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« Avec le procès de Mazan, on se rend compte que des époux agressent »

« His­torique », « hors normes », « sans précé­dent »… Les adjec­tifs ne man­quent pas pour qual­i­fi­er le procès dit « des vio­ls de Mazan », qui vient d’entrer dans sa dernière ligne droite avec les plaidoiries des par­ties civiles. Pour doc­u­menter au mieux cette séquence judi­ci­aire, nous lui con­sacrons trois newslet­ters. Aujourd’hui, nous nous intéres­sons, avec la soci­o­logue Alice Debauche, à l’histoire de la lég­is­la­tion sur le viol et à ce que ce procès rap­pelle : l’ampleur du viol con­ju­gal et l’embarrassante banal­ité des pro­fils des vio­leurs.
Publié le 21/11/2024

Modifié le 16/01/2025

Le 2 mai 1978, des mil­i­tantes fémin­istes man­i­fes­tent en marge du procès d’Aix-en-Provence. Cette mobil­i­sa­tion débouchera, deux ans plus tard, sur une déf­i­ni­tion pénale du viol. Crédit : Gérard Fou­et / AFP

Retrou­vez le numéro 16 de la revue sur le thème « S’habiller », paru en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.

Depuis le 2 sep­tem­bre 2024, Dominique Peli­cot et 50 autres hommes, accusés de vio­ls aggravés sur Gisèle Peli­cot, com­para­is­sent devant la cour crim­inelle du Vau­cluse. La soumis­sion chim­ique exer­cée sur Gisèle Peli­cot et la lev­ée du huis clos – qu’elle a elle-même demandée – don­nent à ce procès un écho médi­a­tique, social et poli­tique d’une ampleur inédite.

Les débats qui ont ani­mé les audi­ences rap­pel­lent à quel point les vio­lences sex­istes et sex­uelles, notam­ment au sein du cou­ple, sont encore large­ment mécon­nues et invis­i­bil­isées, et ont mis en lumière la ques­tion de l’impunité des agresseurs. Maîtresse de con­férences en soci­olo­gie à l’université de Stras­bourg, Alice Debauche tra­vaille sur les vio­lences sex­uelles depuis plus de vingt ans – elle a soutenu une thèse sur le viol en 2011 et a con­tribué à l’enquête Vio­lences et rap­ports de genre (Virage) de l’Institut nation­al d’études démo­graphiques réal­isée en 2015.

Avant de par­ler de la loi, peut-on don­ner une déf­i­ni­tion soci­ologique du viol ?

La ques­tion du viol et des vio­lences sex­uelles s’inscrit dans des rap­ports de dom­i­na­tion des hommes sur les femmes. À la fin des années 1970, la soci­o­logue bri­tan­nique Jal­na Han­mer mon­tre que les vio­lences con­tre les femmes con­stituent des instru­ments de con­trôle social.

D’abord en tant qu’acte effec­tif, avec les représen­ta­tions stéréo­typées, comme les vio­ls com­mis sur des les­bi­ennes « pour les remet­tre dans le droit chemin » ou les vio­ls com­mis sur des femmes alcoolisées ou la nuit. Mais égale­ment au-delà des actes, en tant que men­ace per­ma­nente qui pèse sur les femmes. La très grande majorité des jeunes femmes, voire la total­ité, enten­dent un jour leur mère, leur père, leur entourage leur expli­quer qu’il ne faut pas qu’elles fassent ci ou ça parce que c’est dan­gereux. Du point de vue de l’organisation de la société, l’existence du viol et des vio­lences sex­uelles sert à con­trôler ce que peu­vent faire ou non les femmes.

 

Quelles sont les lois mar­quantes sur le viol ?

La loi de 1980 est intéres­sante comme début de péri­ode d’observation. Elle entérine un change­ment de per­spec­tive juridique et sociale sur la ques­tion des vio­lences sex­uelles. Jusque-là, le Code pénal ne don­nait pas de déf­i­ni­tion du viol, et on s’appuyait sur une jurispru­dence très vague du début du XXe siè­cle, qui dis­ait que le viol est un « coït illicite avec une femme qu’on sait ne point con­sen­tir ».

À l’époque, on se préoc­cu­pait davan­tage de la morale et du risque de grossesse illégitime que de l’atteinte à la vic­time. En 1980, la nou­velle loi va don­ner les con­di­tions de l’absence de con­sen­te­ment : le viol devient un acte de péné­tra­tion sex­uelle sur la per­son­ne d’autrui, com­mis par vio­lence, con­trainte ou sur­prise – plus tard [en 1994] sera ajoutée la men­ace. Cette loi intè­gre aus­si la pos­si­bil­ité que les hommes soient vic­times, et envis­age le viol au sein du cou­ple. En 1992, le Code pénal est remod­elé et les lois sur le viol et les vio­lences sex­uelles sont trans­férées du chapitre des atteintes aux mœurs à celui des atteintes aux per­son­nes : cela per­met la recon­nais­sance des vic­times. Autres mesures phares : en 1989, les délais de pre­scrip­tion sont allongés à dix ans après la majorité quand la vic­time est mineure au moment des faits, notam­ment en rai­son de l’incapacité des enfants à porter plainte. En 2002, le délai de pre­scrip­tion passe à vingt ans après la majorité, et, en 2018, à trente ans. Enfin, la loi de 2021 intro­duit la notion d’âge au con­sen­te­ment et ajoute à la liste des actes con­sid­érés comme un viol l’acte buc­co-géni­tal sur autrui.

