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Les ABCD de l’égalité : récit d’un fiasco

En 2013, le gou­verne­ment social­iste met en place un pro­gramme péd­a­gogique pour lut­ter spé­ci­fique­ment con­tre les stéréo­types de genre au sein des écoles élé­men­taires français­es : les ABCD de l’égalité. Très vite, un groupe hétéro­clite s’y oppose. Réc­it d’une panique morale qui a durable­ment mar­qué les équipes enseignantes.
Publié le 08/08/2022

Modifié le 14/02/2025

Retour sur : ABCD de l'égalité La Déferlante 7

Retrou­vez cet arti­cle dans la revue papi­er La Défer­lante n°7 Réin­ven­ter la famille (sep­tem­bre 2022).

« Ren­trée sco­laire : l’offensive des par­ti­sans de la théorie du genre ». À la une du Figaro, en cette fin d’août 2013, le ton est don­né : le camp con­ser­va­teur cherche à ressoud­er ses troupes après la défaite.

Au print­emps, la loi ouvrant le mariage aux per­son­nes de même sexe avait fini par être adop­tée, après des mois de défer­lement homo­phobe orchestré par La Manif pour tous à coups de t‑shirts ros­es et bleus. Le répit aura été de courte durée.

À la ren­trée de sep­tem­bre, le lance­ment des ABCD de l’égalité, un « dis­posi­tif expéri­men­tal » déployé dans les écoles élé­men­taires pour « abor­der l’égalité entre les filles et les garçons », va vite remet­tre une pièce dans la grande machine à fab­ri­quer des paniques morales. La polémique va pren­dre des pro­por­tions démesurées et aboutir à l’abandon du pro­gramme dès la fin de l’année sco­laire.

On assomme les petites filles à coups de « attention ! »

Les ABCD de l’égalité ne con­sti­tu­aient pour­tant que la mise en appli­ca­tion d’une des mis­sions de l’école, inscrite à l’article L312-17–1 du Code de l’éducation, qui dis­pose qu’« une infor­ma­tion con­sacrée à l’égalité entre les hommes et les femmes, à la lutte con­tre les préjugés sex­istes et à la lutte con­tre les vio­lences faites aux femmes et les vio­lences com­mis­es au sein du cou­ple est dis­pen­sée à tous les stades de la sco­lar­ité ».

Avec les ABCD, le gou­verne­ment social­iste de Jean-Marc Ayrault, sous la prési­dence de François Hol­lande, veut for­mer les enseignant·es à chas­s­er les biais sex­istes de leurs pra­tiques : il leur four­nit, via un site inter­net, une bib­li­ogra­phie et des out­ils péd­a­gogiques pour pro­mou­voir l’égalité de genre dans leurs class­es. Des choses aus­si anodines que des activ­ités pour ques­tion­ner la caté­gori­sa­tion féminin-mas­culin des métiers ou des jou­ets, par exem­ple.

Le dis­posi­tif est porté par deux min­istères : celui des droits des femmes, avec à sa tête Najat Val­laud-Belka­cem, et celui de l’éducation nationale, dirigé par Vin­cent Peil­lon puis, à par­tir d’avril 2014, par Benoît Hamon.

Au poste de chargée de mis­sion nationale du pro­gramme d’éducation à l’égalité filles-garçons est nom­mée Nicole Abar. C’est une anci­enne foot­balleuse qui a enchaîné les suc­cès en cham­pi­onnat dans les années 1970–1980, avant d’entrer dans la fonc­tion publique et de s’engager con­tre les iné­gal­ités de genre dans le sport.

Elle est con­nue pour avoir gag­né un procès inédit con­tre le patron du club de foot du Plessis-Robin­son (Hauts-de-Seine) qui avait décidé de dis­soudre l’équipe des filles qu’elle entraî­nait au prof­it de celle des garçons, évolu­ant pour­tant deux divi­sions en dessous.

