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Au Maroc, le combat des mères célibataires

À l’automne 2023, les autorités maro­caines annonçaient une réforme du très con­ser­va­teur Code de la famille. Alors que le texte se fait atten­dre, les asso­ci­a­tions fémin­istes ont fait de l’accompagnement des mères céli­bataires un com­bat pri­or­i­taire. Men­acées de peines de prison, des mil­liers de femmes non mar­iées et leurs enfants n’ont d’autre choix que de vivre en marge de la société.
Publié le 21/10/2024

Modifié le 16/01/2025

Milla Morisson / Hans Lucas pour La Déferlante
À l’Institution nationale de sol­i­dar­ité avec les femmes en détresse (Insaf), pen­dant que les mères céli­bataires sont en for­ma­tion, les enfants sont confié·es aux puéricul­tri­ces de la crèche (ici, à Fati­ma), dans le même bâti­ment, ce qui per­met une prox­im­ité mère-enfant. Mil­la Moris­son / Hans Lucas pour La Défer­lante.

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°16 S’ha­biller, parue en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.

« J’ai ren­con­tré un homme et je suis tombée amoureuse. » Le réc­it de Lamia* com­mence comme une banale his­toire d’amour. Assise à une table dans les locaux de 100 % Mamans, une asso­ci­a­tion tangéroise qui assiste les mères céli­bataires, la trente­naire racon­te com­ment son exis­tence a bas­culé.

Elle a posé son sac à main bar­i­olé devant elle et remonte ses larges lunettes de soleil noires sur ses cheveux blonds, qu’elle porte en chignon. « Nous nous sommes fréquen­tés pen­dant plusieurs mois. Nous sor­tions nous balad­er, nous allions au café. Après six mois, nous avons passé la nuit ensem­ble pour la pre­mière fois. »

Au Maroc, la pro­hi­bi­tion des rap­ports sex­uels entre per­son­nes non mar­iées mod­èle le regard de la société sur les cou­ples, et façonne les rela­tions entre les hommes et les femmes. L’article 490 du Code pénal est par­ti­c­ulière­ment répres­sif : il prévoit que soient « punies de l’emprisonnement d’un mois à un an toutes per­son­nes de sexe dif­férent qui, n’étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des rela­tions sex­uelles ». D’après l’ONG Mobil­is­ing for Rights Asso­ciates, les femmes peu­vent être pour­suiv­ies sur dénon­ci­a­tion d’un·e tiers, ou lorsqu’elles accouchent, ou même lorsqu’elles por­tent plainte pour viol sans pou­voir le prou­ver (1).

 

La violence vécue par les mères non mariées

Porté·es par l’insouciante légèreté du sen­ti­ment amoureux, Lamia et son com­pagnon ont à nou­veau des rap­ports sex­uels. Quelque temps plus tard, la jeune femme tombe enceinte. N’utilisant pas de con­tra­cep­tion, elle avait envis­agé cette pos­si­bil­ité, sans vrai­ment y croire. Son com­pagnon lui par­lait de mariage : qu’avait-elle à crain­dre ? Lorsqu’elle lui apprend la nou­velle, elle est immé­di­ate­ment apaisée par sa réac­tion : « Il m’a dit que tout irait bien. J’ai pen­sé qu’il allait me soutenir, j’étais ras­surée, je me suis dit qu’on allait enfin se mari­er, comme il me le promet­tait. » Mais dès le lende­main, il se rétracte, racon­te-t-elle, et lui demande d’avorter. La procé­dure est inter­dite au Maroc, sauf en cas de dan­ger pour la san­té de la mère. Mais dans ce pays comme ailleurs, cela n’empêche pas les femmes de recourir à l’IVG. Bien qu’il n’existe pas de don­nées offi­cielles acces­si­bles dans le roy­aume, les asso­ci­a­tions esti­ment le nom­bre annuel d’avortements à plusieurs cen­taines de mil­liers.

Lamia se pro­cure des pilules abortives, et le suc­cès de l’opération est con­fir­mé par des infir­mières à l’hôpital. Pour­tant, le mois suiv­ant, un test san­guin révèle une grossesse. La jeune femme por­tait des jumeaux, l’un des embryons a survécu. « Je ne voulais pas garder cet enfant. J’avais réus­si à économiser et à deman­der de l’argent autour de moi pour avorter à qua­tre mois », con­fie Lamia, qui sait l’opprobre qui s’abat sur les mères céli­bataires. Sur le con­seil d’une amie, elle appelle finale­ment sa mère, qui la con­va­inc de garder l’enfant. « J’avais peur de sa réac­tion ; elle m’a soutenue psy­chologique­ment, mais elle n’avait pas les moyens de m’aider finan­cière­ment. » Les choix de Lamia sont en con­tra­dic­tion avec les inter­dits de son pays. Le choix d’avorter d’abord, puis celui de pour­suiv­re sa grossesse hors mariage. Ils vont avoir un reten­tisse­ment majeur sur son exis­tence.

