Aller bien dans un monde qui va mal

Comment aller bien dans un monde aussi mal en point et qui maltraite les plus fragiles d’entre nous : les personnes étran­gères, les classes popu­laires, les femmes, les personnes trans ou racisées.
Publié le 29/10/2025

Des manifestant·es scandent des slogans appelant à des réformes dans la santé et l’éducation, lors d’un ras­sem­ble­ment à Casablanca, au Maroc, le 2 octobre 2025. Crédit : Milla Morisson / Hans Lucas

Retrouvez cet article dans la revue La Déferlante n°20 Soigner, parue en novembre 2025. Consultez le sommaire

Comme souvent depuis qu’Emmanuel Macron est installé à l’Élysée, plane dans l’air un « brouillard de mots et d’injonctions para­doxales1Marc Joly, La pensée perverse au pouvoir, Anamosa, 2024.» qui nie nos réalités et nous plonge dans la confusion.

D’un côté, la casse de tout le système de pro­tec­tion sociale (réforme des retraites, de l’assurance chômage), l’annonce de l’austérité à venir (5 milliards à éco­no­mi­ser sur les dépenses de santé), la loi qui réin­tro­duit des pes­ti­cides can­cé­ro­gènes, à quoi s’ajoute la passivité de nos dirigeant·es dans un monde en feu (guerre au Congo, génocide à Gaza, violences poli­cières, violences racistes, fémi­ni­cides…). De l’autre, une injonc­tion répétée par ces mêmes dirigeant·es à aller bien : « La santé mentale, grande cause nationale en 2025 », un « plan psy­chia­trie » pour le « repérage précoce » des troubles psy­chiques chez l’enfant ou une « charte d’engagement pour la santé mentale » proposée aux entre­prises. Sans que jamais ne soient inter­ro­gées les causes de nos maladies et de nos souffrances.

Dans ce numéro 20 de La Déferlante, dont le dossier s’intitule « Soigner dans un monde qui va mal », nous nous sommes demandé comment nous pouvions aller bien dans un monde aussi mal en point et qui maltraite les plus fragiles d’entre nous : les personnes étran­gères avec ou sans titre de séjour, les classes popu­laires, les femmes, les personnes trans ou racisées… L’injonction à la bonne santé mentale – au départ un concept pro­gres­siste issu du champ de la psy­chia­trie – est un piège qui s’est refermé sur nous tous et toutes. Elle est devenue un outil de contrôle social au service du système capi­ta­liste. Jusque dans les textes officiels émis par l’Organisation mondiale de la santé, la santé mentale est décrite comme une condition de la pro­duc­ti­vi­té des individus, « un état de bien-être qui permet à chacun […] d’apporter une contri­bu­tion à la com­mu­nau­té ».

Et gare à celles et ceux qui pro­tes­te­raient un peu trop fort ou déro­ge­raient aux attendus de leur condition. Comme l’ont démontré les travaux de terrain de la socio­logue Isabelle Coutant2Isabelle Coutant, Troubles en psy­chia­trie. Enquête dans une unité pour ado­les­cents, La Dispute, 2012., il n’est pas rare que des ado­les­cents racisés vivant dans des quartiers popu­laires soient admis dans des unités psy­chia­triques pour des com­por­te­ments qui relèvent en réalité de la trans­gres­sion sociale. Déjà, dans les années 1960, aux États-Unis, nombre de militant·es noir·es pour les droits civiques ont été interné·es. Et dans beaucoup de pays occi­den­taux, des femmes diag­nos­ti­quées comme dépres­sives ou hys­té­riques ont été envoyées à l’asile, voire lobotomisées.

En 2025, l’injonction faite aux citoyen·nes à être en bonne santé, mentale et physique, sans être placé·es dans des condi­tions qui le per­mettent, relève toujours d’une stratégie politique de nor­ma­li­sa­tion et de contrôle des corps mino­ri­taires ; les luttes menées depuis les années 1970 nous ont appris que le soin pouvait être le terreau d’une révo­lu­tion. Dans ce numéro, nous mettons en lumière des ten­ta­tives, col­lec­tives ou indi­vi­duelles, pour repenser le lien entre soignant·es et soigné·es, pour rendre leur agen­ti­vi­té à celles et ceux qui souffrent.

On parle ici des approches com­mu­nau­taires de santé, adoptées par des soignant·es engagé·es dans des quartiers popu­laires. On parle aussi de ces malades chro­niques qui par­viennent à faire recon­naître leur vécu de la maladie comme une expertise par le corps médical. On parle enfin de ces soi­gnantes mal­trai­tées, parfois mal­trai­tantes malgré elles, qui se battent pour que de meilleures condi­tions de travail leur per­mettent de mieux prendre soin des autres. Parce que, comme l’affirme une aide-soignante inter­viewée dans ce numéro : « Quand on soigne bien quelqu’un·e, on se sent bien. » On aimerait que, à l’heure de faire passer des lois, nos dirigeant·es s’en souviennent. •

  • 1
    Marc Joly, La pensée perverse au pouvoir, Anamosa, 2024.
  • 2
    Isabelle Coutant, Troubles en psy­chia­trie. Enquête dans une unité pour ado­les­cents, La Dispute, 2012.
Marie Barbier

Journaliste spécialisée dans les questions judiciaires. Elle a longtemps traîné sur les bancs des palais de justice pour le quotidien L’Humanité. Cofondatrice, elle en est aujourd’hui corédactrice en chef de La Déferlante. Elle gère, depuis Rennes, les questions financières. Voir tous ses articles

Soigner dans un monde qui va mal

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