Warning: Undefined variable $article in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/divi-child/functions.php on line 400

Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

Warning: Attempt to read property "ID" on int in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/themes/Divi/includes/builder/post/PostStack.php on line 62

Angela Davis : « Contre le fascisme, l’espoir est une exigence absolue »

Anci­enne mem­bre des Black Pan­thers et du Par­ti com­mu­niste états-unien, icône fémin­iste, la philosophe Angela Davis est une fig­ure de la lutte antiraciste. Alors que Don­ald Trump a de nou­veau été élu prési­dent des États-Unis, nous avons pro­posé à la jour­nal­iste, réal­isatrice, autrice fémin­iste antiraciste Rokhaya Dial­lo de recueil­lir son analyse. Dans cet entre­tien, Angela Davis déploie son regard acéré sur un monde en pleine bas­cule.
Publié le 27/01/2025

Modifié le 11/03/2025

Angela Davis, le 14 sep­tem­bre 2024, à Plessis-Pâté (Essonne), à l’occasion de son pas­sage à la Fête de L’Humanité. Crédit pho­to : Mag­a­li Bra­gard

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°17 Tra­vailler, parue en févri­er 2025. Con­sul­tez le som­maire.

L’élection de Don­ald Trump en novem­bre 2024 a été un choc pour de nom­breuses per­son­nes, aux États-Unis et dans le monde, alors que la can­di­da­ture de la démoc­rate Kamala Har­ris avait sus­cité un fort ent­hou­si­asme. Com­ment analy­sez-vous ce résul­tat ?


On n’aurait pas dû sup­pos­er que le Par­ti démoc­rate gag­n­erait ces élec­tions. On pour­rait pass­er des heures à par­ler de son inca­pac­ité à répon­dre aux besoins des tra­vailleurs et des tra­vailleuses à une époque où les richess­es sont de plus en plus con­cen­trées entre les mains des class­es supérieures. Le Par­ti démoc­rate est dirigé essen­tielle­ment par une élite, c’est-à-dire par des gens qui n’ont pas con­science que le cap­i­tal­isme mon­di­al a détru­it la pos­si­bil­ité pour un grand nom­bre de per­son­nes de vivre une vie décente.

Cette élec­tion a été per­due parce qu’on n’a pas réfléchi aux liens entre le cap­i­tal­isme mon­di­al – qui est aus­si un cap­i­tal­isme racial – et l’hétéropatriarcat. En tant que mem­bre hon­ori­fique du syn­di­cat inter­na­tion­al des dock­ers 1 L’International Long­shore and Ware­house Union, qui défend les intérêts des ouvri­ers por­tu­aires aux États-Unis, est en pre­mière ligne dans les luttes antiracistes et décolo­niales, en refu­sant par exem­ple de décharg­er des bateaux venant d’Israël., je suis pro­fondé­ment déçue de voir le Par­ti démoc­rate se détourn­er des ouvri­ers et des ouvrières. Je n’ai jamais pré­sumé que l’élection de Kamala Har­ris serait à elle seule une vic­toire. Ma posi­tion était de vot­er pour elle pour, une fois qu’elle serait élue, faire pres­sion sur elle pour infléchir sa poli­tique.

Pensez-vous qu’il faille analyser l’élection de Don­ald Trump comme une vic­toire de l’homme blanc et de la supré­matie blanche ? La cam­pagne de Kamala Har­ris était axée sur les droits repro­duc­tifs, mais cela n’a pas été suff­isant pour l’électorat des femmes blanch­es. Com­ment pensez-vous que le genre a joué un rôle dans cette élec­tion ?)

À bien des égards, c’est une vic­toire tac­tique de la supré­matie blanche. Mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’une vic­toire défini­tive. Le virage à droite et la répres­sion accrue des minorités que nous avons vécue ces dernières années est une réac­tion de l’ultradroite face à une prise de con­science mon­di­ale de ce racisme et de cette supré­matie blanche comme phénomènes struc­turels ain­si que de la néces­sité de les remet­tre en ques­tion.

