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Après Mazan : « Il faut mettre le paquet sur l’éducation affective et sexuelle des enfants »

Le ver­dict est tombé hier au procès des vio­leurs de Mazan. Dominique Peli­cot a été con­damné à la peine max­i­male, soit vingt ans de réclu­sion crim­inelle. Les 50 autres accusés ont écopé de peines inférieures aux réqui­si­tions du par­quet, allant de trois (dont deux avec sur­sis) à quinze ans de prison. Tout au long des audi­ences qui auront duré plus de trois mois, de nom­breux accusés ont affir­mé qu’ils n’avaient pas con­science de com­met­tre un viol. Dans cette dernière newslet­ter de notre série con­sacrée à ce procès his­torique, nous nous intéres­sons au pro­fil des auteurs de vio­lences sex­uelles, avec la psy­chi­a­tre Anne-Hélène Mon­cany. Et à ce que les pou­voirs publics met­tent – ou pas – en place pour prévenir ces vio­lences, les punir et éviter la récidive.
Publié le 19/12/2024

Modifié le 16/01/2025

Dans le XIIe arrondisse­ment de Paris, des fémin­istes col­lent des slo­gan en sou­tien à Gisèle Peli­cot. Crédit pho­to : San­drine Lau­re Dip­pa / Hans Lukas.

Retrou­vez le numéro 16 de la revue sur le thème « S’habiller », paru en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.

Ils ont entre 26 et 73 ans. Ils sont pom­pi­er, infir­mi­er, jour­nal­iste, arti­san, chauf­feur-routi­er ou encore ex-polici­er. Beau­coup ont des enfants. Les 51 hommes accusés de vio­ls aggravés sur Gisèle Peli­cot devant la cour crim­inelle du Vau­cluse ont tous été con­damnés à des peines de prison ferme.

Psy­chi­a­tre, Anne-Hélène Mon­cany accom­pa­gne quo­ti­di­en­nement des auteurs de vio­lences sex­uelles. Elle est respon­s­able d’un pôle de psy­chi­a­trie légale à Toulouse, pré­side la Fédéra­tion française des Cen­tres ressources pour les inter­venants auprès d’auteurs de vio­lences sex­uelles (Cri­avs) depuis 2019, et dirige l’antenne de Midi-Pyrénées. Ces cen­tres, qui sont au nom­bre de 27 en France, pro­posent aux professionnel·les qui inter­vi­en­nent auprès d’auteurs de vio­lences sex­uelles, des ressources et un accom­pa­g­ne­ment. Ils sont financés par le min­istère de la San­té, et sou­vent rat­tachés à des hôpi­taux.

Pen­dant le procès des vio­leurs de Mazan, on a enten­du les accusés dire : « J’ai pénétré Gisèle Peli­cot mais je ne suis pas un vio­leur » ou encore « C’est bien mon corps, mais ce n’est pas mon cerveau. » Com­ment analy­sez-vous ces pro­pos ?

On s’en doutait grâce aux enquêtes de vic­ti­ma­tion, mais avec ce procès, on s’est ren­du compte qu’il existe un hia­tus impor­tant entre ce que les gens pensent être un viol et ce que ce crime est réelle­ment. Pour une par­tie des accusés, le fait d’avoir un rap­port sex­uel avec une femme incon­sciente n’est pas un viol. Si eux pensent cela, une par­tie non nég­lige­able de la pop­u­la­tion générale le pense aus­si. Ce qui est inquié­tant égale­ment, c’est [qu’aucun d’eux] ne se soit dit : « Quelque chose ne va pas, une per­son­ne est en dan­ger et il faut le sig­naler. »

 

Les experts psy­cho­logues et les psy­chi­a­tres qui ont exam­iné ces hommes ont affir­mé qu’ils ne présen­taient pas de trou­bles psy­chi­a­triques. Qu’est-ce que cela sig­ni­fie ?