À par­tir de là, cha­cun de ses mou­ve­ments est dic­té par le regard puis­sant et moral­isa­teur de la société. Garder son tra­vail est inen­vis­age­able, car « tout le monde allait finir par le savoir » ; sa tante, avec qui elle vit à Kéni­tra, une grande ville à 50 kilo­mètres de Rabat, lui intime de par­tir. Elle démé­nage chez une amie ; la pro­prié­taire apprend qu’elle est enceinte ; pour la deux­ième fois, elle doit faire ses valis­es. Elle se rend alors à Mar­rakech pour trou­ver un nou­v­el emploi, et un nou­veau loge­ment. Mais son employeur a vent de sa sit­u­a­tion et exige son départ. « J’ai sou­vent dû choisir entre manger et acheter des médica­ments », souf­fle Lamia.

Son quo­ti­di­en est car­ac­téris­tique de la vio­lence vécue par les mères non mar­iées au Maroc. Dans une étude-diag­nos­tic menée sur les dis­crim­i­na­tions subies par les mères céli­bataires pour l’association 100 % Mamans (2), le soci­o­logue Khalid Lah­si­ka et la doc­tor­ante Imane Louati l’expliquent par la « sym­bol­ique » de la mater­nité hors mariage, qui remet­trait en cause « le sys­tème de dom­i­na­tion mas­cu­line ». La con­séquence ? « Les mères céli­bataires con­stituent la caté­gorie de femmes […] la plus exposée à la mar­gin­al­i­sa­tion, aux vio­lences per­son­nelles et insti­tu­tion­nelles et aux risques de la mise hors société. La vul­néra­bil­ité de ces jeunes femmes et de leurs enfants est générale­ment totale », con­clu­ent les chercheur·euses.

Cette pres­sion est insup­port­able pour un grand nom­bre de femmes dont cer­taines, si elles n’ont pas pu recourir à l’avortement, finis­sent par aban­don­ner leurs enfants, par­fois dans des con­di­tions cat­a­strophiques. Dans l’étude, Khalid Lah­si­ka souligne le « manque de struc­tures éta­tiques de prise en charge […], ce qui incar­ne une volon­té offi­cielle et sociale de l’invisibilité et de l’exclusion de ces mères sous des pré­textes tan­tôt religieux, tan­tôt moraux ou socié­taux ».

 

Un moment de la formation coiffure. Milla Morisson / HansLucas pour La Déferlante

Un moment de la for­ma­tion coif­fure. Crédit : Mil­la Moris­son / Hans Lucas pour La Défer­lante.

 

500 000 enfants né·es de mères célibataires

Dans sa quête de tra­vail et de survie, Lamia pour­suit son périple à tra­vers le Maroc, en bus et taxis col­lec­tifs. Après 600 kilo­mètres érein­tants, elle se retrou­ve cette fois à Tétouan, où, enceinte de six mois, elle perd tout espoir. « Tout mon argent avait servi à pay­er le loy­er à Mar­rakech et le trans­port jusqu’à Tétouan. » Seule dans la ville blanche de la val­lée du Rif, elle n’a plus d’idées, plus de solu­tions. Mais la chance tourne.

Elle fait la con­nais­sance d’une femme qui l’accueille chez elle, et un con­tact lui envoie le numéro de l’association 100 % Mamans, à Tanger, à une heure de route de là. C’est ain­si qu’enfin, épuisée, elle y trou­ve refuge. Dans les faubourgs de la ville du détroit de Gibral­tar, on accède au bâti­ment de l’association directe­ment depuis la rue. Il sert à l’accueil, à l’hébergement et aux ate­liers d’insertion pro­fes­sion­nelle. Un peu plus loin, dans les étages d’un autre immeu­ble, un apparte­ment amé­nagé regroupe des con­seil­lères juridiques et des assis­tantes sociales, ain­si qu’un petit stu­dio de radio, pour enreg­istr­er les réc­its des par­cours des mères céli­bataires. L’association pro­pose aus­si un accom­pa­g­ne­ment médi­cal et psy­chologique. Elle pro­duit enfin du con­tenu soci­ologique et s’engage dans des activ­ités de plaidoy­er pour faire chang­er les lois et les men­tal­ités du pays.