Avec son asso­ci­a­tion Lib­erté aux joueuses, qu’elle a fondée en 1997, elle organ­ise des ate­liers dans les écoles pour amen­er les enfants à se ques­tion­ner sur les stéréo­types de genre. Elle filme leurs façons de bouger, d’occuper l’espace, de pren­dre la parole, pour archiv­er tout ce qu’elle observe comme com­porte­ment gen­ré. Elle est par­ti­c­ulière­ment révoltée par la « ter­ri­ble perte d’habileté motrice et cor­porelle chez les filles dès 3–4 ans », quand elles courent ou lan­cent une balle, par exem­ple : « On les assomme à coups de “atten­tion, tu vas tomber, ne fais pas ci, ne te salis pas…” Ça pro­duit une lib­erté et une estime de soi tron­quées », explique-t-elle.

Peu à peu, son tra­vail se fait con­naître, au point que Najat Val­laud-Belka­cem la con­tacte et lui pro­pose de super­vis­er les ABCD. « C’était mon rêve, une action glob­ale au sein de l’éducation nationale : on a accès à tous les enfants et, entre le CP et le CM2, on a du temps pour tra­vailler en douceur, pour met­tre des mil­liards de petits coups de pinceau sur leurs représen­ta­tions et faire ain­si chancel­er leurs cer­ti­tudes. »

Six cents écoles dans dix académies volon­taires sont sélec­tion­nées pour faire par­tie de l’expérimentation. Les enseignant·es reçoivent une for­ma­tion de quelques heures puis com­men­cent à met­tre en place les ABCD dans leurs class­es en jan­vi­er 2014, alors que la tem­pête fait déjà rage.

Les catholiques réactionnaires en croisade

Appren­tis­sage de la mas­tur­ba­tion, homo­sex­u­al­ité imposée, aus­si bien que le change­ment de sexe… Dès la fin de 2013, la rumeur selon laque­lle la « théorie du genre » (une expres­sion notam­ment véhiculée par l’Église catholique, désig­nant un sup­posé lob­by mon­di­al œuvrant à détru­ire les rap­ports tra­di­tion­nels entre les hommes et les femmes) serait en train de pren­dre d’assaut l’Éducation nationale se répand comme une traînée de poudre, de chaînes de SMS en vidéos sur les réseaux soci­aux. Des par­ents paniquent, inter­pel­lent les enseignant·es désemparé·es, et vont même jusqu’à retir­er leurs enfants de l’école lors de journées de mobil­i­sa­tion.

Ce mou­ve­ment d’opposition est orchestré par deux pôles. D’un côté, des catholiques réac­tion­naires qui se cherchent une nou­velle croisade après l’adoption du mariage pour toutes et tous. Ils et elles mon­tent des « comités Vigi­Gen­der » un peu partout sur le ter­ri­toire, ani­més notam­ment par des mères diplômées et aisées, et s’allient pour l’occasion à cer­taines per­son­nal­ités musul­manes de droite.

De l’autre, Fari­da Bel­ghoul, une mil­i­tante antiraciste des années 1980 dev­enue insti­tutrice, soutenue par Alain Soral, essay­iste d’extrême droite très suivi sur Inter­net. Elle pub­lie des vidéos fustigeant la « prise en otage de nos enfants », la « pro­pa­gande LGBT » et la « société dégénérée », qui font des cen­taines de mil­liers de vues ; elle par­court la France pour « informer » les par­ents et lance les Journées de retrait de l’école (JRE) une fois par mois, pen­dant lesquelles les par­ents sont invité·es à ne pas met­tre leur enfant en classe.

Dans son sil­lage, elle entraîne cer­taines familles musul­manes des quartiers pop­u­laires, sen­si­bles, selon la chercheuse en sci­ences poli­tiques Fati­ma Khemi­lat, à son dis­cours sur les promess­es non tenues de l’école publique en ter­mes d’ascension sociale, et sur la façon dont les ABCD de l’égalité « détourn­eraient » l’institution sco­laire de son rôle (1).