Tout dépend de ce qu’on entend par l’expression « trou­bles psy­chi­a­triques », et les psy­chi­a­tres ne sont pas toutes et tous d’accord sur ce que ce terme recou­vre. Pour certain·es, ce sont la schiz­o­phrénie, le trou­ble bipo­laire, etc. Les vio­leurs de Mazan ne sont vis­i­ble­ment pas des hommes qui per­dent le con­tact avec la réal­ité, ils sont respon­s­ables de leurs actes. En revanche, si on intè­gre dans les trou­bles psy­chi­a­triques ce que l’on appelle les trou­bles de la per­son­nal­ité (impul­siv­ité, dif­fi­cultés à gér­er les rela­tions inter­per­son­nelles, à respecter la loi, etc.), on va peut-être en retrou­ver par­mi ces accusés.

Pareille­ment, si on con­sid­ère que les trou­bles para­philiques [trou­bles de l’attirance sex­uelle] en font par­tie [c’est ce qu’affirme le DSM‑5, manuel psy­chi­a­trique de référence aux États-Unis], on va sans doute en retrou­ver aus­si. Les vio­leurs de Mazan appar­ti­en­nent à une pop­u­la­tion qu’on n’a pas for­cé­ment l’habitude de voir et de pren­dre en charge, et en ce sens, c’est un peu un tsuna­mi. Je ne les ai pas exam­inés, mais pour moi il y a un intérêt à ce qu’ils puis­sent béné­fici­er d’un accom­pa­g­ne­ment psy­chothérapeu­tique, mais aus­si d’un rap­pel de ce qu’est la loi.

 

Les vio­leurs de Gisèle Peli­cot sont-ils, comme on l’a beau­coup enten­du durant ce procès, des hommes ordi­naires ?

Le viol n’est pas la norme, mais on ne peut pas dire que ce soit un acte isolé ou sin­guli­er. L’enquête Virage de 2015 mon­trait que 14,7 % des femmes avaient été vic­times de vio­lences sex­uelles au cours de leur vie ; cela sig­ni­fie qu’une part non nég­lige­able d’hommes a com­mis des vio­lences sex­uelles.

On n’a pas atten­du ce procès pour le savoir, l’auteur de vio­lences sex­uelles, c’est d’abord le père, l’oncle, le frère, ou celui qui exerce une dom­i­na­tion : le prof, l’entraîneur, le prêtre. C’est une per­son­ne insérée, qui a un job, une famille, un entourage, des amis. Ce n’est ni le « méchant mon­stre hor­ri­ble » ni le « malade men­tal per­vers ».

 

Plus d’un quart des accusés affirme avoir été vic­time de vio­lences sex­uelles dans l’enfance. Ce procès est-il aus­si celui de la cul­ture de l’inceste ?

Oui, j’en suis con­va­in­cue. Les enquêtes mon­trent que la pré­va­lence de l’inceste est énorme, en France une per­son­ne sur dix en est vic­time. Cela a des con­séquences dra­ma­tiques en ter­mes de san­té, puisqu’on sait que les vic­times de vio­lences sex­uelles dans l’enfance dévelop­pent des trou­bles de la per­son­nal­ité, des addic­tions, des dépres­sions, des com­porte­ments sui­cidaires, etc. On sait aus­si que le fait d’avoir été vic­time aug­mente le risque de com­met­tre soi-même des vio­lences sex­uelles, surtout si se développe un stress post-trau­ma­tique qui n’est pas traité par la suite.

 


« 14,7 % des femmes ont été vic­times de vio­lences sex­uelles au cours de leur vie, donc une part impor­tante d’hommes a com­mis des vio­lences sex­uelles. »


 

Com­ment les auteurs de vio­lences sex­uelles sont-ils pris en charge aujourd’hui en France ?

Depuis 2009, 22 cen­tres de déten­tion sont spé­ci­fique­ment fléchés pour la prise en charge des auteurs d’infractions à car­ac­tère sex­uel, avec des équipes soignantes spé­ci­fiques, qui tra­vail­lent étroite­ment avec les Cri­avs. Il n’est pas con­sti­tu­tion­nel d’imposer des soins en prison, mais il existe un dis­posi­tif d’incitation : pour béné­fici­er d’une remise de peine, il faut prou­ver qu’on reçoit des soins en lien avec l’infraction com­mise. À l’issue de l’incarcération, il existe deux types de dis­posi­tifs : l’obligation de soins pour les faits les moins graves, et l’injonction de soins pour les plus graves [con­traire­ment à l’obligation de soins, l’injonction de soins est ordon­née dans le cadre du suivi socio-judi­ci­aire, après la déci­sion de jus­tice, et fait tou­jours suite à une exper­tise psy­chi­a­trique].