Le patri­ar­cat a par ailleurs été une force dévas­ta­trice dans cette élec­tion. Mais faire entr­er les femmes dans l’arène élec­torale n’est pas le seul moyen de ren­vers­er la sit­u­a­tion. J’ai tou­jours regardé avec méfi­ance l’idée selon laque­lle des per­son­nes, du sim­ple fait de leur iden­tité raciale ou de genre, seraient sus­cep­ti­bles de provo­quer des change­ments mas­sifs. Ces pré­dic­tions ne tien­nent pas compte du pou­voir de l’orga­niz­ing 2 Aux États-Unis, l’organizing est une méth­ode de mobil­i­sa­tion com­mu­nau­taire visant à rassem­bler des indi­vidus autour d’intérêts com­muns pour exercer un pou­voir col­lec­tif et obtenir des change­ments soci­aux, économiques ou poli­tiques.. C’est grâce à ces mobil­i­sa­tions struc­turées au fil des décen­nies, de cen­taines d’années même, que les femmes noires sont à même d’occuper une place cen­trale.


« La répres­sion accrue des minorités est une réac­tion de l’ultradroite face à une prise de con­science mon­di­ale du racisme et de la supré­matie blanche comme phénomènes struc­turels. »


Pensez-vous que l’élection de Don­ald Trump fasse courir un risque sérieux à la démoc­ra­tie états-uni­enne ?

Cela fait longtemps que les États-Unis pren­nent une direc­tion qui va à l’encontre d’un développe­ment de la démoc­ra­tie. Les débats sur l’utilisation du mot « fas­ciste »3 Lancé dès le pre­mier man­dat de Don­ald Trump, en 2017, le débat a resur­gi lors de la dernière cam­pagne prési­den­tielle après que plusieurs anciens col­lab­o­ra­teurs du prési­dent élu ont estimé qu’il cor­re­spondait à la déf­i­ni­tion de « fas­ciste ». Une accu­sa­tion reprise par la can­di­date démoc­rate, Kamala Har­ris. nous amè­nent à nous inter­roger sur la nature de notre sys­tème. Les États-Unis pré­ten­dent répan­dre la démoc­ra­tie à tra­vers le monde, mais cet impéri­al­isme sert d’abord une volon­té d’expansion du cap­i­tal­isme. Nous devons pren­dre au sérieux la men­ace du fas­cisme et la mon­tée des lead­ers d’extrême droite, non seule­ment aux États-Unis, mais aus­si au Brésil, aux Philip­pines, en Ital­ie, et en France, bien sûr. Nous devons aus­si repenser ce que l’on entend par « démoc­ra­tie » puisque ce mot est util­isé de façon si dés­in­volte.

Conférence de presse d’Angela Davis le 7 janvier
1971 à San Rafael (Californie, États-Unis). Deux jours auparavant, la militante était officiellement inculpée de « meurtre, kidnapping et conspiration ». Risquant la peine capitale, elle a fait l’objet d’une campagne de soutien internationale et a finalement été acquittée.
Con­férence de presse d’Angela Davis le 7 jan­vi­er 1971 à San Rafael (Cal­i­fornie, États-Unis). Deux jours aupar­a­vant, la mil­i­tante était offi­cielle­ment inculpée de « meurtre, kid­nap­ping et con­spir­a­tion ». Risquant la peine cap­i­tale, elle a fait l’objet d’une cam­pagne de sou­tien inter­na­tionale et a finale­ment été acquit­tée. Crédit : UPI / AFP

Face à la mon­tée des extrêmes droites dans le monde, quels sont les out­ils pour résis­ter ? Y a‑t-il encore une place pour l’espoir ?

