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Bolewa Sabourin : Réparer les survivantes au-delà des mots

Bole­wa Sabourin est danseur depuis près de vingt ans. Fran­co-con­go­lais, il a créé en 2007 l’association Loba, qui entend faire de l’expression artis­tique un out­il de trans­for­ma­tion sociale. Depuis plusieurs années, il développe en France le pro­jet « Re-créa­tion » qui s’adresse à des femmes vic­times de vio­lences sex­uelles sociale­ment vul­nérables ou atteintes du VIH. L’objectif : utilis­er la danse au ser­vice de la san­té et comme un moyen de réap­pro­pri­a­tion de son pro­pre corps.
Publié le 12/04/2023

Modifié le 16/01/2025

mock-up Bolewa Sabourin : Réparer les survivantes au-delà des mots - La Déferlane 10 « Danser »
Bole­wa Sabourin, danseur choré­graphe, à Paris, jan­vi­er 2023. © Marie Rouge

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°10 Danser, de mai 2023. La Défer­lante est une revue trimestrielle indépen­dante con­sacrée aux fémin­ismes et au genre. Tous les trois mois, en librairie et sur abon­nement, elle racon­te les luttes et les débats qui sec­ouent notre société.
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Bole­wa Sabourin, pou­vez-vous nous racon­ter la créa­tion de votre asso­ci­a­tion Loba qui sig­ni­fie « exprime-toi » en lin­gala¹ ?

En 2007, on vivait en France une péri­ode très vio­lente sociale­ment. Le prési­dent d’alors, Nico­las Sarkozy, avait créé le min­istère de l’Identité nationale. Je me sou­viens que l’idée de notre asso­ci­a­tion nous est venue, à mon ami William Njaboum et moi, pen­dant un cours de hip-hop à l’école Smok­ing and Bril­lan­tine, dans le XII­Ie arrondisse­ment de Paris. William était étu­di­ant en sci­ences économiques et danseur lui aus­si. C’est d’une vibra­tion com­mune que tout est par­ti. On a sen­ti qu’avec la danse on trou­vait un espace d’expression au-delà des mots, qui peu­vent par­fois man­quer. Avec Loba, nous don­nons des cours de danse, nous organ­isons des con­férences et nous avons même mis sur pied un fes­ti­val annuel qui mélange sculp­ture, pein­ture, rap, slam et rock. En 2012 j’ai fait un burn-out. J’ai sen­ti le besoin de retourn­er voir ma grand-mère au Con­go. De retour en France, j’ai repris mes études et obtenu mon mas­ter en sci­ence poli­tique fin 2015.

Après une pause de 2012 à 2015, William et moi avons relancé l’association, en nous for­mant notam­ment à l’entrepreneuriat social. Et puis, en 2016, j’ai assisté à une inter­ven­tion du doc­teur Denis Muk­wege [qui a obtenu le prix Nobel de la paix deux ans plus tard], le gyné­co­logue qui « répare » les femmes vic­times de muti­la­tions géni­tales. Avec le doc­teur Muk­wege, ça a été un coup de foudre. Je crois que j’ai iden­ti­fié en lui une fig­ure pater­nelle. Il m’a racon­té son tra­vail auprès de femmes vio­lées en République démoc­ra­tique du Con­go. Quelques mois plus tard, à sa demande, je lui ai soumis l’idée de « Re-créa­tion ».

Avec ce pro­jet, vous enten­dez, vous aus­si, « répar­er » les femmes, mais par la danse. Com­ment procédez-vous et qui sont les par­tic­i­pantes à vos ate­liers ?