Les juges pré­conisent beau­coup d’obligations de soins, ce qui vient sat­ur­er les dis­posi­tifs. D’autant que les moyens humains man­quent à la fois chez les psy­chi­a­tres – dans le pub­lic, un quart des postes sont vacants, et cer­taines régions n’en ont pas – et chez les conseiller·es d’insertion et de pro­ba­tion, qui doivent assur­er le con­trôle de ces mesures-là. Il existe égale­ment un numéro de télé­phone à des­ti­na­tion des per­son­nes attirées sex­uelle­ment par les enfants.

 

Sur le volet de la préven­tion des vio­lences sex­uelles, qu’est-ce qui existe et qu’est-ce qu’il reste à faire ?

C’est la grande leçon de ce procès : il n’est pas accept­able qu’une par­tie impor­tante de la pop­u­la­tion con­sid­ère encore qu’on peut avoir un rap­port sex­uel avec une per­son­ne inan­imée. Tant qu’on ne sera pas plus à l’offensive sur la préven­tion dès le plus jeune âge, on s’expose à ce que ça con­tin­ue.

Il faut donc met­tre le paquet auprès des enfants sur l’éducation à la vie affec­tive et sex­uelle [lire notre encadré], et sur les com­pé­tences psy­choso­ciales. Il faudrait une matière à part entière à l’école pour abor­der le respect de l’autre, l’altérité, les déf­i­ni­tions de l’agression, du viol, du respect. La plu­part des intervenant·es axent encore la préven­tion sur la pro­tec­tion de la vic­time poten­tielle : « Faites atten­tion, il faut appren­dre à dire non. »

C’est néces­saire, mais quand on s’adresse à une classe d’enfants, on a aus­si affaire [sta­tis­tique­ment] à des auteurs poten­tiels donc il faut abor­der la ques­tion du respect et de l’acceptation du non. Il faut le dire et le répéter à tout le monde dès le plus jeune âge : « Non, on ne couche pas avec une per­son­ne incon­sciente. » Ces pro­grammes sont oblig­a­toires mais très peu appliqués. Il faut des moyens et des for­ma­tions. La volon­té poli­tique n’est pas encore assez forte.

 

L’éducation affective et sexuelle à l’école en suspens

Oblig­a­toire dans les écoles, col­lèges et lycées depuis 2001, l’éducation affec­tive et sex­uelle est, en réal­ité, peu ou pas appliqué dans les étab­lisse­ments sco­laires. Sous l’impulsion de Pap Ndi­aye, min­istre de l’Éducation de mai 2022 à juil­let 2023, le pro­gramme a été réécrit puis soumis à un con­sen­sus large allant de la droite fil­loniste aux syn­di­cats tels que le SNES-FSU. Mais fin novem­bre 2024, Alexan­dre Porti­er, alors min­istre délégué à la réus­site sco­laire, en rup­ture avec la posi­tion de sa min­istre de tutelle, Anne Genetet, affir­mait que la nou­velle ver­sion de ce pro­gramme n’était « pas accept­able » car mar­quant le retour d’une sup­posée « théorie du genre » au sein des étab­lisse­ments. En rai­son de la cen­sure du gou­verne­ment Barnier, la présen­ta­tion offi­cielle du texte, prévue mi-décem­bre 2024 devant le Con­seil supérieur de l’éducation n’est, pour l’instant, plus d’actualité.

 

Par Sarah Bou­cault

Jour­nal­iste indépen­dante, elle s’intéresse aux sujets sur la fin de vie et tra­vaille égale­ment sur les vio­lences sex­uelles.
Voir tous ses arti­cles.

Sarah Boucault

Journaliste basée à Lorient, elle s’intéresse aux sujets en lien avec la mort : de la fin de vie au deuil en passant par le domaine funéraire. Titulaire d’un master de Genre, les sujets féministes sont au cœur de ses préoccupations. Voir tous ses articles

S’habiller, en découdre avec les injonctions

Retrou­vez le numéro 16 de la revue sur le thème « S’habiller », paru en novem­bre 2024. Con­sul­tez le som­maire.


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