Oui, sans espoir, cela n’a aucun sens de con­tin­uer à lut­ter. Mari­ame Kaba 4 Mari­ame Kaba est une autrice et activiste états-uni­enne engagée dans les mou­ve­ments pour l’abolition des pris­ons, la jus­tice raciale et la jus­tice de genre.l’a par­faite­ment for­mulé en dis­ant que « l’espoir est une dis­ci­pline ». C’est une exi­gence absolue de la lutte et un élé­ment essen­tiel de la mobil­i­sa­tion con­tre la men­ace immi­nente du fas­cisme. Trou­ver des moyens de génér­er de l’espoir relève de notre respon­s­abil­ité d’activistes.

La prise de con­science du racisme struc­turel s’est inten­si­fiée en 2020 5Après le meurtre raciste de George Floyd par un offici­er de police aux États-Unis, le mou­ve­ment Black Lives Mat­ter a pris une ampleur inédite à tra­vers le monde.en pleine pandémie. Ce qui est remar­quable dans cette péri­ode, c’est qu’un grand nom­bre de per­son­nes qui n’avaient prob­a­ble­ment pas réfléchi sérieuse­ment aux luttes antiracistes ont com­mencé à dévelop­per une con­science col­lec­tive de cette oppres­sion. Nous devons être con­scientes et con­scients de la manière dont de tels événe­ments nous font avancer et être prêt·es à tir­er par­ti des événe­ments imprévus.

Aujourd’hui, un mou­ve­ment réac­tion­naire tente de con­tr­er cette évo­lu­tion. Des livres sont cen­surés ou men­acés d’être brûlés sur la place publique, et certain·es exer­cent des pres­sions pour chang­er les pro­grammes dans les écoles pri­maires, les lycées, les col­lèges et les uni­ver­sités [lire l’encadré ci-dessous].

Les plus diplômé·es étant les plus sus­cep­ti­bles de com­pren­dre les racines his­toriques esclavagistes et colo­niales du racisme struc­turel et de vot­er con­tre Trump, elles et ils représen­tent une men­ace pour les pro­mo­teurs du fas­cisme. L’éducation est donc un espace de lutte très impor­tant. C’est pourquoi j’entrevois des pos­si­bil­ités de vic­toires à l’avenir.

Les livres LGBT+, nouveau front des guerres culturelles aux États-Unis

En sep­tem­bre 2023, une vidéo pré­tend mon­tr­er deux séna­teurs répub­li­cains de l’État du Mis­souri, Bill Eigel et Nick Shroer, se livrant à un autodafé au lance-flammes. Elle a été vue des mil­lions de fois aux États-Unis en quelques jours. L’information a été démen­tie – il s’agissait de car­tons et non de livres – mais cela ne l’a pas empêchée de devenir virale. Bill Eigel a par la suite déclaré sur X : « Si vous apportez des livres wokes et pornographiques dans les écoles du Mis­souri pour essay­er de laver le cerveau de nos enfants, je les brûlerai. » En 2022, dans cet État, une loi a été adop­tée qui ban­nit des bib­lio­thèques sco­laires des livres con­sid­érés comme « sex­uelle­ment explicites » et qui cible en réal­ité les ouvrages trai­tant des vio­lences sex­uelles, de l’avortement, de la cul­ture LGBT+.

Cet épisode est symp­to­ma­tique de la guerre cul­turelle qui fait rage aux États-Unis. Depuis plusieurs années, des élu·es conservateur·ices et des par­ents d’élèves deman­dent ou orchestrent l’interdiction d’ouvrages dans les écoles sous pré­texte qu’ils seraient « choquants » pour les élèves. Sont prin­ci­pale­ment visés les ouvrages por­tant sur la sex­u­al­ité, le genre, les tran­si­d­en­tités et la ques­tion raciale. Selon l’association Pen Amer­i­ca, plus de 10 000 livres auraient été inter­dits – au moins tem­po­raire­ment – dans les écoles publiques au cours de l’année sco­laire 2023–2024. Par­mi les titres les plus fréquem­ment ciblés, on trou­ve Dix-neuf min­utes, de Jodi Picoult, L’Œil le plus bleu, de Toni Mor­ri­son, La Ser­vante écar­late, de Mar­garet Atwood, ou encore Gen­der Queer, de Maia Kob­abe.

