con­tin­ue de priv­ilégi­er son point de vue : on la voit en plan buste, au lit, se débat­tre dans des souf­frances extrêmes, mais là non plus, la mise en scène n’en rajoute pas, on est dans l’obscurité. En revanche, lorsqu’elle va aux toi­lettes, on a un plan, un seul, extrême­ment fort, filmé depuis son regard à elle, puisqu’elle voit dans la cuvette des WC l’embryon qu’on a enten­du sor­tir quelques sec­on­des aupar­a­vant. On aperçoit donc une masse san­guino­lente avec un cor­don, mais on ne le ver­ra qu’une fois, pas deux, même lorsque sa cama­rade coupe le cor­don, comme Anne la sup­plie de le faire. Audrey Diwan parvient à nous mon­tr­er l’horreur de la sit­u­a­tion avec beau­coup de rigueur et de sobriété. C’est pour moi la clé de la réus­site de ces scènes : un regard féminin, celui de la per­son­ne con­cernée sur elle-même, et une mise en scène d’une grande économie, qui démon­tre une volon­té de dire les choses tout en évi­tant la vic­tim­i­sa­tion et le gore. »

L'Evenement d'Audrey Diwan - photo d'Anamaria Vartolomei © 2021 PROKINO Filmverleih GmbH / Allociné

L’Événe­ment d’Au­drey Diwan — pho­to d’Ana­maria Var­tolomei © 2021 PROKINO Filmver­leih GmbH / Allociné

Portrait de la jeune fille en feu

« Rendre légitime et beau ce qui est perçu comme sordide »

« Le pro­pos de Céline Sci­amma est com­plète­ment dif­férent de celui d’Audrey Diwan. Son point de vue priv­ilégie une sorte d’éloge de la soror­ité, au-delà des dif­férences de classe, puisque c’est la ser­vante, Sophie, qui se fait avorter. Cette soror­ité passe par l’insistance sur le regard d’Héloïse et de Mar­i­anne, spec­ta­tri­ces mais pas voyeuses, plutôt dans une pos­ture d’empathie et de pro­tec­tion. Elles sont là pour cau­tion­ner, en quelque sorte, cet acte, et pour aider leur ser­vante. Le choix d’un cadrage large, qui embrasse l’ensemble de la scène, laisse voir le geste de l’avorteuse, mais nous cache le bas du corps de Sophie. Il se dégage de cette scène une dimen­sion lyrique qui vise aus­si à banalis­er l’avortement. Ce qui est très frap­pant dans la manière dont l’acte lui-même est filmé, c’est que Sophie se trou­ve sur un lit avec un bébé. L’intention de Céline Sci­amma est claire : il s’agit d’associer la sage-femme qui pra­tique l’avortement à la vie. Ici, c’est mon­tré comme un acte qui s’inscrit dans la manière dont les femmes gèrent les nais­sances – cer­taines sont pos­si­bles, d’autres non. Le fait d’associer l’avorteuse à la mater­nité est une manière très forte de dire que l’avortement n’est pas un acte qui s’oppose à la mater­nité, mais qu’il en fait par­tie, à tra­vers le choix. Et la présence du bébé per­met aus­si de dédrama­tis­er la scène pour Sophie, qui, au lieu de se focalis­er sur la douleur qu’elle éprou­ve, est dis­traite par les gazouil­lis du bébé.
Cette scène d’avortement n’est pas graphique, mais presque esthétisée – ce qui nous sera con­fir­mé par la suite, lorsque Héloïse, s’identifiant à son amie pein­tre, regarde et rejoue la scène comme une scène à pein­dre, ce qu’on appelait à l’époque une “scène de genre”. Elle pro­pose à Mar­i­anne de pein­dre, de la même manière qu’on pou­vait pein­dre des scènes famil­iales, cette recon­sti­tu­tion comme une scène ordi­naire de la vie des femmes. La trans­for­ma­tion de cette scène en un tableau vise aus­si à ennoblir le sujet, à ren­dre légitime et beau ce qui est perçu comme sor­dide dans nos sociétés. Mais la scène d’avortement elle-même, par sa com­po­si­tion, ce plan buste, le bébé, et cette atmo­sphère pais­i­ble et famil­ière place la scène du côté des femmes, de leur univers et de leur intim­ité. C’est déjà un tableau. » •

Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma - photo de Noémie Merlant, Luàna Bajrami © 2019 Pyramide Distribution

Por­trait de la jeune fille en feu de Céline Sci­amma — pho­to de Noémie Mer­lant, Luà­na Bajra­mi © 2019 Pyra­mide Dis­tri­b­u­tion / Allociné

Pro­pos recueil­lis par Nora Bouaz­zouni.

 

Mem­bre du comité édi­to­r­i­al de La Défer­lante, Nora Bouaz­zouni est jour­nal­iste, spé­cial­isée en cul­ture et ali­men­ta­tion. Elle est égale­ment tra­duc­trice et autrice. Son nou­veau livre, Mangez les rich­es ! La lutte des class­es passe par l’assiette, est paru en octo­bre 2023 aux édi­tions Nourit­ur­fu.

Nora Bouazzouni

Journaliste indépendante, écrivaine et traductrice, elle écrit sur les questions d’alimentation, le genre et la pop culture. Elle est membre du comité éditorial de La Déferlante. Voir tous ses articles

Avorter : Une lutte sans fin

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°13 Avorter, paru en mars 2024. Con­sul­tez le som­maire.


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