Les comités locaux sont sou­vent ani­més par des mères diplômées du supérieur qui, étant musul­manes issues des class­es pop­u­laires, n’ont pas eu accès aux postes aux­quels elles pou­vaient pré­ten­dre. Pour elles, explique la soci­o­logue du genre Joëlle Mag­ar-Brae­uner, l’opposition aux ABCD con­stitue, à cer­tains égards, une « occa­sion de man­i­fester leur agen­tiv­ité dans l’espace sco­laire (2) », de pren­dre la parole sur une insti­tu­tion qui bien sou­vent les méprise.

Cette fronde con­tre les ABCD peut aus­si compter sur le sou­tien médi­a­tique de per­son­nal­ités poli­tiques de droite : Chris­tine Boutin, ou encore « Jean-François Copé, qui, sur les plateaux télé, bran­dis­sait le livre Tous à poil (3) en cri­ant au scan­dale », rap­pelle Najat Val­laud-Belka­cem. Elle pour­suit : « Des gens de droite avec lesquels j’avais pu m’entendre sur cer­tains sujets par le passé s’élevaient soudain avec une hargne invraisem­blable. Ils pointaient du doigt les études de genre sans rien y com­pren­dre. C’est tout ce con­texte-là qui va faire que le truc va pren­dre, qu’il y a des par­ents sincère­ment inqui­ets qui vont retir­er leur enfant de l’école pen­dant une journée, voire plus. »

Finale­ment, mal­gré un fort reten­tisse­ment médi­a­tique, les JRE ne toucheront qu’une cen­taine d’écoles sur les 48 000 du pays, et en majorité des étab­lisse­ments non con­cernés par le dis­posi­tif. Mais, comme le note Fati­ma Khemi­lat, « il y a un intérêt à laiss­er penser que ces Journées ont été large­ment suiv­ies, tant de la part des acteurs musul­mans anti-genre – afin d’avoir du poids dans les négo­ci­a­tions avec les autorités publiques – que du côté de leurs con­temp­teurs – qui souhait­ent dif­fuser l’idée que le sex­isme et l’homophobie se trou­vent der­rière la ligne Mag­inot que serait le périphérique parisien ».

En effet, depuis les années 1990, selon le poli­tiste Simon Mas­sei, les poli­tiques d’éducation à l’égalité entre les sex­es sont en majorité financées par la poli­tique de la ville et l’éducation pri­or­i­taire : elles visent surtout les enfants des class­es pop­u­laires non blanch­es. Une « racial­i­sa­tion de l’antisexisme sco­laire » qui se fait au détri­ment d’une approche sys­témique des vio­lences sex­istes et sex­uelles (4).

Dans le dis­posi­tif des ABCD, l’éducation pri­or­i­taire urbaine est ain­si sur­représen­tée : les équipes éduca­tives des quartiers plus aisés se sont pro­por­tion­nelle­ment moins portées volon­taires, con­sid­érant sans doute, à cause de biais racistes et clas­sistes, que tra­vailler sur l’égalité filles-garçons dans leur étab­lisse­ment était moins « néces­saire ».

« Un frein LGBTphobe non identifié, mais bien présent »

Face à la mobil­i­sa­tion, à l’Éducation nationale, on tâtonne. Des réu­nions d’information sont organ­isées dans les écoles pour désamorcer les ten­sions et les incom­préhen­sions de part et d’autre. Mais, n’étant qua­si­ment pas formé·es aux ques­tions de genre et de sex­u­al­ité, les enseignant·es ne savent pas tou­jours com­ment défendre le pro­jet.