Les inter­dic­tions de livres sont des élé­ments de la guerre cul­turelle, par­ti­c­ulière­ment bru­tale à l’égard des per­son­nes trans, con­tre ce que les réac­tion­naires appel­lent « le wok­isme ». D’après vous, qu’est-ce qui explique cette panique morale ? Com­ment devri­ons-nous y répon­dre ?

Jamais les Répub­li­cains n’auraient pu anticiper la pop­u­lar­ité des mou­ve­ments trans de ces dernières années. Ces mou­ve­ments sont non seule­ment une men­ace pour leur pou­voir, mais aus­si le sym­bole de tout ce qui les effraie. La bina­rité de genre est tenue pour évi­dente depuis si longtemps. Sa remise en ques­tion représente la pos­si­bil­ité de ques­tion­ner de nom­breux fac­teurs qui ont établi la supré­matie blanche, le patri­ar­cat hétéro­sex­uel et tant d’autres phénomènes oppres­sifs.

Le mou­ve­ment trans est une révo­lu­tion poli­tique, économique et idéologique qui va bien au-delà de la ques­tion du genre. Il est aus­si impor­tant de recon­naître que la com­préhen­sion de la notion de genre par tant de gens dans un laps de temps rel­a­tive­ment court est un phénomène révo­lu­tion­naire. Si nous devons nous oppos­er au mou­ve­ment fas­ciste, c’est aus­si parce qu’il con­sid­ère comme des ennemi·es celles et ceux qui ne se con­for­ment pas aux normes de genre.

Marche pour les droits des personnes trans
à Atlanta (Géorgie, États-Unis), le 12 octobre 2024.
Les manifestant·es ont notamment protesté contre les lois récemment adoptées par l’État, sous gouvernance républicaine, qui rendent illégaux les soins médicaux pour les trans de moins de 18 ans. « Le mouvement trans est une révolution qui va bien au-delà de la question du genre », estime Angela Davis.
ROBIN RAYNE / ZUMA PRESS WIRE / SHUT / SIPA
Marche pour les droits des per­son­nes trans à Atlanta (Géorgie, États-Unis), le 12 octo­bre 2024. « Le mou­ve­ment trans est une révo­lu­tion qui va bien au-delà de la ques­tion du genre », estime Angela Davis. Crédit : Robin Rayne / Zuma Press Wire / Shut / Sipa


Votre mil­i­tan­tisme a‑t-il évolué sur les ques­tions LGBT+ ? Le fait d’être les­bi­enne 6 Angela Davis a fait son com­ing out en tant que les­bi­enne dans le mag­a­zine Out en 1997. joue-t-il un rôle dans votre façon de penser, dans votre façon de militer aujourd’hui ?

Je m’efforce de me tenir à dis­tance des pré­sup­posés iden­ti­taires selon lesquels on serait davan­tage sus­cep­ti­ble de s’engager dans la lutte si l’on est mem­bre d’un groupe dont la lib­erté est remise en ques­tion. Je soute­nais la cause LGBT+ bien avant que les trans­for­ma­tions de ma vie per­son­nelle ne m’amènent à m’identifier comme mem­bre de la com­mu­nauté queer.

Il faut savoir que l’une des car­ac­téris­tiques du Black Pan­ther Par­ty était non seule­ment son sou­tien aux luttes de libéra­tion dans le monde entier, en tant que par­ti inter­na­tion­al­iste, mais aus­si à ce que l’on appelait alors le mou­ve­ment de libéra­tion gay (7). Et c’était à la fin des années 1960 !

En tant que mil­i­tante révo­lu­tion­naire et rad­i­cale, j’étais très opposée au fait de se focalis­er sur le mariage pour les per­son­nes de même sexe : la com­mu­nauté queer a été une force de con­tes­ta­tion du mariage comme insti­tu­tion cap­i­tal­iste. J’étais aus­si opposée à l’inclusion des per­son­nes LGBT+ dans l’armée.