Nous avons com­mencé en 2017, à Bukavu au Con­go, en tra­vail­lant avec Ami-Luce, la nièce du doc­teur Muk­wege, qui menait déjà des ate­liers de danse auprès de femmes vic­times de viol là-bas. J’ai aus­si œuvré en binôme au côté du psy­cho­logue qui était sur place. Avec les femmes, on tra­vail­lait la tête, le haut ou le bas du corps, les endroits où elles avaient subi des opéra­tions de recon­struc­tion lour­des. On les tra­vail­lait séparé­ment, de manière à les dis­soci­er pour faciliter la réap­pro­pri­a­tion de ces par­ties du corps trau­ma­tisées. On avait des temps de freestyle, des choré­gra­phies, des moments où elles partageaient leurs dans­es aus­si, celles de leurs ancêtres, de leurs eth­nies. C’était aus­si ça le but : réveiller la mémoire de la résis­tance en inter­ro­geant le corps, et pass­er par le corps pour attein­dre l’esprit. Aujourd’hui, en France, nous inter­venons dans sept struc­tures médi­co-­so­ciales, auprès de femmes âgées de 18 à 70 ans, pri­mo-arrivantes et atteintes du VIH. Nous menons aus­si des ate­liers à l’hôpital Avi­cenne à Bobigny [Seine-Saint-Denis], dans les cen­tres d’accueil pour les femmes en sit­u­a­tion de vul­néra­bil­ité sociale ou médi­cale. Partout, la danse per­met de faire remon­ter des choses que ces femmes ne peu­vent pas dire d’emblée. Tout est cir­cu­laire : pour nous, c’est ça l’ubun­tu² .

La méth­ode pro­posée est-elle la même pour les femmes con­go­lais­es, les pri­mo-arrivantes ou les femmes por­teuses du VIH ?

Nous adap­tons les exer­ci­ces aux vécus et aux corps, et nous affi­nons nos out­ils au fur et à mesure. Nous con­tin­uons à appli­quer ce que nous avons décou­vert au Con­go en 2017, c’est notre colonne vertébrale. Mais ici, l’approche est dif­férente. Cer­taines femmes qui vivent avec le VIH nous racon­tent les innom­brables thérapies, les sacs de médica­ments qu’elles trim­ballent depuis des années. Il faut déjà penser quels out­ils de décon­struc­tion met­tre en place avec elles, leur faire pren­dre con­science qu’elles peu­vent vivre jusqu’à 80 ans, par exem­ple. Elles n’ont pas le même vécu qu’une pri­mo-arrivante qui peut notam­ment être vic­time de traite, mais c’est tou­jours la réap­pro­pri­a­tion du corps et de la psy­ché que l’on vise. Nous souhaitons for­mer d’autres binômes com­posés de danseur·euses ou et de psy­chothérapeutes ; cha­cun avec sa sen­si­bil­ité, va dévelop­per ses pro­pres méth­odes. Au final, ce sont les femmes qui suiv­ent les ate­liers qui vali­dent l’efficacité de ce que nous pro­posons.

Les femmes s’engagent-elles à suiv­re vos ate­liers pen­dant un temps déter­miné ?

Les femmes vien­nent quand elles veu­lent et quand elles peu­vent. Ce sont des endroits qui leur offrent la pos­si­bil­ité de se racon­ter et d’écouter ; nous sommes là pour faciliter la parole. C’est surtout en dis­cu­tant entre elles qu’elles se répar­ent et se don­nent de la force. La con­vivi­al­ité et la soror­ité ne sont pas seule­ment des mots, elles les expéri­mentent de façon très con­crète. Nos ate­liers per­me­t­tent de sor­tir de l’isolement, de rec­oller des morceaux d’histoire, de recréer du lien social et émo­tion­nel. Cer­taines vien­nent depuis trois ans. Elles sont très avancées sur leur chemin de guéri­son, mais elles con­tin­u­ent à venir pour leurs sœurs, elles se sen­tent utiles aux autres.


« Nous pro­posons des ate­liers sur la thé­ma­tique des vio­lences sex­uelles et sex­istes. On part du cas con­go­lais du viol de guerre en mon­trant que les vio­lences sont un con­tin­u­um, que l’on soit en temps de guerre ou en temps de paix. »

Bole­wa Sabourin


Vous est-il par­fois reproché d’être un homme hétéro cis­genre qui se donne pour mis­sion de répar­er les femmes ?