Lucie (5), chargée à l’époque des ques­tions d’éducation dans un cen­tre de ressources con­sacré à l’égalité femmes-hommes en Île-de-France, con­statait, lors de ses for­ma­tions aux professeur·es, que pour beau­coup « ils et elles étaient favor­ables à l’idée de pro­mou­voir l’égalité mais “à con­di­tion que les filles restent des filles et les garçons des garçons”. Il y avait un frein LGBT­phobe pas iden­ti­fié comme tel mais bien présent, qui aurait pu être décon­stru­it par une vraie poli­tique de for­ma­tion en amont ».

Au niveau de la hiérar­chie, le sou­tien se fait dis­cret et mal­adroit. « Le dis­cours de l’inspecteur [aux par­ents], c’était de l’ordre de : “Ne vous inquiétez pas, rien ne va chang­er”, alors que nous, c’est ce qu’on essaie, de faire chang­er les choses », expli­quait par exem­ple une insti­tutrice à Joëlle Mag­ar-Brae­uner (6).

Vin­cent Peil­lon lui-même fera par­fois des déc­la­ra­tions ambiva­lentes, trahissant sa mécon­nais­sance des études de genre. Le 28 jan­vi­er 2014, à l’Assemblée nationale, par exem­ple, il déclare qu’il s’agit de respecter « cette dif­férence fon­da­men­tale filles-garçons » et non de la « nier »

Sur le ter­rain, l’hostilité fran­chit un cap avec l’affaire de Joué-lès-Tours, en mars 2014 : une insti­tutrice est accusée d’avoir for­cé deux enfants à se désha­biller et se touch­er. Pour Najat Val­laud-Belka­cem, c’est le moment de bas­cule.

Cette insti­tutrice « se retrou­ve dénon­cée publique­ment sur les réseaux soci­aux par la bande de Fari­da Bel­ghoul, avec son nom, son adresse, reçoit des men­aces de mort. À par­tir de là, avec Benoît Hamon, on se dit que ce n’est plus pos­si­ble. Évidem­ment que sur le fond on a rai­son, que tout ça n’est qu’une hor­ri­ble manip­u­la­tion, mais on a une prof men­acée et si on ne fait rien, on ne sait pas jusqu’où ça peut aller ».

Selon elle, c’est à ce moment-là que le sort des ABCD est scel­lé. « On a pris con­science que l’une des choses qui don­naient du crédit au réc­it anx­iogène, c’était la notion même d’expérimentation. Ça don­nait l’impression que les enfants étaient des rats de lab­o­ra­toire. »

Aus­si, le 30 juin, mal­gré un bilan encour­ageant dans les class­es con­cernées, Benoît Hamon annonce l’abandon des ABCD. Le site-ressource est fer­mé et Nicole Abar, comme d’autres, est remer­ciée : « Je l’ai été sans même un retour sur ma mis­sion. J’ai ren­du l’ordinateur avec tout ce que j’avais filmé dans les class­es vis­itées et j’ai dis­paru de la cir­cu­la­tion. C’était pour­tant un pro­gramme mag­nifique », con­clut-elle, amère.

Le dis­posi­tif est rem­placé par un plan d’action, adop­té en sep­tem­bre. « On nous a reproché d’avoir reculé alors qu’en réal­ité on a tout fait ren­tr­er dans le droit com­mun, pour que ce soit général­isé partout », défend pour sa part l’ancienne min­istre Najat Val­laud-Belka­cem.

« Sur le papi­er, glob­ale­ment, c’est tou­jours super dans l’Éducation nationale, explique Lucie, qui est depuis dev­enue direc­trice du cen­tre de ressources dans lequel elle s’occupait des ques­tions d’éducation au moment des ABCD. À chaque nou­velle con­ven­tion inter­min­istérielle sur l’égalité filles-garçons, tous les cinq ans, tu te dis “là, on a vrai­ment un plan d’action très com­plet”. Sauf qu’il n’y a aucun moyen alloué pour le déploy­er. »

Aujourd’hui encore, la part dévolue à ce sujet dans la for­ma­tion des enseignant·es reste mar­ginale, les pro­grammes n’évoluent pas tou­jours dans le bon sens, les référent·es « égal­ité » dans le sec­ondaire ne sont pas tou­jours nommé·es ni épaulé·es.