Pour moi, la ques­tion n’est pas de réclamer l’inclusion, mais de se mobilis­er col­lec­tive­ment pour faire tomber l’armée. Dans le mou­ve­ment noir égale­ment, il faut faire atten­tion aux logiques assim­i­la­tion­nistes. Elles sem­blent par­fois pren­dre le dessus et empêch­er les élé­ments les plus rad­i­caux, révo­lu­tion­naires et libéra­teurs de cette lutte de par­venir à une place cen­trale.

Angela Davis, du communisme au féminisme des marges

Née en 1944, au temps de la ségré­ga­tion raciale dans le sud des États-Unis, Angela Davis dit avoir gran­di dans un con­texte qui ne lui « a pas lais­sé d’autre choix que d’être une activiste ». Sous l’influence de l’engagement antiraciste et com­mu­niste de sa mère, Sal­lye Davis, elle forge très jeune sa con­science poli­tique.

C’est d’ailleurs la pas­sion de sa mère pour la chanteuse Bil­lie Hol­l­i­day qui amèn­era plus tard Angela Davis à écrire une analyse fémin­iste du blues, dont les inter­prètes dénon­cent dès le début du xxe siè­cle les vio­lences sex­istes et racistes (Blues et fémin­isme noir, Lib­er­talia, 2017).

Étu­di­ante engagée dans des mou­ve­ments noirs des années 1960, elle y décou­vre une cul­ture patri­ar­cale qui la révolte. Mem­bre du Par­ti com­mu­niste, elle rejoint le Black Pan­ther Par­ty, un mou­ve­ment révo­lu­tion­naire de libéra­tion africain-améri­cain, en 1968. Sur­veil­lée par le FBI, elle est accusée à tort de meurtre et risque la peine cap­i­tale. Elle est arrêtée en 1970 après une longue cav­ale. Son incar­céra­tion pen­dant seize mois forge son engage­ment pour l’abolition du sys­tème car­céral.

Elle dénonce en par­ti­c­uli­er la vio­lence sin­gulière qui s’y déploie con­tre les femmes, notam­ment enceintes, mères et non blanch­es. Avec des sou­tiens dans le monde entier, elle devient une icône de la lutte fémin­iste et antiraciste.

En 1972, sa ren­con­tre avec Toni Mor­ri­son – alors éditrice, elle la con­va­inc de pub­li­er son auto­bi­ogra­phie – sera déter­mi­nante tant sur le plan ami­cal qu’intellectuel. Une autre ren­con­tre a mar­qué son par­cours de fémin­iste, celle de Ger­ty Archimède, pre­mière femme avo­cate des Antilles français­es, com­mu­niste et fémin­iste, qu’elle ren­con­tre en Guade­loupe en 1969.

En 1981, Angela Davis pub­lie Femmes, race et classe, ouvrage majeur qui s’inscrit dans la longue tra­di­tion d’un fémin­isme des marges et pose les jalons d’une pen­sée exigeante enjoignant au fémin­isme de tenir compte des luttes antiracistes, des mou­ve­ments ouvri­ers et des droits repro­duc­tifs pour tous·tes.

Vous êtes depuis longtemps engagée en faveur de la Pales­tine. Avec le géno­cide en cours à Gaza, le sou­tien au peu­ple pales­tinien est-il devenu pri­or­i­taire pour vous ?

Nous sommes nom­breux et nom­breuses à nous préoc­cu­per de ce qui se passe actuelle­ment à Gaza et au Liban. Mais nous ne pré­ten­dons pas qu’il s’agit de la lutte la plus impor­tante au monde. Je me suis tou­jours méfiée du proces­sus de hiérar­chi­sa­tion entre les caus­es. Je crois plutôt à leur inter­dépen­dance. Ce qui se passe à Gaza dépasse Gaza.