À 300 kilo­mètres plus au sud, à Casablan­ca, l’Institution nationale de sol­i­dar­ité avec les femmes en détresse (Insaf) pour­suit depuis plus de vingt ans le même objec­tif que 100 % Mamans. L’association a fait grand bruit, en 2010, avec la pub­li­ca­tion d’une étude (3) dans laque­lle elle révélait l’ampleur des grossess­es hors mariage : cette année-là, « 7,19 % des enfants âgés de moins d’un an [étaient] nés de mères céli­bataires ». Entre 2003 et 2009, « sur les 4 605 000 nais­sances, plus de 500 000 [étaient] issues de “mères céli­bataires”, soit près de 11 %. » Dans un quarti­er pop­u­laire de la ville, l’Insaf aus­si accueille et loge les mères ou futures mères.

Dans les étages, des cham­bres (une quin­zaine de lits au total), un espace de garde pour les enfants, un autre pour la restau­ra­tion. Dans une salle du sous-sol, un petit groupe de femmes en blouse bleue s’affairent autour d’une de leurs cama­rades. « Désolée, on n’a pas trop le temps de dis­cuter », lance la for­ma­trice. L’atelier esthé­tique et coif­fure bat son plein. À l’Insaf, la for­ma­tion pro­fes­sion­nelle est jugée indis­pens­able à la future indépen­dance des mères. Des ate­liers de cui­sine ou de cou­ture sont aus­si pro­posés.

C’est ce dernier qu’a choisi Hanane, 40 ans. Un foulard noir très léger encer­cle le vis­age de la Casablan­caise, et laisse entrevoir ses cheveux. Dans un français par­fait, cette mère de trois enfants racon­te son par­cours : « J’avais com­mencé des études de lit­téra­ture française. J’adorais ça. Je me sou­viens de la lec­ture du roman Le Rouge et le Noir. » Elle a gran­di dans un milieu pau­vre, entre un père tan­tôt absent, tan­tôt vio­lent, et une mère femme de ménage – « le méti­er pour toutes les mères qui n’en ont pas », com­mente Hanane, qui elle-même a com­mencé à tra­vailler comme employée de mai­son « surtout pen­dant les vacances sco­laires », dès l’âge de 9 ans, pour aider sa famille.

« Avant d’arriver ici, je voy­ais les choses en noir. J’étais per­due. Tout ce que je savais, c’était que j’avais trois enfants, pas de tra­vail, pas d’argent, rien à manger », se remé­more-t-elle. La quadragé­naire estime, encore aujourd’hui, que tout est sa faute. Elle a trois enfants du même père et dit ne pas com­pren­dre pourquoi elle a fait autant de « mau­vais choix », mais l’accompagnement à l’Insaf lui a redonné con­fi­ance en elle : « Ici, je con­sid­ère toutes les filles comme des sœurs, on a le même prob­lème, la même souf­france. Depuis que je viens ici, ma façon de voir les choses a changé, racon­te-t-elle en souri­ant. J’ai com­mencé à me dire “je peux”. » Fatimzahra*, une jeune femme de 19 ans, hébergée avec sa fille de 7 mois, racon­te le même soulage­ment d’être enfin soutenue : « Cela a ouvert beau­coup de portes pour amélior­er ma vie et celle de ma fille », dit-elle les yeux humides.

 

En formation d’esthéticiennes, des mères célibataires s’entraînent à se masser les mains entre elles. Milla Morisson / HansLucas pour La Déferlante

En for­ma­tion d’esthéticiennes, des mères céli­bataires s’entraînent à se mass­er les mains entre elles. Crédit : Mil­la Moris­son / Hans Lucas pour La Défer­lante.