Selon Lucie, les enseignant·es, de leur côté, « ont subi telle­ment de clashs avec des par­ents sans être protégé·es par la hiérar­chie » que, par­fois, avec ses col­lègues, elle se retrou­ve « presque à faire de l’écoute psy lors des for­ma­tions »« Sur les ABCD, l’Éducation nationale n’a claire­ment pas été à la hau­teur des enjeux et on le paie encore », souligne-t-elle.

Prémices de l’offensive anti-woke de Blanquer et Vidal

L’échec des ABCD de l’égalité est emblé­ma­tique d’un mou­ve­ment à l’œuvre depuis les années 2010, où chaque ten­ta­tive d’aborder les ques­tions d’égalité et de sex­u­al­ité à l’école ouvre la voie à de pos­si­bles offen­sives réac­tion­naires.

En 2011, déjà, des asso­ci­a­tions catholiques s’étaient mobil­isées con­tre cer­tains manuels de SVT au motif qu’ils fai­saient men­tion de la notion d’« iden­tité de genre », au lieu de s’en tenir à un dis­cours sur la dif­férence sex­uelle biologique entre les hommes et les femmes (7).

À l’époque des ABCD, de nom­breuses actions péd­a­gogiques sim­i­laires ont été con­sid­érées comme sus­pectes. Lucie se rap­pelle notam­ment ce cen­tre d’information sur les droits des femmes et des familles (CIDFF) (8), con­traint d’interrompre ses séances de sen­si­bil­i­sa­tion dans les Hauts-de-Seine parce que les étab­lisse­ments con­cernés rece­vaient des let­tres de men­ace de par­ents avo­cats.

Yélé­na Per­ret, longtemps chargée de mis­sion droits des femmes dans une ville de Seine-Saint-Denis, peut égale­ment témoign­er de cette défi­ance. Elle explique avoir pu ras­sur­er assez facile­ment les par­ents en leur détail­lant le con­tenu de ses inter­ven­tions périsco­laires, mais elle regrette aujourd’hui les posi­tions par­fois « un peu tièdes » que ses col­lègues et elle-même ont pu adopter.

« Au fond, en tant que mil­i­tante fémin­iste, mon hori­zon reste l’abolition du genre. Quand tu cherch­es à décon­stru­ire les stéréo­types auprès des enfants, tu peux quand même espér­er que ça leur laisse plus de lib­erté sur leur iden­tité de genre, leur ori­en­ta­tion sex­uelle… Peut-être qu’on n’a pas eu le courage d’aller au bout, de dire “oui, on ne veut plus qu’il y ait d’hommes et de femmes, et alors ?” En même temps, dans le cadre pro­fes­sion­nel, je n’avais pas la légitim­ité pour le faire. »

Nom­bre de professionnel·les ont d’ailleurs com­mencé à éviter d’employer le mot « genre », qui a été ban­ni des pub­li­ca­tions portées par l’Éducation nationale dès le lance­ment des ABCD, au prof­it du plus con­sen­suel « stéréo­types filles-garçons ».

« Au début de ma vie pro­fes­sion­nelle, le mot sur lequel je m’autocensurais c’était “patri­ar­cat”, se sou­vient Yélé­na Per­ret. J’avais peur que ça fasse gros sabots. Mais sur le genre, juste­ment, j’étais très ent­hou­si­aste à l’idée de faire décou­vrir son intérêt con­ceptuel à d’autres professionnel·les. Cela per­met à la fois de penser la façon dont sont créées les caté­gories binaires d’hommes et de femmes, et d’inclure les luttes pour les droits des per­son­nes LGBTQ. Mais aus­si de réfléchir à ce que cette répar­ti­tion gen­rée implique en ter­mes de rap­ports de pou­voir et d’oppression. Quand on par­le d’égalité garçons-filles, on reste sur des enjeux de rat­tra­page, pas de révo­lu­tion des struc­tures sociales. »

Aujourd’hui, les paniques morales autour de l’éducation des enfants sont tou­jours d’actualité. « Le curseur s’est sim­ple­ment déplacé sur le “wok­isme (9)” et s’est éten­du au-delà des ques­tions d’égalité de genre, pour englober notam­ment l’antiracisme poli­tique », relève Yélé­na Per­ret.