 

Pensez-vous que le procès de Mazan soit un tour­nant dans la prise de con­science des vio­lences sex­istes et sex­uelles ?

Cela fait plus de vingt ans que je tra­vaille sur la ques­tion, et, de manière récur­rente, il est ques­tion de « libéra­tion de la parole », de « prise de con­science » ou de « trans­for­ma­tion du regard ». En 2017, aux débuts de #MeToo, dans les nom­breux débats publics et médi­a­tiques, il était dit que rien ne serait plus jamais comme avant. D’un point de vue soci­ologique, on regarde les effets pro­duits sur le long terme : cela fait tou­jours couler énor­mé­ment d’encre, et les choses avan­cent vraisem­blable­ment, mais pas for­cé­ment de manière très sen­si­ble sur la prise en charge par les pou­voirs publics et la lég­is­la­tion.

Cela dit, le procès de Mazan est intéres­sant, car il met la lumière sur ce qui peut se pass­er au sein du cou­ple. Au début des années 2000, la pub­li­ca­tion de l’enquête nationale sur les vio­lences envers les femmes en France (Enveff) a entraîné un début de prise de con­science autour des vio­lences au sein du cou­ple, mais l’accent était davan­tage mis sur les vio­lences psy­chologiques (har­cèle­ment, con­trôle, dén­i­gre­ment) que sur les vio­lences sex­uelles. #MeToo puis #MeTooInces­te, en 2021, ont assez peu par­lé du cou­ple.

 


« L’existence du viol sert à con­trôler ce que peu­vent faire ou non les femmes. »


 

Avec le procès de Mazan, on se rend compte que des époux agressent, et qu’une femme rel­a­tive­ment âgée, mar­iée, qu’on ne se représente pas comme la vic­time type, peut subir des vio­ls. C’était d’ailleurs l’un des élé­ments déjà mis en évi­dence dans l’enquête Virage de 2015 : les vio­lences sex­uelles aux­quelles les femmes de plus de 25 ans sont le plus exposées se déroulent au sein de leur cou­ple.

Quand on analyse les crimes jugés à ce procès, on se rend compte qu’on est face à des actes extra­or­di­naires, sul­fureux, qui sous­traient ces sit­u­a­tions à l’ordinaire de la vie con­ju­gale. Mais cela oblige aus­si à se représen­ter le fait que les vio­leurs ne sont pas néces­saire­ment iden­ti­fi­ables comme tels, qu’ils peu­vent faire par­tie de notre quo­ti­di­en, qu’on peut les con­naître. La diver­sité des âges et des statuts soci­aux per­met de se ren­dre compte que ce sont des per­son­nes par­faite­ment banales par ailleurs.

 

À l’instar du procès d’Aix en 1978, qui aboutit à l’adoption de la loi de 1980, pensez-vous que le procès de Mazan peut faire chang­er la loi ?

De nom­breuses asso­ci­a­tions fémin­istes revendiquent l’inscription de la notion de con­sen­te­ment dans la loi. C’est intéres­sant puisque l’apport de la loi de 1980 était juste­ment de retir­er la notion de con­sen­te­ment du Code pénal en définis­sant plutôt les con­di­tions de l’absence de con­sen­te­ment. Au-delà de la demande de déf­i­ni­tion juridique du viol, inscrire le con­sen­te­ment dans la loi est une manière de sor­tir de cette représen­ta­tion de la sex­u­al­ité où les hommes expri­ment leur désir et où les femmes le subis­sent plus ou moins. Dans les années 1970, un slo­gan dis­ait « Non c’est non ». Ici, on pour­rait refor­muler cette reven­di­ca­tion ain­si : « Nous voulons pou­voir dire oui pour man­i­fester notre désir, sur le moment présent, de nous engager dans une rela­tion sex­uelle. » Selon moi, il s’agit d’une reven­di­ca­tion davan­tage sociale que juridique : ce n’est pas tant un point tech­nique sur lequel les juristes et les lég­is­la­teurs vont réfléchir et tra­vailler qu’une ques­tion de regard sur la société, sur l’état des rap­ports en matière de sex­u­al­ité entre femmes et hommes.

Par Sarah Bou­cault

Jour­nal­iste indépen­dante, elle s’intéresse aux sujets sur la fin de vie et tra­vaille égale­ment sur les vio­lences sex­uelles.
Voir tous ses arti­cles.

Sarah Boucault

Journaliste basée à Lorient, elle s’intéresse aux sujets en lien avec la mort : de la fin de vie au deuil en passant par le domaine funéraire. Titulaire d’un master de Genre, les sujets féministes sont au cœur de ses préoccupations. Voir tous ses articles

S’habiller, en découdre avec les injonctions

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