 

Les pères échappent à la stigmatisation

À Tanger, Lamia a don­né nais­sance au petit Adam en sep­tem­bre 2023. Au moment de notre ren­con­tre, peu après, elle va bien, cherche du tra­vail avec l’aide de 100 % Mamans, et s’occupe de son enfant, « sa pri­or­ité ». Pour lui, elle rêve d’un quo­ti­di­en con­fort­able, « en paix ». Com­bi­en de fois aura-t-elle dû chang­er de vie, trou­ver de quoi sur­vivre, se loger, avec pas ou peu de sou­tien ? Il en va de même pour Hanane, qui, à Casablan­ca, se recon­stru­it et s’autorise à rêver de son pro­pre ate­lier de cou­ture : « Pourquoi pas ? Toutes les grandes choses com­men­cent avec une idée. Main­tenant, j’ai tracé un chemin, j’ai un plan et je suis fière. Quand je vois mes enfants grandir, ça me donne de l’espoir. »

Comme la plu­part des femmes ren­con­trées lors de ce reportage, celles qui don­nent nais­sance à des enfants hors mariage « évolu­ent majori­taire­ment dans des con­textes famil­i­aux mar­qués par une grande vul­néra­bil­ité socio-économique », pré­cise l’étude de Khalid Lah­si­ka et Imane Laouti. Elles sont générale­ment dés­co­lar­isées avant la fin du col­lège. Le soci­o­logue note toute­fois « l’émergence d’une nou­velle caté­gorie [de femmes], celle des mères céli­bataires avec un niveau uni­ver­si­taire ». C’est le cas de Hanane, pour qui le prin­ci­pal prob­lème reste l’argent. « Si tu as les moyens, tu peux tout résoudre. Moi, quand mon fils fait une crise d’asthme, je n’ai même pas les moyens de l’amener à l’hôpital, je dois faire du stop pour y aller à 3 heures du matin. »

À la pré­car­ité économique s’ajoute pour ces femmes un juge­ment « sans appel » de la société, et leur exclu­sion « sans pos­si­bil­ité de révi­sion », pointe l’étude Lah­si­ka-Laouti, qui relève que cette stig­ma­ti­sa­tion « épargne totale­ment les hommes et con­cen­tre sa cul­pa­bil­i­sa­tion sur les femmes ».

 


« Aujourd’hui, on par­le des mères céli­bataires, on leur donne la parole. Il y a beau­coup à faire, mais c’est une société con­ser­va­trice en méta­mor­phose. »

Ami­na Khalid, secré­taire générale de l’Insaf


 

Mal­gré la per­sis­tance de ces obsta­cles, Ami­na Khalid, secré­taire générale de l’Insaf et mil­i­tante pour les droits des femmes depuis quar­ante ans, tient à soulign­er l’évolution pos­i­tive des men­tal­ités et, avec elle, l’application de la loi. « Avant, les femmes étaient empris­on­nées six mois, par­fois un an. Aujourd’hui, cela n’arrive presque plus. Avant, on niait leur exis­tence. Aujourd’hui, on par­le d’elles, on leur donne la parole. Il y a beau­coup à faire, mais c’est une société con­ser­va­trice en méta­mor­phose. Les jeunes ne vivent plus de la même façon. Sim­ple­ment, ils vivent cachés parce qu’ils ont peur du regard des autres. »
D’après Ghi­zlane Mamouni, avo­cate et prési­dente de l’association fémin­iste Kif Mama Kif Baba, les mou­ve­ments de la société civile, en par­ti­c­uli­er le tra­vail des militant·es et des asso­ci­a­tions, ont en effet per­mis un « tra­vail de décon­struc­tion béné­fique » des stéréo­types. Elle insiste de son côté sur les « résis­tances juridiques » : « Ces femmes et ces enfants-là sont déjà exposé·es à beau­coup de dis­crim­i­na­tions et de vio­lence sociale. Elles et eux subis­sent insultes, humil­i­a­tions et à cela on ajoute une vio­lence suprême, celle de la loi. »

 

Faire avec l’ensemble des Marocain·es

À l’automne 2023, les autorités maro­caines ont annon­cé une réforme de la Moudawana, le droit de la famille. Ren­dra-t-elle la vie plus facile à ces mil­liers de femmes et d’enfants ? « Quand on milite, on a tou­jours de l’espoir. Il faut être bat­tante pour que ce pays évolue », répond Ami­na Khalid.

Pour l’heure, le gou­verne­ment ne donne aucune indi­ca­tion sur la nature de la réforme à venir. L’Insaf, comme 100 % Mamans, Kif Mama Kif Baba, et des dizaines d’autres organ­i­sa­tions ont été audi­tion­nées.
La reven­di­ca­tion d’un statut pour les enfants nés hors mariage fait l’unanimité du côté des asso­ci­a­tions. Car le droit fait aujourd’hui une dis­tinc­tion entre fil­i­a­tions légitime et illégitime : les enfants né·es hors mariage n’ont aucun droit vis-à-vis de leur père, puisqu’on les con­sid­ère comme n’ayant aucun lien légal. « Même si une mère arrive à établir qui est le père, cette per­son­ne n’a aucune oblig­a­tion à l’égard de l’enfant, pas même de vers­er une pen­sion », pré­cise Ghi­zlane Mamouni. C’est pour cette rai­son qu’elle réclame, avec d’autres, la pos­si­bil­ité d’imposer l’expertise ADN comme out­il d’établissement de la fil­i­a­tion, et la sup­pres­sion de la dis­tinc­tion entre les enfants issu·es d’un cou­ple mar­ié et les autres.