En effet, alors qu’en 2013 les ABCD étaient mis en œuvre par le gou­verne­ment, en 2021, ce sont directe­ment les min­istres de l’éducation nationale et de l’enseignement supérieur, Jean-Michel Blan­quer et Frédérique Vidal, qui ont porté haut et fort l’offensive « anti-woke » et fait preuve d’une cer­taine porosité avec le vocab­u­laire d’extrême droite, en cri­ant au « nou­v­el obscu­ran­tisme » et en lançant une chas­se aux « islam­o­gauchistes » dans le monde de la recherche.

« En fait, con­clut-elle, avec la mobil­i­sa­tion réac­tion­naire con­tre le genre de 2013–2014, on en était juste aux prémices de ce que l’on vit aujourd’hui. »

*

(1) Entre­tien avec Fati­ma Khemi­lat, réal­isé par Fan­ny Gal­lot et Gaël Pasquier, « Les Journées de retrait de l’école : une mobil­i­sa­tion très rel­a­tive des musul­mans de France », Cahiers du genre, 2018.

(2) Joëlle Mag­ar-Brae­uner, « La mésen­tente à l’école des Tilleuls. Des effets et de quelques enjeux de l’appel à la Journée de retrait de l’école dans une école pri­maire », Cahiers du genre, 2018.

(3) L’album jeunesse Tous à poil de Claire Franek et Marc Dani­au (Édi­tions du Rouer­gue, 2011) met en scène avec humour divers per­son­nages – la baby-sit­ter, la maîtresse, le polici­er… – nus, afin de mon­tr­er la diver­sité des corps. En févri­er 2014, Jean-François Copé, alors prési­dent de l’UMP, s’offusqua de sa présence sur une liste de livres recom­mandés aux enseignant·es par l’Éducation nationale.

(4) Simon Mas­sei, « Les “ABCD de l’égalité”, cas d’école de racial­i­sa­tion du sex­isme », Mou­ve­ments, 2021, no 107.

(5) Elle préfère rester anonyme et ne pas pré­cis­er le nom de la struc­ture dans laque­lle elle tra­vaille.

(6) Joëlle Mag­ar-Brae­uner, art. cité.

(7) Fan­ny Gal­lot et Gaël Pasquier, « L’école à l’épreuve de la “théorie du genre” : les effets d’une polémique », Cahiers du genre, 2018.

(8) Les CIDFF sont des asso­ci­a­tions qui, au niveau départe­men­tal, sont chargées par l’État de pro­mou­voir les droits des femmes et l’égalité.

(9) Terme fourre-tout util­isé par les con­ser­va­teurs et con­ser­va­tri­ces à des fins polémiques, le « wok­isme » désigne, pour les stig­ma­tis­er, les luttes visant à pro­mou­voir la jus­tice sociale. Il sert égale­ment à décrédi­bilis­er, dans une per­spec­tive anti-intel­lec­tu­al­iste, tout un pan de la pen­sée cri­tique et des sci­ences sociales.

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Mathilde Blézat

Journaliste indépendante basée à Marseille, elle est coautrice du manuel féministe Notre corps nous mêmes (Hors d’atteinte 2020) et cofondatrice de la revue Panthère première. En février 2022, elle a publié Pour l’autodéfense féministe (Editions de la dernière lettre). Voir tous ses articles

Réinventer la familler : en finir avec le modèle patriarcal

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