Tout comme nous avons con­sid­éré la lutte con­tre l’apartheid sud-africain non pas comme la plus impor­tante des luttes con­tre le racisme, mais comme une lutte qui aurait des réper­cus­sions dans le monde entier. Per­son­ne ne peut être sur tous les fronts mais on peut être conscient·es des rela­tions entre les luttes.

C’est ain­si que nous créons une sorte de con­nex­ion dans le monde. Mais nous ne devons pas dire qu’il est plus impor­tant en ce moment de soutenir le mou­ve­ment pales­tinien que de soutenir, par exem­ple, les Haï­tiens et les Haï­ti­ennes, qui souf­frent ter­ri­ble­ment à cause de la posi­tion his­torique du gou­verne­ment français (8).

Nous vivons à une époque où les actes des ultra­rich­es con­courent à l’accélération de l’extinction plané­taire. Comme à Gaza, où la pro­duc­tion cap­i­tal­iste d’armes, aux mains de quelques entre­pris­es, ne détru­it pas seule­ment les maisons, les mosquées et les hôpi­taux, mais aus­si la pos­si­bil­ité même de vivre. Nous sommes face à un géno­cide, comme le rap­pel­lent les accu­sa­tions portées par l’Afrique du Sud devant la Cour inter­na­tionale de jus­tice.


« Je me tiens à dis­tance des pré­sup­posés iden­ti­taires selon lesquels on serait davan­tage sus­cep­ti­ble de s’engager dans la lutte si l’on est mem­bre d’un groupe dont la lib­erté est remise en ques­tion. »


Vos engage­ments englobent la préser­va­tion du vivant et de l’écologie en général, pour­riez-vous nous en par­ler ?

Le change­ment cli­ma­tique est pro­fondé­ment lié aux luttes con­tre le racisme et con­tre le cap­i­tal­isme. Bien sûr, le cap­i­tal­isme est respon­s­able des ter­ri­bles dégâts infligés à la planète. La jus­tice envi­ron­nemen­tale est le point de départ de la jus­tice sociale. Si nous rem­por­tons des vic­toires dans nos luttes con­tre le racisme, la misog­y­nie, l’homophobie, etc., mais que la planète est détru­ite, alors ces luttes n’ont plus aucun sens. Nous devons donc tous et toutes con­cevoir la pro­tec­tion de la planète comme une urgence absolue.

Je pense que les pop­u­la­tions du Sud glob­al devraient être en pre­mière ligne de ces luttes. La pré­da­tion des entre­pris­es cap­i­tal­istes – par exem­ple dans l’agriculture – a pour effet de détru­ire les cul­tures autochtones, qui savaient pro­téger la terre. Or ces cul­tures com­pre­naient l’importance des approches durables dans l’agriculture et la néces­sité de préserv­er la bio­di­ver­sité.

À titre per­son­nel, je suis végane, pour min­imiser mon impact sur la planète, mais je n’impose pas ma manière de vivre. Je pense sim­ple­ment que nous devri­ons être conscient·es de nos activ­ités quo­ti­di­ennes et de l’impact qu’elles ont sur des êtres vivants, bien au-delà de la portée de nos vies.

Vous avez passé beau­coup de temps en France. Qu’en avez-vous retiré ?)

Ma mère avait l’habitude de dire, lorsque j’étais petite, que je devais tou­jours porter mon imag­i­na­tion au-delà de l’endroit où je me trou­vais. Mes études en France ont joué un rôle très impor­tant dans ce proces­sus, et je ne l’oublierai jamais. Même si aujourd’hui je sais com­bi­en la France a ten­dance à se présen­ter comme la plus grande adver­saire du racisme dans le monde sans voir les actes racistes qui se pro­duisent sur son sol. Je pense que la France fait face à une crise d’identité. Le colo­nial­isme a été au cœur de son développe­ment et de celui de tous les pays occi­den­taux, mais heureuse­ment les descendant·es de ces his­toires bous­cu­lent cette posi­tion et s’impliquent dans la créa­tion d’une France très dif­férente. •

Entre­tien réal­isé en anglais, en visio­con­férence le 14 novem­bre 2024.