C’est tou­jours la ques­tion : qui valide qui ? Pour ma part, la seule val­i­da­tion que je cherche est celle des per­son­nes qui béné­fi­cient de mon tra­vail. J’entends la cri­tique, il est nor­mal de refuser que ses pro­pres com­bats soient récupérés par d’autres, et j’ai con­science d’être por­teur de sym­bol­es qui dépassent ma pro­pre per­son­ne. La ren­con­tre avec le doc­teur Muk­wege m’a aidé à me sen­tir légitime. Il martèle que c’est l’humanité entière qui souf­fre en créant des trau­ma­tismes qui se trans­met­tent de généra­tion en généra­tion.

Ne serait-il pas tout aus­si utile de « répar­er » les hommes ? Com­ment faire com­pren­dre aux hommes que la société est malade en grande par­tie à cause d’eux en tant que groupe social ?

En ren­trant du Con­go, j’ai ressen­ti une urgence à partager les his­toires de ces femmes pour que l’on se rende compte que nous sommes tous et toutes respon­s­ables. J’ai écrit une pièce, LArmes, avec une amie autrice, Pen­da Diouf. On y mêle la danse, des per­cus­sions en live et les réc­its des vic­times. De spec­ta­teurs et spec­ta­tri­ces, les gens du pub­lic devi­en­nent acteurs et actri­ces en réfléchissant ensem­ble à la ques­tion : com­ment lut­ter con­tre les vio­lences sex­uelles et sex­istes en France et au Con­go, indi­vidu­elle­ment et col­lec­tive­ment ? Mais répar­er ces femmes dans une société tou­jours malade, c’est vider la mer avec une petite cuil­lère. Il faut faire de la préven­tion et inter­peller le grand pub­lic. Avec Loba nous inter­venons dans des lycées. Pen­dant neuf mois, nous pro­posons des ate­liers sur la thé­ma­tique des vio­lences sex­uelles et sex­istes. On part du cas con­go­lais du viol de guerre en mon­trant que les vio­lences sont un con­tin­u­um, que l’on soit en temps de guerre ou en temps de paix. La ques­tion des mas­culin­ités est très impor­tante. En 2019, nous avons pro­posé une con­cer­ta­tion sur la ques­tion « C’est quoi un homme au xxie siè­cle ? ». Nous inter­venons dans les entre­pris­es, les écoles et auprès du grand pub­lic avec un col­lec­tif d’hommes bénév­oles que nous for­mons à la facil­i­ta­tion d’ateliers.

Si les hommes ne font pas leur tra­vail d’introspection et ne se remet­tent pas à leur place, c’est-à-dire à côté ou en dessous, on n’y parvien­dra pas. C’est aus­si la rai­son pour laque­lle nous faisons des inter­ven­tions en prison, qui sont des espaces de vul­néra­bil­ité pour les femmes et pour les hommes. Notre action doit être sys­témique, par­tir du « je » pour aller vers le « nous » et inverse­ment. •

Entre­tien réal­isé le 15 jan­vi­er 2023 à Paris par Douce Dibon­do.


1. Le lin­gala est l’une des qua­tre « langues nationales » de la République démoc­ra­tique du Con­go.

2. L’« ubun­tu » est un mot qui existe dans (presque) toutes les langues ban­toues. Il désigne une notion proche des con­cepts d’humanité et de fra­ter­nité. Il peut aus­si sig­ni­fi­er la volon­té de se voir en autrui, d’apprendre à l’écouter pour mieux le com­pren­dre. Le con­cept recou­vre l’idée que les êtres humains sont liés les uns aux autres.

Douce Dibondo

Écrivaine, poète, journaliste indépendante, elle a cofondé le podcast mensuel extimité dans lequel la parole est donnée à des personnes qui partagent leur intimité et leurs victoires face aux discriminations . Ses écrits s'interrogent sur le monde à travers un prisme afroqueer féministe, révolutionnaire, spirituel, artistique. Voir tous ses articles

Danser : l’émancipation en mouvement

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