La sup­pres­sion de l’article 490 du Code pénal, qui inter­dit les rela­tions sex­uelles hors mariage, est égale­ment demandée, ain­si que l’assouplissement des con­di­tions de recours à l’avortement, bien que ces dis­po­si­tions relèvent du Code pénal et ne sont pas directe­ment con­cernées par la réforme du Code de la famille.  

Sur toutes ces mesures, la diver­sité des courants fémin­istes du pays con­tin­ue de s’exprimer, et les sen­si­bil­ités diver­gent sur un point cru­cial : faut-il dis­cuter avec les islamistes, pour qui les textes religieux sont au-dessus de tout ? Ghi­zlane Mamouni estime qu’« il est impos­si­ble de faire sans une par­tie des Maro­cains. […] La plu­part des argu­ments qui s’opposent aux idées fémin­istes ou de défense des droits humains vien­nent de gens qui inter­prè­tent la reli­gion à leur façon. Pour eux, l’islam est au-dessus de la Con­sti­tu­tion. Donc il faut leur répon­dre point par point là-dessus. » En se plaçant sur leur ter­rain, la juriste souhaite démon­tr­er que la reli­gion n’est pas en oppo­si­tion avec les droits des femmes. « On ne va pas con­va­in­cre les extrémistes : ceux qui m’intéressent, c’est ceux qui sont per­suadés que telle ou telle chose est péché, mais qui veu­lent chang­er. » Pour la prési­dente de Kif Mama Kif Baba, la société maro­caine est prête, et tant pis pour celles et ceux qui ne le sont pas. « Le droit doit par­fois précéder l’avancée des men­tal­ités. Je ne veux pas atten­dre que le dernier des plus obscu­ran­tistes des citoyens maro­cains soit con­va­in­cu. » •

 

Milla Morisson / Hans Lucas

Ghi­zlane Mamouni, avo­cate et mil­i­tante fémin­iste maro­caine. Crédit : Mil­la Moris­son / Hans Lucas pour La Défer­lante.

Ghi­zlane Mamouni est une avo­cate mil­i­tante fémin­iste maro­caine. Mère de deux enfants, la quadragé­naire fut intime­ment touchée lors de son divorce par les injus­tices qui s’abattent sur les mères seules. Ce moment charnière la pousse à fonder, en 2021, Kif Mama Kif Baba, une asso­ci­a­tion lut­tant pour les droits des femmes et des enfants. Bien con­nue au roy­aume chéri­fien, l’association a la par­tic­u­lar­ité de faire le lien entre les généra­tions avec d’un côté les mou­ve­ments fémin­istes con­tem­po­rains, cen­trés sur l’intersectionnalité, et de l’autre les his­toriques du pays, générale­ment plus proches des courants dits uni­ver­sal­istes.

Cet arti­cle a été édité par Diane Milel­li.

 


* À la demande des intéressées, cer­tains prénoms ont été mod­i­fiés.

(1) « Pro­tec­tion pas prison : com­ment la crim­i­nal­i­sa­tion des rela­tions sex­uelles en dehors du mariage promeut les vio­lences faites aux femmes », rap­port de recherche-action pub­lié par l’association Mobil­is­ing for Rights Asso­ciate (MRA), Rabat, 2022.

(2) Khalid Lah­si­ka et Imane Louati, « Étude-diag­nos­tic sur les dis­crim­i­na­tions subies par les mères céli­bataires dans leurs itinéraires de vie au Maroc » pour l’association 100 % Mamans,
Tanger, 2021.

(3) « Le Maroc des mères céli­bataires. Ampleur et réal­ité, actions, représen­ta­tions, itinéraires et vécus », Insaf, 2010.

Eva Tapiero

Journaliste indépendante et membre des collectifs La Friche et Les Journalopes, son travail se concentre sur l’identité, la mémoire, les droits des femmes et des enfants. Elle est coautrice du livre Les Patientes d’Hippocrate. Dans ce numéro, elle signe le reportage sur les mères célibataires au Maroc. Voir tous ses articles

S’habiller, en découdre avec les injonctions

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