Angela Davis en 7 dates

1944

Nais­sance d’An­gela Davis à Birm­ing­ham (Alaba­ma), un des États les plus ségrégués des États-Unis

1962

Elle entame des études de lit­téra­ture française et de philoso­phie à l’u­ni­ver­sité Bran­deis (Mass­a­chu­setts). Elle étudie plusieurs moi à la Sor­bonne à Paris, et deux ans à Franc­fort.

1970

Accusée de meurtre, elle fig­ure par­mi les dix per­son­nes les plus recher­chées par le FBI. Men­acée de la peine cap­i­tale, elle fait l’ob­jet d’une cam­pagne de sou­tien inter­na­tionale.

1972

Empris­on­née pen­dant seize mois, elle est acquit­tée à l’is­sue de son procès

1981

Pub­li­ca­tion de son livre Femmes, race et classe, une série de 13 essais qui pro­pose avant l’heure une approche inter­sec­tion­nelle des rap­ports de pou­voir.

1991

Elle est nom­mée pro­fesseure, puis direc­trice du départe­ment d’é­tudes fémin­istes de l’u­ni­ver­sité de Cal­i­fornie à San­ta Cruz, fonc­tion qu’elle occupe jusqu’en 2021.

1999

Pub­li­ca­tion aux États-Unis de son ouvrage Blues et fémin­isme noir, une his­toire poli­tique et fémin­iste de la musique noire des années 1920–1940.

  • 1
    L’International Long­shore and Ware­house Union, qui défend les intérêts des ouvri­ers por­tu­aires aux États-Unis, est en pre­mière ligne dans les luttes antiracistes et décolo­niales, en refu­sant par exem­ple de décharg­er des bateaux venant d’Israël.
  • 2
    Aux États-Unis, l’organizing est une méth­ode de mobil­i­sa­tion com­mu­nau­taire visant à rassem­bler des indi­vidus autour d’intérêts com­muns pour exercer un pou­voir col­lec­tif et obtenir des change­ments soci­aux, économiques ou poli­tiques.
  • 3
    Lancé dès le pre­mier man­dat de Don­ald Trump, en 2017, le débat a resur­gi lors de la dernière cam­pagne prési­den­tielle après que plusieurs anciens col­lab­o­ra­teurs du prési­dent élu ont estimé qu’il cor­re­spondait à la déf­i­ni­tion de « fas­ciste ». Une accu­sa­tion reprise par la can­di­date démoc­rate, Kamala Har­ris.
  • 4
    Mari­ame Kaba est une autrice et activiste états-uni­enne engagée dans les mou­ve­ments pour l’abolition des pris­ons, la jus­tice raciale et la jus­tice de genre.
  • 5
    Après le meurtre raciste de George Floyd par un offici­er de police aux États-Unis, le mou­ve­ment Black Lives Mat­ter a pris une ampleur inédite à tra­vers le monde.
  • 6
    Angela Davis a fait son com­ing out en tant que les­bi­enne dans le mag­a­zine Out en 1997.

Les mots importants

Wokisme

Marotte des réac­tion­naires de tous bor­ds,...

Lire plus

Rokhaya Diallo

Journaliste, autrice et réalisatrice reconnue pour son travail en faveur des droits humains, elle travaille pour le Washington Post et le Guardian. Elle est chercheuse en résidence au centre de recherches Gender+ Justice. Initiative de l’université Georgetown à Washington. Dans le numéro Travailler, elle s’est entretenue avec Angela Davis. Voir tous ses articles

Travailler, à la conquête de l’égalité

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue La Défer­lante n°17 Tra­vailler, parue en févri­er 2025. Con­sul­tez le som­maire.


Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-includes/functions.php on line 5471

Notice: ob_end_flush(): Failed to send buffer of zlib output compression (1) in /home/clients/f3facd612bb3129d1c525970fad2eeb3/sites/tpp.revueladeferlante.org/wp-content/plugins/really-simple-ssl/class-mixed-content-fixer.php on line 107